Alors que le bâtiment des communs a été rénové en 2001 et transformé en logements, le château de Migneaux, était dans un état de délabrement, résultant de son abandon et des intempéries après son "dépeçage".

 

Sa démolition au début de l'année 2004, pour laisser la place à un nouvel immeuble d'habitation, "construit en s'inspirant des plans originaux du XIXème siècle", aurait pu nous conduire à le classer dans la rubrique "Patrimoine disparu".

Les textes et les illustrations qui suivent nous relatent sa riche histoire ; ils sont, pour la plupart, extraits de la revue CHRONOS N° 29-30 (Printemps-été 1994) du Cercle d'Etudes Historiques et Archéologiques de Poissy. Nous remercions particulièrement son Président, Jean-Bernard Rigaudeau, sa Vice-Présidente, Bernadette Dieudonné, et les auteurs des articles : Pierre Emile Renard (première partie, jusqu'en 1810 et descriptions du parc), Bernadette Dieudonné et François Bouyssi (deuxième partie) ainsi qu'Olivier Delas, qui a pris de nombreuses photographies des bâtiments et de l'intérieur du château en juillet 1993.
Nous avons apporté nos propres compléments.

L'origine du nom

Tout le monde s'accorde au moins pour estimer que l'habitat en ce lieu est né de l'existence du ru. A partir de cette considération, il semble normal d'opter pour une certaine étymologie du toponyme que l'on trouve à travers les siècles diversement orthographié : Musnelles (1190), Munelles (1220), Mugneaux (1232), Muisneaux (1315), puis alternativement ou simultanément Mignoz, Mignot, Migneault, Migneaux.

  Il semble acceptable de conclure que cette succession de modulations phoniques et la vocation du lieu conduisent à opter pour une étymologie liée à l'existence d'au moins un moulin, avec ses "musniers" ou ses mi(g)notiers produisant leurs mesures de farine.

Un article du premier numéro de la revue "Le Vieux Poissy" mentionne le premier personnage, porteur du nom : "Le chapelain de l'Hôtel-Dieu de Poissy, Nicolas Ravy, par un acte de novembre 1330, reconnaît avoir ascencé l'arche marinière à Jean de Migneaux".

De la seigneurie de Villennes au fief de Migneaux

La propriété des seigneurs de Villennes

C'est à l'origine de la seigneurie de Villennes qu'il convient de rattacher celle de Migneaux. Ainsi, à la fin du XVème siècle, cette terre appartient à Guillaume de Brinon, conseiller du Roy dont la famille alliée à celle d'Henri Perdrier, seigneur de Médan, puis aux Bourdin, en conserve la jouissance jusqu’au milieu du XVIIème siècle. Cette famille de noblesse de robe reste fidèle, pendant plus de deux siècles, à son implantation terrienne, tout en exerçant ses fonctions souvent au Parlement de Paris, mais également en celui de Rouen.

Le plus illustre de ses membres, Jean II Brinon, est un riche seigneur, poète, passionné de belles lettres, qui va être l'ami et le mécène de Ronsard et de la Pléiade. Nous pouvons facilement, d'après le récit de Pierre Belon dans "L'Histoire et la Nature des Oiseaux", imaginer ces poètes et humanistes chasser, herboriser et versifier dans le vallon de Migneaux.

A la mort de Jean II en 1565, la seigneurie de Villennes passe dans la famille Bourdin par héritage. La terre de Mignoz est mentionnée pour chacun des partages de cette fin du XVIème siècle. La première mention d'un hostel seigneurial à Migneaux est trouvée dans des aveux du 22 décembre 1606 rendus par Marie Fayet, épouse séparée de Nicolas Bourdin. L'acte passé chez Me Fournier, notaire au Châtelet de Paris, ne mentionne d'ailleurs que des vestiges d'un hostel. Migneaux devient la résidence de cette Dame qui, inhumée dans l'église Sainte-Marguerite, avait pour frère Antoine Fayet, curé de Saint-Paul.

Nicolas II Bourdin, fils de Marie Fayet, hérite de l'hostel.

Divers acquéreurs successifs

A partir de la vente par celui-ci à Claude Dumont, seigneur du Faÿ à Andrésy, commence une période d'instabilité patrimoniale.

En 1659, Nicolas et Charlotte Lemasson héritent de Migneaux par donation de leur oncle Jean Baptiste Lelarge, procureur au Châtelet de Paris. Rapidement Louis Fauveau, conseiller secrétaire du Roi, en devient acquéreur. Ce dernier, menacé de saisie, revend le 27 août 1682 à Charles Dufresny de la Rivière, garçon ordinaire de la Chambre du Roi.

Premier aménagement, en France, d'un jardin paysager

 

Avec Charles Dufresny, nous sommes au point de rencontre d'un homme aux multiples facettes et d'un lieu source d'inspiration d'un tournant dans l'histoire de l'art des jardins.

Ce coteau dominant la vallée de la Seine sera la véritable terre d'expérience pour ce dessinateur des jardins du Roi.

Il trace ses chemins sinueux et "montueux" à travers les obstacles de ses dix hectares de nature pour atteindre un point de vue sur un nouveau paysage, au moment où Le Nôtre, quittant la terrasse de Saint-Germain, trace les perspectives géométriques de Versailles et ainsi règne sur les jardins "à la française".

Cliquez sur son portrait pour lire divers textes de ses nombreux biographes sur son existence et son oeuvre.

Il faudra quatre-vingts ans et un passage par l'Angleterre pour que le jardin paysager revienne sur les lieux de sa naissance. Malheureusement ce titre de gloire, Migneaux ne le possède que par des mentions éparses et nous ne disposons pas du plan de ce jardin innovant.

Dufresny comme ses prédécesseurs rencontre de multiples soucis d'argent, aussi le domaine est adjugé le 16 avril 1690 à un personnage plus terne : Cureau de la Chambre, curé de Saint-Barthélemy de Paris et académicien à la suite de son père Marin Cureau, médecin ordinaire du Roi.

Succession de plusieurs propriétaires parisiens

En fait, la propriété est toujours occupée par une locataire de Dufresny : Mademoiselle Marie Elizabeth Nicolai, de la famille des premiers présidents de la Chambre des Comptes. Cette locataire obtient de Cureau de la Chambre de se substituer à lui en tant qu'adjudicataire. Au décès du curé parisien, l'occupante effective devient propriétaire du domaine en 1693, jusqu'à sa mort en 1708.

En une dizaine d'années (1682-1693), les procédures et les actes notariés les plus complexes se succèdent, mais ils ne nous renseignent pas sur l'origine de la construction qui toutefois ne fait l'objet d'aucun signe de modifications.

Pendant la majeure partie du XVIIIème siècle, le château de Migneaux reste dans le patrimoine de la famille Fieubet, propriétaire de l'hôtel parisien sis quai des Célestins (actuelle Ecole Massillon). Le personnage le plus notable de cette famille est Arnaud Paul Fieubet (1700-1767), brigadier des Armées du Roi depuis 1740, qui en est propriétaire à partir de 1712. Sa fille Catherine Henriette de Fieubet, épouse de Mathias Raoul de Gaucourt, Maréchal de camp des armées, en hérite.

La comtesse de Gaucourt devenue veuve, vend le domaine en 1774 au sieur Delafaye-Fontaine, ancien officier chez le Roi.

La courte existence du fief de Migneaux

Le seigneur et son épouse, restée très proche du roi

En 1782, le nouvel acquéreur de Migneaux est François Nicolas Lenormant, seigneur de Flaghac, maître d'hôtel ordinaire du comte d'Artois. Est-il un parent plus ou moins proche de Charles Guillaume Lenormant d'Étiolles, le mari de la marquise de Pompadour ? Il est l'époux en deuxièmes noces de Marie Louise O'Murphy. Cette dernière, née en 1737, fut à l'âge de 14 ans un des modèles du premier peintre du Roi : François Boucher, avant de devenir sous le nom de Morphise celle qui remplaça la marquise de Pompadour dans le cœur et le lit de Louis XV. Il l'avait installée, à proximité du château de Versailles, dans une maison du Parc aux Cerfs (actuel quartier Saint Louis). Après sa disgrâce, elle fût dotée de 200 000 livres par le roi et mariée à un officier, Jacques de Beaufranchet d'Ayat. Marie Louise fit encore parler d'elle, en particulier en tant que maîtresse de l'abbé Terray et mère d'un général, rallié à la cause révolutionnaire, qui lui permettra, malgré son passé, de franchir cette époque troublée.

Recrutée par un réseau organisé par la Pompadour et ses proches, Marie Louise resta sous sa protection pendant toute son existence.

 

Le livre Le goût du roi - Louis XV et Marie Louise O’Murphy de l’historien Camille Pascal (Edition Perrin, 2006) retrace la vie singulière de cette jeune Parisienne qui passa quelques étés dans notre terroir et dont le nom rappelle son origine irlandaise.

La plupart des fidèles soldats de Jacques II, roi catholique d’Angleterre, que Louis XIV avait accueillis en France dans son exil à Saint-Germain-en-Laye, étaient restés dans la région parisienne ou en Normandie.

Le milieu de la galanterie

Cette biographie passionnante, tout à fait exemplaire de cette époque, commence par l’étude des notes prises quotidiennement par un adjoint du lieutenant de police du roi dont l’activité consiste à surveiller les filles et femmes galantes de ce Paris libertin. Surveiller - voire exploiter - le milieu de la prostitution parisienne c’est aussi alors faire office de « renseignements généraux »  tant les classes sociales, les princes, les ecclésiastiques, les financiers se mêlent et se croisent … pour se retrouver dans les maisons du quartier de la rue Montorgueil. Les sœurs Morfi, ainsi les appelle-t-on, sont cinq. Si les ainées ont suivi les armées royales en Flandre et sont souvent vues ensuite à l’Opéra Comique, la petite benjamine, Marie Louise, va se trouver à quatorze ans au centre d’un réseau où se rencontrent le premier valet de chambre du roi, l’entourage de la Marquise de Pompadour, François Boucher pour qui elle a posé pour son « Odalisque Blonde ». Casanova, dont elle fut l'une des voisines à Paris, se présente aussi, dans ses mémoires, comme un des entremetteurs et y rapporte des descriptions élogieuses sur sa beauté : L’habile artiste avait dessiné ses jambes et ses cuisses de façon que l’œil ne pouvait pas désirer de voir davantage. J’y ai fait écrire dessous : O-Morphi, mot qui n’est pas homérique, mais qui n’est pas moins grec. Il signifie Belle.

4 ans à Versailles ...

Marie Louise ayant été présentée secrètement au roi fin 1753, la rumeur de leurs amours s’installe dès le début de l'année suivante. La nouvelle maîtrese du Roi Très Chrétien est la petite fille d'un cordonnier irlandais, la fille de deux Irlandais, un ancien soldat, espion à la solde de l'Angleterre, et une prostituée notoire.

Elle sera plus qu'une petite maitresse comme beaucoup d’autres : cette passion de Louis XV durera 3 ans et très certainement au delà par épisodes.

 

La protection du roi lui sera toujours acquise ainsi que celle de la famille royale avec une fidélité très exceptionnelle. Un enfant nait en 1754 à Paris dans une discrétion absolue : Agathe Louise de Saint Antoine selon les registres. Logée dès le début à Versailles dans une maison du Parc aux Cerfs près du château, Marie Louise O'Murphy la quitte, une nuit de novembre 1757.

... puis l’exil en Auvergne

Ce départ précipité est vraisemblablement dû à une cabale du parti dévot à la cour. Un mari lui est trouvé aussitôt et le 25 novembre elle épouse Jacques de Beaufranchet, seigneur d’Ayat, qu'elle suit en Auvergne près de Riom. Vieille noblesse totalement désargentée. La dot de Marie Louise s’élève à 200 000 livres données par un chanoine … qui n’est évidemment qu’un prête-nom. C’est presque le niveau d’une dot de fille de fermier général.

Dans cet exil auvergnat, nait, le 30 octobre 1756, une fille, Louise Charlotte Françoise, qui mourra deux ans plus tard puis un fils, le 22 novembre 1757. C’est un enfant posthume pour son mari, tué à la bataille de Rosbach deux semaines avant la naissance.

Le monde de la finance

Seule et veuve dans une famille hostile, elle décide de s’installer à Riom et de trouver un mari pour défendre ses intérêts. Elle n’a pas les 25 ans de la majorité d’alors pour gérer ses biens et ses droits. Elle y épouse François Nicolas Lenormant ;  sa charge de receveur des tailles de Riom en fait un solide appui dans le monde de la finance. La succession est réglée en 1760 et elle entre en possession des rentes et de sa dot.

 

Elle vit alors entre Riom et Paris. Elle est alors vraisemblablement rappelée par le roi. Elle met au monde une fille le 5 janvier 1768 : Marguerite Victoire. Un prêtre, généreux donateur, est toujours là : elle reçoit 150 000 livres en novembre 1771, la même somme en février 1772, et, le 15 novembre, encore 40 000 livres ! Ces donations extraordinaires ne peuvent provenir que du roi.  Les nouvelles rencontres entre celui-ci et Marie Louise sont  manifestes. En particulier, le contrat de mariage de Marguerite Victoire porte la mention suivante : contrat passé en présence et avec l’agrément de leur majesté le Roi et la reine, de la famille royale les comtes d’Artois et de Provence. Un roi, deux futurs rois et une reine ! Un peu difficile à imaginer pour la fille d’un François Nicolas Lenormant, tout comte de Flaghac qu’il était devenu par l’achat de cette seigneurie.

Les résidences secondaires de Migneaux puis de Soisy

Il nous reste à compléter le passage du livre de Camille Pascal, qui traite des villégiatures de Marie Louise à Villennes pendant trois années, son mari y décédant un an après leur acquisition du château de Migneaux ; leur domicile parisien est alors un superbe hôtel particulier de la rue Notre-Dame-des-Champs.

Signature, par Marie Louise O'Murphy Lenormant de l'acte d'achat du domaine de Migneaux.

 


Le même luxe prévaut au château des Migneaux que les époux Lenormant achètent en 1782 pour pouvoir passer la belle saison à quelques lieues seulement de la capitale. Il était évidemment hors de question pour Marie-Louise d'aller s'enfermer entre les quatre tours gothiques du château de Flaghac. Le château de son mari est trop loin, trop vieux, trop froid. Son mari pouvait bien aller deux fois l'an jouer au seigneur de paroisse, exiger ses droits féodaux et assourdir le voisinage du cri de ses chiens, mais sans elle. Madame de Pompadour portait le nom de son marquisat sans avoir jamais mis le pied sur cette terre perdue à l'autre bout du royaume, la belle dame de Flaghac en ferait de même. Hors des forêts d'Ile-de-France, là où depuis toujours le Roi chasse, il n'était pas de campagne habitable. Meublé à la dernière mode, le grand salon ne compte pas moins de deux canapés, dix fauteuils à la reine, quatre fauteuils en cabriolet et deux chaises, le tout en bois sculptés et dorés, tendus de damas bleus et d'étoffe de soie ; le château est équipé du confort moderne. Marie-Louise qui aime à s'attarder à sa toilette, dispose là encore d'une très belle salle de bains. Migneaux offre donc un lieu de villégiature privilégié en bord de Seine. Une dizaine de domestiques s'affairent en permanence et une magnifique vaisselle d'argent évaluée à plus de 10 000 livres permet de recevoir à table plus de quarante convives. Les dépenses personnelles de Marie-Louise, consignées par son propre mari, comptable rigoureux, s'élevaient alors, à plus de 20 000 livres par an. Un tel train de vie exigeait des revenus considérables. La mort brutale de François Lenormant, le 26 avril 1783, alors que le couple profitait du printemps à Migneaux, va menacer cette douceur de vivre. Veuve pour la deuxième fois, la Morphise va jouer de tous ses charmes et déployer une activité frénétique pour garder la main sur une fortune qu'elle considère comme sa propriété exclusive.

Marie Louise O'Murphy reste propriétaire du domaine de Migneaux jusqu'en 1785.

Pour passer la belle saison  et recevoir dignement, elle achète alors le château de Soisy-sous-Etiolles (non loin de la forêt de Sénart et de la propriété des Lenormant d'Etiolles, qui avait abrité, quarante ans plus tôt, les débuts mondains de la future Marquise de Pompadour ...). Les fêtes continuent également dans son hôtel de la rue du Faubourg Poissonnière. Elle a un amant, Nicolas Valdec de Lessart (portrait ci-contre), ministre des Finances et de l’Intérieur en 1790. Elle est au sommet de la société financière de cette fin de régime.

 

 

La Révolution

S’éloignant pour un temps de Paris, elle apprend la mort de son amant lors des massacres de septembre. Son gendre, l’époux de Marguerite Victoire, est guillotiné. Par contre, son fils (portrait ci-contre), qu'elle eut de son premier mari, Jacques de Beaufranchet, est un véritable héros des armées patriotes après avoir commandé les troupes chargées de surveiller l’exécution de Louis XVI ; devenu général, il sera sa caution. Il  lui permet de survivre dans ces années agitées et de sortir vivante de la prison de Sainte Pélagie le lendemain de la mort de Robespierre. Elle épouse ensuite Philippe Dumont, de trente ans plus jeune, un obscur député de la Convention Nationale dont elle divorce rapidement.

Les temps plus calmes de l’Empire lui permettent de continuer une vie mondaine dans un bel appartement du Faubourg Saint Honoré. Son fils patriote soutient l’Empire.

Elle meurt  le 11 décembre 1814. L’acte de son décès mentionne ses trois mariages avec chacun des titres de ses maris :  la situation matrimoniale de la défunte résume, à elle seule, un demi-siècle de l’histoire du pays. Le notaire qui procède à l'inventaire de la chambre de Marie Louise, quelques jours après sa mort, découvre, une petite boite de forme ronde en or et un étui en or guilloché de forme très ancienne. Louis XV avait pour habitude, après un premier rendez-vous, de remercier la femme qui sortait de son lit en lui faisant porter le lendemain une tabatière et un étui en or contenant un rouleau de louis …

Le fief de Migneaux

 

Par un acte, en date du 26 décembre 1782, enregistré chez Me Garcerand, notaire à Paris, le domaine de Migneaux est érigé en fief : Monsieur le Président Pierre Gilbert de Voisins, marquis de Villennes, seigneur de Médan, Orgeval et autres lieux, accorde ce droit à M. et Mme Lenormant, les propriétaires du domaine à cette époque.

Ceux-ci décident d'agrandir le corps de logis du XVIIème siècle d'un pavillon neuf. Ce renouveau de Migneaux va être brisé très rapidement par le décès de Nicolas François Lenormant. Sa veuve, Marie Louise O'Morphy, revend le nouveau fief en 1785.

Pierre Paul de Saint-Paul, Ecuyer, commissaire ordonnateur des guerres, chef d'un des bureaux de la Guerre, couronne son ascension sociale par l'acquisition de ce manoir régénéré et de ses quarante arpents.

Toutefois, ce nouveau seigneur n'aura pas le temps de profiter longtemps de sa situation. Il perd son titre et ses privilèges dans la nuit du 4 août 1789, revend le domaine en janvier 1791. Après les événements du 10 août, il sera accusé d'avoir organisé un complot et sera guillotiné le 27 ventôse an II.

La résidence de capitaines d'industrie et de financiers

Nouvel aménagement du parc "à l'anglaise"

 

Comme on peut le constater, et contrairement à beaucoup de mutations de grands domaines à cette époque, le nouvel acquéreur ne bénéficie pas d'un bien séquestré. Il s'agit de Jean-Baptiste Decrétot (1743-1817).

Arthur Young, lors de son voyage en France, le rencontre et discerne en lui "les quelques qualités essentielles de la bourgeoisie britannique. Manufacturier entreprenant, à la pointe du progrès diversifiant ses productions, il se voulait un industriel éclairé". Rien d'étonnant à ce que notre nouveau propriétaire se lance dans une série d'acquisitions foncières.

Dans la même logique, il fait appel à celui qui avec M. de Girardin sera à l'origine de l'implantation en France du "jardin anglais" : Jean-Marie Morel qui, à la fin de sa vie, travaille pour les Bonaparte-Beauharnais à la Malmaison et à Saint-Leu.

Jean-Marie Morel (1728-1810), architecte du Prince de Conti de 1746 à 1776, est allé en Grande-Bretagne dès 1756, étudier les jardins de William Kent. Auteur de L'Art de distribuer les jardins suivant l'usage des Chinois (1757), de la Théorie des Jardins (1776), il réalise près de 40 domaines selon les nouveaux principes.

     
 


Plan du parc à la française (1788)

 


Plan du parc à l'anglaise (1830)

 

Il est particulièrement intéressant, dans le plan du parc de 1830, de voir combien le terrain commande : les chemins sinueux sont "noués" sur les carrefours des chemins géométriques ; les bois restreints en surface sont maintenus dans la partie centrale où se trouve la croupe de la falaise. Les parterres est et ouest, transformés en petits parcs aux chemins ombragés servent de base à la grande prairie qui mène à la pièce d'eau alimentée par le ru.

On retrouve ce processus de transformation à Issy, autre parc dû à Morel. Il est également caractéristique de voir que le jardiniste-paysager n'a pas cherché à étendre la superficie du parc d'agrément. Les jardins anglais en France restent de mêmes dimensions que les jardins géométriques auxquels ils succèdent. En cela, Morel ne suit pas l'exemple anglais d'utilisation de très grands espaces.

Une rencontre historique

 

Decrétot a pris une part active à la Révolution jusqu'à la Convention en intervenant activement dans le domaine du commerce contre la politique d'inflation des assignats et enfin dans le cadre du Comité de Mendicité.

Grâce à lui, le château de Migneaux est le cadre d'une rencontre entre Maximilien de Robespierre, Jérome Pétion et ... le futur roi Louis-Philippe.

Victor Hugo, descendant de sa famille, relate cet événement dans "Choses vues", à la date du 6 septembre 1844 :

Je n'ai jamais vu, me disait le roi, qu'une seule fois Robespierre en chambre (dans une chambre, de près, mais je conserve l'expression même du roi). C'était dans un endroit appelé Mignot, près de Poissy, qui existe encore. Cela appartenait alors à un riche fabricant de drap de Louviers appelé Decréteau. C'était en 91 ou 92. M. Decréteau m'invita un jour à venir dîner à Mignot. J'y allai. L'heure venue, on se mit à table. Il y avait Robespierre et Pétion. Je connaissais beaucoup Pétion, mais je n'avais jamais vu Robespierre. C'était bien la figure dont Mirabeau avait fait le portrait d'un mot, un chat qui boit du vinaigre. Il fut très maussade et desserra à peine les dents, laissant à regret échapper une parole de temps en temps, et  fort âcre. Il paraissait contrarié d'être venu et que je fusse là. Au milieu du dîner, Pétion s'adressant à M. Decréteau s'écria:

Mon cher amphitryon, mariez-moi donc ce gaillard-là !

Il montrait Robespierre. Robespierre de s'exclamer :

Qu'est ce que cela et que veux-tu dire, Pétion ?

Parbleu, fit Pétion, je veux dire qu'il faut que tu te maries. Je veux te marier. Tu es plein d'âcreté, d'hypocondrie, et de fiel, d'humeur noire, de bile et d'atrabile. J'ai peur de tout cela pour nous. Il faudrait une femme pour fondre toutes ces amertumes et faire de toi un bon homme.

Robespierre hocha la tête et voulut faire un sourire mais ne parvint qu'à faire une grimace.

C'est la seule fois, reprit le roi, que j'aie vu Robespierre en chambre. Depuis je l'ai retrouvé à la tribune de la Convention. Il était ennuyeux au suprême degré, parlait lentement, longuement et pesamment, et était plus âcre, plus maussade et plus amer que jamais. On voyait bien que Pétion ne l'avait pas marié.


La propriété d'un industriel

Pendant vingt ans, le domaine vit une véritable prospérité à l'abri de la tempête des événements.

 

C'est tout naturellement dans le domaine de l'industrie qu'il faut chercher le nouvel acquéreur du domaine de 77 hectares, en la personne de Jean Labat, demeurant alors 4 rue Barre du Bec à Paris.

Jean Labat qui acquiert le 4 novembre 1810 le château et le parc de Migneaux puis les terres environnantes pour y créer une raffinerie, est, à la différence des précédents propriétaires, une sorte de "self-made man". Il est l'un de ces hommes d'affaires pour qui la Révolution a été un tremplin, fermement décidés qu'ils sont à amasser une énorme fortune, moins par amour sec de l'argent que pour avoir le droit de le mépriser ; des hommes conscients des devoirs que ce dernier crée et pour qui un château est aussi le moyen d'accroître le réseau de leurs relations sociales grâce à une hospitalité bien comprise. La Saint-Jean est ainsi prétexte à de grandes réjouissances à cette époque.

Jean Labat s'était passionné pour le perfectionnement des méthodes d'éducation et avait embrassé la cause de l'enseignement mutuel. N'ayant pas d'enfant, il avait pris en charge l'éducation de ses quatre neveux et nièces ainsi que celle d'un jeune Anglais de leur âge.

Jean Labat a vivement déploré la perte des colonies, mais la Révolution n'en avait, d'après lui, pas moins apporté des acquis inestimables. Il a la réputation d'être un patron "social", comme ses collègues au Conseil général des manufactures le soulignent à sa mort.

Il est un libéral, proche des milieux qui ont constitué le "mouvement" orléaniste, dont Jacques Laffitte, son banquier, est l'un des chefs. Tous les amis personnels de Labat, qu'il reçoit au château, sont d'anciens associés ou des collègues en affaires. La frontière de la vie privée et de l'intimité n'est pas celle que nous connaissons. Prenons également l'exemple de la localisation et de l'agencement des salles de bains : à Migneaux, les bains avaient été pris jusqu'alors dans le cabinet attenant au salon ; à l'époque de Jean Labat, une baignoire supplémentaire est montée dans l'antichambre à droite de l'escalier, passage obligé pour l'accès à deux chambres de l'appartement du maître des lieux et à sa bibliothèque... Presque des bains publics !

L'acajou a fait son entrée dans la maison, peut­être déjà introduit par Decrétot qui avait vendu le mobilier avec le château. La toile de Jouy est encore omniprésente. Dans les chambres, des commodes et des baldaquins sont apparus.

Le salon comporte à cette époque un piano Pleyel, un guéridon en acajou à dessus de marbre blanc, une table de piquet en acajou. Huit gravures de ports, dues à Horace Vernet, ornent les murs. Les rideaux sont en calicot garni de toile de Jouy rouge.

La salle à manger communique avec le salon. Ses rideaux sont également en calicot, mais les bordures sont en toile de Jouy verte. Le nombre des couverts ordinaires a doublé depuis l'époque des Saint-Paul. Vingt-quatre chaises en noyer foncé garnissent la pièce autour d'une table en acajou massif ; il y a aussi deux "servantes" en acajou avec dessus de marbre blanc et une table de jeu. Les lampes dites "à courant d'air" sont pourvues d'abat-jour en porcelaine.

Depuis la Révolution, la chapelle a fait place à un petit salon.

Le billard en chêne à picos et bandes est descendu d'un étage très exactement et se trouve donc dans la dernière pièce avant le pavillon de droite, qu'on a également meublée de deux armoires en acajou, de deux banquettes et de deux fauteuils.

Le deuxième étage est distribué en une antichambre, une lingerie, un garde-meuble, deux cabinets, six chambres de maître et deux chambres de domestiques.

On remise dans l'orangerie trente-trois caisses d'orangers, un palmier, un grand aloès, quatre grenadiers, deux lauriers roses...

L'écurie abrite une chaise de poste peinte en jaune.

Jean Labat ne s'occupe pas lui-même de l'administration de ses terres : il en a chargé le notaire de Poissy, Me Antoine Faron. Il continue les achats de terres pour agrandir le domaine, de 1812 à 1823. En plus du Liais, il acquiert deux maisons autour de la raffinerie. L'augmentation de ses propriétés lui fait demander en 1825, comme "garde-champêtre particulier", le sieur Nicolas Parvy, alors régisseur de la Raffinerie.

 

En 1817, un guide des environs de Paris décrit ainsi les lieux :

Le ci-devant fief de Migneaux, appartenant à M. Labat, est un château remarquable par sa construction, sa position, et ses points de vue charmants et pittoresques le long de la vallée de la Seine.

On y découvre toute la ville de Poissy et les villages des alentours. Le parc qui contient environ cent arpents est bien planté et entrecoupé de ruisseaux qui forment plusieurs bassins, dont les eaux se réunissant à peu de distance de là, font tourner un moulin.


Le moulin de Migneaux, dessiné par Edmond Bories, un siècle plus tard.  

C'est pour alimenter ce moulin que Jean Labat fait pratiquer des "fouilles et excavations" depuis "la fontaine dite de St Levin ou de Migneaux", et qu'un procès l'oppose aux habitants de l'ancienne abbaye de Poissy qui, disent-ils, avaient toujours reçu ces eaux depuis sa fondation par Philippe-le-Bel. Il est vrai que "dans un compte-rendu présenté à Louis XIV" se trouve "un mémoire concernant les dépenses faites pour amener les eaux de ce village dans le sein de l'abbaye".

 

Le cadastre Napoléonien nous restitue le plan du domaine de Migneaux en 1821.

A la mort de Jean Labat, décédé à Paris le 21 janvier 1828, ses neveux reprennent la direction de la raffinerie, mais sont rapidement dans l'obligation de vendre le château, le moulin et les terres de Migneaux.

La propriété d'un agent de change

L'un des plus importants agents de change de Paris, Jacques-Edmond Archdeacon, achète alors la propriété de Migneaux le 31 mai 1828. S'intéressant à l'activité sucrière, il y avait personnellement investi des fonds. Est-ce ainsi qu'il fut averti de cette vente ?

Il s'installe à Villennes, commune qui attire les financiers, puisqu'un autre agent de change de la capitale, Jean-Joseph Bastier de Bez, y a acquis une villégiature (il sera maire de Villennes de 1824 à 1831).

Né à Dunkerque en 1774, il a embrassé la profession de négociant de son père et son grand-père. Archdeacon représente une tendance politique sensiblement différente de celle de Jean Labat : elle est soulignée par le portrait de Casimir Périer qui trône dans la salle à manger de Migneaux et peut­être aussi par les gravures dans les chambres, représentant l'une la duchesse de Berry, une autre la vieillesse de Louis XIV.

Durant son séjour dans le château, le billard est expédié dans le salon, le petit salon ayant, semble-t-il, été transformé en lieux d'aisance. Une grande bibliothèque est installée au fond du principal corps de logis, précédant le pavillon de droite. Dans cette bibliothèque comprenant sept cents volumes, Homère y côtoie Molière, Mme de Sévigné, Florian, Marmontel, Voltaire, Rousseau, Helvetius, Diderot, Grimm, Beaumarchais, Bernardin de Saint-Pierre, Scott, Thiers, Benjamin Constant et Madame de Staël, dont l'arrière-petit neveu, Albert de Staël, viendra occuper les lieux quelques années plus tard.

Jacques-Edmond a lui-même choisi le premier étage du pavillon de gauche pour y faire son appartement.

En 1834, il agrandit son domaine vers la voie ferrée et la Seine et achète sur Poissy le terrain qui deviendra la propriété Oudiette. Ses serres contiennent, en plus des variétés présentes lors de l'acquisition, deux magnolias, un noyer d'Amérique et des rhododendrons.

 

Dès son arrivée à Migneaux, Archdeacon demande l'autorisation "d'obtenir un garde champêtre particulier que la surveillance de ses propriétés" lui rend nécessaire, et présente "pour remplir ces fonctions le Sr Nicolas Garreau son régisseur".

(ci-contre, reproduction de sa lettre au maire de Villennes)

En 1836, son régisseur est Etienne Nicolas Lamirault, fils d'un vigneron villennois.

Archdeacon est davantage intégré à la vie locale villennoise et pisciacaise que son prédécesseur. Il est le parrain de la cloche bénite en 1833 par le curé Narcisse Braune et installée dans le clocher de la petite église Saint-Nicolas : il est plus que probable qu'il a participé à son financement.

Durant une dizaine d'années, il est conseiller municipal de Villennes, mais très occupé par ailleurs, ne fait que rarement acte de présence.

En 1845, il fonde avec ses amis notables de la ville, le "Cercle de Poissy", ayant son siège 10 rue de Paris (cercle alors "interdit aux étrangers, aux femmes et aux mineurs"...). Ses propriétés occupant des terrains à Villennes et à Poissy, il fait partie de la liste des propriétaires les plus imposés de ces deux communes.

A sa mort en décembre 1850, il laisse une fortune considérable à seize proches parents : outre Migneaux et sa charge d'agent de change, elle consiste en deux fermes dans l'arrondissement de Dunkerque et un énorme portefeuille d'actions : ses investissements s'étaient portés à cette date sur les compagnies de canaux, de navigation, d'éclairage au gaz hydrogène, les houillères, les compagnies de chemins de fer, la Banque de France ... Jacques-Edmond Archdeacon a également été l'un des fondateurs du journal de l'opposition dynastique "Le Siècle" en 1836.

Comme son prédécesseur Jean Labat, qui a légué 1000 francs à l'hôpital de Poissy, Jacques Edmond Archdeacon lègue 500 francs aux pauvres de Poissy, la même somme à ceux de Villennes et autant à ceux de Migneaux.

Cliquez ici pour lire des précisions sur cet agent de change, châtelain de Migneaux.

La propriété d'un assureur

Le hasard veut que le successeur d'Archdeacon à Migneaux appartient à une famille ayant habité le même hôtel parisien. C'est Alexandre-Etienne Trubert (1786-1864) qui devient le nouveau maître des lieux le 21 mai 1851 par une adjudication en audience des criées au Palais de Justice de Paris. Il est le gendre de Jean-Pierre Basterrèche, riche négociant et armateur à Bayonne, dont les bâtiments naviguent vers les Antilles, la Guyane et le Brésil.

Trubert, après ses études à l'Ecole des Mines, a vendu l'étude de notaire héritée de son père pour se consacrer à l'administration de la "Compagnie générale d'assurances" fondée par sa famille.

La famille qui s'installe à Migneaux est une famille éprouvée : tout d'abord, par la Révolution de 1848, ressentant profondément l'échec du régime de Juillet qu'elle a servi au plus haut niveau ; ensuite par le deuil récent de l'épouse du fils aîné d'Alexandre-Etienne, morte en couches.

 

La famille Trubert n'a jamais manqué de villégiatures. C'est avec l'argent d'un héritage, provenant de plantations en Amérique, que Trubert aurait acheté une propriété à Argenteuil, puis celle de Migneaux.

Depuis la construction du chemin de fer (1843), Migneaux n'est plus par le train qu'à cinquante minutes de la gare Saint-Lazare ; il faut compter en plus le temps d'aller de la gare de Poissy à la propriété distante de 1800 mètres.

Le château

Les Trubert engagent de grands travaux à Migneaux qui n'a guère changé d'aspect depuis l'époque de Decrétot pour le parc et depuis les Saint-Paul pour le gros œuvre de la maison.

Il est probable que le remplacement de l'escalier à noyau par un escalier à double révolution, et le réaménagement du corridor du premier étage datent de cette époque.

Les Trubert ont le souci d'une bonne distribution de l'eau et réinstallent l'ensemble des sanitaires. C'est vraisemblablement pour répondre aux "exigences du goût moderne et des besoins de l'époque" qu'ils décident de rapprocher la salle à manger de la cuisine, installant le billard dans l'ancienne salle à manger.

Le premier étage comprend désormais dans chaque aile un appartement complet, composé chacun de trois pièces, cabinets de toilette et "anglaises"; dans le "corps milieu" du bâtiment : quatre chambres à coucher avec cabinets de toilette.

Deux escaliers de service sont construits dans chaque aile entre le premier et le second étage. Celui-ci est bâti sur le même plan, mis à part le "corps milieu", qui comprend sept chambres de domestiques.

Les communs sont également reconstruits. Des bassins sont creusés dans le potager, trois nouvelles serres sont édifiées : "serre chaude, serre tempérée chauffée au Thermosiphon et serre à raisin". Les canalisations d'eau sont réaménagées.

Comme ses prédécesseurs sur la terre de Migneaux, la famille de M. Trubert "a laissé de nobles et touchants souvenirs aux pauvres de Poissy".

Le moulin

Un arrêté du préfet de Seine-et-Oise, le 28 août 1853, a autorisé le sieur Prévost "à établir dans les bâtiments dépendant du moulin de Migneaux une fabrique de fécule de pommes de terre, établissement rangé dans la troisième classe, à la charge par lui de faire paver le ruisseau d'écou- lement des eaux de lavage et de se conformer à toutes les prescriptions que l'Administration jugerait utile de lui imposer ultérieurement dans l'intérêt de la salubrité publique".

Un autre arrêté du 31 août 1857 a interdit au sieur Prévost "de faire aucun amas de pulpes de pommes de terre et d'en opérer la dessiccation dans sa féculerie, et lui a prescrit d'enlever chaque jour et de transporter à une distance d'au moins 1.000 mètres de toute habitation les pulpes et autres résidus provenant de sa fabrique de féculerie, et de faire disparaître de la surface du sol, au 31 mars de chaque année, les dépôts résultant de cet enlèvement". (Source : Répertoire du droit administratif, Tome XVI, 1899).

Plan du domaine

La bibliothèque numérique Gallica nous fait connaître la "Topographie du parc et château de Migneaux, appartenant à M. Trubert". Déplacez la barre de défilement vertical (sur le bord droit) vers le bas et celle de défilement horizontal (sur le bord inférieur) vers la droite, pour centrer le plan sur le château et les communs.

La propriété d'un joaillier

En 1864, après la mort d'Alexandre-Etienne Trubert, suivant de peu celle de son épouse, Migneaux devient la propriété de ses trois enfants :
- Gustave-Etienne Trubert, conseiller référendaire à la cour des Comptes,
- Pierre-Eugène Trubert, propriétaire,
- Marie-Camille Trubert, épouse de Prosper Hochet, ancien secrétaire général du Conseil d'Etat.

Ces héririers mettent en vente le domaine, à part une partie du parc conservée par Prosper Hochet et son épouse. La propriété est adjugée en septembre 1864 au joaillier parisien Joseph Halphen.

Voici la description dans l'annonce légale publiée dans le journal La Concorde du 2 octobre 1864 :

1° Un château, élevé de deux étages, à comble mansardé, sur grandes caves ; au rez-de-chaussée, grand salon, salon, bibliothèque, salle de billard, cabinet à l'anglaise, cage d'escalier et vestibule, chapelle, salle de bains, salle à manger, office, cuisine, salle pour les domestiques, cour et garde-manger ;
Au premier étage, dans chaque aile, un appartement complet, composé chacun de trois pièces, cabinet de toilette à l'anglaise ; dans le corps milieu du bâtiment, quatre chambres à coucher avec cabinets de toilette;
Au deuxième étage, en chaque aile, deux appartements complets, composés comme ci-dessus ; dans le corps milieu, sept chambres de domestiques, dont plusieurs peuvent servir de chambres de maître ;
Le premier étage est desservi par l'escalier principal et un escalier de service ; le deuxième, par un escalier de service en chaque aile ;
Communs sur basse-cour fermée, contenant cour de poulailler avec poulailler, loges à lapins, porcherie, etc. ;
Dans le bâtiment principal, au premier étage, appartement de maitre, complet, desservi par un escalier particulier, composé de deux grandes chambres à coucher avec cabinet de toilette, salon, salle à manger, cuisine ; au rez-de-chaussée, logement de trois pièces pour le concierge, buanderie, laiterie, vacherie, écurie pour trois chevaux, remises pour cinq voitures, boxs et autres dépendances ; le tout dans de vasles proportions ;
Au premier étage, desservi par un grand escalier, dix cbambres de domestiques, dont plusieurs à feu , lingerie dans les combles, très vastes greniers, chambres à grains, grand garde-meuble ;
Sur un des côtés de la basse-cour, grand hangard dont deux travées ouvertes, deux autres fermées, l'une à l'usage de remise pour deux voitures, l'autre de sellerie ;
Au premier étage, quatre chambres de domestiques ;
Dans le bâtiment en retour, au rez-de-chaussée, remise pour cinq ou six voitures ; trois écuries, dont une à deux boxs, les autres à trois chevaux chaque ;
Au premier étage, grand fruitier et très vaste grenier ;
Un grand parc, dessiné à l'anglaise, au milieu duquel se trouvent des bâtiments à l'usage d'exploitation, composés d'une habitation complète pour jardinier, d'une grande orangerie ;
Grange, étable, plusieurs pièces servant de décharge, vastes greniers ;
Potager bien planté, avec grands espaliers, terrasses, bassins, distributions d'eau, serre-chaude et tempérée au thermosiphon, serre à raisin ;
Le parc est clos de murs sur la plus grande partie de son périmètre, sauf une lacune de cinq cents mètres environ ; il renferme de vastes pelouses et de grands massifs d'arbres exotiques, environ huit hectares de bois, des rocbers, une glacière, pièce d'eau bien empoissonnée, rivière anglaise, eaux vives ;
Au sortir du parc se trouve une avenue aboutissant à la route de Mantes à Saint Germain ; cette avenue, dépendant de la propriété et comprise dans la venle, est longée d'un côté par une bande de terrain d'un are trente-cinq centiares dépendant de la propriété, et d'autre côté par une pièce de terrain ci-après désignée ;

2° Un moulin contigu à la basse cour, ayant une entrée distincte, monté a l'anglaise, avec bâtiments d'exploitation et dépendances, dont un lavoir commun avec le château ;
L'ensemble des biens ci-dessus désignés, d'une contenance totale de vingt-six hectares dix ares, est limité au levant par la rue dite des Migneaux et le chemin dit de la Coudraie, au midi par les terres de M. Hochet qui faisaient autrefois partie du parc et qui en ont été détachées, au couchant par le mur avec tour d'échelle le séparanl du bois dit de Fauveau ou de Foureau, à M. Denis, et par les terres de M. Hochet, longeant l'allée qui conduit à la Porte-Rouge, desquelles terres la propriété est séparée par le ru et un mètre de franc bord au-dela du ru, et au nord au chemin de Poissy à Orgeval ;

3° Une pièce de terre en labour, dite de la Porte-Rouge, sise commune de Poissy, d'une contenance d'environ cinquante-cinq ares ; bornée d'un bout au midi par la route de Mantes à Saint-Germain, d'autre bout au nord par le chemin d'Ecquevilly à Poissy, d'un côté au levant par le chemin du château de Migneaux, et d'autre bout au couchant par la rue de Bethmont ;

4° Un bois dit la Coudraie, planté en bois taillis, sis commune de Poissy, d'une contenance de un hectare quarante-trois ares quatre-vingt-dix centiares, ledit bois contenant une source dont l'eau sert d'alimenlation à la propriété de Migneaux ; ce bois tient du couchant au chemin de la Coudraie, du levant à divers, d'un bout à la pâture de la Bouverie, d'autre bout à divers ;

5° Quarante-neuf ares de pâture environ, sis bameau de Migneaux, commune de Poissy, sur lequel existe un petit bâtiment rural, dit la Bouverie ; tenant d'un côté au bois de la Coudraie sus-designé et à plusieurs, d'autre côté à M. Leroux et à plusieurs, d'un bout à madame veuve Poitout et d'autre bout au chemin de la Coudraie.

Joseph Halphen achète, en 1875, le domaine de Fauveau voisin, mais revend l'ensemble en mars 1876.

Le château est revendu en mars 1876.

L'annonce a été faite dans Le Figaro, à la mi-février.

 

Si la description du château et de ses dépendances n'a pas beaucoup varié depuis la précédente vente, la description du moulin dans l'annonce légale publiée le 28/5/1876 dans le journal Le Courrier de Versailles est plus précise :

Un moulin à eau faisant de blé farine, à double tournant, enclavé, dans le parc de Migneaux et composé de :
1° un bâtiment attenant aux communs du château et renfermanl le moulin avec ses tournants, le logement du meunier et les magasins ensemble, les virants, tournants et bluteries du moulin, le bâtiment ; contient un sous-sol divisé en caves, un rez-de-chaussée et des greniers au-dessus ;
2° une cour ayant entrée-par une porte cochère sur la rue des Migneaux ;
3° un bâtiment faisant face au premier désigné et contenant un rez-de-chaussée et un grenier ;
4° un appentis adossé au mur de la rue contenant une écurie et un toit à porcs ;
5° un cours d'eau principal venant de l'intérieur du parc et mené à la partie supérieure de la grande roue du moulin par un conduit en plomb supporte par un acqueduc en maçonnerie ;
6° diffférents petits cours d'eau provenant egalement du parc et rassemblés par des conduits en fonte qui les font tomber au-dessous de la demi-roue.


La résidence de veuves fortunées

La propriété d'une famille protestante, portant le nom de Staël

La nouvelle maîtresse des lieux, Henriette Borel (1821-1901), est la veuve du banquier Georges de Mandrot (1808-1872). Leur fille Cécile a épousé un inspecteur des finances, Albert de Staël-Holstein, arrière-petit-neveu de Germaine Necker.

Après les Grellet, neveux de Labat, des protestants vont de nouveau vivre à Migneaux. La pièce ayant servi de chapelle connaît bien sûr une autre affectation. En 1879, Poissy compte une cinquantaine de fidèles protestants, mais n'a pas encore de temple, la famille Mandrot-de Staël est alors recensée avec trois domestiques, protestants eux aussi.

Les trois filles d'Albert de Staël-Holstein, devenues très jeunes orphelines de mère, se montrent de bonnes petites filles : elles comblent leur grand-mère Mandrot en épousant toutes les trois des protestants. L'aînée, Caroline, qui est fort belle - beauté que l'on souligne par opposition à l'illustre tante -, épouse un fringant officier d'artillerie, Paul Jost, qui enseigne à l'Ecole de Guerre.

Comme condition à ce mariage, la grand-mère de Staël (qui utilise en courtoisie le titre de baronne) impose que le futur époux relève le nom de Staël qui s'est éteint en France à la mort de son fils Albert. Le capitaine Jost aurait d'abord refusé, craignant d'avoir des difficultés dans l'Armée, puis se laisse fléchir, par amour pour la belle Caroline. L'addition à son nom est enregistrée le 28 janvier 1899 par un décret présidentiel signé de Félix Faure.

  La petite-fille de Caroline, Corinne de Staël, ancienne élève des Beaux-arts, peindra en 1993 cette miniature, représentant le château de Migneaux à l'époque de son aïeule.

Les deux sœurs de Madame Jost épousent, l'une un châtelain alsacien, Philippe Würtz, et l'autre un officier issu d'une famille de banquiers, William de Billy. Les Würtz n'auront pas d'enfants, cinq survivront chez les Jost, et quatre chez les Billy.

Le choix des nurses pour s'occuper de toute cette "marmaille" n'est pas une mince affaire. La théorie de cette famille est qu'il faut choisir des nurses allemandes, car les Anglaises ont la réputation d'être coquettes !

Un drame survient cependant : une nurse tombe enceinte sans être mariée. Caroline Jost-de Staël est touchée par le drame de cette jeune femme, alors qu'elle-même vient de perdre un enfant.

Elle s'intéresse au sort de cet enfant survivant de la nurse et aurait pris la courageuse décision de fonder une institution de "filles-mères".

Caroline aurait souhaité installer cette fondation à Migneaux, mais .

 


Journal des débats politiques et littéraires, 10/2/1903

 

Elle ne peut sans doute pas acheter les parts des autres héritiers après le décès de sa grand-mère, le 9 octobre 1901, au château.

Celui-ci est mis en vente.

La sollicitude de Caroline Jost-de Staël pour les domestiques ne se démentira plus et va même lui coûter la vie. Lors d'un emménagement à Paris, en 1912, elle décide d'accrocher elle-même ses rideaux alors qu'elle est enceinte. Redoutant les conséquences d'un accident du travail pour une domestique, elle est prise d'un malaise, tombe à la renverse et c'est elle qui meurt bientôt d'une fièvre puerpérale.

Durant le séjour des Mandrot à Migneaux, il y eut de nombreux travaux d'aménagement d'intérieur. Sur le côté Seine, une marquise fut scellée et les armoiries des Mandrot furent gravées sur le fronton de la porte d'entrée: "D'azur fretté d'or".

Comme du temps de Jean Labat qui fit des travaux pour alimenter en eau ses moulins, comme du temps des Trubert qui améliorèrent les canalisations dans le château, le souci de l'eau ne quitte pas ses propriétaires.

En 1900, Madame Mandrot, voulant permettre aux habitants du hameau d'obtenir le lavoir dont ils ont le plus urgent besoin, les autorise à se servir de la source de la Coudraie lui appartenant.

Le château est ensuite la résidence secondaire de Bernard de Mandrot (1848-1920), historien et archiviste paléographe. Sa biographie a été rédigée, après son décès, par Henri-François Delaborde dans l'ouvrage Bibliothèque de l'école des chartes, l'école dont il fut l'élève (tome 81, 1920) :

Certes ils sont dignes d'admiration ceux d'entre nous qui tout en s'acquittant consciencieusement de leurs devoirs d'archivistes, de bibliothécaires ou de professeurs, emploient leurs instants de liberté aux travaux d'érudition qui ont fait l'honneur de notre Ecole ; mais ne doit-on pas savoir encore plus de gré à ceux de nos confrères qui, affranchis par d'heureuses circonstances des soucis professionnels, sacrifient volontairement à d'austères études et à de patientes publications les loisirs d'une vie plus facile ? Bernard de Mandrot fut de ceux-là et un des plus méritants ; car, tandis que ceux qui, se trouvant dans les mêmes conditions, prennent le même parti, obéissent souvent à un désir de notoriété assurément fort légitime, il semble n'avoir été jamais guidé que par l'amour désintéressé de la vérité historique. On ne le vit ni briguer les récompenses académiques, - c'est à peine qu'il présenta un de ses premiers ouvrages à un concours où il fut ailleurs distingué, - ni rechercher la réputation que l'importance de son oeuvre lui conquit malgré tout.

Né au Havre, de parents suisses, en 1848, admis à l'Ecole des chartes au titre étranger, Mandrot y achevait ses études lorsque la guerre de 1870 fit reculer jusqu'à 1872 la soutenance de sa thèse. Le sujet de ce travail touchait à l'histoire de sa patrie d'origine comme à celle du pays qui l'avait vu naître et dont il voulut faire le sien quelques années plus tard ; car nos désastres d'alors n'avaient fait qu'accroître en ce coeur généreux un attachement dont il devait donner la mesure en s'offrant librement à la France encore meurtrie et mutilée. [...]

Mandrot y faisait déjà preuve de réelles qualités d'historien. Désormais tout en restant fidèle à cette seconde moitié du XVe siècle à laquelle son premier travail l'avait initié, il devait spécialement se consacrer à l'histoire du roi [Louis XI] qui fut l'un des plus grands artisans de l'unité de son pays d'adoption. [...]

Un portrait de Louis XI esquissé de main de maître dans le discours, que Mandrot prononça en 1909 comme président de la Société de l'histoire de France, ne peut que nous faire regretter l'excessive conscience qui empêcha notre confrère de l'entreprendre avant d'avoir mis le public à même de le contrôler, en publiant un nouveau groupe de documents dont il avait reconnu l'exceptionnelle valeur [...] le 29 avril 1920, la mort vint interrompre le travail qu'il avait courageusement poursuivi durant les anxiétés de la guerre et malgré les progrès d'un mal toujours grandissant. La victoire de son pays adoption avait du moins illuminé ses derniers jours et récompensé le noble élan qui lui avait fait revendiquer le titre de Français aux temps encore voisins de nos malheurs.[...]

Un vrai roman : le retour de la petite-nièce d'un précédent propriétaire ...
avec ses petits-enfants

Il y a alors, dans Paris, une grand-mère qui pense souvent aux séjours que, petite fille, elle effectuait à Migneaux chez son grand oncle Archdeacon, avant la mort de ce dernier. Elle a gardé un si bon souvenir du jardin de son enfance qu'elle a développé un raffinement extrême pour la dégustation des fruits ; ne les découpe-t-elle pas avec un petit couteau tout en ivoire jusqu'à la lame, "pour ne pas donner de goût au fruit" ?

Sophie Barlatier de Mas (1842-1918), lorsque la vente de Migneaux est scellée les 9 et 10 mars 1903, ne retrouve cependant ni la distribution des pièces qu'elle a connue, ni le parc exactement conforme à ses souvenirs.

Bien que dotée d'une immense fortune et épouse d'Adolphe Peghoux, l'un des plus grands financiers parisiens de l'époque, elle n'a pas toujours eu la vie facile. Sa famille est profondément divisée. Sophie Peghoux, veuve, espère peut-être que cette belle propriété permettra à tous de vivre en harmonie.

 

Si, comme le montre le roman d'Hélène Chassériau, "Les Ligneaux", ce ne fut pas le cas, du moins les sept petits-enfants de la grand-mère Sophie bénéficient-ils d'une liberté absolue pendant la durée de toutes leurs vacances : la seule obligation, qui se retrouve d'ailleurs dans d'autres recueils de souvenirs de l'époque, est d'arriver à l'heure à table et dans un état de propreté satisfaisant.

D'après les descriptions du roman, le domaine de Migneaux est sensiblement le même que "sous" les Mandrot.

  L'intérieur est décrit comme étant un peu vieillot : l'électricité n'a pas été installée ; il n'y a encore qu'un W.C. au rez-de-chaussée et deux au premier. Il y a cependant douze chambres de maître. Mme Peghoux a installé ses appartements au premier étage du pavillon de droite, tandis que ses enfants logent à l'opposé ; il y a alors trente chambres de domestiques (à l'époque des Trubert, on dénombrait seize à dix-huit chambres de maître et cinq à sept de domestiques, et dix chambres dans les communs).

Une tête de cerf accueille le visiteur dans la hall du château ; le salon et la galerie du premier étage sont des pièces imposantes pour des enfants. La salle d'armes est-elle l'ancienne chapelle des Trubert ? Une bibliothèque tapisse désormais les murs du petit salon.

L'allée du parc est rebaptisée "allée de Versailles" ; et la motte, "point de vue" qui domine la région. Un tennis est installé ; la victoria est attelée à "Miss".

Toutes ces descriptions du parc, jointes à celles de l'aménagement intérieur, contribuent à convaincre que Migneaux a acquis, depuis l'époque des Trubert, la qualité de vrai "château".

Les jeux d'enfants, racontés par l'une des petites filles de la grand-mère Sophie, nous permettent de découvrir les lieux : les trois bassins et les jets d'eau, la futaie de hêtres abritant des cabanes, la carrière qui s'éboule, les souterrains pleins de chauves-souris, la rivière et ses secrets, le passage des hérons, l'étang et ses grenouilles.

L'histoire se termine par la métaphore d'un vol triangulaire d'oies sauvages émigrant en criant vers le sud. L'unité de la famille achevant de se disloquer, chacun court vers sa destinée.


Le Figaro, 29/11/1906

 

Le château est proposé en location meublée en 1906.


Il reste inhabité à partir de 1910.

Le parc est encore de temps en temps utilisé pour la chasse.

Un acquéreur est trouvé. Le 28 juin 1918, la propriété est mise en vente à la chambre des notaires de Paris, pour un prix dérisoire (le même qu'en 1864 !).

 

Mme Peghoux est désespérée d'être obligée de vendre son beau château. Voici ce qu'elle écrit alors à sa fille Jeanne Firbach : "Ma chère enfant, le temps se traîne lentement, nous voici pourtant le 18, encore dix jours qui me paraissent tous les jours plus longs et plus difficiles ... Plus je vais, plus je suis accablée, je ne sais pas comment j'atteindrai le 28 ni dans quel état ... Nous sommes d'un triste affreux ... Mon Dieu, que je voudrais que ce soit fini ... )".

Quelques mois après la vente de son château, Sophie Barlatier de Mas-Peghoux rend le dernier soupir à Aubenas, dans le Midi.

Splendeur

Art-décoration

Adolphe Jacob Strauss (1859-1925) est le nom du nouveau propriétaire, né à Francfort en Allemagne. Il s'est à cette époque retiré des affaires.

Dès son arrivée à Migneaux, il embauche une décoratrice qui commença par supprimer l'escalier à double révolution et à le remplacer par un escalier droit en marbre blanc. Elle fait percer une grande baie donnant sur le parc, à la place du médaillon (que l'on peut voir sur les cartes postales anciennes). Elle construit un patio antique dans cette partie centrale de la maison, au milieu duquel pend un péplum rouge ! Elle place de fausses colonnes dans la salle à manger et installe une très belle salle de bains à mosaïques "art-déco" au premier étage du pavillon de gauche. C'est probablement elle aussi qui fait buriner le blason des Mandrot !  

Mais elle n'exerce pas ses talents de décoratrice dans le parc. On ne saura jamais à quoi aurait pu ressembler le "modem style" paysager ...

UNE BANDE D'ITALIENS ANARCHISTES ET CAMBRIOLEURS
SOUS LES VERROUS

A la suite d'une enquête de la Sûreté générale

A la suite d'une enquête entreprise depuis huit jours par M. Benoist, commissaire divisionnaire, les inspecteurs Michel, Bouscatel et Clavel ont procédé à l'arrestation d'une bande de malfaiteurs italiens, convaincus de nombreux cambriolages dans la région parisienne. [...]
Interrogés par M. Charpentier, commissaire de police, les Italiens ont nié tous les vols qui leur sont imputés. Mais une perquisition opérée à leur domicile, passage Bouchardy, à Paris, a fait découvrir de nombreux objets d'art, pendules, chandeliers, bibelots, ainsi qu'une statue de bronze, le tout représentant une valeur de plus de 50.000 francs. La plus grande partie de ces objets provient d'un cambriolage perpétré dans un château, inhabité en hiver, appartenant à M. Strauss, 61, Faubourg-Poissonnière, à Paris, et sis à Migneaux, près de Villennes-sur-Seine.
Les membres de cette bande appartiendraient à des organisations anarchistes. On a trouvé chez eux de très nombreux tracts libertaires, brochures de propagande et convocations qui ont été saisies.

Le Matin, 10/2/1926

L'achat du domaine par les voisins de Fauveau


Le Gaulois, 30/4/1926

 

A la mort d'Adolphe Strauss, sa famille vend la propriété à leurs voisins de Fauveau, Alexandre Bordes et son épouse Madeleine, par une adjudication au Tribunal de première instance de la Seine, le 22 juillet 1926.

Le père de Madame Bordes, Fernand Bertera, architecte, qui s'est allié à la fille du peintre belge Wappers, a en effet acquis Fauveau dès 1876.

Le père d'Alexandre a fondé une compagnie de transports maritimes à l'époque où le commerce franco-chilien se développait beaucoup, puis s'est lancé dans l'exportation du nitrate de soude, dont on faisait de la poudre à balle, ainsi que dans l'exportation du charbon au Brésil. C'était le début de la navigation à vapeur. Défenseur inconditionnel de la marine à voile, il racheta à vil prix les voiliers dont les grands armateurs se débarrassaient petit à petit. Sa flotte atteignait le nombre considérable d'une quarantaine de navires. A sa mort survenue en 1883, ses trois fils, Adolphe, Alexandre (le futur propriétaire de Migneaux) et Antonin maintinrent la tradition des voiliers. Leur flotte, qui comportait les derniers et les plus beaux voiliers, était connue dans tous les ports du globe. Et ce n'est qu'en 1935 que la maison Bordes devra liquider sa flotte.

Alexandre et Madeleine Bordes ne s'occupent pas beaucoup du château et s'intéressent surtout au parc. Ils "remembrent" une cinquantaine d'hectares autour de Migneaux et de Fauveau. Sensibles au vent, l'élément dont l'utilisation a fait la fortune de leur famille, ils développent leur connaissance déjà approfondie de la nature. Chaque habitant de Poissy ou de Villennes se rappelle avoir aperçu une éolienne en passant près de la propriété Fauveau.

Au contraire des petits Peghoux, les enfants Bordes sont élevés dans la crainte des dangers qui les guettent : éboulements de la carrière, chute des branches, ... Mais on leur apprend à reconnaître les plantes à usage médicinal, à repérer le passage du gibier dans les bois à travers l'envol d'un pigeon, à écouter le chant des oiseaux annonçant le changement des saisons. Une vigne court autour de la maison et des arbres fruitiers s'appuient contre la façade. Deux vaches rappellent les gravures de Migneaux du siècle précédent. La maison n'étant pas chauffée, elle est fermée à la Toussaint et toute la famille rentre à Paris.

Avec la guerre, la quiétude disparaît. La cadre équestre de Hanovre puis des S.S. viennent en occupation. Les bombardements d'Achères et de Poissy font voler en éclats toutes les vitres du château. La marquise, très endommagée, est démontée.

Alexandre Bordes meurt à Paris en 1943. Le partage de ses biens est effectué en 1957, trois lots étant constitués pour ses enfants : le château de Migneaux, l'Orangerie, et Fauveau.

Son arrière-petite-fille, Corine de Royer, a écrit un roman et un document sur ses souvenirs de jeunesse, publié dans le numéro spécial "Migneaux" de la revue CHRONOS (n°29-30, printemps-été 1994) du Cercle d'Etudes Historiques et Archéologiques de Poissy, dont une rubrique de ce site Web est issue (cliquez ci-dessus).

... et décadence

Un film de fiction

Migneaux connaît en 1977 un regain d'affluence quand Claude Chabrol vint y tourner son film "Alice ou la dernière fugue", où la vedette, Sylvia Kristel, dévoile tous ses charmes dans la magnifique salle de bains "art déco".

Un réel vandalisme sauvage ou organisé

Mais ce sont bientôt le souci des cambriolages sans cesse réitérés, et tous les événements décrits dans le roman de Corine de Royer, "La boîte à rouille", avec l'irruption des vandales, la destruction de l'Orangerie, ...

Le château et une dizaine d'hectares alentour sont vendus le 15 novembre 1985 à un commerçant d'origine italienne de Saint-Germain-en-Laye, Natalbert Valtancoli. Ce dernier, après avoir repeint différentes pièces, refait des parquets et installé un atelier de maquettes d'aéroplanes, revend le tout en 1990 au promoteur immobilier Aviso International, ayant son siège au Vésinet.

Après que des vols de "dessus de portes", imitations de Boucher aient été perpétrés, la propriété est mise en vente  aux enchères le 16 décembre 1992 à Versailles. Elle comprend alors 9 hectares 88 ares et 27 centiares sur le territoire de Villennes et 9 ares 75 centiares sur celui de Poissy, ainsi décrite :

1 -  Le château proprement dit consistant en un bâtiment avec façade principale donnant sur la vallée de la Seine, élevé sur caves voûtées, d'un rez-de­chaussée surélevé, d'un premier étage carré, d'un deuxième étage mansardé dans le corps central du bâtiment, sous brisis à droite et à gauche et comprenant :  

 

- au rez-de-chaussée (voir le plan ci-contre) : hall, salle à manger, office, cuisine, toilette, vestiaire, grand salon

- au premier étage : dégagement, cinq chambres, salle de bains, cabinets de toilette, W.C.

- au deuxième étage : mansardes, débarras, deux grandes chambres de maître, salle de bains, cabinet de toilette, W.C., chambres de domestiques, trois autres chambres de maître, W.C.


2 - Grand parc dessiné à l'anglaise, entouré sur deux côtés de murs et grillages, renfermant pelouse, massifs, planté d'arbres de haute futaie et de bois, prés, rivière anglaise traversant la propriété prenant naissance dans l'étang de la propriété voisine appartenant à Monsieur Bordes. Sources.

 

3 - Communs à gauche de la grille d'entrée du parc, composés de bâtiments d'habitation, logement de jardinier, étable, écurie, remises, chenil, volière, pigeonnier, basse-cour, buanderie, lavoir, garage.

 

Tout ce qui précède, d'un seul ensemble, clos sur deux côtés, partie en murs et surplus en grillage, d'une superficie de neuf hectares quatre-vingt-dix­huit ares, deux centiares.

Une nouvelle vente est annoncée pour le 10 février, puis pour le 2 juin 1993, mais elles sont annulées comme la première. Le 4 juillet 1993, la société Aviso fait vendre tout le contenu du château conjointement avec toutes sortes d'objets hétéroclites.

L'article du Parisien, qui l'annonce, après avoir décrit les lots très divers mis en vente se termine ainsi :

On trouvera aussi les éléments décoratifs du château : boiseries, carrelages, salles de bains de 1925. [...] La seule interrogation concerne l'avenir des pierres du château. Que deviendront-elles, une fois dépouillées de ces boiseries qui conservent dans leurs fibres peut-être les secrets de la consultation secrète qu'une diseuse de bonne aventure avait donnée à Robespierre.

 

La nature reprend le dessus

Entre les mois de décembre 1992 et juillet 1993, des descendants de six des sept familles s'étant succédées au château de Migneaux de 1810 à 1985 y effectuent une sorte de pèlerinage non concerté, car ils ne se connaissent pas.

Simple maison de campagne à l'origine, la demeure a subi au fil des ans une métamorphose, puisqu'elle est devenue un château paré de tous ses attributs. Il n'est maintenant plus qu'une pauvre carcasse,  qui rappelle les navires désarmés de la maison Bordes après la liquidation de 1935, un vaisseau qui aurait beaucoup tangué, beaucoup roulé. Le billard qui s'était insensiblement déplacé sur toute la longueur du bâtiment, puis dans le sens de la largeur, aurait été une sorte de boîte noire qui aurait enregistré tous ses mouvements.

Il y eut le temps des capitaines d'industrie et celui des financiers, puis il y eut le temps des grand- mères, veuves fortunées qui purent s'installer dans leur rôle. Tous incarnent concrètement à travers la succession des régimes, cette bourgeoisie orléaniste triomphante du XIXème siècle que l'on évoque abstraitement dans les traités d'Histoire.

A Migneaux, l'homme est happé par la nature. Ici tout se passe comme si nous avions à faire au lieu même de l'origine, à la Source. L'eau n'y jaillit-elle pas de terre comme son nom l'indique ?

De nos jours le domaine de Migneaux reste un site enchanteur et l'on comprend l'attrait qu'il continue à exercer sur ceux qui le découvrent.