Vélocipédie et cyclisme
Louis Jallabert, coureur et entraîneur cycliste
devenu restaurateur
L'adepte de la petite reine
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Cette carte postale, dont la face illustrée représente l'hôtel- restaurant Jallabert du bord de la Seine villennes, a été envoyée en Belgique, en 1908, par Louis Jallabert et quelques uns de ses amis d'un club cycliste, vraisemblablement l'Union Vélocipédique Paris Star. |
Elle était adressée à son président, Léopold Alibert, alors directeur sportif de l'équipe Peugeot qui participait au Tour de Belgique.
Bien avant son homonyme Laurent Jalabert (avec un seul l),
Louis Jallabert a été, en effet, un coureur et un entraîneur
cycliste. C'est ce que nous apprend la revue mensuelle "Union
Vélocipédique de France" dans son édition de février 1907. |
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Louis Jallabert a participé à la course Paris-Trouville en août 1893. Selon le journal Le Véloce-sport, organe de la vélocipédie française, il n'était pas à l'arrivée parmi les 20 premiers. |
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Il s'est, surtout,
illustré sur des engins à plusieurs selles et pédaliers
: triplettes, quadruplettes et, même,
quintuplettes. Les journaux Le Véloce-sport et Gil Blas mentionnent les triplettes et quintuplettes Jallabert dès 1897. |
François Faber se marie Ainsi que nous l'avons annoncé, le populaire et sympathique champion cycliste François Faber a convolé hier en justes noces, à la mairie de Colombes, avec Mlle Eugénie Terrier. [...] Aujourd'hui, le grand crack de Peugeot emmènera ses invités à
Villennes, où il leur offrira à déjeuner chez Jalabert, l'ancien
coureur, devenu depuis restaurateur de marque. Une centaine
d'invités sont conviés à cette agape, autant sportive que
joyeuse. Journal L'Aéro, 31/10/1913 |
Le syndicaliste et délégué sportif
Les pratiquants du cyclisme, établi comme un sport professionnel dès son origine, se sont groupés en un syndicat.
![]() La brasserie L'Espérance se trouvait après l'Hôtel du Cycle, le café-restaurant des Sports et plusieurs magasins, dont celui des vélos André. |
Son siège était dans l'avenue de la Grande Armée à Paris, comme ceux de nombreux fabricants de cycles. S'y trouvait, également la brasserie L'Espérance, qui était fréquenté par de nombreux coureurs cyclistes, dont Louis Jallabert. |
Le journal Gil Blas du 23 décembre 1908 nous apprend que le Comité sportif Paris-Nord (arrondissements de Pontoise et de Mantes) de l'Union Vélocipédique de France (U.V.F.) avait décidé de tenir, dorénavant, ses réunions à Villennes (maison Jallabert). En mars suivant, il a organisé, sous le nom Prix Jallabert, une épreuve interclubs d'amateurs et de professionnels dans la côte du Bois des Falaises à Villennes (l'actuelle avenue du Général de Gaulle).
Louis Jallabert fut sous-délégué sportif (ainsi qu'un autre Villennois, Vasson, un troisième, Robert David, étant délégué sportif) parmi les neuf personnes représentant la Seine-et-Oise au congrès de l'U.V.F. en 1910.
Le citoyen engagé et l'auxiliaire de la poste
Louis Jallabert était, en 1923, membre du bureau de la Commission exécutive de la Fédération républicaine, radicale et radicale socialiste de Seine-et-Oise. Il a été élu au conseil municipal de Villennes.
Celui-ci a examiné, en septembre 1919, un projet de suppression des services postaux les dimanches et jours fériés, afin de procurer un repos hebdomadaire aux agents.
Il a reconnu que "les employés de tous ordres des Postes, Télégraphes et Téléphones ont, comme tous les travailleurs, besoin de repos, mais que pour cela des jours de congé leur sont accordés ; que si le nombre n'en est pas suffisant, l'administration peut l'augmenter et donner ainsi satisfaction à son personnel". Il estime que "de graves inconvénients résulteraient de la suppression complète du service postal le dimanche et les jours fériés, notamment à Villennes, où le maintien du fonctionnement du télégraphe et du téléphone est indispensable, non seulement à cause du grand nombre de personnes qui habitent ici pendant la saison d'été, mais encore pour la sécurité publique, attendu que les secours en cas de sinistres, crimes ou accidents, ne pouvant être demandés à temps, risqueraient d'arriver trop tard". Il a été d'avis que "dans l'intérêt public, le service soit maintenu sans modification".
La décision de fermer le bureau de poste, le dimanche, a toutefois été prise par l'administration. Monsieur Jallabert (Hôtel-restaurant du Bord de l'Eau) a alors été chargé d'assurer la réception des télégrammes et les communications téléphoniques urgentes.Léon Didier (1881-1931), champion cycliste
devenu restaurateur
Sa carrière sportive
Léon Didier, qui fut propriétaire de l'hôtel-restaurant Les Peupliers, avait été cycliste professionnel de 1910 à 1922.
Le coureur cycliste
L'hôtelier-restaurateur voisin Louis Jallabert a été, vraisemblablement, à l'origine de l'installation de Léon Didier à Villennes.
Comme lui, celui-ci a couru sur triplette mais il avait,
d'abord, été sprinter avant de se spécialiser dans le demi-fond.
Il s'agit de courses entre cyclistes (stayers : ceux qui restent
dans l'abri), précédés d'un entraîneur (pacemaker :
faiseur d'abri) sur motocyclette. |
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Les coureurs cyclistes étant soumis à la résistance de l'air, il furent aidés par des entraîneurs les protégeant, dans le but d'allonger la durée des courses et de les rendre plus spectaculaires. Avant l'entraînement mécanique, un entraînement humain fut utilisé : tandems, triplettes et quadruplettes. Il y eut, même, des tandems électriques avant que les motocyclettes s'imposent.
Le Miroir des Sports, 9/6/1921
LÉON DIDIER GAGNE LE CHAMPIONNAT DE FRANCE Le nouveau champion de France de demi-fond derrière
motocyclettes, Léon Didier, s'est remis à l'entraînement
depuis trois mois à peine. Sa victoire dans le Championnat des
100 kilomètres était sa deuxième course, la première datant du
15 mai, où il fut opposé à Sérès et Linart. |
L'entraîneur de coureurs de demi-fond
Après avoir été coureur entraîné par une motocyclette, Léon Didier prit le guidon de ces engins motorisés.
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Le journal La Pédale nous le fait connaître dans son édition de novembre 1923, lorsqu'il entraînait le coureur cycliste Robert Grassin ; parmi "Les potins du cycle", voici celui le concernant :
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LE SECRET DE LEON DIDIER,
N'empêche, ses victoires incessantes, obtenues avec les uns et les autres, ont fait pour beaucoup de Léon Didier un être mystérieux et machiavélique. Et je vois très bien sa figure de chimpanzé malicieux sur une énorme affiche. Léon Didier venait d'entraîner Grassin et il flânait autour de l'anneau de bois de la rue Nélaton ; le moment était bien choisi pour lui demander quel était son secret. Il accueillit ma question par un grand éclat de rire, qui dévoila d'énormes rides, mais un regard bleu plein d'intelligence : - Mon secret, il est bien simple : au lieu de me laisser guider par un coureur, c'est moi qui le dirige en course, car j'ai la prétention de savoir ce que c'est qu'une épreuve et ce que peut rendre un homme... - Et vous lui faites rendre le maximum ? - Sans doute. On dit que mes poulains terminent quelquefois sur les genoux, mais ils terminent victorieux. Le tout, voyez-vous, c'est de bien connaître son coureur, de bien connaître ses adversaires aussi. Je sais ce que mon homme a dans le ventre, je le sais mieux que lui, et je conduis la course en conséquence. Dressé sur ma selle, j'observe. Je vois tel concurrent parti comme un fou. Je pense en moi-même : « Toi, mon vieux, tu n'en as que pour dix ou douze kilomètres. » Je ne veux « débiner » personne, mais beaucoup trop ne courent ou ne font pas courir avec leur tête. Ils courent en cherreurs *, au petit bonheur. [...] GASTON BENAC.
Le Miroir des
sports, 15/4/1925
* Qualificatif d'un
aviateur qui pilote habilement, surtout sur appareil de
chasse
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En 1924, ce n'était plus Grassin, qu'il entraînait sur les pistes mais son ancien concurrent Sérès :
Derrière Léon Didier, Sérès "fait du feu" La guerre est déclenchée dans le monde des stayers. La bataille
fait rage. On se regarde en chiens de faïence et chacun en met
un furieux coup pour semer son voisin. C'est une chose dont le
public ne se plaint pas puisque cela lui permet d'assister à des
courses qui ne manquent pas d'animation. |
Léon Didier, un cabochard au grand cœur
Fichu caractère ! disent les uns.
Beau caractère, disent les autres. Les uns et les autres ont
raison. Expliquons-nous ! D'une franchise plus que brutale,
envoyant promener tout le monde, n'admettant pas de discussions,
violent et pas toujours juste, voilà pour le mauvais caractère ! Petit Masque. |
L'hôtelier-restaurateur villennois
Un dessin de l'article du magazine La Pédale, ci-dessus, qui le représente, porte cette légende :
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Après son décès, ses amis, coureurs cyclistes,
continuèrent
à venir à Villennes pour se ressourcer
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C'était le cas de Marcel Guimbretière (1909-1970), dont Léon Didier était le mentor et l'ami. | ![]() |
Marcel Guimbretière Les coqs ont tu leur chant. Dans le brouillard du matin,
Villennes s'éveille lentement. Un pâle rayon de soleil fait
disparaître des toits le givre de la nuit. Et bientôt, on entend
le galop du cheval du marchand de lait, le trot cadencé de la
rosse qui traîne, en soufflant la voiture de la porteuse de
pain. Felix Lévitan.
Match, 6/12/1932
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Oscar Egg (1890-1961), multiple champion cycliste international devenu industriel
Ce célèbre coureur cycliste suisse, professionnel de 1912 à 1926, vécut à Paris dès 1906. Devenu entrepreneur en équipements de cyclisme, il fut le propriétaire de la villa Les Frênes du Bois des Falaises, de 1938 à 1948.
Les mémoires d'Oscar Egg
Le magazine Le Miroir des sports a publié, dans huit éditions successives (du 8 février au 29 mars 1927), un texte du champion cycliste, décrivant sa formation de dessinateur technique, ses débuts dans le cyclisme, sa carrière, notamment sa découverte de l'Amérique, et ses opinions sur l'univers cycliste qu'il a connu. Malgré sa longueur, nous avons presque entièrement transcrit ce document.
Quinze
ans de courses dans les deux mondes
par Oscar Egg PREMIER REGARD EN ARRIÈRE Quand je suivais les cours de l'École Technique de Zurich, deux sports m'intéressaient particulièrement : le football et la natation. Je m'y adonnais dès que je disposais de quelque liberté. C'était en 1906 - j'avais seize ans - j'étais assez solide, et les sports, en Suisse, sont pratiqués par tous les jeunes gens. Le cyclisme aussi me tentait. Mais pour de saines promenades, qui satisfaisaient mon besoin de mouvement et de grand air. J'avais cependant vu, étant tout petit, mon père tourner sur le vélodrome de Hardau, et j'avais même eu l'occasion d'y rouler une fois moi-même. Mais je ne pouvais songer, à ce moment, que je serais amené, un jour, à faire l'écureuil et à défendre ma chance sur les vélodromes les plus lointains. Il y a plus de vingt ans de cela, et quand je me reporte à cette époque, où le sport ne m'apparaissait que comme une distraction utile, je suis bien obligé de convenir que la vie réserve d'extraordinaires surprises. Je voulais être dessinateur, et je le voulais bien. A ma sortie de l'Ecole Technique, je vins à Paris pour me perfectionner dans cette profession, et j'ai travaillé dans plusieurs maisons d'autos avant d'entrer, en 1908, chez Panhard, où je devais rester trois années. Quand je quittai cette maison, où j'avais eu l'occasion de me confirmer dans la profession que j'avais adoptée, je ne devais plus manier l'équerre, le T et le compas. J'étais un homme de mécanique ; j'allais devenir un « homme mécanique ». C'est sous ce titre que je devais être connu quelques années plus tard, quand l'on annonçait, dans certaine ville du Midi, ma participation à des courses cyclistes. Mes débuts cyclistes J'avais, en mars 1909, fait l'acquisition d'un vélo. Il n'avait rien de commun avec ceux que j'ai utilisés depuis, ou avec ceux que je construis actuellement. C'était un bon vélocipède, avec des démontables rassurants. Le dimanche matin, je l'enfourchais pour des promenades assez longues. La route me séduisait. Mon admiration pour les coureurs cyclistes allait, d'ailleurs, aux routiers. Les pistards, que j'allais voir de temps à autre, m'émerveillaient moins. Un Trousselier, un Georget, un Vanhouwaert, un Faber, un Petit-Breton, c'étaient, pour moi, des gaillards extraordinaires. Un ouvrier belge me raconta un jour que Vanhouwaert avait gagné 50.000 francs avec sa victoire dans Bordeaux-Paris 1907. Je les suivis un jour - dans le Paris-Bordeaux de 1909. En les voyant passer dans la forêt de Saint-Germain, je ne résistai pas au désir de tenter de « coller », si possible, au peloton. J'avoue bien humblement que je fus lâché assez vite même par les traînards et que j'abandonnai définitivement à Beauvais. J'avais pu mesurer l'effort que fournissaient les routiers dans une course toujours très disputée, et j'étais émerveillé. Il était sérieux. Il me tenta tout de même. Je ne pensais pas pouvoir un jour produire un effort semblable ; néanmoins, je me dis qu'en m'entraînant quelque peu, je diminuerai sans doute l'écart qui me séparait de ces grands routiers que j'admirais. Je m'entraînai donc, et sévèrement, et résolus à la première occasion de m'engager dans une épreuve. Je tombai sur une course réservée aux débutants : le Premier Pas Labor. Je partis, confiant, baissai la tête pour « foncer » et... me retrouvai sur la route, mais sous mon vélo, quelque peu mis à mal. J'ai appris, depuis, à pousser en regardant devant moi. On répara ma bicyclette, et, le dimanche suivant, je me retrouvai en course sur un parcours Sèvres-Neauphle-le-Château. Malheureusement, j'avais eu la fâcheuse idée, avant de me rendre au départ, de prendre un bain et de ne manger que très légèrement. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'était l'entraînement. Je ne compris mon erreur que lorsque je pus me rendre compte que j'avais les jambes en flanelle. Je poussais dans l'ouate et dus abandonner. J'ai appris, depuis, à ne désirer un bain que lorsque mes courses étaient terminées. J'ai appris aussi à manger normalement, comme le demandait mon estomac. Les jeunes coureurs qui liront ces lignes pourront faire leur profit de cette constatation que je dus faire à mes dépens. Je puis leur assurer qu'ils se trouveront bien d'un repas bien compris avant d'aller courir leur chance dans une épreuve qui demande un certain effort. Ayant pris goût à la course, j'étais décidé à courir d'autres épreuves pour essayer de me classer à l'arrivée. Oh ! je n'envisageais pas la possibilité de terminer en vainqueur. Je considérais cette chose comme tenant un peu du fantastique. Me classer à l'arrivée, me suffisait, même si ce classement ne m'apportait pas la gloire. Les débuts des sportifs doivent être modestes. Ils le sont généralement. Le dimanche suivant, un Asnières-Viarmes était annoncé. Je m'engageai. J'ai poussé comme un sourd ; je me suis vu près de l'arrivée, avec trois coureurs qui n'en mettaient pas moins que moi. Je les eus. J'avais gagné. Je me souviendrai longtemps de la joie que j'éprouvai à me dire que j'étais premier. De l'étonnement aussi, car jamais je n'aurais osé penser que je pouvais être premier d'une course dont je m'exagérais, sans doute, à cette époque, l'exacte importance. On me félicitait. Le président du Vélo-Club de Levallois me demanda de faire partie de son club et m'assura qu'un vélo de course me serait prêté. C'était la gloire. Je vous assure que je ne pensais pas à l'argent. Ma quatrième course me valut, pour une place de second, à un pneu, sur Champigny-Nangis et retour, le vélo rêvé. J'étais équipé ; je commençais à savoir courir ; j'adorais la course pour les émotions qu'elle donne ; je sentais que je pourrais faire mieux que ce que j'avais fait. Je devins indépendant. Je courus un championnat omni-sports pour m'assurer que je nageais bien, me tirais pas mal et qu'un 100 mètres, en course à pied, ne me faisait pas peur. Je fus classé second. Je m'étais « étoffé ». Je me sentais fort. J'avais confiance en moi. Je courus de nombreuses courses comme indépendant. Je connus la guigne, toutes les guignes. Je fus, cependant, assez souvent vainqueur, et parce que, pendant l'épreuve, je « fonçais » de mon mieux et que je n'hésitais pas à prendre la tête du peloton, je fus appelé à cette époque le « Faber des Indépendants ». Et j'étais fier, je vous le jure, de ce titre, le plus beau qui puisse m'être donné, car je vous dirai, par la suite, quelle profonde admiration j'ai toujours eue pour le grand François, qui fut, à mon avis, l'un des meilleurs routiers que j'ai côtoyés et - de cela je suis sûr - le meilleur camarade qu'on puisse rencontrer. Après avoir battu le record mondial des 50 kilomètres en 1 h. 14' 47'' 2/5, je fus incorporé dans le service des courses de la maison Peugeot. J'étais devenu, pour ma plus grande joie, un « lionceau ». C'était en novembre 1911. J'étais professionnel. MON RECORD DE L'HEURE Je ne vous ferai pas l'historique du record de l'heure sans entraîneur. Lorsque je décidai d'essayer de le battre, j'étais persuadé que ceux qui, jusqu'ici, l'avaient détenu étaient des hommes qui avaient dû s'entraîner sérieusement pour réussir. La liste n'en était pas très longue, mais on se souvenait des noms qu'elle portait : Henri Desgranges, le directeur de l'Auto, qui, en 1893, « sur son vélocipède » - j'ai retrouvé ce mot dans un vieux journal qui annonçait la performance - avait fait 35 km. 325 ; Jules Dubois, 38 km. 220 ; le « brillant Belge » Maurice, 39 km. 240 ; l'Américain Hamilton, qui, le premier, dépassa les 40 kilomètres, avec 40 km. 781 : Petit-Breton, 41 km. 110 ; Marcel Berthet, 41 km. 520, le 20 juin 1907. J'avais été émerveillé par cet exploit de Marcel Berthet. Et j'étais loin de penser, moi qui, à cette époque, n'avais pas encore une bicyclette, que l'intention me viendrait, un jour, de tenter de faire mieux. Le record resta bien tranquille, personne n'osant s'y attaquer, tant il paraissait impossible de l'augmenter. On avait, en 1898, discuté longuement sur le record d'Hamilton. On avait émis quelques doutes. Le bruit avait couru qu'il avait été employé, au cours de la tentative, des projecteurs qui éclairaient la piste en avant du coureur en lui indiquant la vitesse exacte qu'il fournissait. Hypothèse plausible, d'ailleurs, sur une piste établie en circonférence parfaite, comme il en existe quelques-unes aux Etats-Unis. Toujours est-il que le nom d'Hamilton figure au palmarès du record de l'heure. Il est donc bien le premier recordman de l'heure ayant dépassé les 40 kilomètres. Le Français René Pottier fut, lui, le premier Français dépassant également cette distance. Il fit, au cours d'une première tentative, 40 km. 080, puis 40 km. 340. L'Américain n'était pas battu et le record restait au Nouveau Monde. Petit-Breton, à son tour, se mit en piste pour atteindre 40 km. 342 - 2 mètres de mieux. Mais l'énergique coureur renouvela sa tentative : il dépassa, lui, les 41 kilomètres, par 110 mètres, le 24 août 1905. En 1907, Marcel Berthet, qui avait montré, sur piste, des qualités remarquables, pensa qu'il pouvait s'attaquer à ce record, que différentes tentatives avaient laissé debout. Le 20 juin 1907, il le battait superbement, couvrant dans l'heure 41 km. 520. Personne n'essaya de le lui disputer. En 1912, j'avais dû abandonner le Tour de France à Grenoble. J'étais souffrant. A cette époque, je possédais, comme indépendant, un assez joli palmarès. Comme professionnel, j'avais été troisième de Paris-Bruxelles, septième de Paris-Tours ; j'avais gagné le Circuit de Cosnes. Mais je ne pouvais obtenir aucun engagement sur piste. Or, mes courses sur route ne m'avaient pas rapporté grand'chose ; je pourrai presque dire qu'elles ne m'avaient rien rapporté. Et je commençais à regretter d'avoir quitté la maison Panhard pour devenir cycliste professionnel. Il me fallait tenter quelque chose pour affirmer que j'étais capable de tenir ma place dans une compétition sur piste. Je pensais au record de l'heure. Une des rares personnes qui m'encouragèrent dans ce projet fut Petit-Breton, qui me prédit un succès certain. Alibert, mon directeur sportif, était moins rassurant. Il me disait : - Vous êtes, sans doute, un des plus qualifiés pour réussir cette tentative ; mais vous vous attaquez à une chose bien difficile. Ce record est arrivé à son maximum. Celui qui le battra n'y pourra ajouter que quelques mètres : 20, 30, 40 peut-être. Tenez-vous à ces chiffres si vous voulez réussir. Je savais quel effort la tentative demandait, quelle volonté elle exigeait. Et je n'avais que vingt-deux ans. Mais Marcel avait établi son record à vingt ans. Je résolus d'essayer. Et je m'entraînai. Sur route, sur piste, je travaillai longuement, pour m'assurer que je pouvais pousser sans arrêt pendant un temps qui, insensiblement, se rapprochait de cette heure pendant laquelle j'avais décidé de tourner.
Mais Berthet était un coriace. Il était aussi passionné que moi pour le record. Il s'était juré de le reprendre, et avant la fin de la saison. Et il y réussit - et très bien même. Le 18 septembre 1913, il éleva le record à 48 km. 775. Nous nous rapprochions de cette distance, que l'on estimait fabuleuse, de 44 kilomètres. Mais nous allions connaître l'hiver. Je ne pouvais espérer, dans des conditions de température difficiles, me remettre en piste. Il fallait attendre une occasion favorable, c'est-à-dire une température assez douce, une journée sans vent. C'était ajourner la tentative aux beaux jours de l'année suivante. Dès que la chaleur fut venue, je me remis en piste. C'était le 18 juin 1914. Au cours de la première demi-heure, j'avais pédalé en souplesse. Dès le commencement de la seconde, je commençais à « m'agricher » sérieusement. Vers le dernier quart d'heure je fis des efforts désespérés pour conserver mon avance. Mais, quand vinrent les dernières minutes, la certitude d'avoir battu le record - sauf crevaison - me donna des ailes ; et c'est à plus de 45 kilomètres à l'heure que je fournis les derniers tours. J'avais couvert 44 km. 247. Et le joyeux Bazin, qui chronométra toutes mes tentatives, annonça ce chiffre avec une satisfaction dont je lui sus gré. La guerre vint, qui mit fin au duel engagé avec Berthet pour ce record. Il est vieux de plus de douze ans. Marcel a abandonné la piste. Et « Oscar », comme tout le monde m'appelle, en a fait autant. Le record est là, à la disposition de celui qui voudra le prendre. Mais je veux, après avoir lutté contre cet excellent camarade que fut toujours Marcel Berthet, dire toute l'admiration que j'ai toujours eue pour son magnifique courage, sa ténacité extraordinaire et sa parfaite courtoisie. Nos noms ont été rapprochés si souvent au cours de cette lutte qui dura sept ans pour un record dont nous ne voulions ni l'un ni l'autre être dépossédés, que nous avons gardé l'un pour l'autre une sympathie que le temps a fortifiée. Un autre nom viendra s'ajouter, un jour, à cette histoire du record de l'heure, que commença un sportif, qui l'est demeuré en dépit du temps. Nous serons les premiers à applaudir son record. Un regret nous restera : celui de ne pas avoir auprès de nous l'un de ceux qui illustrèrent cette histoire et qui fut l'un des plus grands coureurs et le plus loyal des adversaires : Petit-Breton. MES SIX JOURS Ma première course de Six Jours date de 1912. Je la courus à New-York. Le record de l'heure, que j'avais battu en juillet, devait, comme je le supposais avant de travailler à sa conquête, m'aider à trouver les engagements que je voyais m'échapper avant d'avoir prouvé que la piste ne m'effravait pas et que je pouvais y faire bonne figure. L'appui de M. Victor Breyer ne me servit pas moins auprès de ce manager hardi qu'est Chapman. J'ai couru, depuis, vingt-sept autres courses de Six Jours, à New-York, à Paris, à Gand et à Berlin. De toutes ces courses je garde un excellent souvenir et je reste douloureusement impressionné lorsque je lis des commentaires qui tendent, en ne les discutant pas toujours de façon très exacte, à les discréditer ou à les nier. Il ne me vient qu'un seul reproche à l'esprit et il concerne les derniers Six Jours disputés, où l'on put voir des coureurs prendre trop facilement des tours à leurs adversaires. La façon de courir des concurrents, que je n'approuve nullement, est la cause de cette facilité qu'ont eue certains d'entre eux à se dédoubler ou à prendre un tour au peloton. Mais, ce reproche exprimé, qu'il me soit permis de dire qu'une course de Six Jours, quoi qu'on en ait dit, est parfaitement sportive ! J'estime même qu'à certains points de vue, elle présente plus d'exactitude sportive qu'une épreuve sur route, qui laisse un coureur à la merci d'une crevaison ou de tout autre accident de machine qui le contraint à s'arrêter. Les exemples sont nombreux de routiers qui virent la victoire leur échapper à cause d'un de ces accidents qui vient annihiler leur chance. Le coureur de Six Jours doit, par ailleurs, posséder des qualités réelles, dont l'ensemble le place au-dessus de certains de ses adversaires quand il les possède au plus haut point. Il lui faut être vite, endurant et persévérant. Il lui faut aussi être puissant pour démarrer opportunément. Ceux qui rassemblaient ces qualités ont été les grands triomphateurs de ces sortes d'épreuves. Le roi des Six Jours fut incontestablement Alfred Goullet, qui gagna douze courses - presque la moitié de celles qu'il disputa. Walter Rutt ne devait pas lui être de beaucoup inférieur, et le regretté Hourlier, qui n'en courut qu'une en 1914, à Paris, et la gagna, eut vraisemblablement été un excellent six dayman. Ces trois noms ne suffisent-ils pas à prouver que la classe est nécessaire dans une épreuve de Six Jours ? Et le caractère sportif de l'épreuve peut-il être nié lorsque les meilleurs sprinters y affirmèrent leur réelle supériorité ? Certes, j'ai passé de bien mauvais moments au cours des vingt-huit courses de Six Jours que j'ai disputées ; j'ai connu des défaillances pénibles, des heures douloureuses, que des chutes trop nombreuses auraient pu rendre décourageantes. Mais que tout cela était vite oublié, quand, l'épreuve terminée, on faisait le tour d'honneur du vainqueur ! Et quelle belle satisfaction morale reste à tous ceux qui ont pu surmonter défaillances et découragements, qui ont lutté jusqu'au bout pour terminer ... et en bonne place ! Les Six Jours les plus pénibles sont, de l'avis de tous ceux qui eurent l'occasion d'en courir plusieurs, les Six Jours de New-York. Ils sont aussi - et c'est une compensation appréciée - les plus rémunérateurs. Dès que le départ est donné, la bagarre commence. Et quelle bagarre ! Les quinze équipes, sur une piste de 150 mètres, foncent à toute allure. Dès qu'une chasse commence, il faut pousser, avoir l'œil à tout, ne pas songer au danger et aux chasses qui vont suivre. Les sprints, sur cette piste de 150 mètres, imposent un effort prodigieux et exigent une adresse dont les spectateurs ne se rendent qu'imparfaitement compte. Celui qui emmène le peloton doit partir de loin s'il ne veut pas être débordé. Le concurrent en huitième ou dixième position doit produire un effort considérable pour se classer. Les sprints terminés, il faut être prêt à répondre aux chasses, provoquées généralement par ceux qui n'ont guère de chances dans les sprints et qui tentent de prendre le tour qui les amènera en tête du classement. S'ils ne sont pas vite, ils sont résistants et peuvent prolonger leur effort. Il faut les suivre. Travail incessant, vigilance constante. Et lorsque, les Six Jours se terminant, la dernière heure arrive, le travail demandé devient fantastique. Un sprint tous les dix tours, c'est-à-dire, dans l'heure, vingt-cinq ou vingt-six sprints, toutes les deux minutes environ. L'acharnement de tous : des premiers pour défendre leur classement ; de ceux qui les suivent immédiatement pour tenter de gagner les quelques points qui leur assureraient la victoire ; de ceux, enfin, qui, relégués aux derniers rangs, ne voient la victoire possible que par la prise d'un tour ou n'espèrent avancer dans le classement qu'en se dédoublant. Lorsqu'en 1921 je faisais équipe avec Van Kempen dans les Six Jours de New-York, nous avons fourni, au cours de cette dernière heure, un effort qui nous valut, sur les vingt-trois sprints imposés, quinze places de premier : onze à Egg, quatre à Van Kempen. Brocco-Coburn gagnaient six sprints, et Rutt-Lorentz deux. Les places de premiers comptaient 72 points ; celles de seconds, 5 points. On comprend l'intérêt, quand le classement de l'épreuve se fait aux points, aucune équipe n'ayant pris l'avantage, de cette place de premier. Et on s'explique qu'elle soit disputée sévèrement. Cette dernière heure est bien une heure de fièvre, d'efforts, sous les excitations d'un public littéralement enthousiasmé et qui manifeste bruyamment son enthousiasme. Il paie cher, d'ailleurs, pour manifester à son aise : la moindre place, pour cette dernière heure des Six Jours, coûte 5 dollars, ce qui, même en Amérique, est déjà une somme. Mais particulièrement compréhensif, ce public. S'il demande beaucoup aux coureurs aux heures d'affluence, il s'explique fort bien que ces derniers se reposent. De 3 heures du matin à 3 heures de l'après-midi, c'est, pour les coureurs, la promenade. Les spectateurs les amusent, les interpellent, leur racontent des histoires, ou écoutent, au passage des concurrents, le récit qui leur est fait des « blagues » réalisées au quartier des coureurs. Le siphon joue un rôle important aux heures monotones. Manœuvré par les coureurs, il réveille subitement les spectateurs endormis et qui ont, ma foi, un réveil joyeux. Le soigneur qui dort voit également son rêve interrompu : deux allumettes, fixées délicatement sur son nez, sont allumées avec discrétion. L'effet est certain et la scène toujours amusante pour ceux qui en sont les témoins. On fait mieux : un spectateur de la pelouse endormi est réveillé par des seaux d'eau, et il s'aperçoit qu'il est entouré de feu. Pendant deux minutes, il court sur la pelouse avant de comprendre que c'est une « swanze », comme dirait Stockelynck. Il faut rire pour échapper à l'ennui. Les soigneurs s'habillent en musiciens et s'installent sur la pelouse, tirant de leurs instruments les sons les plus étranges. On chante, on danse, avec grand bruit ; des clowns improvisés font mille grimaces. Il faut rire. Ajoutons qu'aux heures d'affluence on a pu entendre, répandu par plus de trente haut-parleurs, un morceau chanté par Caruso. Et, alors que tout le monde s'imaginait que c'était la T. S. F. qui dispensait à tous cette audition du grand ténor, on découvrait que c'était un simple disque de gramophone qui était utilisé judicieusement. Car les Américains sont ingénieux et pratiques. Leur ingéniosité et l'enthousiasme de la foule leur valent des recettes fantastiques et qui ont atteint 200.000 dollars. Les prix affectés aux coureurs sont, d'ailleurs, appréciables. Le moins que puisse toucher un coureur américain, c'est 50 dollars par jour. Les coureurs européens débutent à 75 dollars. Quand ils ont acquis quelque notoriété, le taux s'élève rapidement, et tous les frais de transport et de séjour sont remboursés. Et ceci me remet en mémoire deux anecdotes assez amusantes : Giorgetti-Belloni, qui ont encore couru, en décembre dernier, les Six Jours de New-York, avaient été engagés, il y a quelques années, pour courir à Chicago. Ils arrivent à New-York si tardivement qu'ils ne peuvent, ni par chemin de fer ni par avion, atteindre Chicago pour se présenter au départ. Ils en furent pour leurs frais, et Chapman, depuis cette aventure, exige que les coureurs européens engagés dans des épreuves de six jours soient arrivés en Amérique huit jours avant le départ des épreuves. Dewolff-Stockelynck, qui avaient été engagés pour courir à New-York et qui s'en référaient, pour leur départ, aux heures qu'ils connaissaient, arrivèrent à Paris pour s'entendre dire que le train de Cherbourg, qui correspondait jadis avec le départ du paquebot, était parti depuis une demi-heure. Atterrés, ils demandèrent un avion au Bourget pour les transporter. Brouillard, mauvais temps, les oiseaux ne sortaient pas. Les deux coureurs prirent le train suivant, à tout hasard. Et ils avouèrent avoir connu dans ce train une des plus grandes joies de leur vie, à la découverte qu'ils firent, en cours de route, que le paquebot ne partait que le lendemain. Ils avaient eu chaud ! Goullet, dont j'ai dit l'exceptionnelle qualité, fut le coureur le mieux payé à New-York : il touchait 1.000 dollars par jour. Mac Namara est, à l'heure actuelle, l'as de la spécialité. Il a couru une cinquantaine de courses de Six Jours et en a gagné onze. Il est aussi l'un des plus vieux coureurs du monde. Il doit avoir quarante-deux ans. Il fut un sprinter remarquable et courut, toutefois, dans les différentes spécialités. Son nom parut, en vedette, à côté de ceux de Kramer, the old master ; de Goullet, the australian marvel ; de Bob Spears, the human torpedo ; d'Arthur Spencer et de son frère, Willie Spencer, qui gagna une course de Six Jours à San Francisco, en faisant équipe avec Magin, et qui, revenu au sprint, vient de montrer une excellente forme au Vélodrome d'Hiver. Mac Namara, the iron man, courra encore quelques Six Jours et les Parisiens le verront dans son travail d'écureuil, qu'il connaît si bien que tous les coureurs qui furent ses adversaires reconnaissent qu'il n'en est pas de plus habiles sur les planchers et ciments, les grandes et petites pistes, les courtes et longues épreuves. On réalise des prodiges, à New-York, pour l'installation de la piste. Le jeudi soir qui précède le départ de la course de Six Jours, un combat de boxe est organisé qui rassemble sur le ring deux vedettes connues. On en profite pour présenter, sur ce même ring, les coureurs qui vont prendre part à la grande épreuve cycliste. Le combat terminé, les menuisiers arrivent - ils sont une centaine - et, en douze heures, ils suppriment ring et banquettes et installent la piste, sur laquelle les coureurs peuvent immédiatement s'entraîner. La course des Six Jours à New-York se termine le samedi soir, à 11 heures. Le lundi matin, quand les coureurs arrivent au vélodrome pour passer à la caisse, il n'y a plus de piste, bien et l'on se surprend à se demander si c'est bien là que l'on a pu rouler pendant cent quarante-quatre longues heures. J'ai gagné mes premiers Six Jours, à New-York, en 1916, avec Dupuy. Deux heures avant la fin de l'épreuve, à la suite d'une chasse déclenchée par une prime de 50 dollars, nous réussîmes à doubler le lot. J'avais déjà gagné, en 1915, à Chicago, avec Verri, et c'était ma première victoire dans la spécialité ; nous avions établi le record de l'éprreuve : 4.510 kilomètres. Il est toujours debout. ![]() EGG (à g.) ET SERES VAINQUEURS DES SIX JOURS DE PARIS EN MARS 1921 LES COURSES EN AMÉRIQUE Autres pays, autres mœurs ! Quand je débarquai pour la première fois en Amérique, où j'allais faire mes débuts dans une course de Six Jours, j'avais vingt-deux ans. On imagine facilement l'étonnement d'un jeune homme qui arrive dans un « monde nouveau » que son imagination, autant que les récits de ceux qui le visitèrent déjà, dote, à l'avance, d'un aspect extraordinaire. Tout m'y surprenait, les choses et les gens. Les locomotives des trains, trois fois plus grandes que les nôtres : les buildings de trente et quarante étages, qui apparaissent si grands par comparaison qu'on se demande comment ils tiennent ; l'allure des Américains, de grands gaillards, à la figure impénétrable, qui paraissent toujours songer à une affaire en cours de réalisation. Nous étions attendus au débarquement par Cobum, qui nous emmena - Brocco, Berthet, Paul Suter, Frank Suter, l'aîné d'une glorieuse famille tragiquement disparu, et moi - à Newark. Un petit hôtel avait été retenu pour nous : nous devions y passer huit jours. Nous arrivions, en effet, le dimanche de la semaine qui précédait le départ de la course. Il était 2 heures de l'après-midi et nous mourions de faim. Le premier contact avec la cuisine américaine nous parut moins dur, du fait que nous avions grande envie de manger. Mais nous ne pouvions nous empêcher de constater que la cuisine européenne était préférable. Nous reconnûmes, d'ailleurs, assez vite que, si la cuisine américaine était moins savoureuse, elle était aussi plus digestive ; tous, nous arrivâmes facilement à nous habituer à cette alimentation très saine. Nous ne perdîmes pas de temps. Aussitôt restaurés, nous montâmes nos vélos de piste pour la route. LA CARICATURE
AMÉRICAINE ET LES COURSES D'OSCAR EGG
Le lendemain matin, en effet, après un petit déjeuner abondant
- fruits, œufs, jambon, café au lait : un menu dont il faut
garder la formule - nous étions à l'entraînement sur la route.
Entraînement assez sévère et suffisant pour un lendemain de
voyage : 50 kilomètres à bonne allure. Retour à l'hôtel ;
massage par deux masseurs, l'un massant le corps, l'autre les
jambes. Ensuite, repos. Repos en musique, le piano mécanique,
très en vogue aux États-Unis, étant à notre disposition et ne
demandant pas de connaissances musicales spéciales.
L'après-midi, nouvelle séance sur la route ; puis un quart
d'heure de « home-trainer ». Nouveau massage. Nous savions que
nous n'étions pas là pour nous amuser, mais nous ne pouvions
nous empêcher de penser que le proverbe « Le temps, c'est de
l'argent » était bien anglo-saxon. Dîner, causerie générale et,
à 9 heures, au lit. Car il nous était formellement interdit de
sortir. Et, pour être bien sûrs que nous ne serions pas amenés à
enfreindre cette consigne, les soigneurs ne nous quittaient
qu'après s'être assurés que nous dormions - pour de bon. ![]() OSCAR EN PISTE. L'ATTITUDE DES
SPECTATEURS NOUS PROUVE Soit vingt et une fois le voyage Paris-New-York-Paris, qui comporte 12.000 kilomètres. Cela doit faire 252.000 kilomètres - une petite année consacrée uniquement aux voyages en Amérique, sur quatorze années de courses. Mais, puisque j'en suis à parler voyages, il convient, après les chiffres que je viens d'énoncer, d'ajouter ceux que nécessitèrent mes déplacements en France et en Europe et qui doivent être assez importants. J'ai, en effet, couru une fois à Amiens, deux fois à Arras, deux fois à Roubaix, une fois à Dijon, quatre fois à Sens, une fois à Marseille, trois fois à Avignon, trois fois à Nice, trois fois à Rouen, une fois au Havre, deux fois à Nantes, deux fois au Creusot, une fois à Tours, trois fois à Bordeaux, une fois à Lyon, une fois à Orléans, une fois à Troyes, trois fois à Nancy, une fois à Toulouse, deux fois à Montceau-les-Mines, deux fois au Mans, une fois à Strasbourg, une fois à Alais, deux fois à Salon, deux fois à Bourges, deux fois à Saint-Rémy. MES COURSES SUR ROUTE J'aime par-dessus tout la course sur route. Je l'ai déjà dit au cours de ces souvenirs, comme j'ai dit la forte impression que m'avait laissée le passage des coureurs d'un Paris-Roubaix. Et j'ai, d'ailleurs, débuté sur la route. Si j'ai abandonné la route pour la piste, c'est pour deux raisons, fort raisonnables, je crois : j'avais les qualités d'un bon pistard, bien plus que les qualités d'un parfait routier, et je gagnais plus largement ma vie sur la piste que sur la route. Mais je garde, des quelques épreuves que j'ai disputées sur route, un excellent souvenir. J'ai eu des défaillances ; comme tous, j'ai eu quelques séries de malchances. Je me suis vu battu dans certaines épreuves, qu'avec un peu moins de déveine j'aurais certainement gagnées. Il n'y a pas à lutter contre cela ; il faut accepter le sort. Il est parfois cruel. Il est aussi des incidents que l'on peut estimer regrettables. Dans le Paris-Roubaix de 1914, alors que nous attaquions le sprint final sur le vélodrome, un de mes concurrents me retint par le maillot. Il faut avouer que c'est un procédé assez difficile à accepter. Cette même année, qui fut cependant une année de grande forme, celle qui me vit remporter de beaux succès et consacrer une réputation dont je garde quelque fierté, je fus empêché par mon directeur sportif de courir Bordeaux-Paris, que j'aurais bien voulu disputer, parce que je me sentais de taille à figurer au premier rang. Et puis Bordeaux-Paris, c'est Bordeaux-Paris, une vieille épreuve classique qui fut toujours l'apanage d'excellents coureurs. Mon directeur sportif estima que j'étais trop jeune pour tenter la randonnée de 585 kilomètres. Ma déveine sur route s'affirma par de multiples crevaisons, des crevaisons qui handicapent terriblement un coureur quand le lot de ses adversaires est de grande classe. J'avais beau regarder avec attention la route, bien rares étaient les courses où je ne crevais pas plusieurs fois, alors que l'allure de l'épreuve était telle qu'il fallait, pour rattraper les concurrents, un effort prodigieux. Dans le Tour de France de 1914, j'ai crevé trente-deux fois, alors que Thys et Pélissier ensemble n'avaient crevé qu'une fois. On comprend combien une pareille malchance peut être démoralisante. J'ai peut-être battu, au cours de cette épreuve, un record peu enviable. Lorsque j'avais débuté, comme indépendant dans les courses dont j'ai signalé quelques unes, je me dépensais sans réfléchir. Je poussais et ma fougue me valait des fortunes diverses. Quand je courus comme professionnel, je tenais mal la distance, pour cette raison, précisément, que je produisais de trop longs et trop complets efforts au début de l'épreuve. Mais, en 1914, l'année, comme je l'ai dit, de ma belle forme, j'étais, je crois, à hauteur de toutes les tâches. Je ne dois, cependant, pas accuser trop la malchance. Je fus parfois assez chançard. C'était une compensation qui m'était bien due. Dans la première étape du Circuit des Champs de bataille, Strasbourg-Luxembourg, je fus, comme on va le voir, assez heureux. A 100 kilomètres du départ, nous nous étions échappés à cinq et, au contrôle de Metz, nous avions plus de dix minutes d'avance sur le peloton qui nous poursuivait. A la sortie du contrôle, je crevais. Réparation en vitesse et, à 35 à l'heure, je me lance à la poursuite du groupe de tête. Après 25 kilomètres à cette allure, et alors que je voyais devant moi mes adversaires, je fonçais pour les rattraper. Je crevai de nouveau. Rien à faire ! Quelque peu démoralisé, fatigué aussi par le sérieux effort que j'avais dû fournir, j'abandonnai toute espérance de rattraper le groupe de tête, en me disant que la déveine, une fois de plus... Je réparai et continuai à un train régulier. La région m'était totalement inconnue. Je me renseignai auprès des rares spectateurs installés au bord de la route et dans les villages sur la distance qui me séparait des premiers. - Les premiers, fut-il répondu à une de mes questions, mais c'est vous le premier ! Je ne pouvais en croire mes oreilles. C'était vrai cependant. Le groupe de tête s'était trompé de route ! Je fus félicité à l'arrivée, photographié, questionné... et j'attendis mes camarades. Le lendemain devait me rappeler que la « poisse » ne m'avait pas quitté. Elle ne s'était reposée qu'un jour. Je fus le premier à connaître la crevaison ; en poussant pour rattraper mon retard, un chien me fit tomber. Couvert de contusions, je repartais cependant. Sur une partie de route mal pavée, je cassai ma fourche. Mon sort était réglé. J'aurais bien voulu gagner le Tour de France. C'est un désir légitime chez un coureur qui aime la course sur route et qui considère que le titre de vainqueur d'une épreuve aussi rude fait très bien sur un palmarès. En 1911, j'avais, comme indépendant, disputé le Circuit français Peugeot, un petit Tour de France, et j'avais gagné trois étapes, dont deux au sprint. Dans la troisième, j'avais réussi à lâcher, un par un, tous mes adversaires. Je crois bien que, dans cette étape Valence-Clermont-Ferrand, j'avais accompli la plus belle performance de mes débuts comme coureur. Mais voilà ! On est jeune et on ne sait pas. Le lendemain, nous étions invités à la mairie. Réception selon le rite ordinaire : discours, Champagne, gâteaux. Au titre de vainqueur, je me croyais obligé de faire honneur à tout ce qui nous était offert. J'écoutais religieusement les discours, vidais les coupes de champagne frappé et m'ingurgitais force gâteaux. Au cours de la nuit suivante, je payais fort cher mes imprudences. Je fus tellement malade que je n'eus pas même, le lendemain matin, la force de m'habiller. Dans le Tour de France de 1912 - j'avais vingt-deux ans - je dus abandonner, malade, à Grenoble. Je me rendis parfaitement compte qu'à cette époque je n'étais vraiment pas assez résistant pour disputer une épreuve de cette envergure, comportant des efforts répétés à de courts intervalles.
La première ne fut pas des plus heureuses. Quelques crevaisons, pour n'en pas perdre l'habitude ; je ne pus terminer que dixième, à deux minutes du gagnant. Pas plus de chance dans les deux étapes suivantes. La victoire se faisait attendre. Elle vint cependant. Le départ de Brest-La Rochelle - 460 kilomètres - avait lieu à minuit. Connaissant ma déveine, je me tins prudemment en queue du peloton, dans le sillage des phares des voitures qui suivaient la course. Mais cela allait vite, très vite. Le peloton s'étira, le serpent s'allongea tant et tant que je me dis qu'il fallait tout de même aller voir ce qui se passait en tête. Mais j'eus beau appuyer sur les pédales, accélérer constamment, le premier était si loin que je ne rencontrai sur la route que des coureurs lâchés. Au petit jour et au premier contrôle, j'appris qu'Emile Georget et Ménager étaient passés, avec trois minutes d'avance sur un peloton qui me précédait de cinq minutes. Il n'y avait pas loin de 400 kilomètres à faire ; j'eus la chance de rejoindre, 10 kilomètres plus loin, Martel Buysse, qui, après crevaison, repartait. Il avait avec lui quelques doublures. Je pris sa roue. 20 kilomètres plus loin, nous avions rejoint le peloton. Je faisais partie de l'équipe Peugeot, une excellente équipe de très bons camarades. Nous pensions que, lorsqu'Émile Georget le jugerait bon, il lâcherait Ménager et que sa victoire serait une victoire de plus pour notre maison. Tout allait donc bien. Il n'était que de surveiller les coureurs des autres marques qui emmèneraient le peloton. A mi-parcours, Émile Georget et Ménager avaient vingt minutes d'avance. Nous pensions que tout allait se passer comme nous l'avions prévu. Les événements nous réservaient quelques surprises. A l'avant-dernier contrôle, nous apprenions que Ménager était passé avec dix minutes d'avance sur Georget, qui nous précédait de cinq minutes. Ça allait mal. Il ne restait que 80 kilomètres à faire et ce diable de Ménager pouvait gagner et notre équipe être battue. Ce fut une belle envolée. Au bout de 20 kilomètres, nous pouvions rejoindre Émile Georget, épuisé - à 30 kilomètres de l'arrivée, nous rattrapions Ménager. L'infortuné coureur se mit à pleurer abondamment : « C'est malheureux tout de même, disait-il, d'avoir poussé à fond pendant 400 kilomètres pour se faire rejoindre si près de l'arrivée. » Et, fou de rage, il tenta de démarrer pour s'apercevoir bientôt que ses efforts étaient inutiles. Alors, las, découragé, fini, il se laissa tomber de son vélo dans le fossé de la route. J'eus, à ce moment, l'excellente idée de profiter d'un moment où le peloton ralentissait l'allure pour changer de braquet et, avec 6 m. 40, démarrer sec. Seul, Henri Pélissier put me suivre. Je le battis au sprint. J'avais gagné mon étape. Mon bon et toujours regretté camarade Émile Engel était troisième. Trois jeunes étaient premiers du classement de la plus longue étape du Tour de France. Je devais gagner encore l'étape suivante, La Rochelle-Bayonne, en battant au sprint trente concurrents. Mais l'étape suivante me fut fatale : crevaisons, incidents divers et une négligence coupable : au contrôle d'Eaux-Bonnes, je ne me ravitaillai point. Je restais un moment sur la roue d'Henri Pélissier, j'arrivais avec lui, avec deux minutes d'avance, au sommet du col de l'Aubisque, sur Lambot, que Thys suivait à huit minutes, Thys étant encore en tête du classement général. Mais la défaillance vint, que mon imprévoyance ne me permit pas de combattre. J'arrivai péniblement au pied du Tourmalet, que je montai en grande partie à pied. Je terminai loin, avec deux heures de retard sur Lambot, le gagnant. Henri Desgrange avait pu dire, dans son compte rendu de l'Auto : « Egg était premier en haut du col de l'Aubisque ; quatrième en haut du Tourmalet ; douzième en haut du col suivant, et, à l'heure où je vous télégraphie, il n'est pas encore arrivé. » Je terminai le Tour par toutes sortes de mésaventures. A Marseille, où l'arrivée avait lieu au vélodrome, je tombai au dernier tour, en compagnie d'Engel ; à Genève, où j'aurais été heureux de terminer en vainqueur, je n'arrivais que treizième : j'avais bu dans un bidon qu'on avait laissé séjourner dans la glace ; je payais encore cette erreur par une grave indisposition ; dans l'étape Belfort-Longwy, je cassai une roue et me blessai grièvement à un genou et aux deux mains. C'est dans cette étape que François Faber [...] démarra soudain. L'équipe Peugeot le laissa partir, et, Faber partant, cela voulait dire qu'il y aurait bientôt un certain écart entre lui et ses adversaires. Car le géant de Colombes, le bon géant, allait vite. Tout de même, après quelques kilomètres, les coureurs des autres maisons organisèrent la chasse. Mais on ne rattrapait pas Faber, et cela poussait dur, quand un homme, pédalant de son mieux sur un vélo bien vieux, nous croisa et nous fit signe qu'il voulait nous dire quelque chose. Il fit, en effet, demi-tour, nous rejoignit, quelque peu essoufflé, et nous déclara : - Faber m'a dit de vous dire qu'il avait dix minutes d'avance et que cela allait tout ce qu'il y a de bien. Nous éclatâmes de rire. Ce speaker inattendu nous avait rappelé, d'amusante façon, que Faber était mieux qu'un as, c'était un joyeux as. Enfin, j'arrivais à la dernière étape. J'étais au Cœur-Volant et en assez mauvaise posture ; je voulus terminer en bonne position et j'allais rejoindre le peloton à Boulogne quand un des spectateurs suivant à bicyclette me fit tomber. Car il faut reconnaître que les arrivées de courses sur route sur le vélodrome rassemblent aux environs une telle foule que la fin des parcours devient extrêmement dangereuse parfois et toujours aléatoire. J'avais été treizième à Genève ; j'étais treizième du classement général de ce Tour de France 1914. Je m'interdis d'avoir une opinion définitive sur ce numéro ; je suis bien obligé de reconnaître que mes diverses malchances m'y amenèrent. J'avais eu, cependant, une année particulièrement fertile en résultats, puisque, en dehors de mon record de l'heure, j'avais gagné un Paris-Tours, les championnats suisses, deux étapes du Tour de France. J'ai disputé, avec des infortunes diverses, les courses sur route suivantes : 1911: Tour de Lombardie ; 1912 : Milan-San Remo, Paris-Tours, Paris-Roubaix, Paris-Menin, Paris-Bruxelles, cinq étapes du Tour de France, quatre étapes du Tour de Belgique ; 1913 : Paris-Roubaix, Paris-Tours, Paris-Bruxelles ; 1914 : Paris-Roubaix, Paris-Tours, Paris-Menin, Paris-Bruxelles, Championnat suisse des 100 kilomètres, Tour de France ; 1917 : Milan-San Remo, Milan-Turin, Milan-Modène, Milan-Varèse, Circuit de Milan ; 1918 : Trouville-Paris, Bourges-Paris ; 1919 : Milan-San Remo, Paris-Roubaix, Paris-Tours, Milan-Turin, Tour d'Italie (sept étapes), Circuit des Champs de bataille ; 1922 : Paris-Rouhaix. MA COURSE LA PLUS DURE : LE BOL D'OR L'année 1924 a vu courir un Bol d'Or au vélodrome Buffalo. C'était un essai de restauration d'une épreuve qui avait eu, jadis, un grand succès. On a beaucoup parlé de ce Bol d'Or 1924 avant qu'il fût couru ; on en a beaucoup parlé après. Mais on a surtout écrit sur cette épreuve beaucoup de choses injustes. Et il m'est agréable de dire aux lecteurs du Miroir des Sports ce que je pense de ce Bol d'Or et ce qui de s'est passé pendant les vingt-quatre heures de course consécutives de cette année 1924. Il ne m'était jamais venu à l'idée que je disputerais un jour un Bol d'Or. Je ne me croyais pas doué pour cela et estimais que mon endurance n'était pas suffisante, et que je n'étais, en somme, pas fait pour mener à bien une course aussi dure. En 1912, j'avais entraîné mon ami - mon maître aussi - Petit-Breton, et j'avais pu ainsi mesurer les efforts qu'une épreuve de ce genre exigeait. Petit-Breton avait établi un tableau de marche très serré ; il n'avait, au début de l'épreuve, fourni aucun effort sérieux ; c'était, on le sait, un grand champion, dont le courage était légendaire. Cependant, vers les premières heures du matin, il connut la défaillance ; se rendant compte que lutter contre Léon Georget devenait impossible, il abandonnait. Lapize, dont il n'est pas besoin de rappeler les qualités d'énergie et les remarquables dons, avait estimé, après six heures de course, que la besogne était trop rude, et Émile Georget, le héros de Bordeaux-Paris et Paris-Brest-Paris, avait, lui aussi, dû baisser pavillon. J'avais vu encore disputer, en 1920, au Vel' d'Hiv', une course de vingt-quatre heures. Charles Deruyter avait pris le commandement et, au bout de dix heures de course, il menait avec une avance d'une douzaine de kilomètres sur le remarquable spécialiste qu'était Léon Georget. Georget, toutefois, avait été victime de quelques accidents qui l'avaient sévèrement handicapé. On a raconté qu'à ce moment de la course, Deruyter, s'approchant de Léon Georget, lui exposa que, l'épreuve paraissant à l'avance acquise aux deux leaders qu'ils étaient, il ne semblait pas nécessaire de « se tirer la bourre » ; prix et primes seraient partagés. Mais le Brutal - Léon Georget se soignait très bien avec quelques absorptions de vin rouge, de « brutal » - n'était pas de cet avis. Il répondit à Deruyter : - Mon petit gars, il y a encore quatorze heures à faire ; nous avons bien le temps de nous revoir. Peu de temps après, Deruyter abandonnait. Ce que j'avais vu et entendu me faisait donc comprendre les difficultés de la tâche et me laissait assez peu désireux de me lancer dans une pareille aventure. Je n'écoutais donc que d'une oreille assez distraite les offres de Coquelle et Delrive, les directeurs de Buffalo, lorsqu'ils pensèrent à me faire disputer ce Bol d'Or de 1924. Et, vraiment, je puis dire qu'à aucun moment je ne songeais à m'aligner dans l'épreuve. On ne peut jamais dire : « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau. » Delrive, avec sa rondeur coutumière, me déclara un jour : - Le Bol d'Or, ça ferait bien dans ton palmarès ! C'est une phrase de rien du tout, énoncée comme cela. Et il est facile d'en faire de beaucoup plus éloquentes sur des sujets du même genre ou dans des conditions semblables. Mais la réflexion de Delrive piqua mon amour-propre. On est professionnel, certes, mais on n'en demeure pas moins accessible à ce sentiment qui fait faire de belles choses pour la simple joie de les faire. La phrase de Delrive me fit réfléchir. Je pensais qu'après tout, j'avais terminé des courses de Six Jours dans un tel état de fraîcheur, ne me ressentant pas de l'effort fourni, que vingt-quatre heures seraient peut-être possibles, si différente que soit la manière dont se disputent les deux courses. Mon indifférence de la veille se transforma assez rapidement en un intérêt suffisant pour que j'écoute les propositions de Coquelle et que je fixe les conditions de ma participation. En quelques minutes, l'entente était faite. Le contrat était immédiatement signé. Je n'avais plus qu'une appréhension : la date de l'épreuve était si rapprochée que je craignais de ne pas avoir suffisamment de temps pour m'entraîner. Mais c'était signé. Je me préparais, et le grand jour - car c'était un grand jour pour celui qui avait toujours pensé qu'il ne jouerait jamais un rôle dans un Bol d'Or - me trouva assez prêt. Nous étions dix partants : Léon Georget, Duboc, Christophe, Marcel Buysse, Gossens, Torrani, Deloffre, puis un Allemand et un Anglais et votre serviteur. J'avais à mon service sept bonnes équipes d'entraîneurs, presque tous d'excellents camarades, dévoués, et que dirigeait cet ami fidèle et sûr, mon associé Hector Tiberghien. J'arrivais au départ en même temps que Léon Georget, qui me dit, devant tout le monde : - Mon petit gars, qu'est-ce que tu fais là ? Tu veux courir le Bol d'Or ? Et comme je ne lui répondais que par un sourire, il ajouta : - Je connais le fourbi. Je vais te dire ce que tu vas faire. Tu vas foncer au départ, tu auras peut-être un ou deux tours d'avance à la première heure ; au bout de 100 kilomètres, tu commenceras à avoir la pompe ; à la sixième heure, nous tournerons autour de toi, et, à la douzième, tu seras dans ton lit en train de bien roupiller ! Que vouliez-vous que je réponde ? Je pensais qu'il pouvait se tromper. Je montai sur mon vélo. Le départ fut donné. Je n'étais pas tellement sûr de moi. Je ne savais pas, en somme, ce que j'étais capable de faire. J'allais vers l'inconnu. Mais il était une chose dont j'étais certain, à cette heure comme maintenant : c'est que j'étais un coureur correct et consciencieux. Je n'hésitais donc pas longuement sur la tactique à adopter. Je me dis que, pendant que je le pouvais, je devais essayer de faire des choses intéressantes. Aussitôt derrière mes tandems, je leur demandai de pousser à fond. Ils donnèrent tous et si bien que je vis un à un mes adversaires lâcher prise. Je couvris, dans la première heure, une distance qui était très près de la distance-record de Buffalo. J'avais cependant un petit braquet : 24 x 7. Je devais, de plus, faire constamment l'extérieur. Et cela compte. Mais cela marchait tout de même. Au bout de 50 kilomètres, mes équipes commençaient à la trouver mauvaise. Quelques uns de mes entraîneurs me crièrent que j'étais fou, que j'allais me « louper » et que je ne pourrais pas finir. Je compris leur sentiment, qui était, chez quelques uns d'entre eux, très désireux de me voir gagner, de l'inquiétude, et je me rendis compte, comme eux, qu'il fallait se ménager quelque peu. J'avais quelques tours d'avance ; je pouvais me permettre de vivre sur cet avantage et d'attendre les événements. Je laissai mes adversaires mener le train et passer les heures. Quand minuit sonnait - il y avait, par conséquent, six heures de faites - je dis à Léon Georget : - Dis donc, mon vieux Léon, voilà six heures de faites, et vous ne tournez pas encore autour de moi ! Et, parce que je tenais à l'assurer que je n'étais pas encore fini et pour que les rédacteurs de journaux puissent corser leur dernier coup de téléphone, je démarrai et pris un nouveau tour. Et la ronde continua. Tous les concurrents, sauf Léon Georget, avaient déjà éprouvé plusieurs fois le besoin de s'arrêter. Léon Georget tint plus longtemps qu'eux tous. Il ne descendit, pour la première fois qu'à la neuvième heure de la course. Je restai encore en piste pendant plus d'une heure et descendis à mon tour. Le jour pointait. J'avais à peine perdu un tour en m'arrêtant. La douzième heure arrivait ; j'étais toujours en tête. Je dis alors à Léon Georget : - Eh ! Léon, je suis là, je ne suis pas encore couché. Mais Léon ne me répondait pas. Eugène Christophe nous menait, à ce moment, la vie dure. Il était si bien et son allure était telle que je voyais en lui un gagnant possible. A ce moment, Léon Georget dut penser que le temps était venu de tenter de gagner la course. Il fit donner à fond ses entraîneurs et le train s'accentua encore. Christophe fut décollé. Quelques minutes après, je le vis descendre et se diriger, courbé et paraissant très fatigué, vers son campement. Quelques heures après, Duboc, qui avait dû suivre, pour l'épreuve, une préparation bien réglée, démarrait à son tour. Le train était si rapide que Léon Georget ne put le suivre, et je commençais moi-même à me convaincre qu'une course de vingt-quatre heures n'était pas une promenade, quand je vis Duboc abandonner ses tandems. Il lui était impossible de suivre le train qu'il avait demandé à ses entraîneurs de mener. Je respirai. Pas pour longtemps, toutefois, car Léon Georget, retapé, et qui savait mieux que tous autres que l'heure était décisive et qu'il fallait, à ce moment, y aller de toutes ses forces, reprenait la tête et forçait l'allure. Midi venait de sonner. Dix-huit heures de course. Je commençais à avoir de sérieux espoirs et me promettais de ne pas laisser s'échapper mon concurrent le plus direct. Cela, c'était mon désir. Il me fallait bien reconnaître, tout de même, que la fatigue commençait à se faire sentir. Il avait fait très froid la nuit. J'avais mal un peu partout, et je supportais mal les trépidations causées par les bosses dans les virages. Et cette sensation de choc m'était à ce point désagréable que je demandais à mes entraîneurs de rouler sur le plat et de ne pas monter dans les virages. Mais la surface plate de la piste n'est pas très large. J'arrivais plusieurs fois sur le bord de la piste. Je touchais aussi à plusieurs reprises la roue de mes tandems. Il en résulta pour moi plusieurs chutes assez douloureuses. Et voilà que Duboc, dans un nouvel effort, fit mener de nouveau un train terrible. Ce réveil de Duboc contraignit Léon Georget, désemparé, à descendre de machine et à s'arrêter assez longuement. Duboc fut pris lui-même à son propre jeu. En voulant faire plus qu'il ne pouvait faire, il arriva à ne plus pouvoir tenir la roue de ses tandems. Il décollait, mais, courageusement, revenait encore, se dépensant sans compter. Trois heures avant la fin, il devait, à son tour, descendre pour quelque temps. Quand il se remit en piste, il avait de nombreux kilomètres de retard. Je ne crois pas qu'à ce moment il se soit trouvé au vélodrome beaucoup de spectateurs qui n'aient pas vu en moi, sauf accident, le gagnant certain de l'épreuve. J'avoue que j'étais de l'avis général. Je me promettais de pousser à fond pendant la dernière heure et d'ajouter quelques kilomètres à ceux que j'avais pris à mes adversaires et aux records, puisque déjà pas mal d'entre eux étaient battus. Deux heures avant la fin, je descendis pour quelques instants. Quand je voulus remonter sur ma bicyclette, il me fut impossible de faire un mouvement. J'avais la sensation que j'étais paralysé et qu'il allait m'être défendu de terminer. Je dis au fidèle Tiberghien : - Mais je ne peux plus monter sur mon vélo... On me hissa sur ma selle, on me poussa. Je cherchais à accompagner mes pédales. Mes muscles ne répondaient plus à mon cerveau. Je voulais et ne pouvais pas. J'étais une loque. J'avais la sensation que je ne vivais plus normalement et que j'avais perdu la possibilité du mouvement. Celui qui, quelques minutes plus tôt, pouvait considérer qu'il allait vaincre était subitement convaincu que la victoire devenait impossible. Je souffrais physiquement. Mais je connus une souffrance morale telle que je crus que tout était fini. J'ai vécu là les minutes les plus douloureuses de ma carrière sportive. Elles s'accompagnaient des ovations folles et des encouragements bruyants prodigués par la foule à Duboc, qui apparaissait, à son tour, comme le vainqueur. ![]() OSCAR EGG EN TÊTE DANS LA GRANDE ÉPREUVE QU'IL GAGNA, EN BATTANT LE RECORD J'ai trouvé, à ce moment, dans mon désir de faire ce que je
m'étais engagé à faire et dans celui de toujours lutter pour
vaincre, la possibilité de repartir, de retrouver une partie de
mon équilibre, de limiter mon infériorité, que, peu à peu, je
devinais passagère. Je perdis de nombreux tours, puis j'arrivais
progressivement à ne plus perdre qu'un tour sur deux, à diminuer
ce handicap considérable, à recoller à la roue de mes tandems.
Et, voyant la fin qui s'approchait alors que j'étais encore en
tète du classement, comprenant que la victoire que j'avais vue
s'enfuir avait encore gardé un sourire, je fournis un effort
prodigieux pour suivre le train mené par Duboc. Quand je vis
arriver les dernières minutes, je demandai à mes tandems de
pousser à fond et terminai au sprint, laissant sur place tous
mes adversaires. J'avais couvert 936 km. 225 et battu de loin le
record.
Je recourus derrière moto à Paris, en 1917. Ma première course, contre le regretté Parent, fut une victoire. Mais je suis bien obligé d'avouer que je ne goûtais guère ce genre de sport que j'estimais trop dangereux. Et mes apparitions derrière motos furent assez rares. Je figurai certes, mais ne gagnai pas. Ma meilleure course fut fournie dans un match à trois qu'on avait appelé le Match des As et qui réunissait Sérès, Didier et moi. Dix kilomètres avant la fin, j'étais en tête, précédant Sérès d'un tour et Didier de deux, quand mon pneu avant éclata. Je fis une cabriole fantastique. Le demi-fond, vraiment, ne me réussissait pas. Je devais pourtant recourir derrière moto. En fin de saison
1919, je fus demandé à Philadelphie pour disputer une course de
stayers. J'annonçai au directeur que je n'avais pas de vélo, pas
de casque et que, d'ailleurs, je voulais, pour courir derrière
motos, être payé deux fois plus que pour une course ordinaire.
Il consentit le prix demandé, s'engagea à me fournir le matériel
nécessaire, et je partis pour Philadelphie. En arrivant dans la
ville, je vis d'énormes affiches qui annonçaient le match des
Six Nations. L'Amérique, la France, l'Italie, l'Allemagne et la
Belgique étaient représentées ; si l'organisateur avait tant
insisté pour me faire venir, c'est que je devais représenter la
Suisse, qui faisait la sixième nation. Mais on offrit au
représentant suisse un vélo extraordinaire, un vieux clou
menaçant ruine et bien peu rassurant. Je l'essayai avant la
course, et j'étais en pleine action quand le pneu avant éclata.
J'évitai la chute par miracle. Mais je dis cependant au
directeur du vélodrome que sa bicyclette ne me paraissait pas
faite pour le travail que j'allais lui imposer et que je
risquais fort, si je devais courir sur un semblable vélo, de me
rompre les os. Et, cependant, tous ces vieux champions étaient, à mon avis,
beaucoup moins encouragés, beaucoup moins aidés à leur début que
tous les jeunes qui, possédant quelque qualité, s'ingénient,
fort justement d'ailleurs, à trouver les moyens de les mettre en
valeur. Je crois pouvoir résumer ceci assez simplement : ils
étaient nés coureurs et travaillaient à rendre glorieuse et
fructueuse leur carrière de coureur. Trop nombreux sont
maintenant ceux qui veulent devenir coureurs, à condition qu'on
supprime de la route qu'ils se sont tracée tous les obstacles
qui peuvent venir l'encombrer. UN GRAND ROUTIER : F. FABER [...] COMMENT JE M'ENTRAîNAIS |
![]() Agence Meurisse, 1914 |
Son palmarès sportif, en résumé - Record de l'heure battu trois fois, entre 1912 et 1914, en alternance avec Marcel Berthet ; le dernier (44,247 km) a tenu 19 ans. - Deux étapes du Tour de France (1914), Paris-Tours (1914), Milan-Turin (1917), plusieurs records du monde, des six jours et d'innombrables courses sur piste et derrière moto. - Pendant la première guerre mondiale, exilé en 1915 et 1916 aux USA, il réussit une brillante carrière dans les Six Jours. |
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Vel' d'hiv', 7/11/20, Oscar Egg, gagnant de la course
des 50 km derrière entraîneurs à tandem
Agence Rol
Fin mars 1921, Six jours,
Oscar Egg dans un lit aménagé dans l'enceinte du Vel' d'Hiv'
Agence Rol
Sa carrière
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Voici son portrait qui fut publié par la revue La Pédale, le 6 mai 1924. |
A tout seigneur, tout honneur. Nous entendons aujourd'hui
inaugurer la série de nos « Fines Pédales » par l'homme qui
détient le plus beau, parce que le plus athlétique, des records
cyclistes, le citoyen - de la libre Helvétie - Oscar Egg,
recordman du monde de l'heure sans entraîneurs avec 44 km. 247.
Examinons-le maintenant intérieurement, si on peut dire.
Puis ce fut, en 1917-18, une glorieuse campagne d'Italie,
courant un dimanche sur route, l'autre dimanche sur piste,
tantôt en vitesse, tantôt en demi-fond et rencontrant à chaque
fois les Girardengo et autres Belloni avec lesquels il
s'entrebattit, souvent heureusement. Sur route, il décrocha
Milan-Côme-Turin, Milan-Turin, et Milan-Modène. Entre temps, il s'essaya à nouveau sur la route. Ce fut à
l'occasion de Paris-Roubaix 1922. Il fit quelques 100
kilomètres, puis il comprit... Oscar envisage à présent la succession de Léon Georget. En courant après le Bol d'Or, gagnera-t-il le coquetier ? Maurice DROIT. |
La victoire du 21ème Bol d'Or est, effectivement, revenue au champion suisse Oscar Egg, lequel prit la tête depuis la première minute et la conserva jusqu'à la dernière.
Ses innovations techniques
Le bidon léger et la pédale de piste
Dans son édition du 22/11/1923, la même revue nous informe sur ses voyages et nous fait connaître les premières innovations mises au point et commercialisées par Oscar Egg :
Aujourd'hui, Oscar Egg s'embarque pour l'Amérique ; il effectuera le voyage en compagnie de la toute jeune et jolie Mistinguett et nous devons à la vérité de dire que ce n'est pas la première fois que les deux étoiles du music-hall et de la piste traversent ensemble la « mare aux harengs ». Peu de chance cependant pour qu'Oscar accorde aux flûtes spirituelles de la divette une attention exagérée, car il a déjà pas mal de... pain sur la planche. En effet, dès son retour de New-York, il participera aux Six-Jours de Milan, puis retournera à Madison Square pour les Six-Jours de Printemps et reviendra enfin en vitesse pour les Six-Jours du Nélaton-Palace. Pour la première de ces épreuves, Egg espère faire équipe avec Brocco ou avec Debaets. Qui avait-dit, l'an dernier, qu'il s'était entendu pour toujours avec Van Kempen ? Il s'agissait sans doute d'une Entente Cordiale en miniature.. Puisque nous parlons de Egg, disons qu'il va mettre en vente, dès janvier prochain, deux nouveaux articles qui, espère-t-il, auront un gros succès. D'abord, un bidon en aluminium pour les routiers, objet qui permettra de gagner 90 grammes sur le système actuel des bidons en fer, et qui ne coûtera pas plus cher ; ensuite, une pédale de piste, dont le premier modèle, que nous ayons eu sous les yeux, est un véritable bijou. Le monsieur qui, ayant adopté la pédale Egg et les poignées Berthet, ne battra pas le record de l'heure, sera un fameux tocquard ! |
![]() Un
coureur français, utilisant le dérailleur d'Oscar Egg
au Tour de France 1930 |
En 1937, l’usage du
dérailleur a été autorisé pour le Tour de France, avec un seul
modèle pour sauvegarder l’égalité des chances.
Le modèle approuvé était le « Super Champion » d'Oscar Egg. C'était un modéle amélioré du premier, "Champion", conçu en 1932 selon le même principe qu'un dérailleur italien "Vittoria", avec un système de tension de la chaîne. Bientôt, il fut adopté par toutes les grandes marques. |
Le vélo-fusée
Oscar Egg, pour maintenir son record vieux de 20 ans, a imaginé un
carénage, constitué d'une feuille de métal de forme conique, fixée à
l'arrière de la selle, pour favoriser l'écoulement de l'air.
Toujours plus vite Poulain, champion cycliste de jadis, avait voulu réaliser la bicyclette volante. Il vola d'ailleurs une dizaine de mètres avec son invention, ses grands espoirs et son audace. Et puis on ne parla plus de l'aviette. C'était une démonstration. Pour aller plus vite avec un vélo roulant à terre, Marcel Berthet avait essayé le vélo-torpille. L'appareil était quelque peu encombrant. L'ancien rival de Berthet, Oscar Egg, vient d'essayer le vélo-fusée. Un dispositif placé derrière le coureur supprime une partie de la résistance qu'offre — trop généreusement — le vent. On gagne ainsi en vitesse. Le vélo-fusée est une conception assez heureuse puisque le résultat cherché est obtenu. On perfectionnera peut-être. La volonté du recordman de l'heure sans entraîneur doit le laisser croire. |
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Le vélo à pédalage horizontal
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Oscar Egg est également un pionnier du vélo en position de pédalage horizontal. Son record de 1913 tiendra 20 ans. Les vélos de ce type étant alors devenus plus performants que les bicyclettes traditionnelles, l'Union Cycliste Internationale, qui régit les courses et homologue les records, décide de les interdire. |
Les motocyclettes d'Oscar Egg
Oscar Egg a commercialisé des motocyclettes, à partir de 1948. Il a d'abord adapté le moteur Cucciolo de la société italienne Ducati à l'un de ses vélos. Il utilisa, ensuite, le moteur fabriqué par la société française M.Rocher sous licence de Ducati. |
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Oscar Egg, qui fut un des premiers à bien gagner sa vie grâce aux courses sur piste, a investi une partie de cet argent dans le cyclisme, notamment en sponsorisant une équipe de coureurs.
La société des cycles Oscar Egg
Avant de prendre sa retraite sportive, en 1926, ainsi que son ami Hector Thibergien, coureur cycliste belge, avec lequel il s'était associé, Oscar Egg avait créé une société pour développer et commercialiser ses nouveaux équipements ainsi que des vélos de course et de ville.
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Dans son atelier, il faisait travailler des cyclistes, jeunes et anciens.
L'ancien champion Oscar Egg n'oublie pas les
coureurs Oscar Egg qui, entre autres records, détint pendant vingt ans l'athlétique record de l'heure sans entraîneur, abandonna la piste il y a quelques années pour installer d'abord une bonneterie sportive, puis lancer une marque qui connaît grand succès, et enfin un dérailleur essentiellement pratique et qui, dès son apparition, fut adopté par les plus grandes marques et devint le changement de vitesse essentiellement populaire. Sa vogue est telle qu'Oscar Egg dut aviser à l'aménagement d'un atelier important et rechercher, pour la main d'oeuvre, de nombreux ouvriers. L'ancien champion décida de s'adresser aux coureurs, aux anciens, pour lesquels l'heure de la retraite approche, aux jeunes auxquels leurs premiers pas dans la carrière ne sauraient permettre de vivre.
Simonnet, gagnant du Premier Pas Dunlop 1932, est venu grossir la troupe, comme Eugène Dhers, qui fut quatrième de la catégorie des isolés dans le Tour de France de 1924, et Thallinger, joyeux coureur autrichien qui n'abandonne pas l'entraînement pour cela. Le neveu du grand champion routier que fut le regretté François Faber est là, lui aussi. Trois autres anciens professionnels collaborent également, à la diffusion du changement de vitesse qui aura ainsi permis à une dizaine de coureurs de trouver l'occupation qui permet de vivre - en roue libre -en gaîté aussi. René Bierre. |
Il avait établi des magasins à Paris, avenue de la Grande Armée, haut lieu du commerce des cycles dès la fin du siècle précédent, aux numéros 43 et 57 ; on peut toujours y acheter des deux-roues, mais motorisés ! Il y vendait également des articles textiles pour le sport qu'il faisait fabriquer. |
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Oscar Egg aurait vendu un million de dérailleurs "Super Champion" de 1932 à 1939. Deux sociétés le construisirent ensuite, sous licence, jusqu'en 1950. |
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Auguste Wambst (1908-1987), champion cycliste devenu employé de l'épicerie de Villennes
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Le coureur cycliste qui, avec son équipier des Six Jours Charles Lacquehay, servait de mannequin pour promouvoir les vêtements sportifs d'Oscar Egg et Hector Tiberghien n'était pas Auguste Wambst mais son frère Georges. Fernand Wambst était un autre frère, celui qui séjournait à Villennes, avec son ami coureur cycliste Marcel Guimbretière, dans l'hôtel-restaurant "Les Peupliers" de Léon Didier puis de son successeur. |
Une fratrie de coureurs cyclistes
En effet, la famille Wambst comprenait quatre fils qui pratiquaient tous le cyclisme de manière professionnelle. Après son aîné Georges, Auguste a été celui qui a obtenu les meilleurs résultats et a été le plus connu.
Une belle famille sportive de cyclistes [...] Nous allons vous présenter
les quatre frères Wambst, coureurs cyclistes, quatre cyclistes
de marque. Ils vous parleront ensuite. [témoignage de Georges Wambst] La carrière de Charles Wambst [...] Auguste Wambst
Il avait couru quelquefois avec son frère Charles, lorsqu'un
jour, à l'entraînement du Vel' d'Hiv', il roula derrière la moto
de Guérin et ne s'y trouva pas mal. Avec sa décision habituelle,
son parti fut vite pris. Il ferait du demi-fond. Mais nous
allons le laisser nous dire lui-même - il va très vite à dire,
en amoureux qu'il est de la vitesse - ce que fut le début de sa
carrière de stayer.
« Malheureusement, je fus arrêté par une série d'accidents très
graves. Des abcès aux intestins me valurent des mois de repos
complet et je dois aux soins dévoués du docteur Busser de m'être
remis sur pied. Je fus longtemps sans courir et je n'ai
recommencé en somme que cet hiver. Assez heureusement, puisque
j'ai déjà gagné et que j'ai eu l'occasion de montrer que j'avais
assez bien retrouvé la forme lorsque j'ai eu à me défendre
contre les rois du plancher. J'ai en Deliège un entraîneur
excellent qui me connaît bien, me comprend bien et qui n'hésite
pas, lorsque je le lui demande, à donner le petit tour de
poignée qui fait démarrer sérieusement.
Et comme il a du rein et des jambes, il est certainement sur le
chemin de la gloire et de la fortune. Il sera le deuxième de la
famille ayant réussi dans une carrière qui est assez difficile
pour que le nombre de ceux qui y trouvent ce qu'ils cherchent
soit assez réduit. Et ce sera un bel exemple de volonté qui aura
été donné par des hommes dont la jeunesse aura été difficile et
aussi une belle fierté pour la maman qui les éleva avec tant de
dévouement et de courage. [...] Et nous aurons, cet été, comme maintenant, trois Wambst dont les noms apparaîtront sur les programmes des vélodromes. Ce sera la première fois que pareil fait se produit, car les Trousselier qui furent quatre, les Péhssier qui furent trois - qui. auraient été quatre si Jean n'avait été tué pendant la guerre - furent plus routiers que pistards. René Bierre. |
Nouveau Villennois mais toujours spécialiste du demi-fond
Un article du magazine Le Miroir des sports du 23 janvier 1934
précise les débuts de la carrière sportive d'Auguste Wambst et le montre
à Villennes, où il a acquis une maison de l'avenue Foch.
VISITE A AUGUSTE WAMBST, NOTRE MEILLEUR Magnifiquement blond, svelte, souple, la taille fine, la
démarche légère, le jeune Auguste Wambst semble marcher dans la
vie au milieu d'un rayonnement doré. La lumière de ses yeux
gris, la fraîcheur de son rire, la douceur de ses manières, tout
concourt à donner à sa personne un charme indiscutable. «
Gugusse » - on ne l'appelle pas autrement au vélodrome - semble
vraiment avoir reçu tous les dons de la nature, de façon à ne
pas ressembler à tout le monde. Son tempérament même, nerveux,
volontiers exalté, sensible à l'extrême, contribue à lui donner
une grande personnalité. Auguste Wambst est un athlète qui ne
peut laisser personne indifférent. Nul, plus que lui, ne
déchaîne, par sa seule présence, autant de passion dans les
tribunes d'un stade. Allez au Vél' d'Hiv' un jour que « Gugusse
» est à l'affiche ! Dès qu'il paraît, un remous commence à
secouer les populaires. Les gens s'agitent, bourdonnent,
s'interpellent bruyamment, parce qu'ils savent bien qu'il va
bientôt se passer quelque chose... La course commence et c'est
bien rare si, au bout de quelques moments, les coups de sifflets
d'un côté, les applaudissements de l'autre, ne partent pas à
l'adresse de notre héros. Il semble que de la personne de
l'étonnant Auguste Wambst émane un fluide irrésistible qui
enflamme les esprits les plus pondérés. Partout et à n'importe
quel moment, on trouve le vélodrome séparé en partisans et en
ennemis du jeune Wambst ! Cette extraordinaire attraction qu'il
exerce sur les foules lui vaut d'ailleurs une grande popularité.
En tire-t-il vanité ou simplement parti ? Non pas ! Auguste
Wambst est beaucoup trop « nature » pour cela. Il ne cherche pas
à jouer la comédie et, à tout bien considérer, sa manière
ordinaire de courir, qui est celle d'un « briseur d'élans »,
plutôt que celle d'un audacieux attaquant est la moins propre à
séduire et à enthousiasmer les fanatiques du demi-fond. C'est
plutôt la franchise de ses actions et de ses sentiments qui le
rendent « intéressant », et, je pense, sympathique aux yeux des
spectateurs. S'il s'en prend ou s'il résiste à un adversaire, il
le fait franchement, ouvertement, même si cet adversaire est son
frère. On le siffle, on le hue, il ne se contiendra pas, il ne
ravalera pas son dépit pour continuer à sourire à ce public,
souvent injuste, qui l'accable maintenant, mais qui l'acclamera
peut-être demain. Il se rebiffera tout de suite et laissera
éclater sa rancœur ou sa colère. Combien de fois l'avons-nous vu
jeter sa machine dans un geste de révolte et s'engouffrer dans
le tunnel du « quartier » en pleurant à chaudes larmes ! Que le
sensible Auguste Wambst n'ait pas toujours la parfaite maîtrise
des nerfs que l'on trouve généralement parmi les champions, cela
apparaît absolument indiscutable ! Mais cette nervosité extrême
n'est-elle pas parfois le signe d'un tempérament
exceptionnellement riche ? Henri et Francis Pélissier, pour ne
citer que ces deux champions avaient, eux aussi, le sang vif et
le geste prompt. ![]() DEVANT LEUR COQUET PAVILLON DE VILLENNES, AUGUSTE WAMBST ET SA FEMME JOUENT AVEC LEUR CHIEN
![]() JULES MERVIEL
VIENT SOUVENT RENDRE VISITE A SON ANCIEN CAMARADE DU V. C. L.
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Auguste Wambst et son épouse dans leur maison villennoise, en
1934
Extraits d'un autre article de même journaliste, décrivant la bonne forme d'Auguste Wambst :
Il
est hors de doute, en effet, que le demi-fond français, dont on a
beaucoup parlé tous ces derniers temps, est à un tournant de son
histoire. Les grandes vedettes actuelles, sur le dos desquelles on
a plus ou moins cassé du sucre, sont à la vérité sur la route
descendante, et un grand rajeunissement des cadres paraît tout à
fait imminent. Mais qui saura prendre la place, en plein air ou au
Vél' d'Hiv', des Lacquehay, Paillard et Grassin ? La lutte, on s'en doute, s'annonce très sévère et nous en avons eu un premier aperçu, dimanche, en assistant à la bataille Auguste Wambst-Blanc-Garin-Brossy-Georges Wambst et plus précisément, comme nous l'avons déjà souligné, au duel Auguste Wambst-Blanc-Garin. Ces deux jeunes stayers qui, tous deux, étaient en excellente forme, avaient le même ardent désir de se distinguer, à un moment estimé par eux, et non sans raison, particulièrement important. Songez que le Vél' d'Hiv' va faire sa réouverture dimanche et que les contrats ne sont pas encore signés pour la saison d'hiver ! [...] C'étaient là, vous en conviendrez, de sérieux stimulants pour des coureurs pleins d'ambition, tels que « Gugusse » Wambst et Alexis Blanc-Garin ! ![]() Le jeune Wambst, qui avait déjà brillé il y a quinze jours, était encore dans une forme splendide, et, malgré tout le courage, toute l'énergie, toute l'impétuosité du nerveux Blanc-Garin, il remporta brillamment les deux manches, chaque fois dans un style différent et donnant vraiment l'impression d'être imbattable. [...] - Auguste Wambst, nous disait sur la pelouse un ancien coureur, est indiscutablement le meilleur stayer français actuel. S'il prend tout à fait confiance en lui, il sera champiom de France et du monde l'an prochain ! RAYMOND HUTTIER. |
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A BUFFALO, AUGUSTE WAMBST FAIT DE LA PHOTO avant de prendre le départ de la première manche de demi-fond.
Il est, également, pris en photo. |
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UN DES NOMBREUX ASPECTS DU DUEL BLANC-GARIN - A. WAMBST. BLANC-GARIN ATTAQUE, MAIS WAMBST, QUI LUI-MÊME S'APPRÊTE A PASSER UN ADVERSAIRE, RÉSISTE BIEN. |
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Départ d'une course, en 1934, au vélodrome Buffalo
(Inauguré en 1893, ce vélodrome était situé
rue Parmentier à Neuilly-sur-Seine, près de la Porte Maillot. Son nom
était issu de celui de Buffalo Bill, car il avait été construit à
l'emplacement de l'exhibition indo-américaine du colonel Cody, dit
Buffalo Bill, pendant l'Exposition universelle de 1889)
Le Champion de France de demi-fond
Le dimanche 23 juin 1935, Auguste Wambst a parcouru, derrière une moto, 100 km en 1 h 23 mn 39 s, devançant Charles Hacquelay de 8 mètres et Georges Paillard de 350 m.
Son frère Georges s'est classé second l'année suivante, comme d'autres fois, mais il remportera le titre en 1940. En 1937, Auguste a battu, à Zurich, le record des 50 kilomètres derrière moto.
L'aide de l'épicier villennois
La reconversion professionnelle d'Auguste Wambst a-t-elle commencé dès 1934, comme le laisse penser cet entrefilet de Paris-soir, publié en novembre de cette année ?
Quant à son frère
Fernand, il n'était plus coureur cycliste mais il était devenu
acteur de cinéma à Los Angeles ! Il y était arrivé après avoir
parcouru l'Amérique du Sud, ne pouvant rentrer en France
d'Argentine, où il était lors de la déclaration de la guerre.
Georges était devenu manager de jeunes coureurs
cyclistes. |
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Pendant la guerre de 1939-1945, son ami Paul Blossier, cycliste amateur, a embauché Auguste Wambst dans son épicerie mais celui-ci n'a pas renoncé aux courses cyclistes. |
Le "révolté" du demi- fond Il est stayer depuis longtemps déjà. Quelque chose comme une
douzaine d'années. Mais il est encore bien jeune, blond,
athlétique et souriant. Malgré cet aspect engageant, Auguste
Wambst est la terreur de quelques directeurs de vélodromes et
surtout d'une demi-douzaine de dirigeants de l'U.V.F. R. DE LATOUR.
Paris-soir, 4/5/1941 |
Ignoré des managers et des directeurs de
vélodromes
C'est là que le Petit Parisien l'a découvert. Mais si notre grand animateur des courses derrière moto ne court pas, il ne vit pas davantage de ses rentes car son métier ne lui en a pas donné. Auguste Wambst s'est lancé dans une autre branche, voilà c'est
tout. De coureur, il est devenu marchand de légumes. Cela ne veut pas dire pas dire que l'on ne verra plus Auguste Wambst courir derrière moto. Car il est le cadet des vedettes actuelles de demi-fond et pour sa dernière course, il battit, le 28 juillet 1939, à Bordeaux, Lohmann, champion d'Allemagne ; Severgnini, champion d'Italie ; Meuleman, champion de Belgique ; et Terreau. Mais cette retraite provisoire enchante les habitants de
Villennes. Avec un livreur pareil, les commandes arrivent
« au sprint ». Roger COULBOIS. |
Le résistant pendant la guerre
Un article du quotidien L'Humanité du 4/9/1944 nous apprend qu'Auguste Wambst avait participé aux combats de la Libération, au sein des F.F.I. |
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Sports de combat
René Ben Chemoul, le Tigre de la lutte
L'ancien catcheur a quitté le ring
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Lors de de son décès en septembre 2010, la presse a rappelé la carrière de René Ben Chemoul, célèbre lutteur des années 1950-1960, qui a passé la dernière partie de sa vie au Bois des Falaises à Villennes. L'un de ses voisins et amis témoigne que, malgré sa notoriété, il était resté modeste et avait conservé une grande gentillesse et de la générosité. Voici quelques extraits des journaux "Le Monde", "Le Parisien" et "Libération". |
Née le 8 janvier 1925, cette icône du catch français de l'après-seconde guerre mondiale a perdu son dernier combat face à une adversaire invincible : la maladie d'Alzheimer. René Ben Chemoul avait commencé sa carrière en 1947 dans la fédération de son père, Albert Ben Chemoul, ancien catcheur lui aussi. Combattant en catégorie des poids moyens, il a détenu le titre - honorifique - de champion du monde. Initié très jeune au métier de lutteur par son père, le populaire Albert Ben Chemoul est passé chez les Pompiers de Paris pendant trois ans, avant de s'adonner à sa passion. |
C'est en 1947 qu'il effectue son premier combat avec succès. Dès lors, il va révolutionner la lutte et lui apporter ses lettres de noblesses. Il deviendra un héros du petit écran, car de nombreux galas seront retransmis depuis le Cirque d'Hiver, ce qui popularisera le catch auprès du grand public. Le "Tigre de la lutte" Il fût de loin le meilleur poids moyen que la lutte professionnelle ait connu et conserva son titre de champion du monde de catch mi-moyen 7 années consécutives avant d'être détrôné en 1954. Le palmarès de ses blessures est lui aussi éloquent : durant sa carrière il subira plus de 400 entorses, élongations, déchirures des ligaments, 13 fractures graves et 3 fractures du nez. Le "Tigre de la lutte", comme il était entre autres surnommé, a combattu les meilleurs catcheurs français de son époque : Cesca, Bordes, Delaporte, Bollet, ou encore le célèbre Bourreau de Béthune. Il s'est également illustré contre des catcheurs européens comme Mantopoulos, Aledo, les britanniques Ken Joyce et Georges Kidd. |
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Les quadras et les plus anciens se remémoreront certainement les soirées désopilantes devant le petit écran à regarder les rencontres de catch à quatre, commentées par Roger Couderc au cours desquelles René Ben Chemoul s'illustrait avec Walter Bordes au son du célèbre "Mamadou Mémé", scandé par la foule. L'équipe Ben Chemoul-Bordes était devenue l'une des meilleures équipes mondiales. |
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Cette séquence vidéo (6 mn 32 s) conservée par l'INA, commentée par Roger Couderc, est extraite de l'émission "Les coulisses de l'exploit" de décembre 1961. René Ben Chemoul y donne une première leçon à un apprenti catcheur, l'haltérophile Jean Debuf. |
Michel Bezy a écrit un article très élogieux sur son ami dans le magazine "Santé et force", en 1967 :
[... Il ] est un athlète parfait, au soufle inépuisable.
Infatigable, c'est l'athlète complet du monde la lutte. |
La renommée de mon ami René suffit pour bonder une salle d'un public avide de sensations inédites. Avec lui, le public est toujours gâté, il découvre la gamme exceptionnelle du catcheur de grand talent et tout y passe : surpassements, coups de bélier, ciseaux de volée, double ramassement des jambes, sans compter la multitude de pirouettes quasi incroyables que réussit ce génial et indomptable lutteur. Très jeune, il a été initié au métier par son père, le populaire Albert Ben Chemoul que tous les habitués du cirque d'hiver connaissent bien. Tout en luttant, René est un professeur excellent, et nous suivons avec grande attention l'éclosion de son élève favori, le jeune Walter Bordes qui fait équipe avec lui en tag team match. A eux deux, ils forment une équipe complète et très homogène (photo ci-contre) qui, grâce à leur parfaite connaisance du catch, est devenue l'une des meilleures équipes mondiales. Même les Black Diamonds durent s'incliner récemment au cirque d'hiver devant nos patriotes. |
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Sport ou spectacle ?
A l'époque, sept salles parisiennes proposaient des galas : l'Elysée Montmartre, la Salle Wagram, le Stadium, le Palais des Sports de Paris, La Mutualité, le Cirque d'Hiver et le Vel d'Hiv.
L'ancien bras droit de Roger Delaporte, catcheur et manager de l'Elysée Montmartre, Alain Charpentier, se souvient sur le site Boomer-cafe.net : " Il fut une époque où l'on remplissait les salles chaque semaine. Il y avait les habitués et les autres. Certains arrivaient directement en bleu de travail après leur journée. Nous avons démarré l'Elysée Montmartre en programmant des galas de catch le vendredi soir, le samedi soir et le dimanche. En même temps que ces trois réunions, il y avait la salle Wagram le jeudi, la Mutualité, le Cirque d'hiver... Paris avait assez d'amateurs de catch pour que l'on puisse programmer sept réunions par semaine. C'était toujours salle pleine. C'était dans les années cinquante... soixante-dix..."
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Un combat de catch oppose toujours deux personnages caricaturaux, le bon et le méchant, le héros et le salaud. Le catcheur déloyal, souvent masqué, frappe souvent son adversaire à terre, profitant de la distraction feinte de l'arbitre ; celui-ci n'incarne pas l’ordre mais il est un acteur du spectacle, n'empêchant pas que la lutte se déroule en dehors du ring. Les spectateurs ne sont pas gênés de savoir que les matchs sont arrangés. Comme les traditionnels spectacles de Guignol, le catch est empreint d'excès : plus le salaud est fourbe, plus le public applaudit les coups du héros, les acteurs (les catcheurs) sachant très bien susciter son indignation. Ci-contre : René Ben Chemoul contre le Petit Prince (Daniel Dubail) ; lequel jouait le rôle du méchant ? |
Sport trop théâtral, spectacle trop sportif, le catch a disparu dans la fin des années 80, les salles parisiennes cessant de le programmer les unes après les autres, faute de combattants.
Les racines du catch se trouvaient dans les spectacles forains de l'Europe du XIXe siècle ; des cirques proposaient alors des combats mettant en scène un assemblage de techniques piochées dans diverses écoles de luttes traditionnelles. Alors que se développe en France un nouveau sport, le "Free fight", mixant plusieurs arts martiaux, le catch est réapparu sur quelques chaînes du petit écran, sous une forme américaine ...
Souvenirs familiaux de ses jeunes années
Le frère cadet de René Ben Chemoul a apporté son témoignage, publié sur un blog consacré au catch :
Détail étonnant, si vous suivez bien, mon père est né le 8 janvier 1900 à Paris. René lui, le 8 janvier 1925, à Paris lui aussi bien sûr... Très vite, il démontre les mêmes qualités physiques que papa Albert. Dans n'importe quel sport, il est toujours devant les autres. Après son CEP et son brevet, il continue ses études au collège Arago dans le douzième. Et puis arrive 1945, à 15 ans il doit interrompre ses études pour partir en zone libre. Cela demande pas mal de temps et beaucoup de moyens. Il part dès 1941, car il ne veut pas porter "l'étoile" comme sa mère, sa soeur et son frère. Au bout de deux bonnes années, il a envie de rentrer à Paris et de retrouver sa famille. Il se pointe donc fin juin en 1943 avec l'intention de rentrer dans la résistance. Hélas, il est arrêté début 44 dans une rafle organisée par la milice Vichyssoise de Jacques Doriot, avec en poche sa carte d'identité tamponnée "juif" et sa fausse carte lui ayant servi en zone libre. Condamné à 6 mois de prison, il a la chance d'être libéré par le directeur de la prison de Troyes, début juillet 1944. La grande question est de savoir si le débarquement allié un mois plus tôt n'a pas fait changer les mentalités ou si le directeur faisait partie de la résistance... Si j'insiste sur ce point, c'est que tout juif condamné était obligatoirement remis à la Gestapo par la Justice Française. Dès sa sortie, il entre à 19 ans dans les FFI, mais René a toujours refusé d'en faire état. Dès que Paris sera libéré en août 1944, il s'engage dans le corps des sapeurs-pompiers de Paris, assurant 25 ans après Albert, le même service incendie que son père au centre de Vincennes en particuller. Détail significatif, sa classe est épargnée par le service mllitalre, mais il est heureux de faire, comme tous ceux qui s'engagent à la "pompe", quelque chose d'utile pour les autres. Et puis il adore le sport ... et au regiment, il va être particulièrement gâté... |
René Benchemoul était un cousin des frères Gilbert et André Trigano,
qui ont oeuvré pour les vacanciers, le premier au Club Méditerranée, le
second dans le camping avec la fabrication de tentes puis l'exploitation
de centres hôteliers de plein air. André Trigano a apporté son
témoignage sur son cousin dans le journal "La Dépêche : "Il était
encore très actif pendant sa retraite, il ne pouvait pas s'empêcher de
pratiquer plusieurs activités sportives". Il a confié quelques
souvenirs de leur jeunesse : "Nous avions à peu près le même âge et
nous avons eu la même jeunesse".
Mais l'événement tragique qui rassembla les deux cousins, ce fut la
seconde guerre mondiale. En 1940, toute la famille, installée à Paris,
décida de s'exiler en Ariège pour fuir les Allemands. Après avoir passé
un an à Ax-les-Thermes, le futur maire de Pamiers et le catcheur en
herbe déménagèrent à Mazères et furent employés à l'usine de Pamiers.
[...] En 1946, les deux hommes se retrouvèrent à nouveau et travaillèrent ensemble dans une quincaillerie parisienne. "La guerre l'avait marqué mais il a su rebondir et c'est à cette période qu'il a commencé à s'entraîner vraiment régulièrement". [...] "Mais il a toujours eu les pieds sur terre", a déclaré André Trigano, se souvenant avec émotion des fréquentes visites de son cousin germain dans la ville de Mazères dont il était le maire à l'époque.