Rixe entre un laitier et un agriculteur,
tous deux nommés Goupy (1890)

Un article du journal La Liberté de Seine-et-Oise de juin 1890 relate, sans détails, la bagarre qui a opposé un laitier et un agriculteur tous deux nommés Goupy.

Une rixe a éclaté le vendredi 23 mai dernier entre deux de nos concitoyens portant tous deux le nom de Goupy, mais qui ne sont pas le moins du monde parents, si ce n'est par leurs femmes deux cousines germaines.

Ces deux cousines par alliance se voient d'un mauvais œil depuis fort longtemps et se le prouvent dès que l'occasion se présente. La dernière... rencontre a eu lieu sur le bord d'un champ où travaillait l'un des deux adversaires, au moment où l'autre, laitier revenait de Paris.

Les versions des deux acteurs de cette scène différant du tout au tout, il nous est difficile de raconter ce qui s'est passé. Il est probable d'ailleurs que le juge qui sera appelé à trancher cette question, sera aussi perplexe et tout à fait prévoir une condamnation à peu près égale des deux parties.

Puisse cette solution leur faire comprendre qu'il y aurait avantage à vivre sinon en bonne intelligence, au moins avec des rapports moins vifs.


L'attaque de Villennes par une bande de jeunes (1907)

Le même journal, qui n'affichait plus son qualificatif "Organe Républicain Conservateur et Libéral", relata, en juin 1907, le vandalisme et la série d'agressions d'une bande de jeunes, venue des banlieues parisiennes de Boulogne et de Billancourt.

Une bagarre à Villennes

UN VILLAGE PRIS D'ASSAUT

C'est ainsi que notre grand confrère parisien Le Figaro annonçait, lundi dernier, le récit suivant, qui a une importance trop grande pour que nous en retranchions une seule ligne :

Le charmant village de Villennes que tous les Parisiens connaissent, à 4 kilomètres de Poissy, a été mis hier en révolution par une bande de jeunes gens venus en tapissière de Boulogne et de Billancourt, la Société des "Pas Bileux" comme ils s'intitulent, sous prétexte qu'ils ont coutume de ne pas engendrer la mélancolie et de ne pas "se faire de bile".

Tapissière : voiture aussi appelée petit omnibus
de gare

(voiture légère, ouverte de tous côtés, qui servait principalement aux tapissiers pour transporter des meubles, des tapis, etc., et qu'on employait aussi pour divers autres usages)

Ils étaient une trentaine dont le plus âgé n'avait pas vingt ans, la plupart ouvriers d'automobiles, peintres et mécaniciens.

Le déjeuner payé d'avance au restaurant des Tilleuls, au bord de la Seine, s'était prolongé depuis midi jusqu'à deux heures.  

 

Après déjeuner, la bande remonta dans Villennes et arriva à l'église.

M. le curé, un vieillard, se trouvait devant le portail. Ils l'apostrophèrent, et comme le vénérable prêtre ne leur répondait pas, ils le bousculèrent et pénétrèrent malgré lui dans l'église, où ils s'emparèrent des cierges qui étaient allumés et en chantant simulèrent une procession.

Comme on ne leur opposait aucune résistance, ils quittèrent l'église et se mirent à se pourchasser dans le parc du château, qui vient d'être en partie morcelé, et après avoir visité la grotte, ils escaladèrent les murs et sautèrent sur la route qui mène à la Mairie.  

Comme ils brisaient à coups de pierres les réverbères, un entrepreneur de maçonnerie, M. Lesieur, les invita à cesser leurs jeux. Pour toute réponse, ils le renversèrent et le rouèrent de coups.

M. Lesieur appela à son aide un de ses voisins, M. Durbeck, bijoutier à Paris. Les énergumènes frappèrent au visage ce dernier et le poursuivirent ensuite jusque chez lui, ou Mlle Durbeck, qui voulait s'interposer, fut renversée à son tour.

Les "Pas Bileux" pénétrèrent alors dans le lavoir communal, brisèrent deux portes, cassèrent les boîtes en bois des laveuses.

 

 

Puis, comme ils étaient arrivés devant la Mairie, ils essayèrent d'en escalader les grilles, qui étaient fermées.

Aux aboiements forcenés de deux chiens de garde qui en défendaient l'accès, était accouru M. Richardière, conseiller municipal, remplaçant en ce moment le Maire, M. Cauchoix, et l'adjoint, M. Ladmirault (en fait, M. Lamirault), tous deux en congé.

M. Richardière voulut s'interposer. Cinq individus lui firent payer cher son intervention. Un autre conseiller municipal, M. Derain, horticulteur, était blessé également ainsi qu'un ancien employé du chemin de fer l'Ouest, M. Bajard, un ouvrier peintre, M. Levillain, qui était atteint à la jambe, et un jardinier, M. Paul Rivière, qui recevait force coups de poings au visage.

Le garde-champêtre, M. Godin, se trouvant à ce moment-là dans les champs, un jeune homme, M. Delamotte, courut au automobile chercher à Poissy les gendarmes. Il était porteur d'une réquisition de M. Richardière, conseiller municipal.

Mais, de tous côtés, les habitants de Villennes accouraient à la défense de leurs concitoyens.

Les "Pas Bileux" étaient forcés de rebrousser chemin et de redescendre vers la rivière.

Comme ils cherchaient à pénétrer de vive force dans la boutique de M. Mordacq, marchand de vins-traiteur, ils furent accueillis à coups de revolver. L'un d'eux fut blessé légèrement à la jambe.

La bande reculait, acculée bientôt sous le pont du chemin de fer. Les énergumènes cherchaient à se défendre à coups de tessons de bouteilles.

 

Les habitants de Villennes les harcelaient maintenant. Plusieurs propriétaires s'étaient armés de fusils et tenaient en joue leurs agresseurs qui avaient réussi à rejoindre leur break.

- Vous ne sortirez pas du pays avant l'arrivée des gendarmes, leur notifia M. Richardière. Vous vous êtes conduits comme des bandits. Il faut que nous sachions qui vous êtes.

Mais les cinq chevaux du break, vigoureusement entraînés par leur cocher, partirent au galop sur la route de Poissy.

  Break : sorte de voiture qui avait un siège élevé sur le devant et deux banquettes sur le derrière, dans le sens de la longueur et se faisant face.

A ce moment, arrivaient deux gendarmes qui ne réussirent à appréhender que cinq des fugitifs.

Amenés à la Mairie, ceux-ci ont déclaré qu'ils "n'avaient rien fait que s'amuser" et que "s'ils avaient frappé plusieurs habitants, c'est que ceux-ci les avaient attaqués". Ils ont donné leurs noms et leurs adresses à Boulogne-sur-Seine et ont été laissés en liberté.

Dans la soirée, le maréchal des logis de gendarmerie de Poissy est venu à Villennes compléter son enquête. Il a entendu plus de cinquante témoins.

- Ces jeunes gens, nous a-t-il déclaré, étaient ivres la plupart. Ils seront poursuivis en correctionnelle pour coups et blessures.

Ajoutons que cette journée "mouvementée" faisait hier soir l'objet de toutes les conversations à Villennes, où, à onze heures, contrairement à l'habitude du pays, tous les cafés étaient restés ouverts et les habitants y faisaient force commentaires.

- Cette équipée, nous a déclaré le garde champêtre, M. Godin, a coûté fort cher au pays. Les Parisiens qui passaient ici leur dimanche sont tous repartis, apeurés, par le train de cinq heures et demie.

Cette bande qui a terrorisé les Villennois pendant quelques heures était certainement un groupe de jeunes ouvriers des usines Renault ; ils avaient bu un peu trop de vin au cours de leur déjeuner, en bord de Seine, au restaurant des Tilleuls. Celui-ci disposait peut-être encore de bouteilles de vin des coteaux de Villennes ...

Plainte du Président du Syndicat d'Initiative contre l'Adjoint au maire et ses moutons (1911)

Cette plainte a été déposée, en 1911, par Léon Francq, propriétaire de la villa Le Manoir.

Un conflit l'opposait à un futur maire, Eugène Lamiraux, alors adjoint :

les moutons de cet agriculteur avaient causé d'importants dégâts à la clôture de sa propriété, le long de la sente des Petits Groux ...

 


 

Voici la transcription de ce courrier envoyé au préfet, à propos de cette plainte, par le maire Henry Cauchoix.

Le Maire de Villennes-sur-Seine ne peut que confirmer la plainte ci-jointe de M. Francq, propriétaire en cette commune, et la copie du constat y annexé concernant le tort que cause, partout où il passe, le troupeau de moutons appartenant à M. Lamiraux, Adjoint.

L'exploitation agricole de M. Lamiraux (moins de 15 ha) n'est pas assez importante pour lui permettre de nourrir un troupeau de 150 à 200 têtes, et ces bêtes souvent mal gardées causent réellement des dégâts sur les terres d'autrui où elles passent, et soulèvent un mécontentement général contre le propriétaire.

M. Lamiraux ne doit pas ignorer cet état d'esprit de la population à son égard.

Je suis décidé à prendre, pour faire cesser cet état de choses, la mesure administrative que Monsieur le Préfet voudra bien m'indiquer.


 

Le préfet a, en effet, été alerté sur ce sujet par le courrier que lui a adressé Léon Francq.

Monsieur le Préfet,

J'ai l'honneur de vous adresser sous ce pli, la copie d'un constat dressé par le garde-champêtre de Villennes, duquel il résulte que le sieur Lamiraux Eugène, conseiller municipal de Villennes sur Seine, a causé à ma propriété des dégâts importants.

Je vous signale ce fait, Monsieur le Préfet, pour vous informer que le Conseiller sus nommé, abuse singulièrement de sa situation quand, au mépris du droit des tiers, il laisse circuler un troupeau de moutons, mal gardé, qui constitue une cause de dévastation dans le pays en soulevant, me semble-t-il, l'attention de la gendarmerie.

Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma considération distinguée.

Le constat du garde-champêtre Alfred Gaudin apporte des précisions :

L'an mil neuf cent onze, le dix-huit du mois d'octobre, à huit heures du matin,
Je soussigné Gaudin Alfred, agent de police municipale de Villennes sur Seine assermenté, revêtu de mes insignes ai constaté les faits suivants :
Sur la réquisition de Monsieur Francq, propriétaire à Villennes sur Seine, je me suis rendu en haut de la propriété de Monsieur Francq qui est close d'un treillage en fil de fer galvanisé, cette clôture étant garnie de lierre aboutissant sur une sente, nommée les Groues sur le territoire de Villennes. Donc, le lundi seize octobre, vers deux heures de l'après-midi, le berger de Monsieur Lamireaux Eugène, cultivateur, demeurant à Villennes, a fait manger le lierre par ses moutons. D'une part, sur une longueur de dix mètres soixante dix sur un mètre quarante-huit de haut. D'autre part, sur une longueur de sept mètres cinquante-cinq sur un mètre de haut.
En conséquence, j'ai délivré le présent constat contre Monsieur Lamireaux Eugène, demeurant à Villennes sur Seine.

 

Pour une fois, le train pour Villennes partit à l'heure :
15 jours de prison pour un voyageur qui s'est fortement énervé après l'avoir manqué (1911)

Ce jugement de la 11e chambre du Tribunal correctionnel a été publié par Le Figaro, le 21 novembre 1911.

Le voyageur de l'Ouest-Etat

M. Châlon, ancien avocat à la Cour de Paris, a un malheur dans son existence : il habite la campagne et voyage sur l'Ouest-Etat. Tous les soirs de l'été dernier il prenait son train pour Villennes et le train avait pris, lui, l'habitude d'avoir cinq, dix, quinze minutes de retard et plus.

La coutume souvent fait loi, songeait M. Châlon qui avait étudié nos codes, et pour arriver à la gare Saint-Lazare il se fiait au retard normal, prévu, ordinaire, du train de Villennes, ce retard auquel il croyait avoir droit.  

Or un jour le train fut inexact, il partit à l'heure, cette fois, et M. Châlon le manqua. Le voyageur réclame, proteste, crie : la foule s'amasse, chefs et sous-chefs accourent. Le public approuve M. Châlon. Tout le monde crie ; et bientôt, sur les quais de la gare Saint-Lazare, c'est une petite émeute. Mais M. Châlon surexcité a frappé le sous-chef de gare ; on l'a arrêté, malgré sa vive résistance, et le voici en correctionnelle poursuivi pour « outrages et violences ».

L'Ouest-Etat s'était porté partie civile et réclamait la condamnation de M. Châlon à un franc de dommages-intérêts et à cent affiches publiant la sentence pour le placarder dans les gares et servir d'exemple aux voyageurs de la Compagnie.

Le jugement du Tribunal fut sévère pour l'Ouest-Etat :
Attendu qu'il n'est pas suffisamment établi que la légère voie de fait sur la personne du sous-chef de gare ait été la cause directe de l'effervescence qui s'est produite dans le public et qui a dégénéré en désordre, troublant l'exploitation du chemin de fer;
Attendu que d'après les conclusions de la partie civile, il y avait une foule de voyageurs énervés; attendu en effet que l'altercation, l'arrestation qui en a été la suite et la résistance de Châlon à son arrestation paraissent avoir été non pas la cause, mais simplement l'occasion d'une manifestation tumultueuse regrettable qui semble avoir été provoquée bien plutôt par le mécontentement légitime que les voyageurs éprouvaient en constatant trop souvent l'irrégularité dans le départ ou l'arrivée des trains et la presque impossibilité pour eux d'obtenir par les voies légales une réparation du préjudice résultant des défectuosités de l'exploitation...

- J'ai gagné ! aurait pu s'écrier M. Châlon, comme Figaro, en écoutant le jugement de son procès contre Marceline. Pas du tout il ne s'agit que des affiches réclamées par l'Ouest-Etat : M. Châlon a perdu.

- Attendu que dans ces circonstances, il n'y a pas lieu d'ordonner comme supplément de dommages-intérêt l'affichage du présent jugement.

Et comme M. Châlon s'est livré à une voie de fait contre le sous-chef de gare, et bien que le jugement la qualifie de « légère » et se montre dur pour les services de la Compagnie, on condamne le voyageur de l'Ouest-Etat, et même très sévèrement : quinze jours de prison sont infligés à M. Châlon, et la Compagnie obtient un franc de dommages-intérêts.

Les voleurs d'objets d'art se cachaient à Villennes (1912)

Dans son édition du 13 avril 1912, Le Figaro relate une arrestation à Villennes.

Le chef de la bande de cambrioleurs a pu s'échapper.

 

 

Le journal Le Matin, apporte des précisions et donne l'adresse villennoise des malfaiteurs :

ils étaient logés par M. Montclair, dont l'épicerie-débit de boissons est devenue le Restaurant des Marronniers puis l'Auberge de l'Ile-de-France.


Le journal Le Gaulois précise, le 15 avril, que René Ferrand s'était réfugié dans la carrière du Bois des Falaises.

 

Les dévaliseurs d'églises et de musées

Ils auraient volé pour un million d'objets précieux

Le chef de la bande des dévaliseurs d'églises et de musées, René Ferrand, le pseudo-Chatelier, qui, réfugié à Villennes-sur-Seine, glissa entre les mains des policiers dans les conditions que nous avons relatées hier, est toujours en fuite. Son signalement a été envoyé dans toutes les directions. Certains renseignements, recueillis à Villennes, auprès de différentes personnes qui aperçurent Ferrand et son amie fuyant dans la direction du bois des Falaises, font supposer que l'habile "rat" de musées et d'églises a dû se cacher dans une immense carrière voisine de ce bois, et qu'il a ensuite profité de la nuit pour s'enfuir à travers la campagne.
Les seules photographies que la Sûreté possède de Ferrand remontent à plusieurs années, et le représentent avec toute sa barbe. Depuis quelque temps déjà, Ferrand ne porte plus qu'une moustache noire, longue et bien fournie. Mais il est très probable que se sachant recherché, il aura changé la taille de sa moustache, au moyen de petits ciseaux qu'il porte toujours sur lui. D'autre part, le fuyard est en possession d'un portefeuille bien garni, et cet argent lui permettra de se dérober encore plus facilement aux recherches de la police.
La Sûreté générale a établi que René Ferrand est le chef d'une bande de voleurs habiles et fins connaisseurs, qui opèrent aussi bien en France qu'à l'étranger. Cette association a réussi, affirme-t-on, à s'emparer puis à négocier de bibelots fort anciens, estimés à près d'un million. La bande comprend des antiquaires receleurs et des collectionneurs peu scrupuleux, qui font actuellement l'objet d'une discrète surveillance.

Une vocation

René Ferrand, de par ses connaissances assez grandes en antiquités de toutes sortes, était tout, désigné pour indiquer les beaux coups à faire, en diriger l'exécution et pour placer les produits des vols.
Depuis sa sortie d'un établissement de Bruxelles où il fit ses études, Ferrand eut une vie très mouvementée. Le négoce des objets anciens l'attira et il entra alors comme employé chez un antiquaire de Cologne.
On met à son actif de nombreux vols pour lesquels il n'a jamais pu être arrêté ni condamné. Les plus récents sont ceux commis à l'église de Stavelot (Belgique), aux musées de Reims et de Nevers. On a établi que, pour ses débuts, Ferrand déroba à Xantea (Province rhénane) une tapisserie de vieux gobelins qu'il vendit à Bruxelles. Du reste la capitale de la Belgique semble être le quartier général de la bande des "rats" d'église et de musées.

Dans la famille de Ferrand

Comme nous l'avons dit, René Ferrand, appartient à une famille honorable et fort connue. Ses méfaits plongent les siens dans la plus profonde tristesse. Son père, M. Stanislas Ferrand, ancien député, directeur du journal le Bâtiment, affecté par le bruit fait autour de son nom, nous disait hier :
- Il m'est impossible de donner le moindre renseignement sur l'existence de mon fils. Je ne l'avais pas revu depuis plus de quinze ans, lorsqu'il apparut un jour brusquement et déposa dans mes bureaux, en se gardant de dire ce qu'elle contenait, la caisse dans laquelle on retrouva plus tard les statuettes dérobées à Stavelot. Mon fils demeura à Paris pendant quelques semaines, puis il disparut et je n'entendis plus parler de lui, hélas que par les journaux. Je suis, en ce qui concerne les méfaits qu'on lui reproche, le moins renseigné des hommes. Il m'est difficile de croire que mon fils René ait commis des vols. Ces histoires ont sans doute été exagérées mais après tout elles peuvent être véridiques. Je ne sais rien, rien.

 

LE BUTIN DE LA BANDE FERRAND

1. et 2. Navette à encens et urne (vieux Chine cloi- sonné du XVe siècle).
3. Portrait d'un cardinal (sur cuivre, du XVIe siècle).
4. Bobèche (terre lorraine).
5. Plat (vieux Chine cloisonné du XVe siècle).
6. Chandelier (argent).
7. Tasse (vieux Sèvres).
8. Chandelier (argent plaqué Louis XVI).
9. Plat à barbe (faïence vieux Nîmes ou Nevers).

Dans son édition du 13 avril 1912, le Journal des débats politiques et littéraires récapitule les différents vols commis par cet antiquaire-cambrioleur, après l'arrestation de sa compagne et complice ; ils étaient hébergées par une épicière villennoise.

Les voleurs de musées

Germaine Pigard, la maîtresse de René Ferrand, arrêtée mercredi à Villennes-sur-Seine, a été transférée à Reims où elle a été interrogée sur le vol de la bonbonnière commis le 27 février dans le musée de cette ville.
Germaine Pigard a avoué que, terrorisée par René Ferrand, et sous sa domination, elle collabora au vol avec lui et Chauveau. Tous trois étaient arrivés de Paris la nuit précédente. Elle visita le musée en même temps que les deux jeunes hommes en paraissant ne pas les connaître. Tandis que ceux-ci opéraient, elle détourna l'attention des gardiens en demandant de visiter la galerie des porcelaines et en sollicitant maintes explications. Tous trois rentrèrent ensuite immédiatement à Paris.
Germaine Pigard a avoué avoir aidé de la même manière René Ferrand dans divers vols, notamment pour le vol d'une pendule au musée d'Evreux et de tapisseries au musée de Carcassonne.
L'enquête ouverte sur le passé de René Ferrand le présente comme un bandit international de grande envergure, qui n'opérait pas seulement en France.
Après avoir reçu une bonne éducation dans un collège de Bruxelles, il fut placé chez un antiquaire de Cologne ; mais très vite il se dévoya, trouvant que le travail honnête ne rendait pas assez. Il se spécialisa dans le genre de vols auquel l'avaient préparé ses connaissances en art ancien.
Nous avons raconté en détail en novembre son vol à l'église de Stavolot, près de Liège, de deux statuettes de Saint-Paul et de Saint-Sauveur, retrouvées chez M. Ferrand père, rue Saint-Georges. Quelques jours après, René Ferrand et son complice Chauveau volaient dans la cathédrale de Xanten (Allemagne) deux tapisseries anciennes d'un très grand prix portant la date de 1574 et représentant l'une "Esther devant Assuerus" et l'autre "Abigael devant Daniel".
Le lendemain du vol, avant qu'il ait pu être signalé aux antiquaires des différents pays, René Ferrand vendait ces deux tapisseries à M. Vonhove, antiquaire à Bruxelles, 6, place Royale, pour une somme de 3.000 fr., et il lui fournissait comme sienne l'adresse d'un de ses frères employé à l'Hôtel de Ville de Paris, 39, rue Gracieuse.
A cette époque, René Ferrand habitait avec une jeune femme à Aix-la-Chapelle où, sous le nom de Mme René Ferrand, celle-ci est encore établie actuellement couturière pour dames. Bien avant le vol de Stavelot, qui remonte au 20 janvier dernier, il y a cinq ans René Ferrand fut poursuivi devant le tribunal de Maestricht en Hollande pour un vol de deux groupes gothiques d'une très grande valeur dans l'église de Gemmenich (Belgique), aux confins des frontières hollandaise et allemande.
Ferrand prétendit avoir acheté ces groupes au père d'une des ouvrières de sa compagne d'Aix-la-Chapelle - comme Ferrand était citoyen genevois et que le vol avait été commis en Belgique il fut renvoyé et les deux groupes gothiques lui furent même restitués.
A cette époque René Ferrand habitait à Vaals, en Hollande, non loin de Gemmenich. Sa maison était un véritable musée. Il y tenait commerce d'antiquités, en possédant un choix précieux.
Au cours des six dernières années, René Ferrand posséda encore d'autres domiciles à Amsterdam et à Bruxelles. Pendant son séjour à Vaals, localité choisie à dessein sur trois frontières pour pouvoir fuir à la première alerte, René Ferrand avait encore commis d'autres vols dans les églises de Limerlé et Sainchateau avec Chauveau, qui travaillait avec lui dès cette époque (été 1910). Chauveau fut arrêté et condamné par le tribunal de Marche. René Ferrand échappa aux poursuites.
Il semble que René Ferrand et ses acolytes ne se soient rabattus sur la France que quand ils ont été complètement "brûlés" en Belgique, en Hollande et en Allemagne.

Des précisions sont apportées le lendemain, sur les objets d'art retrouvés chez M. et Mme Monclerc à Villennes et la traque de René Ferrand par un inspecteur de police, qui a dormi dans son lit pour l'attendre ...

Nous avons dit hier quelle piste intéressante la Sûreté générale avait trouvée quant aux dévaliseurs systématiques des objets d'art de nos églises et de nos musées.
Voici la liste des objets d'art volés retrouvés au cours de la perquisition faite dans la chambre de René Ferrand à Villennes-sur-Seine :
1° Objets provenant du musée de Nevers.
– Une plaque en faïence de Moustiers, représentant le Jugement de Pâris ; une deuxième plaque représentant le Sacrifice de la Génisse substituée à Iphigénie ; deux assiettes en faïence de Delphes ; une assiette de la fabrique de Sceaux, représentant une Scène champêtre ; un plat en faïence bleue de Rhodes.
2° Objets volés dans d'autres musées ou églises, non encore fixés.
– Une urne en vieux chiné cloisonné du quinzième siècle ; une navette à encens du quinzième siècle ; un plat du quinzième siècle ; un plat à barbe en vieille faïence de Nîmes ; deux candélabres Louis XVI en argent ; une bobèche en terre de Lorraine ; une tasse ancienne en porcelaine de Sèvres ; une peinture sur cuivre représentant un cardinal.

On a trouvé en outre dans la même malle d'osier qui renfermait ces richesses des fausses clefs, une lampe électrique, un tranchet, un rasoir, un diamant de vitrier, un tournevis, de la cire à empreinte, des Guides Joanne et Conty.

Le séjour de René Ferrand à Villennes et la stupéfaction des habitants de la localité quand ils apprirent que celui-ci était un cambrioleur, constitue une histoire pittoresque. Il y a un mois René Ferrand débarquait avec son amie Germaine Figard à Villennes. Ils avaient l'air d'honnêtes bourgeois. M. et Mme Léon Chatelier (ainsi se faisaient-ils appeler) conquirent très vite de nombreuses sympathies. Ils étaient si polis, si distingués, si complaisants. Leur hôtelière, Mme Monclerc, ayant voulu tapisser sa salle à manger et ayant acheté les étoffes nécessaires, Léon Chatelier s'offrit à les poser lui-même pour lui éviter les frais d'un tapissier, et il s'acquitta fort bien de sa tâche.

Voulant passer tout l'été à Villennes, qui a le grand mérite de ne point posséder de gendarmerie ni de commissariat de police, le pseudo Léon Chatelier loua, il y a quelques jours, une villa à un habitant, du pays. « Je me félicitais d'avoir trouvé des locataires aussi convenables, nous disait, hier, celui-ci, M. Théolier, nous qui avons affaire à tant de faux ménages. Les toilettes élégantes de la jeune femme n'étaient pas tapageuses. »

Quand, mercredi, vers quatre heures, trois inspecteurs se présentèrent à l'épicerie-hôtel-pension de Mme Monclerc, où le jeune couple habitait encore, temporairement, Mme Monclerc n'imaginait pas un seul instant que le Chatelier que ceux-ci recherchaient pouvait être son locataire. Mais René Ferrand, qui se trouvait dans la pièce, avait, lui, fort bien compris. Il remonta chercher son portefeuille dans sa chambre et, tête nue, en pantoufles, il sortit fort posément, en demandant pardon aux inspecteurs qu'il dérangea au passage.

Ceux-ci n'eurent quelques soupçons qu'en voyant une jeune femme sortir cinq minutes après de la même manière. « Quelle est donc cette dame ? » demandèrent-ils. On les renseigna. Ils s'élancèrent à sa poursuite et la rattrapèrent. Mais René Ferrand, lui était déjà loin.

C'est en vain qu'un des inspecteurs, restant à Villennes, coucha dans le propre lit du cambrioleur, dans l'espoir qu'il reviendrait chercher ses trésors volés. René Ferrand ne revint pas. Cet ancien champion des 100 mètres de la course à pied (il s'en était vanté du moins à Villennes) court encore.


Les trois cambrioleurs furent jugés en juillet 1913 pour leur vol, en janvier 1912 au musée de Reims, d'une boîte à mouches offerte à la ville de Reims par Louis XVI le jour de son sacre.

La Cour d'assises de la Marne condamna Jean Chauveau et Germaine Pigard, respectivement à cinq ans de travaux forcés et à deux ans de prison.

René Ferrand, le chef de la bande, qui avait réussi à échapper à toutes les poursuites, fut condamné par contumace à la peine de vingt années de travaux forcés.

 

Un roman d'Emile Zola ?
L'exécution d'un militaire, suite à une partie de canotage, sur la Seine, tragique (1917)

 

Le Figaro annonce, dans son numéro du 22 mai 1917, une mystérieuse noyade familiale sur la Seine, près de Villennes, où un couple et ses deux enfants avaient loué un canot.


Robert Milangois avoue avoir poussé son épouse et ses enfants à l'eau, avant de se rétracter.

 

Le 4 septembre, le quotidien relate le procès, avec de nombreux détails.

Gazette des Tribunaux
CONSEIL DE GUERRE DE PARIS (3e) : Le cas de l'adjudant Milangois.

"L'adjudant Robert Milangois a-t-il lu Thérèse Raquin, d'Emile Zola ? Peut-être. En tout cas, il a transporté dans la vie réelle ce sombre drame et il a trouvé moyen de dépasser l'horreur du modèle". Cette phrase se trouve dans le curieux rapport que le capitaine Bouchardon a fait sur le cas de l'adjudant Milangois, poursuivi devant le 3e Conseil de guerre de Paris sous l'accusation d'un triple assassinat, sur sa femme, sa fillette et son garçonnet.

L'histoire du ménage Milangois a débuté banalement. Le 24 avril 1909, M. Robert Milangois, dessinateur au chemin de fer de l'Etat, épousait sa cousine, Mlle Yvonne Prignez, fille d'un chef de bureau en retraite à la même Compagnie des chemins de l'Etat. « Je n'ai jamais eu de lune de miel », dira plus tard Mme Milangois, dans une lettre à sa parente, Mme Leplat. En effet, dès les premiers jours du mariage, le dessinateur se montra violent, autoritaire et dissimulé. La naissance de deux enfants, Gaston et Odette, loin d'humaniser cette nature fruste et compliquée ne fit qu'en accentuer les défauts. Médiocre mari, M. Milangois devint rapidement mauvais père. Il se détacha des siens, brutalisant sa femme, frappant violemment ses enfants, pour des motifs futiles, et leur inspirant une véritable terreur. Mobilisé le 3 août 1914 et nommé adjudant quelques mois plus tard, M. Milangois est bientôt détaché à l'usine Bellanger, route de la Révolte, à Neuilly-sur-Seine, comme contrôleur de fabrication d'artillerie. Là, il s'éprend follement d'une aide-contrôleuse, Mlle Germaine Perlay, âgée de vingt et un ans, c'est-à-dire plus jeune que lui de douze années. La jeune fille, tout en lui permettant nombre de privautés, se refusa à devenir sa maîtresse.
- Tu n'es pas libre, répondait-elle à ses sollicitations.
Exaspéré, M. Milangois rentrait au logis conjugal plein de colère. Aussi, dans des lettres à des parentes et à des amies, la femme de l'adjudant ne pouvait-elle s'empêcher de crier sa douleur :
... Pour mes petits, écrivait-elle, je reste. Une larme, Robert ne l'a pas eue. Un mot de reproche, il ne l'a pas entendu. Très doucement, pendant une heure, avec un calme que je ne connaissais pas, j'ai dit simplement ce que j'avais à dire...
Dans une autre lettre
Afin de continuer à vivre pour mes petits, il faut que je m'éloigne. Pour moi, ma vie est finie. Mon mari, que j'aimais tant, est mort pour moi et j'envie celles qui ont perdu le leur au champ d'honneur.
Ailleurs
Robert est tellement dur et injuste que je me demande s'il n'est pas devenu fou. Cette fille, avec laquelle il travaille, l'a complètement détaché de nous. Pour moi, cela m'est égal, je n'attends plus rien de la vie. Mais j'ai des enfants, et quoi qu'il arrive, je ferai tout pour qu'ils ne souffrent pas. Ailleurs encore
J'ai tant souffert et mes enfants ont tellement besoin de leur mère qu'il faut que je reprenne du courage. En deux mots depuis plusieurs mois, Robert devenait dur et injuste, malgré toute ma patience. Finalement, il ne passait plus qu'un dimanche sur dix, avec nous. Il n'y a qu'à regarder la vie en face et à ne plus lui demander ce qu'elle ne peut donner. Je ne suis pas encore la plus malheureuse. Il y a tellement d'autres souffrances, en ce moment.

Le 3 mai, M. Milangois conduisit sa femme et ses enfants à Villennes pour y faire une partie de bateau. Le soir, il rentrait seul à son domicile, et, le lendemain, il racontait que « sa femme l'avait quitté pour aller, avec les enfants, chez ses parents aux Mureaux. Mais elle reviendra. Je lui ai acheté une bouteille de vin fortifiant qu'elle trouvera à son retour. » Les jours passaient sans que s'effectuât le retour annoncé de Mme Milangois et de ses enfants. Le 13 mai, l'adjudant expédie, à destination des Mureaux, une grande malle contenant du linge et des vêtements pour sa femme et ses enfants. « Il ne faut pas, écrit-il, que des êtres qui lui sont chers puissent manquer de quelque chose.» Mais, aux Mureaux, ses beaux-parents manifestent de l'inquiétude. Il leur fait savoir alors, qu'au cours d'une promenade en bateau sur la Seine, il a eu une discussion, provoquée par la jalousie de sa femme, et qu'il s'en est allé les laissant tous trois dans le bateau.

Je suis tout bouleversé, déclare-t-il, d'apprendre qu'ils ne sont pas encore arrivés chez vous. Je vais faire des recherches et m'adresser à une police privée. J'espère ainsi, en quarante-huit heures, avoir un résultat. Dans notre appartement, je range et je nettoie. Car il me semble, à tous moments, que ma femme va rentrer.

Entre le 9 et le 17 mai, les cadavres de Mme Milangois et de ses deux enfants sont retrouvés dans la Seine. Le 21 mai, il se rend chez le juge d'instruction de Versailles, chargé d'informer contre X..., et lui raconte que le 3 mai, au cours de la promenade en bateau, sa femme, ses deux enfants et lui, assis sur le bateau plat qu'ils avaient loué, prenaient un bain de pied dans la Seine, quand une discussion provoquée par la jalousie de Mme Milangois, s'éleva entre eux. Brusquement, sur une parole blessante de sa femme, il s'était levé et « dans un mouvement de folie, par une simple poussée, facilitée par le déséquilibre du bateau, il avait jeté à la fois sa femme et ses enfants dans l'eau.» Le courant, ajouta-t-il, les emporta et je les vis plonger et disparaître avant même que j'aie pu songer à essayer de les repêcher et de les sauver. Ils poussèrent quelques cris étouffés. Je restai quelques instants comme hébété, puis je regagnai la rive, en prenant leurs bas et leurs souliers.

Hier, devant le 3e Conseil de guerre, que présidait M. le colonel Sampron, Milangois a présenté une autre version. Il n'a pas, a-t-il dit, jeté sa femme et ses enfants dans la Seine, mais le mouvement du bateau, par le fait qu'il se leva brusquement, provoqua la chute dans l'eau de Mme Milangois et de ses deux enfants. L'accusé, dont la figure est dure et méchante, parle d'une voix rauque, entrecoupée de bruyants sanglots.
- Je n'ai jamais, dit-il, voulu jeter ma femme et mes enfants dans la Seine. J'ai fait un simple geste.
Le président. - Un simple geste ne suffit pas pour faire tomber trois personnes à l'eau.
L'accusé. - C'est le mouvement du bateau. Moi-même, pour ne pas tomber dans la Seine, j'ai été forcé de me cramponner. Ma femme et mes enfants ont disparu. J'ai pris une rame, j'ai détaché la barque, mais ma femme et mes enfants étaient loin. Il était trop tard. Désespéré, je suis parti, affolé, et j'ai forgé une histoire.
Le commissaire du gouvernement. - Pourquoi n'avez-vous pas appelé au secours, crié, hurlé, que sais-je, fait, en un mot, ce que l'on fait en un pareil moment ?
L'accusé. - Je ne pouvais plus parler.
Le commissaire du gouvernement. - Il fallait vous jeter à l'eau.
L'accusé. - Mais je ne sais pas nager.
Le commissaire du gouvernement. - Qu'importe ! En pareille circonstance, pour tenter de sauver ceux qui vous sont chers, on se précipite à leur secours, dût-on se noyer.
L'accusé. - Je ne sais pas nager
Le commissaire du gouvernement. - Un honnête homme se serait jeté à l'eau.

Parmi les dépositions des témoins, à signaler celle de Mlle Germaine Perlay, âgée de vingt et un ans. Il n'y a jamais eu, dit la jeune fille, qu'un simple flirt entre nous. A raison de sa violence, il me faisait peur. Je ne croyais pas qu'il m'épouserait. Du reste, la vie commune avec lui m'aurait effrayée.

Aujourd'hui, audition de deux derniers témoins, réquisitoire du commissaire du gouvernement Mornet et plaidoirie de Me Edmond Bloch.

Le 31 mai et le 6 décembre suivant, ce même journal relate la suite et l'épilogue de cette affaire.

L'autorité militaire a été assez expéditive ...

 

La mort romanesque du faux marquis de Champaubert, victime de sa dernière escroquerie, préparée à Villennes (1929)

Macabre découverte !
 

 

Le "complice" est arrêté dans une maison de l'avenue du Maréchal Foch à Villennes.

Clément Passal dit Marquis de Champaubert, dans la caisse avec le tuyau d'aération :

 

 

 

 

[photographie de presse] / Agence Meurisse

 

Clément Passal, le "Marquis de Champaubert"

En dessous, son profil, d'après une photographie anthropométrique

 

Le fantastique passé du pseudo-marquis

Parmi les escrocs de haut vol qui défrayèrent, ces dernières années la chronique, il n'y en a pas de plus pittoresque, de plus imaginatif que le pseudo-marquis Elie de Champaubert.
Sa véritable identité est Joseph-Eugène-Clément Passal, né le 29 septembre 1892, à Saint-Denis (Seine) mais, pour la commodité de ses coupables opérations, il s'affubla des noms les plus divers, voire les plus aristocratiques. Tour à tour Gabriel Gouraud à Nantes, J.-M. Patte à Lille, William Gratner au Havre, Henri de Vaudrevy à la Bourboule, André Simonin à Paris, il prend le pseudonyme ronflant de marquis Elie de Champaubert à Saint-Malo, pour préparer la coup qui lui semble le plus fructueux, et qui le fera heureusement arrêter.
C'est en 1922 qu'il se manifeste à Nantes pour la première fois. Sous le nom de Gabriel Gouraud, il "se tait la main" en pratiquant l'escroquerie aux autos. En janvier 1924, le voilà à Lille. Il s'appelle J.-M. Patte et s'est mué en directeur d'une firme importante. Il achète 155.000 francs de bijoux et les paie avec des chèques sans provision. De là, il va au Havre, il est maintenant William Gratner, puis à la Bourboule. En septembre 1924, une demi-douzaine de joailliers parisiens recevaient d'un certain marquis Elie de Champaubert - une nouvelle incarnation de l'escroc - en villégiature au castel du Prieuré, près de Dinard, une lettre les convoquant à son château pour lui soumettre, à l'intention de la marquise, qui venait d'effeuiller son trente-quatrième printemps, quelque collier ou rivière de diamants de 800.000 francs et un bracelet de 300.000. Une bagatelle !
Arrêté pour port illégal de la Légion d'honneur, il déclara se nommer André Simenin, être âgé de 32 ans et exercer la profession d'éleveur de pigeons

Dans son castel du Prieuré, où une perquisition amena la police, on découvrit avec surprise une chambre matelassée, aménagée en coupe-gorge le plus moderne, pourvue d'un appareil à chloroformer, et destinée à réduire à l'impuissance les malheureux bijoutiers qui s'y seraient aventurés.
La prise était donc excellente. En même temps que le faux marquis, la police arrêta sa femme légitime, Georgette Misery, à qui, pour la réception des joailliers, était dévolu le rôle de soubrette. Quant à celle qui devait jouer le personnage de la marquise, c'était une jeune et jolie femme qui se faisait appeler Gisèle de Gisors, mais qui, en réalité, se nommait Marie-Louise Noirait.
Le faux marquis de Champaubert eut à répondre de ses méfaits devant plusieurs tribunaux correctionnels. Il fut successivement condamné : à Saint-Malo, à 2 ans de prison et 50 francs d'amende ; à Nantes, à 4 ans de prison et 100 francs d'amende ; au Havre, à 2 ans de prison ; à Lille, à 5 ans de prison et 3.000 francs d'amende. Toutes ces peines ayant été confondues, Clément Passal était sorti de prison il y a deux mois.

Extrait d'un article du journal Le Matin du 5 octobre 1929


Nous publions cette histoire très rocambolesque, bien qu'elle puisse être jugée anecdotique.

A toute époque, des escrocs ont fait parler d'eux. Ils font partie de la vie passée.

Le journal Le Matin, qui a été directement impliqué, ayant reçu les communiqués de l'escroc, signés "Chevaliers de Thémis", la relate d'une manière très complète. Nous reproduisons intégralement son long article du 6 octobre 1929, qui fut suivi d'autres ...

 

LE ROMAN DE L'ENTERRE VIVANT

Celui qui fut le pseudo-marquis de Champaubert a bien été victime de la machination qu'il avait organisée pour faire à nouveau parler de lui

Un comparse a raconté hier aux policiers comment Passal avait construit de ses propres mains le cercueil dans lequel on devait le trouver asphyxié.   Le futur enterré avait dans une villa de Villennes, louée pour la circonstance, procédé à une "répétition générale" qui lui avait donné pleine satisfaction.

Les ténèbres qui enveloppaient la fin tragique de l'enterré vivant du bois de la Justice se sont, soudain, dissipées au cours de la journée d'hier. L'effarant imbroglio est dénoué. On connaît, à l'heure actuelle, au moins dans leurs détails essentiels, les circonstances de l'étrange épisode qui clôtura l'existence de l'un des plus extraordinaires aventuriers des temps modernes. Avec une rapidité et une clairvoyance dignes de tous éloges, M. Ducloux, contrôleur général des recherches de la Sûreté générale, le commissaire Bayard, M. Gabrielli, chef de la 1re brigade mobile, et leurs collaborateurs ont mené à bien une tâche qui se présentait hérissée de difficultés multiples.

Se frayant un passage à travers le fantasmagorique glacis que constituait un fatras de documents rocambolesques, ils ont, à la clarté de la simple logique, trouvé la clef de l'énigme. Clément Passal, l'ex-pseudo-marquis de Champaubert n'a point été victime d'une association occulte de justiciers. Les Chevaliers de Thémis n'étaient qu'un mythe enfanté par une imagination dont il entretenait la fécondité à l'aide de lectures appropriées. II n'est pas mort exécuté par un impitoyable tribunal, mais a succombé au cours d'un nouvel essai de mystification qu'il avait machiné avec quelques complices.

Les exemples ne manquent point de malheureux qui, simulant une pendaison, se pendent effectivement sans l'avoir voulu. Clément Passal avait imaginé comme moyens de lancement aux mémoires de sa vie de chevalier d'industrie, de se faire enterrer vivant. Il avait mal calculé son affaire, et n'est pas sorti vivant de son tombeau.

Le dénouement de cette enquête ne nous surprend point. Il justifie le scepticisme avec lequel nous avions accueilli le roman aux multiples chapitres que nous envoyait, épisode par épisode, le chef anonyme de la mystique association et la circonspection qui dicta notre conduite dans cette affaire.

L'hypothèse de la mystification nous avait semblé la seule vraiment plausible, dès le premier examen de cet amas de matériaux romanesques malhabilement assemblés. Telle allait être également l'impression des policiers lorsqu'ils eurent connaissance du dossier tapé à la machine à écrire, dont les "Chevaliers de Thémis" par un privilège que nous n'avions point sollicité, nous avaient fait les destinataires et qu'un commissaire de la Sûreté générale, muni d'une commission rogatoire de M. Roussel, juge d'instruction à Pontoise, vint chercher hier au Matin.

La première préoccupation des policiers avait été de recueillir les témoignages des personnes qui s'étaient trouvées en relations avec Clément Passal, dans la période qui avait précédé sa fin tragique. Aussi bien deux de celles-ci avaient-elles reçu elles-mêmes des lettres leur enjoignant de venir au secours de l'enterré vivant, et pris part aux démarches faites en vue de le délivrer.

Il s'agissait de MM. Pierre Durot, marchand forain, 11, rue du, Maréchal-Gallieni, à Elbeuf, et Félix Bachelet, épicier à Saint-Aubin-Jouxte-Boulleng (Seine-Inférieure). Ces deux témoins, accompagnés par M. Micheli, commissaire de la brigade mobile de Rouen, débarquaient hier à Paris par le train de midi, et étaient aussitôt conduits au bureau de M. Bayard, où commençait leur audition.

Ces auditions, qui se poursuivirent en présence de M. Gabrielli, chef de la brigade mobile, apportèrent aux policiers de précieuses indications. Il se trouva avéré ainsi que Clément Passal avait confié en partie au moins, ses projets à diverses personnes, entre autres à son ami Durot, ainsi que le prouvait une lettre fort explicite que Passal avait adressée à ce dernier et dont on lira le texte plus loin. Elles démontrèrent, en outre, que Passal avait été aidé, dans l'exécution de la rocambolesque machination qui devait finir aussi mal pour lui, notamment par un certain Henri Boulogne, personnage qui apparaissait ainsi, pour la première fois, dans cette affaire, et y avait joué un rôle de tout premier plan comme il l'expliqua lui-même, on va !e voir.

Les enquêteurs apprirent en outre l'existence d'une villa sise à Villennes-sur-Seine, c'est-à-dire à quelques kilomètres de l'endroit où devait se dérouler le drame, villa qui avait été louée sur les ordres de Passal par Pierre Durot et dans laquelle l'ex-marquis de Champaubert et Boulogne avaient séjourné les jours qui avaient précédé la macabre expédition du bois de la Justice.

 

Henri Boulogne, qui avait aidé le "marquis" dans sa macabre machinationdont et dont les aveux apportèrent la clé du mystère.

Henri Boulogne, né le 20 juin 1902, à Boulogne, n'était pas un inconnu de la justice. Il avait été condamné à plusieurs reprises pour divers délits. Libéré de la prison de Loos où il avait connu Passal, peu de temps avant ce dernier, il était allé habiter Dunkerque, où il exerçait la profession de docker. C'est dans cette ville que deux inspecteurs allèrent le quérir et l’amenèrent à son tour dans les locaux de la Sûreté générale.

Comment fut organisée la machination

Interrogé sur ses relations avec le marquis, Boulogne fit les déclaration suivantes :
- J'avais fait la connaissance de Passal à la maison d'arrêt de Loos, où j'étais détenu en même temps, que lui. Notre amitié s'étant encore resserrée, Passal me promit de s'occuper de moi lorsque nous serions libérés. Cette année, au mois d'août, alors que j'habitais Dunkerque, je lui écrivis à Saint-Aubin. Il me répondit par un télégramme ainsi conçu :
Viens hôtel X... Faubourg Saint-Denis et demande Georges Leleu,
ALPHONSE
J'arrivai à Paris le 12 septembre et retrouvai Passal, qui m'attendait à la gare du Nord. Nous partîmes pour Saint-Germain, où nous séjournâmes deux jours dans un hôtel proche de la caserne des dragons. Le 14, nous revînmes à Paris.

La villa des Pavots, à Villennes, où le "marquis" organisa en détail, la mystification qui devait lui être fatale.

 

En compagnie de Durot, nous nous rendîmes à Villennes. Pendant que Passal et moi étions attablés dans un café, Durot se rendit dans une agence de location où il loua pour un mois, au nom de Fournier, la villa de l'avenue du Maréchal-Foch. Le 17, nous revînmes tous trois à Villennes et couchâmes à la villa.

 

Le 18, Passal vint à Paris faire l'acquisition d'une machine à écrire et, le lendemain, il nous mit au courant de ce qu'il comptait faire. Pendant une semaine, nous vécûmes seuls, Passal et moi, dans la villa. Durot ayant regagné Elbeuf. Chaque jour, Passal tapait à la machine les longs communiqués soi-disant envoyés par les "Chevaliers de Thémis", et moi, je venais les porter à Paris.

Achats de planches

Enfin, le 25, nous vînmes tous deux Paris afin de faire acquisition des planches devant servir à la confection du cercueil. Nous nous rendîmes successivement rue des Vinaigriers, ou nous passâmes commander le bois qui nous était nécessaire, et passage de l'Atlas, où nous achetâmes le tuyau d'aération. Le surlendemain je revins seul prendre livraison des planches. Ayant frété un taxi sur lequel je chargeai mon fardeau, je me rendis à la gare Saint-Lazare où je fis enregistrer mes planches pour la gare la plus proche de Villennes, d'où je les transportais à la villa. Pendant que j'étais à Paris, Passal se rendit dans le bois de Verneuil afin de repérer un endroit propice à l'inhumation.

Répétition générale

Le lendemain je l'accompagnai au point qu'il avait choisi et, en rentrant, nous entreprîmes de construire le cercueil, opération que nous terminâmes le dimanche. Passal me communiqua alors ses dernières impressions. Le lundi, dans la villa, Passal, qui voulait éprouver la caisse, décida de se livrer à un essai de résistance. Le soir, il y prit place et je refermai hermétiquement le couvercle. Il passa la nuit, de 21 heures à 5 heures du matin, dans son inconfortable prison et se trouvait ainsi dans les conditions exactes dans lesquelles il se trouverait lors de l'épreuve définitive.
- Ça ira
, déclara-t-il le matin en sortant fatigué, mais satisfait. C'est alors qu'il écrivit trois longues lettres l'une à sa mère, l'autre à Durot et la troisième à un de ses amis. Le mardi, vers 21 h. 15, nous quittâmes la villa, Passal et moi, emportant le cercueil préalablement démonté en 6 panneaux, une pelle et une pioche et nous gagnâmes l'endroit convenu dans le bois de la Justice.

PENDANT QUE PASSAL ASSEMBLAIT A NOUVEAU LES PLANCHES, JE ME MIS A CREUSER LA FOSSE.

Quand tout fut prêt, Passal retira ses chaussures et son paletot. Après m'avoir remis 150 francs, il pénétra par le tonneau et s'installa à côté du tuyau d'aération. Il avait emporté dans la poche de son pantalon - qu'il devait d'ailleurs retirer par la suite dans son cercueil afin de s'en servir d'oreiller - une demi livre de chocolat. Pendant un quart d'heure environ il me parla pour me rassurer, me disant de ne pas m'en faire et me recommandant de mettre les lettres qu'il m'avait confiées au bureau de poste proche de l'Opéra.
Puis sur son signal, je descendis le cercueil dans la fosse que je comblai ensuite.
Je jetai près de la ligne blanche que Passal avait lui-même tracée sur le chemin pour servir de repère, la pelle et la pioche désormais inutiles. Je ne rapportai à la villa, où j'arrivai vers 7 heures, après avoir marché une heure environ, que les chaussures et la veste de Passal.

Inquiétudes

Mercredi, vers 19 heures, en rentrant de Paris où j'avais mis les trois lettres à la poste de la rue Gluck, je m'approchai de la tombe muni d'un long tuyau en caoutchouc, afin de faire boire Passal. Je l'appelai, mais n'obtint pas de réponse. Je frappai avec vigueur, mais ce fut toujours le même silence.
J'en conclus que Passal devait être évanoui, car, bien que très inquiet, je ne pensai cependant pas qu'il fût mort.
Ce matin, en lisant, les journaux, j'appris avec terreur la façon tragique dont se terminait cette mystification. Je m'aperçois, seulement maintenant de la gravité du cas dans lequel je me suis mis. Je ne m'attendais nullement à pareille fin.
Après cet interrogatoire, Henri Boulogne a été gardé la disposition de la justice. Il sera entendu à nouveau aujourd'hui ainsi que Mme Bachelet, que deux inspecteurs sont allés chercher hier soir à Saint-Aubin.
Aucun chef d'inculpation n'a jusqu'ici été retenu contre le prévenu. Le juge d'instruction aura bientôt à se prononcer sur les suites judiciaires que comportera l'affaire. Il est probable que le délit d'homicide par imprudence sera retenu contre Boulogne.
Ajoutons que les auditions et les investigations se poursuivront aujourd'hui. Les enquêteurs ne considèrent pas le problème comme entièrement résolu. Il comporte en effet encore plusieurs inconnues. L'histoire que raconte Boulogne est-elle rigoureusement exacte ?
D'autres complicités ne sont-elles pas intervenues ? Si le « marquis » a organisé toute cette machination pour lancer ses mémoires, ces mémoires doivent exister. Dans ce sas où sont-ils ?

Les recommandations finales

Le marquis avait vraiment une âme d'organisateur. Avant de jouer le dernier acte de la comédie qu'il avait inventée, il écrivit à son ami Pierre Durot une lettre où il donnait ses derniers ordres. On verra en la lisant que Clément Passal avait, pensé à tout. Voici le texte de la missive :

Mon cher Pierre,
Avant d'entreprendre le dernier acte, je t'écris ce petit mot pour te faire mes dernières recommandations. La première, et la plus importante est discrétion de tous. La seconde : courage et persévérance, puisque rien n'est malhonnête. En partant de la villa, évitez toutes contestations. Je te charge de prendre une machine à écrire et tout ce que je laisse qui m'appartient : paletot, blouse grise, dictionnaire, chaussures, escarpins, etc. Pour emporter tout cela, emporte un grand panier en osier tressé, très bon marché, assez grand pour contenir ma machine à écrire, qu'il ne faut laisser voir à aucun prix. Prends-la avec fermeture à clef, afin que chez toi, aucune indiscrétion ne puisse se produire du côté de ta propriétaire. Reste le moins possible absent et, en arrivant à Elbeuf, laisse ton panier en consigne pendant quelques jours et ensuite, reviens le chercher avec la voiture. Fais bien en entier comme je t'indique, j'ai une raison et on n'est jamais assez prudent. Donne ton adresse à Henri, qui, lui, te donnera les siennes. Garde tout ce que tu emporteras m'appartenant jusqu'à mon retour. Ne vends rien, surtout. Tranquillise ma mère et dis lui que tout va et ira très bien, quelque épreuve que je traverse. Te laisse environ 150 francs à Henri. S'il a besoin d'argent, pour partir lu lui en donneras sur les cautions de 300 et 100 francs. En ce qui concerne les outils, vous vous arrangerez tous les deux. Je n'en ai plus besoin. Embrasse de toutes tes forces ma bonne vieille maman, chérie, et dis-lui que je serai là avant peu, pour commencer toute l'œuvre que je me suis fixée. Embrasse bien fort également Alice et Jacqueline sans oublier tous nos amis et amies. Donne une bonne poignée de main à Félix et à sa dame ainsi qu'au petit Pierrot. Que tout le monde ait confiance absolue en moi. Bref, je ne vois plus rien à te dire « vieille chose » (sic). Si ce n'est qu'Henri est le roi de la soupe à l'oignon et fait la force. Au revoir, mon vieux Pierre, et sois confiant, quoi qu'il arrive.
CLEMENT.
P.-S. - Je te laisse ma photo à toutes fins utiles pour le cas où tu aurais à la remettre à un rédacteur de journal ou au cours de conversations que tu pourrais avoir avec des directeurs ou des metteurs en scène de films cinématographiques.

La dernière lettre autographe du "marquis" à sa mère

Le trop imaginatif marquis avait, pour la dernière fois, écrit à sa mère le 22 septembre 1929. N'est-il pas curieux de donner le texte de cette longue missive autographe, dont nous reproduisons par ailleurs la photographie de certains passages ? Le document porte tout d'abord une suscription énigmatique. On lit en effet : de X dimanche matin.
Puis suit le texte que nous reproduisons ci-dessous :

Ma bonne vieille maman bien aimée,
C'est le cœur bien gros pour toi que je t'adresse cette lettre, qui sera sans doute la dernière, que tu recevras jamais de moi. Toutes les propositions que j'avais reçues de Mme d'Orgeval pour l'établissement d'une société d'édition de mes mémoires n'étaient qu'un piège tendu dans le but de s'assurer de ma personne et de l'argent qu'on me supposait avoir caché en 1924. Actuellement, je suis prisonnier d'une puissante société secrète, qui a pour programme de faire expier les grands escrocs qui n'ont pas assez, d'après elle, payé leur dettes à la collectivité.
Je suis condamné à mort et dois subir des épreuves terribles dans ce but.
J'ai le choix de celles-ci, mais il y en a qui sont insurmontables. Dans la journée d'aujourd'hui même, j'ai demandé d'en affronter deux terribles. Je ne pense pas y parvenir et c'est pourquoi je t'adresse cette dernière lettre. J'ai demandé qu'après ma mort ma montre en or et les différents objets que j'avais emportés avec moi te soient restitués. Garde-les pieusement en souvenir de ton pauvre fils qui, toute sa vie t'a aimée comme une idole.
Je ne regrette rien de ce que j'ai fait, quoique tu ne connaisses pas la vingtième partie de mes aventures et de mes escroqueries. Je n'ai jamais fait de tort volontairement aux faibles ou aux pauvres, ne m'étant jamais attaqué qu'aux riches ou aux puissants, qui avaient la force et l'intelligence de lutter, contre moi, qui agissais toujours seul. Cela procure à ma conscience tout l'apaisement voulu et j'ai du courage. Quant à ma volonté, elle est légendaire ; ce n'est pas la mort qui me fera trembler, tu dois le voir à mon écriture. Je ne sais même pas où je me trouve et le saurais-je qu'il me serait, en ce moment, impossible de te l'apprendre. A mon arrivée à Deauville, mardi dernier, j'ai été mis dans l'impossibilité de faire quoi que ce soit et embarqué en auto pendant de longues heures pour être conduit là où je suis.
Ces messieurs de la police doivent être heureux s'ils savent mon aventure.
En tout cas, je pardonne à tous ceux qui m'ont fait souffrir pendant ma longue détention. J'adresse mes dernières amitiés sincères à mes bons et vrais amis, à Pierre, Alice et Jacqueline, ainsi qu'à Félix et sa dame, Henri, à sa femme et à ses enfants. J'oubliais le petit Pierrot que j'aimais tant.
Quand il sera grand, je te demande que tu lui donnes ma montre en souvenir de moi. Sois forte, mère bien aimée, quand tu liras cette lettre et pardonne-moi pour toutes les peines ou les alarmes que j'ai pu te causer involontairement, à toi qui fus toujours un modeste de courage, de vertu et de travail.
Ma dernière pensée avant de mourir sera pour toi et le dernier cliché que j'emporterai dans ma tombe sera ton cher visage bien aimé. J'ai demandé à mes bourreaux que la photographie, que j'ai emporté avec moi, soit mise, sur ma poitrine, près de mon cœur, lorsque j'aurai cessé de vivre. On me l'a promis. Allons, adieu ma bien aimée maman. Je vais mourir en homme. De cela, du moins, tu pourras être fière. Je t'embrasse une dernière fois comme je t'ai aimé toute ma vie, à l'infini. Adieu Sois forte et pardonne-moi.
CLEMENT

D'autre part, n'est-elle pas pour le moins pittoresque et significative cette ultime missive également adressée à Mme Passal et signée du nom de Mme d'Orgeval, autre enfant spirituelle du fantastique « marquis ». Cette missive, datée du 2 octobre, dont nous avons publié hier le début, contenait, on s'en souvient, le plan et les précisions qui devaient "faciliter" la découverte du corps.
Mme d'Orgeval (appelons-la par son nom) alias marquis de Champaubert, écrivait donc :

Samedi j'ai tenu à être du nombre de ceux qui étaient désignés pour l'ensevelir car depuis plusieurs jours ma décision de le sauver était prise, comme vous allez le voir.
Le mardi 24 septembre, après sa chute en avion, c'est moi qui étais de garde de sa cellule de 9 à 10 heures pendant que les autres chevaliers tenaient un conseil au sujet de ce qu'on allait faire de votre fils.
Depuis trois jours, l'attitude fière et le courage de votre fils avaient transformé ma haine contre lui en une admiration sans borne que je dissimulais malgré tout.
Donc, vers 9 heures, j'entrai dans sa cellule, et lui demandai s'il souffrait beaucoup de la tête. Il avait les yeux fermés. Prise de compassion, je l'embrassai. Au contact de mes lèvres, il fut sur son séant et je ne peux en dire plus long sur ce qui se passa.
Néanmoins, je puis dire que j'ai vécu là, près de lui, des minutes inoubliables, comme je n'en avais encore jamais connues. Pour le sauver, je lui ordonnai de simuler la folie et de persévérer, quoi qu'on lui fasse subir, lui assurant que j'obtiendrais qu'on ne le mette pas à mort. J'ai tenu ma promesse, et vous indique où il se trouve pour que vous le sauviez, car il est certainement encore vivant.
Hier soir, j'ai quitté ma propriété dans le plus grand secret, emportant la machine à écrire sur laquelle j'ai frappé tous les communiqués, car c'étaient mes attributions. Cette nuit, je suis passée à 150 mètres du lieu où il est enterré, mais j'ai eu peur d'aller jusqu'à lui tant il faisait noir. Malgré tout, j'ai refait la bande blanche sur la route macadamisée et j'ai ajouté les deux croix blanches, puis je suis partie en auto jusqu'à Paris d'où je vous écris ce matin, harassée, mais délivrée d'un remords insoutenable.
Mais faites vite, car il doit souffrir horriblement et ses heures sont peut-être comptées. Dans la crainte que vous soyez absente ou souffrante, j'écris également à deux de ses amis dont j'avais relevé l'adresse dans son porte-feuille afin que sa délivrance soit certaine. Je serais bien coupable envers vous et envers lui, mais le vous demande de me pardonner devant l'acte que je viens d'accomplir.
Entre votre fils et moi il y a désormais des liens indissolubles et je ne regrette rien.
Je pars en voyage et serai sans doute très longtemps absente pour fuir les représailles des autres personnes qui avaient juré sa mort. Ceux-là, je ne les crains pas, car au cas où ils me tueraient, leurs noms sont indiqués dans un testament que j'ai envoyé à mon notaire avant mon départ. Mais que votre fils se tienne sur ses gardes et qu'il se fasse toujours accompagner en tous lieux. Quand il vous reviendra, faites-lui lire cette présente et dites-lui que je n'oublierai jamais la nuit du 24 septembre. Qu'il ne m'oublie pas non plus et qu'il soit patient dans l'attente de mon retour que je ne puis fixer. Je lui demande encore une fois pardon ainsi qu'à vous-même, Madame, pour toutes les souffrances physiques et morales que j'ai pu vous causer.
A plus tard et courage, je ne l'oublierai jamais, jamais.
Agréez, Madame, l'assurance de ma plus profonde amitié désormais.
MME D'ORGEVAL.

Traître par amour ! Ah ! vraiment le malheureux "marquis" n'ignorait aucune des ficelles du roman-feuilleton et sans doute devait-il être particulièrement content de cet épisode !

Une visite à la villa de Villennes-sur-Seine où le pseudo-marquis a préparé sa mystification

Le 14 septembre dernier, deux hommes, modestement vêtus et dont le visage ne laissa dans la mémoire de l'employé qui les reçut aucun souvenir précis, se présentaient dans une agence de location, de Villennes-sur-Seine, et demandaient à louer une villa meublée, pour un mois, du 15 septembre au 15 octobre.
On leur proposa la villa « Les Pavots », 52, avenue du Maréchal-Foch, au prix de 600 francs. Ils acceptèrent, acquittèrent immédiatement la location et prirent possession de l'appartement dès le lendemain. L'un d'eux déclara s'appeler Fournier et demanda que le reçu fût fait à ce nom. Les nouveaux locataires n'étaient pas bruyants. Leurs voisins les ignorèrent. Aucun bruit, aucun chant ne sortait de la villa « Les Pavots ». Quelques allées et venues on ne peut plus naturelles. Le nom du locati était vraiment tout un programme.
Nous avons pu, dans la soirée, visiter la mystérieuse demeure où le pseudo-marquis de Champaubert et son ami Boulogne, alias Fournier, préparèrent l'abracadabrante mystification qui devait si mal finir. La maison baptisée « Les Pavots » est un pavillon assez banal, à un étage, sur un rez-de-chaussée surélevé au milieu de deux jardinets l'un sur l'avenue, l'autre donnant le long de la ligne du chemin de fer de Paris au Havre. Un modeste perron, de cinq à six marches nous conduit à la porte d'entrée qui s'ouvre sur un petit couloir.
Au rez-de-chaussée, se trouvent une salle à manger, un salon, une cuisine, les commodités, et, sous l'escalier qui monte au premier, un petit réduit où s'entassent encore des lattes de caisses, fort probablement de celles qui servirent à confectionner le grossier cercueil du faux marquis.
Dans le buffet de la salle à manger, quelques provisions. Sur la table, une assiette remplie de bouts de cigarettes. Dans un coin, une paire de chaussures de drap blanc, assez ternies. Une horloge œil-de-bœuf anime, seule, de son monotone tic-tac cet intérieur déserté.
Au premier étage, trois chambres à coucher - deux grandes et une petite - et un cabinet de toilette. Seules, les deux grandes chambres ont été occupées. Sur les rayons d'une armoire sont rangés une chemise, un faux-col, une paire de souliers jaunes et des babouches. Sur une chaise, encore des provisions : chicorée, café, oignons, farine. Dans l'autre pièce, le lit est à peine défait et a encore ses draps, sur lesquels traîne un roman moderne. Sur un guéridon servant de table de nuit une assiette encore remplie de mégots. C'était certainement la chambre du pseudo-Fournier. Nul objet, pas le moindre document se rapportant à la mystification fatale : la police les a saisis au cours de la perquisition qu'elle a effectuée dans l'après-midi.
Dans le jardin, avant de partir, l'éclair de magnésium du photographe n'attire pas la moindre curiosité. A partir de 9 heures du soir, l'avenue du Maréchal-Foch est solitaire : le marquis de Champaubert et son ami Boulogne ont pu y préparer en toute tranquillité le tragique ensevelissement. Ils ont passés inaperçus.

Le transport du cercueil à Versailies

Le cercueil dans lequel a été enterré le faux marquis de Champaubert a été amené, hier matin, au palais de justice de Versailles sur un camion automobile.
Lorsqu'il fut déchargé du camion, un attroupement se forma bientôt sur la place des Tribunaux. Avec l'aide de deux agents de police, le chauffeur put monter le cercueil jusqu'au greffe, situé au deuxième étage. Il figurera parmi les autres pièces à conviction.
M. Roussel, juge d'instruction, qui est chargé de suivre cette affaire, va délivrer le permis d'inhumer puisque l'autopsie a été pratiquée par le médecin légiste.

Chez la mère du malheureux « marquis »
[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]


ELBEUF, 6 octobre - Par téléphone -

Pauvre mère, étendue à demi-paralysée sur son lit et qui, contre toute espérance, attend dans le silence horrifiant de la nuit, son fils qui, pour avoir voulu jouer avec l'image de la mort, a succombé de la plus atroce manière.
Mme Passal, hier encore, alerte, semble anéantie aujourd'hui. La raison et la parole n'ont plus chez elle leur succession logique.
- Mon pauvre petit ! ne cesse-t-elle de répéter. Je ne peux pas comprendre. Je ne peux pas croire. Ses amis sont, en somme, ses meurtriers ? dit la maman.
Certains de ceux qui ont connu Clément vous diront « C'était un escroc ! » Eh bien, poursuit la pauvre femme, mon fils était le meilleur des enfants et le plus tendre et cela rachetait, à mes yeux, tant d'erreurs !
Hélas, nos amis, qu'ont-ils fait de mon fils.
Mon fils, ajoute-t-elle, est certainement le premier responsable de l'affaire. Je le sais par trop audacieux.
Il a été fort capable d'inventer sa rocambolesque histoire de Vernouillet.
Fort communicatif, il aura su entraîner dans cette macabre aventure ses trois amis. Hélas ! mon fils n'est plus, mes jours sont maintenant comptés !


Le journal Le Petit Parisien apporte des précisions sur la villa Les Pavots de Villennes :

 

A LA VILLA « LES PAVOTS »

 

 

En venant de Poissy, c'est tout au bout de Villennes-sur-Seine, la charmante localité bien connue des naturistes, que se trouve la villa « Les Pavots ».

Villa ? C'est beaucoup dire. Il s'agit simplement d'un petit pavillon à un étage dont la façade, protégée contre les regards indiscrets par un épais rideau de feuillage [aujourd'hui disparu], donne sur l'avenue du Maréchal-Foch.

Derrière, un jardin exigu, coupé au fond par la voie ferrée. Autour, quatre pavillons semblables appartenant tous au même propriétaire M. Cassagne, commerçant à Paris, rue des Entrepreneurs.

Celui-ci loue habituellement ses pavillons par l'intermédiaire d'une agence de location et c'est aux directeurs de cette agence que s'adressa dans les premiers jours de septembre M. Durot. Il demandait s'il y avait une villa à louer pour un mois et quelles seraient les conditions. Il agissait - dit-il - pour le compte d'un « M. Fournier » auquel il était chargé de transmettre les renseignements qu'on lui donnerait. On lui proposa « Les Pavots », et le lendemain « M. Fournier » téléphonait à l'agence pour donner son acceptation ; il louait du 15 septembre au 15 octobre le pavillon pour la somme de 600 francs. Quelques jours plus tard, M. Fournier, alias Passal-Champaubert, venait lui-même verser le prix de la location et prenait possession du pavillon en compagnie d'Henri Boulogne. Comme bien on pense, les deux hommes évitèrent toutes relations de voisinage et on les voyait si peu qu'on ne les nomma plus que les « mystérieux des Pavots ». Je ne les vis qu'une seule fois, nous dit une voisine, et leurs allures me paraissaient bizarres. J'eus l'impression que ces gens se cachaient et qu'ils n'avaient point la conscience tranquille. J'en fis même la réflexion à une de mes amies, maïs, celle-ci m'ayant fait remarquer qu'il s'agissait sans doute de personnes voulant se reposer quelques semaines en toute tranquillité, je ne m'en occupai plus. Mais tout de même, je vous assure, souvent je pensais, et non sans inquiétude, aux solitaires du petit pavillon.