Le chemin aux bœufs

Les bœufs de Normandie, particulièrement appréciés des Parisiens, arrivaient par ce chemin pour être conduits au marché aux bestiaux de Poissy.


 

Créé au 13ème siècle par Louis IX (Saint Louis), il devient un des plus importants du royaume. Les troupeaux, venus de Normandie, du Limousin ou d'autres régions, pénètrent dans Poissy par les portes de la ville pour se diriger vers le marché (lundi et jeudi) : les bœufs sur la place du marché actuel, les moutons à l'emplacement de la mairie et les veaux, plus fragiles, abrités sous une halle, là où elle est encore.

Au début du 19ème siècle, Paris grandit et consomme de plus en plus de viande ; 1 600 bœufs ou vaches, 700 veaux et près de 7 000 moutons pouvaient se vendre en un seul marché. Il disparaîtra officiellement en 1867, lors de l'ouverture du marché de la Villette (en réalité après la guerre de 1870).  

Les bestiaux entrent dans Villennes par le "chemin aux bœufs", qui constitue d'abord la limite avec Orgeval et se prolonge ensuite jusqu'à Migneaux, comme le montre le plan cadastral de 1821, ci-dessous.

Ils descendent ensuite vers la Seine, en contournant les terres d'Acqueville, et rejoignent Poissy par le chemin du bord de l'eau.

 


 

Seules quelques portions du chemin subsistent de nos jours.


Il est devenu une voie de circulation entre la route de quarante sous et l'autoroute A13, qui le coupe.

Il se perd ensuite en bordure du golf.

Plus loin, il reste un tronçon, qui se termine au pied des maisons de la Croisée des Chemins.


Les chemins de Villennes à Poissy

Pour se rendre à Poissy, les Villennois avaient, depuis le Moyen-Age, le choix entre deux chemins :
- celui du "Bord de l'Eau",
- celui dit "entre les Clos" n° 11.

Parallèles, ils se rejoignaient à la Porte Blanche, face à l'entrée actuelle du château de Villiers. Le chemin entrait alors dans Poissy par la Porte aux Dames (au niveau des premières maisons de l'avenue Emile Zola).

Au bord de l'eau, les promeneurs et les sportifs ont remplacé les bœufs

Si les promeneuses ont délaissé longues jupes et ombrelles au profit du jogging et des baskets, le chemin du bord de l'eau n'a pas changé : toujours ombragé et à quelques pas de la Seine, il était le plus court entre Villennes et Poissy.  

Désormais lieu de promenade familiale et de détente sportive, on a peine à imaginer ce qu'il était les jours précédant le marché aux bestiaux de Poissy.

 

A la mauvaise  saison,  le fleuve  déborde,   les berges s'effondrent, les bêtes s'éparpillent. Le chemin n'est pas ou peu entretenu.  

Les Villennois empruntent bien ce joli chemin, à pied, à cheval ou en charrette, mais ils ne le dégradent pas autant que ces hordes de bestiaux (dessin de Rosa Bonheur gravé par M. Marais, publié dans Chronos Poissy N° 33).

Leurs maîtres normands se soucient fort peu de réparer leurs dégâts !

Un meunier envahit le chemin

Les meuniers voient aussi leur activité augmenter. Il y a plusieurs moulins sur la rivière entre Villennes et Poissy et, en 1835, un dénommé Rodier Pierre Sulpice donne beaucoup de soucis à notre conseil municipal : l'origine du litige est la construction d' un auvent à l'effet d'y mettre sa guimbarde à l'abri, réduisant le chemin de moitié dans sa largeur. Auparavant, le Sieur Rodier avait "envahi le port de Migneaux ce qui est un dommage pour le public". Trois ans plus tard, il continue "ses envahissements", déborde largement sur le chemin, sème du blé sur 90 mètres en comblant un fossé. Le maire et M. Sablé, garde-champêtre, lui enjoignent de rétablir le fossé et de s'en tenir à sa stricte propriété.

En 1839, Rodier sème imperturbablement son blé. Le conseil municipal de Poissy ne semble pas s'en émouvoir et lui demande seulement de ne laisser "séjourner ses voitures que le temps nécessaire pour le chargement". Il est vrai que c'est sous la brise villennoise qu'ondule le blé du meunier indélicat !

Le 8 mai 1841, les bestiaux passent toujours en rangs serrés sur notre petit chemin quand une lettre du préfet arrive à la mairie donnant le tracé définitif du chemin de fer de Paris à Rouen (dix ans après la décision de Louis-Philippe de relier les grandes villes de France à Paris).

Le propriétaire d'Acqueville revendique la propriété du chemin

En février 1842, Victor de la Tour de Foissac, propriétaire de la terre d'Acqueville, baron très procédurier, revendique la propriété totale du chemin. Le conseil municipal lui répond que ce chemin existe "de tous temps et qu'il est propriété communale".

En 1849, il renouvelle sa demande. Devant "cette prétention insoutenable", le Conseil demande au préfet d'aller consulter la mairie de Poissy pour comprendre enfin l'utilité de ce chemin pour le marché aux bestiaux. Le projet de chemin de fer donne de gros soucis aux deux communes : "le railway [...] intercepte le chemin de Poissy à Villennes" ; ensemble, elles s'y opposent.

Voie publique la plus courte, la plus fréquentée par les habitants de tous les villages riverains de la Seine (Médan, Vernouillet, ...), "il est impossible de songer à supprimer le chemin de Migneaux, il faut qu'il soit traversé ou à niveau ou en ménageant une voûte de la hauteur légale ; c'est indispensable !".

Le chemin de fer traverse  le chemin des bœufs

La Compagnie des Chemins de Fer Paris-Rouen reconnaît la nécessité de prévoir un passage à niveau au cœur de Villennes (là où il est encore) mais refuse de creuser à côté le passage souterrain demandé par la commune pour conserver le libre accès à l'abreuvoir municipal à 10 mètres. On est loin des milliers de bestiaux qui se rendent à Poissy mais les pâtures de l'île de Villennes hébergent, elles, des pensionnaires de passage ou permanents.

En 1844, après une année de circulation des trains, la traversée du passage à niveau crée toujours des mécontentements. Madame Lelarge, propriétaire de l'île, écrit au préfet, contestant les rapports des ingénieurs "pleins de lumière et d'équité" : les bestiaux ne peuvent pas attendre sagement que les barrières se lèvent pour traverser.

En 1845, la préfecture reconnaît que "le dommage est grand [...] que toujours les troupeaux de moutons sont composés de plusieurs centaines [...] et plus de cinquante bœufs forment la même  bande [...] quand   la   mouche piquera, il y aura un danger réel [...] en attendant l'arrivée présumée des convois". Le passage souterrain sera donc construit, malgré le refus premier de la Compagnie.

En 1863, le chemin est élargi pour 160,20 F mais le marché aux bestiaux de Poissy s'arrête en 1867 et peu à peu, notre petit chemin si mouvementé va s'endormir ...

Le chemin "entre les Clos"

Au 19ème siècle, ce deuxième chemin est encore tortueux, très étroit, resserré entre des murs, avec des passages difficiles ; charrettes, bestiaux et piétons ne s'y aventurent guère : ils préfèrent celui du "Bord de l'Eau".

En 1847, des inondations le rendent impraticable. Il est toujours emprunté par les animaux qui se rendent au marché de Poissy (24 000 bœufs, 120 000 moutons, de juillet à décembre 1846).

 

Mais le chemin de fer ayant été inauguré en 1843, les animaux vont prendre le chemin "entre les Clos" et traverser les deux passages à niveau, au moulin Rodier (aujourd'hui usine de la Lyonnaise des Eaux) et à la Porte Blanche.

"Déjà plusieurs fois des bœufs se sont mis au grand effroi du public à parcourir la voie de chemin de fer".

La situation devient très difficile pendant les crues de la Seine.

Une raffinerie de sucre a été créée par Jean Labat, l'industriel propriétaire du domaine de Migneaux depuis 1810. Le dessin ci-dessous à gauche, la représente en 1824, vue du chemin du Bord de l'Eau. La photo a été prise, à peu près, au même endroit.

 

En 1849, la raffinerie est partiellement démolie. La ville de Poissy achète alors les terrains et rectifie le tracé du chemin.

  En été, alors que les bestiaux retrouvent le chemin du "Bord de l'Eau" et de ses abreuvoirs, les voitures de toutes sortes empruntent celui d'"entre les Clos", dont les murs ont été alignés pour supprimer les passages étroits et sinueux. En 1867, une partie des animaux entre dans Poissy par la porte de la Tournelle (en haut du cimetière actuel). Mais les deux chemins sont toujours utilisés et il y a des accidents au passage à niveau de la Porte Blanche.

On envisage alors de faire passer le chemin de l'autre côté des rails (de la Porte Blanche à la Porte aux Dames).

En 1876, une commission est chargée d'étudier ce projet de transfert, mais c'est seulement en 1955 qu'un arrêté préfectoral décide la suppression du passage à niveau et l'aménagement du CD 154 entre Poissy et Villennes

 

Le petit chemin "entre les Clos" de nos ancêtres a vécu ; il est devenu la route que nous empruntons entre Villennes et Poissy.