Constant Hellstern, chausseur des célébrités
(1851 - 1929)

Ce portrait, peint vers 1899 par Alexis Axilette (1860-1931), et conservé par le Musée des Beaux-Arts d'Angers, nous montre le bottier de la Place Vendôme, alors qu'il avait environ 48 ans. Louis Constant Hellstern était, en effet, né à Paris en 1851.

Son entreprise familiale avait été fondée à Paris (1er) au 6 rue du 29 juillet, où habitaient ses parents Jacob Hellstern et Louise Marie Anne Josèphe Collinet.

 
Cliché Musées d’Angers
©Pierre David

Voici le résumé de ses services, adressé à la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur, après sa nomination en 1908.

 

Il s'y déclare fabricant de chaussures (23 Place Vendôme).

Maison fondée en 1846 occupant 150 ouvriers & ouvrières.

Succursales : Londres, Bruxelles.
Manufacture : Romorantin.

 

Après son décès en 1929, ses 3 fils ont continué à développer la Maison Hellstern.

Ses maisons de Villennes

Constant Hellstern a été propriétaire de plusieurs maisons à Villennes, où il résidait, en particulier de deux villas remarquables, situées face à face dans l'actuelle rue Gallieni.

Il a d'abord acquis, en 1883, la villa "Reva-Reva Cottage", qui a été agrandie au début du siècle suivant :

son "pavillon mauresque" était une salle de spectacles, comprenant une scène de théâtre.

 

 

Vers 1919, il a fait construire "La Trianette" sur la hauteur, en face.

Cette villa a appartenu à sa fille Marthe à partir de 1926.

Constant Hellstern a également fait construire une maison du chemin de Seine (actuel sentier du Bord de l'eau), en 1916.

Le bottier

Le Musée International de la Chaussure de Romans, qui possède une importante collection des chaussures produites par la maison Hellstern, nous fait connaître son histoire :

La Maison Hellstern, dont la vocation première était la chaussure d'homme, a été fondée vers 1870 à Paris, rue du 29 juillet, puis transférée place Vendôme vers 1900.

Les trois fils (Maurice, Charles et Henri) Hellstern coopèrent activement pour le développement de la Maison qui comptera à son apogée (1920-1925) plus de cent ouvriers, effectif important pour l'époque. De nombreux façonniers assurent à domicile des productions de haut de gamme : dans la Loire, où l'Ecole de cavalerie a suscité l'existence d'une main-d'œuvre qualifiée en botterie, dans le Midi, où sont établis des ouvriers italiens de grand talent.

Le rayonnement de la Maison est très important pour l'époque : une succursale à Bruxelles se maintient jusqu'en 1949, une autre à Londres fermera ses portes en 1965 ; enfin, à Cannes, une boutique de diffusion orientée vers le prêt-à-porter durera jusqu'en 1970.

Mais la renommée d'Hellstern est essentiellement parisienne. La Maison participe aux défilés de haute couture, ce qui lui attire une clientèle française et étrangère consommatrice de produits de luxe. Elle chausse les pieds célèbres de son temps : princes et princesses des cours européennes, grandes vedettes du spectacle, etc...

 


Cliché Musées d’Angers
©Pierre David

Voici quelques exemples de sa production :

D'autres souliers de femmes, fabriqués par la société Hellstern & Sons entre 1917 et 1925, acquis par le Musée des Arts Décoratifs, peuvent être vus sur son site Internet.

Le patron moderne

Son fils Henri, dont le livre de souvenirs est transcrit ci-après, nous donne de très nombreux détails sur le magasin de la place Vendôme, sur ses nombreux clients célèbres ainsi que sur les innovations du patron.

Les premiers congés payés

 

En 1908, il organise un séjour à Trouville pour l'ensemble de ses employés. 4 jours !

Louant un wagon entier, il transporte une quarantaine de personnes de la gare Saint-Lazare jusqu'à cette station balnéaire de la côte normande et les loge dans un hôtel cossu.

Les cours d'anglais

Afin de permettre à ses vendeuses de converser facilement avec la clientèle étrangère très importante, il leur fait donner, le dimanche matin, des cours d'anglais par un vieux professeur.

Les méthodes sont très scolaires et la discipline est rigoureuse mais l'objectif est rapidement atteint.

 

La vision du monde des affaires

Constant Hellstern a été nommé conseiller du commerce extérieur en 1904.

Sa réussite, notamment pour faire connaître la mode française dans le monde entier, a été récompensée en mars 1908 par la Légion d'Honneur, avec le grade de Chevalier.  

Un an avant son décès, il prévoit la crise économique de 1930, qui ruinera un grand nombre de ses riches clients et des industriels, notamment parmi ses confrères de la mode et du luxe. Il demande alors à ses fils de réduire les achats de cuirs pour limiter les stocks.

Le propriétaire d'un théâtre

 

Il utilise une partie de sa fortune pour acquérir, en 1919, le théâtre des Bouffes Parisiens, qui avait été fondé par Jacques Offenbach ; il en confie la gestion au directeur du théâtre du Palais Royal, Gustave Quinson.

Il y fait jouer deux opérettes d'Henri Christiné : Phi-Phi avec Alice Cocea et André Urban, puis Dédé avec la même actrice et Maurice Chevalier.


Cliquez ici, pour mieux connaître l'opérette Phi-Phi et en écouter divers extraits.

Souvenirs d'Henri Hellstern, l'un de ses fils et successeurs

Les trois fils de Constant Hellstern ont travaillé très tôt avec leur père, qui les a associés à ses affaires, leur société s'appelant "Hellstern & Sons".

 
  Le petit livre de souvenirs, publié à compte d'auteur, par Henri est très intéressant, nous donnant de nombreux détails sur le magasin de la Place Vendôme, sur les divers clients et sur l'ambiance de l'époque.

Nous avons transcrit la quarantaine de ses pages, y compris celles relatives à la poursuite des activités après le décès du père.

Nous reproduisons intégralement ce texte, complété par des illustrations, avec ses quelques fautes d'orthographe et sa ponctuation parfois étonnante ...


LA BELLE ÉPOQUE

1900

 

Mon enfance ! à l'entresol du 14, place Vendôme actuellement "Banque Morgan", propriétaire "La Vicomtesse de Tredern" qui donnait de grandes soirées où les Grandes Dames, les beaux messieurs, du meilleur monde défilaient toute la nuit. Bruit des chevaux (qui piaffaient) sous la voûte jusqu'à la levée du jour. Luxe inouï - beau à voir - ébloui par mon jeune âge !

Toute la place Vendôme sauf Boucheron et Hellstern (récemment arrivés, nous sommes en 1895) était occupée par la noblesse dans les hôtels particuliers.

Un seul appartenait à une grande courtisane la "Comtesse de Castiglione".  
 

Au n° 5 de la place, l'Hôtel du Rhin Directeur le grand Morloff, monocle à l'œil, d'une suprême élégance recevait tous les rois et les reines, les altesses de tous les pays.

Pas encore d'hôtel Ritz, cela viendra plus tard !

Après mes études au Lycée Condorcet, à 15 ans, j'entrai cher mon père comme comptable à la caisse (scribouillard plutôt) pour aider à l'inscription des commandes de la journée. Les plus belles princesses défilaient et les commandes de 8 ou 10 paires n'étaient pas rares. Je jurais et je tempêtais avec des crampes dans les doigts en finissant parfois à 8 heures du soir.

Le goût inné des Princesses Ourouzoff, Gortchakoff, Galitzine, Youssoupoff, Bariatinsky, Poniatowsky, Obolensky, Troubetzkoy, Ibrahim, Orloff, Esterhazy, Hatvany, Radziwill, Gagarine, Morosov.

Un bon vieil ami de la maison me demandait la permission de voir le frou-frou de ces dames, à l'entrée du magasin, au bas de l'escalier : « Pour me rincer l'œil ! disait-il  ». J'avoue qu'il était le plus heureux des hommes devant le raffinement et le luxe des toilettes.
L'auto n'était qu'à ses débuts et cependant les clientes venant de Saint-Pétersbourg ne se déplaçaient qu'avec 2 voitures 2 chauffeurs 2 valets de pied. Une voiture servait de relais en cas de panne. La princesse ne voulait pas attendre !  

C'est l'époque aimable par excellence ou la bienséance et la douceur de vivre étaient goûtées de tous !

1903

A Paris, l'aristocratie est toujours très représentée. Quel plaisir de converser avec ces élites qui vous apprennent la diplomatie et vous font apprécier leur  intelligence.

Les belles dames vont se parer dans les grandes maisons de couture de la place, Worth, Paquin, Callot sœurs, Lanvin, Patou, Vionnet, Doucet, Jenny, Heim-Molyneux, Chanel, Jacques Fath, Lelong, Balenciaga, Dior, Ricci,  etc.

Les réceptions dans les demeures princières se mêlent aux premières de théâtre ou le goût raffiné s'épanouit pour le régal des yeux.

  Le luxe s'affiche en cabriolet, calèche ou Victoria à 2 chevaux dans les allées du Bois de Boulogne où les grandes courtisanes, se prélassent toutes parées, avec cochers et valet de pied en culotte de peau blanche chapeau haut de forme à cocarde, bottes galbées noires avec revers de peau rose chair. Les amazones et les cavaliers caracolent de toutes parts.

C'est dans cette ambiance que je pris mon courage à deux mains et quittai momentanément les affaires pour un très long stage à l'Ecole professionnelle de la Chaussure.

« Sur le tabouret »

Mais quel apprentissage ! j'ai commencé par les travaux les plus simples, puis les plus compliqués, pour avoir la prétention ensuite de diriger et de créer les modèles, savoir surtout la technique de la fabrication. Mon père, très sévère ne m'épargnait même pas les livraisons en retard du dimanche matin.

En taxi à cheval, naturellement, j'avais à subir dans les hôtels particuliers du Faubourg Saint-Germain ou de l'avenue du Bois-de-Boulogne ce grand majordome arrogant en habit bleu marine à boutons d'or, qui me toisait et me disait avec le plus grand mépris marqué au bout des lèvres : « L'escalier B au fond de la cour au 2e étage. »

Vivant dans l'ambiance que je viens de vous décrire, étant légèrement snob, cet ordre retentissait comme une gifle en  plein  visage ! Puis, je pars à Bonn, en Allemagne, me parfaire dans la langue allemande, puis en Angleterre. Je suis invité par le Maire de Windsor, pendant un grand week-end. Sir Shipley, Lady et Miss Shipley changeaient de robes tous les soirs.

J'étais dans l'étonnement et j'ai appris que la Grande-Bretagne avait conquis le monde en smoking. Je cite aussi la famille Gladwell de Slough avec qui j'ai passé des moments délicieux.

1905

Je passe vendeur attitré, je vois donc la clients. Le Roi Léopold de Belgique, avec le Roi Edouard VII et son éternel gros cigare, venant plaisanter à l'essayage des bottes de sa Majesté Belge.

Le coupeur alsacien « Chrétien » s'empresse, juge la tombée et le chaussant et lance cette phrase : « Sire ! je touche au port. » Grand Silence. Puis Léopold sourit et dit : « Dites donc, mon  ami, je  vous  prie d'être poli. »


Il y avait aussi le beau Boni de Castellane, marié à la plus grande fortune des Etats-Unis (les Gould). Il m'intimidait : allure magnifique, il venait de faire construire le fameux Palais Rose « Avenue Foch actuelle » d'une splendeur sans égale, escalier célèbre de  marbre rouge-rose.

Il attirera tout Paris et renouvellera au XXe siècle les fastes et les splendeurs de nos rois. Il avait d'ailleurs, une rigidité absolue pour la tenue de ses services.

 

J'ai été le témoin du renvoi de son valet de pied place  Vendôme, qui,  en  attente  sur  son siège, avait osé tourner la tète vers le magasin : « Son compte est bon ! quelle audace ! dit-il ! » Il le renvoya sur-le-champ !

1907

Je ne peux passer sous silence les grands noms de la noblesse française.

Les Sagan, La Tour d'Auvergne, Amodio, de Broglie, de Luyne, Rohan, Decaze, de Croy, Rohan Chabot, La Rochefoucauld, Faucigny-Lucinge, de l'Espée, de Noailles, Dreux Brézé, Dampierre, de Casteja de Brissac, de Castellane, de Rothschild, de Fels, de Montesquiou, de Polignac, Princesse Bibesco.

La princesse Baratoff avec le chevalier Vincent Florio de Palerme, des plus connus pour leurs dépenses somptueuses.

 

Je n'oublierai pas la Duchesse d'Uzès,  Marquises deTalhôuet, de Bouillé, de Gramont, d'Harcourt, de Mortemart, de Beauregard, de Ganey, d'Aubigné, etc.... etc. Les princesses d'Arenberg, Murat, et Clermont-Tonnerre.

Pour elles, nos grands couturiers rivalisaient de goût et de créations, j'étais en relation suivie avec eux pour les petits souliers en harmonie avec leurs toilettes.

Je ne saurais oublier les Cours étrangères. L'Italie, l'Espagne, la Belgique, la Suède, le Danemark, l'Autriche, l'Angleterre. Puis la Perse et la Cour du Roi d'Egypte, Farouk, les Princes et les Princesses égyptiennes, la Reine Marie de Roumanie, etc..., etc.

Les Maharajah des Indes, Kapurthala, Baroda, Rayfipla, Cook Behar, d'une courtoisie, d'une gentillesse de très grande classe.

 

LES GRANDES DEMI-MONDAINES

Les plus célèbres : Liane de Lancy, Gaby Delys, Polaire, la Belle Otero, Liane de Pougy, Emilienne d'Alençon, dont les comptes devenaient quelquefois très dangereux.

J'étais préposé, en fin diplomate, pour me rendre chez elles, avec un relevé de compte très tapageur. Mais quelle insolence ! présenter une facture, oser réclamer de l'argent à une belle Otéro ? Dans son charmant petit hôtel particulier de la rue Fortuny elle éclatait de colère ! en me disant «j'y penserai ». Je ne savais plus où me mettre et disparaissais aussitôt sans mot dire.

Je vais vous avouer, qu'elles me recevaient en petit déshabillé et étaient si belles ! si belles ! que tremblant et intimidé au plus haut point, je balbutiais des phrases incompréhensibles en prenant tout mon courage pour m'échapper au plus vite.

Inutile de vous dire que j'étais bien mal reçu en rentrant par la vendeuse qui ne me trouvait aucune capacité à ce point de vue ! « Voire ! » Je finis par croire que l'on avait raison, car un autre jour, passant par surprise dans le rayon de bas, j'aperçois l'une d'elle, fort connue, jupe relevée, attachant, sans aucune gêne, à ses jarretelles d'or une paire de bas de dentelles. Je tourne naturellement la tête, par politesse, et quelle ne fut pas ma surprise... de l'entendre dire à la vendeuse sur un ton de reproche « bien quoi çà le dégoûte ? ».

Toujours à propos de factures, Polaire n'admettait pas les réclamations «c'était, disait-elle, inimaginable ! » Le receveur passant le matin chez elle, elle le met brusquement à la porte, passe au magasin, l'après-midi, avise la bonne vieille caissière et la traite de  « vieille  relique ». La pauvre s'est mise à pleurer et est allée se plaindre au bureau du patron.

 

Eve Lavallière, la petite figurante qui deviendra star ! La folle vie d'une sainte ! elle fichera l'argent par les fenêtres.

Toute menue, l'air gamine elle n'aime que les jeunes (on le lui reproche) finalement ce sont les vieux qui feront sa fortune et elle sera longtemps la reine de Paris et du théâtre.

Reconnus encore, la Grande Simone, Yvonne de Bray, Arletty, Gaby Deslys, aimée d'un Roi.

1908

INNOVATIONS

On organise pour le magasin et les cadres des vacances au bord de la mer. « 4 jours de congés payés », c'était une innovation à cette époque, car il n'en avait jamais été question en Europe.

Un wagon de 2e classe était retenu à la gare Saint-Lazare en août, nous étions une quarantaine à faire ce voyage.

Mon Père présidait ; toutes les vendeuses, le personnel de la comptabilité, chef d'ateliers, etc., etc...., deux jeunes amis à nous étaient aussi invités.

 

Dans un hôtel assez cossu de Trouville-sur-Mer, chacun pouvait assister aux repas, mais liberté entière pour ceux qui préféraient faire une excursion, ils n'avaient qu'à s'excuser.

L'ambiance était joyeuse et agréable et combien gentille qui nous laissait de biens bons souvenirs.

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Autre trouvaille ! la leçon d'anglais le dimanche matin dans le magasin. Un vieux professeur, le père Belcour, 80 ans réunissait les 6 vendeuses pour leur apprendre à converser avec notre clientèle étrangère alors très importante. On lui faisait des farces à ce pauvre père Belcour, aussi distribuait-il des punitions à ces demoiselles. Elles étaient de 2 sortes. Première réprimande ! « Allez de suite au coin » ce qui provoquait des rires de toute cette petite classe !

L'on se croyait revenu en enfance et si par malheur, au coin on tournait la tête, alors ! l'on présentait les deux mains et l'on recevait un coup sec de règle sur les doigts. Résultat encourageant, certaines ont pu parler correctement et répondre aux demandes d'une façon très convenable !

1909

Je dois aussi vous parler des grandes actrices de la Comédie Française.

Julia Bartet, Cécile Sorel, Marie Marquet, Marie Lecomte, Huguette Duflos, Dussane, Robinne,  Berthe Bovy, la grande Sarah Bernhard en son hôtel du boulevard Péreire, rempli de petits  coussins odorants posés délicatement sur les bouches de chaleur, parfum délicieusement choisi ! Yvonne Printemps, Rubinstein, de l'Opéra, la belle Réjane, célèbre par ses calèches superbes attelées de mules fringantes, Marthe Régnier, célèbre sur les grands théâtres du boulevard, Jane Marnac, la reine du  Music-Hall Parysis, Mistinguett et son Maurice Chevalier.

 

Maintenant nos grands acteurs, un des plus grands Lucien Guitry, puis Max Dearly, Denis Dinès, Lebargy, Léon Bernard (mon cousin). Faure — Sylvain.

Le grand Coquelin dans Cyrano de Bergerac, un talent incomparable ! Coquelin cadet, Sylvain, André Brulé — la folie de ces dames — Debucourt, Signoret, Raimu, Francen, Boucher, de Max, Jules Berry, que sais-je encore, de Feraudy, Albert Lambert, Mounet Sully, Pierre Fresnay.

Un élégant : le bel Alexandre Duval surnommé « Godefroy de Bouillon » était le grand maître des « Bouillons Duval » le restaurant à 12 succursales dans Paris.

Son suicide manqué — faux ou vrai — pour Cora Pearl, demi-mondaine de l'époque.

 

Le luxe était alors à son apogée et les commandes se succédaient à un rythme inimaginable ! 40 à 50 paires par jour ! 3 à 4 louis d'or la paire de petits souliers. Le prêt à porter du dehors (cousu machine) à un 1/2 louis d'or.

Certains grands de ce monde se ruinaient pour leurs maîtresses et se faisaient quelquefois sauter la cervelle.

La  grande  bourgeoisie !  elle ! était plutôt sérieuse et vivait avec un budget bien établi ! Ainsi une grande dame très riche cliente commandait toujours 6 paires de chaussures par an et refusait à sa vendeuse la 7e paire, qu'elle essayait de lui arracher avec son plus beau sourire. Irrévocablement la réponse était toujours la même « Non Mademoiselle ! il faut être sérieuse. » Le lendemain, nous recevions avec empressement la maîtresse de son mari qui, elle, en commandait 20 paires ! Monsieur payait rubis sur l'ongle !

« Simple rencontre. »

Deux actrices de la Comédie Française, l'une sortant du magasin se rencontrent dans le grand escalier. « Ah ! comme je suis heureuse de vous revoir ! » L'autre lui répond « Quelle joie de vous rencontrer » « depuis si longtemps toujours aussi jeune ». Celle-ci sort et disparaît. L'autre pénètre dans les salons et dit à sa vendeuse  « Quel vieux chameau ».

 

J'ai assisté par le plus grand des hasards à une conférence littéraire de la famille Rostand à l'hôtel Meurice,  rue de  Rivoli. J'avais un rendez-vous d'affaire avec le grand Edmond Rostand.

On me fait l'honneur de m'accepter dans le grand salon, je m'asseois immobile jusqu'à la fin de cette causerie.

C'est la première fois dans ma vie, qu'il m'a été donné d'être présent à une telle réunion et je m'en souviens encore aujourd'hui avec émotion.

LA GRANDE GUERRE

1914

1909, mon adolescence prend fin, je pars au régiment pour mon service militaire au 74e Régiment d'Infanterie à Rouen.

Démobilisé fin 1912, je suis remobilisé en 1914 pour la grande guerre. Je restai 7 ans sous les drapeaux.

 

Que de misères ! Jusqu'en 1915, déclaré inapte à faire campagne, je participe au ravitaillement des troupes au front, par camions. Arras-Saint-Foi en Ternoise. Puis nommé avec une estafette pour communiquer au grand quartier général auprès du Général Foch, au château de Frévent près d'Amiens.

Affecté ensuite à l'aviation anglaise, je pars avec un jeune capitaine porter des ordres importants à Verdun où sévissait ta plus grande bataille de tous les temps. Le jeune officier me laissa dans uns caserne du centre de Verdun pendant 3 jours sans nourriture « un bidon d'eau seulement pour me désaltérer ». II m'avait simplement oublié en cette caserne bombardée jour et nuit. Quand il revint, il ne restait  que la moitié des bâtiments. Il me vit émerger des ruines et me dit simplement « excusez, rentrez à Amiens ».

Je traversai et longeai la grande route de ravitaillement du front où l'on enfonçait dans une énorme boue noirâtre, les vitres de la voiture en étaient remplies et je devais les gratter tous les kilomètres avec un grand couteau ne pouvant continuer ma route. Voiture fantôme !

Je passe forcément par Paris et un attroupement m'empêche de continuer place de l'Opéra,  je m'en dégage avec difficulté, mais quelle tristesse, quelle anxiété, que de chagrins dans cette foule.

L'ARMISTICE

Réformé en 1918 pour maladie contractée aux Armées, j'ai eu la joie d'assister à une journée inoubliable après tant de misères à cet Armistice ou sur les boulevards tout le monde s'embrassait et pleurait de joie, s'extériorisant en ce 11 novembre 1918  devant la Victoire de la Grande Guerre que le Maréchal Pétain à Verdun, et le Maréchal Foch chef des armées alliées ont remportée.

Encore affaibli je me marie avec une jeune fille (adorable) qui a fait : « le bonheur de ma Vie ». Je  me suis demandé comment j'avais pu lui plaire « aussi détérioré ».

L'ENTRE-DEUX GUERRE

1919

On a soif de plaisir. Mon père avait racheté les « Bouffes Parisiens » directeur « Gustave Quinson » « les fameux billets Quinson à l'époque ». Il voulait des opérettes genre « Offfenbach » le grand favori du passé !

On créa d'abord Phi Phi, opérette charmante avec Alice Cocéa, petite roumaine de 18 printemps et le sympathique Urban, musique de Christiné. On interdit à mon père les répétitions, il devra paraître à la générale seulement.

On fredonne toujours « c'est une gamine charmante qui répond au joli nom d'Aspasie » etc., etc. Deux années de succès. Encouragés ces Messieurs se faisaient des blagues entre eux. On vit ensuite Maurice Chevalier dans « Dédé » pétillant d'entrain et d'esprit. « Pour réussir dans la chaussure.» Deux ans encore de plein succès.

Dans le monde des affaires la révolution russe fut terrible. La nôtre ne fut que peu de chose comparée à ce grand bouleversement qui se prolonge encore de nos jours. Notre bon sens a triomphé de ces principes immuables dans la vie.

« Viser à ce qu'il y a de plus précieux et de plus juste. »

« Liberté — Egalité — Fraternité » qui ne se conçoit que dans la bonté, la compréhension mutuelle, et la recherche continue de ces 3 principes.

 

Nous revoyons l'aristocratie russe à Paris désemparée, touchée quelquefois jusqu'à la ruine. Je reçois d'une grande dame polonaise qui me raconte sa visite dans ses terres, pour la première fois un moujik a osé lever la tête à son passage. « Elle lui a envoyé alors un coup de cravache en pleine figure. » Je passais par  toutes les phases de l'étonnement et de soucis pour l'avenir.

J'ai revu ensuite le Prince Youssoupoff, qui avait essayé de sauver la couronne des Tzars, toujours d'une élégance irréprochable. Sa fidèle clientèle remontait à 1900.

1920

La vie reprend timidement, les trônes sont secoués. A cette époque nous servions le Shah Ahmed, dynastie des Kajar, mort à Neuilly en 1930, chassé de son trône par le shah Reza Pahlevi, père du Shah actuel. Vieux client, le Shah Ahmed me demande un grand service que je ne pouvais lui refuser. Il me fit part d'un courrier qui serait adressé chaque semaine à mon nom, qu'il se permettrait de venir chercher,  que  j'obtiendrai toute  sa reconnaissance. « Allais-je être impliqué dans un vaste complot ? » Il n'en a rien été...

Il fallait être philosophe.

Trouvera-t-on  un jour le bonheur  suprême, la  représentation idéale, la  direction dans la communion de nos pensées. Un client c'est sacré et les grands de la terre ont toujours trouvé chez moi, une admiration sans borne, et un dévouement naturel, non intéressé. Toujours le luxe à l'honneur !

Quelques anecdotes

On se ruine pour une jolie femme !!! J'ai assisté à un cadeau royal. Un de mes clients « au comble de l'amour » offre à sa petite amie « un carnet de 50 chèques signés en blanc! » 3 mois après ! il était ruiné. La belle dame pour donner plus d'efficacité à tous ces chèques me dit : « je vous donne un seul chèque pour vous et Paquin ». La somme était rondelette surtout pour Paquin pour qui le chèque a finalement été fait — grosse différence — la facture de la grande couturière étant 5 fois plus importante. »

Une reine de l'Or, dont je taierai le nom, cliente de longue date, arrive à Paris avec un nouveau gigolo, beau comme un Dieu. Parfaite grande Dame ! une nouvelle jeunesse s'empare d'elle et pour lui plaire (tenez-vous bien) commande 100 paires de petits souliers. Tout le personnel est ébahi, mais quelque temps plus tard, il y a eu sans doute quelque brouille avec le joli Monsieur car elle a supprimé 20 paires. La vendeuse était quand même très satisfaite.

Une américaine cette fois commande 25 paires. A l'essayage, une de nos gentilles clientes Madame Sylviac rentre dans nos salons et regarde les chaussures  étalées sur le tapis. N'ayant pas aperçu l'américaine avec son face à main, elle inspecte ces jolies choses « qu'est-ce que c'est que ça ? » Mademoiselle dit-elle à sa vendeuse, c'est pour la même cliente ? On lui répond « c'est en effet pour une américaine ». Ce n'est pas possible, toutes ces chaussures ? Alors ça doit être la « Reine du Fer Blanc ». La cliente a légèrement souri.

LE 20 JANVIER 1920

Grand déjeuner en  l'honneur de la grande actrice,   Sociétaire   de la   Comédie   Française, « Madame Julia Bartet ». Ce banquet sous la Présidence de Deschanel a lieu à l'hôtel Continental.  Elle vient d'être nommée « Chevalier de la Légion d'honneur ». Une grande récompense qui la consacre à cette date comme une des plus grandes dames de Théâtre   de  l'après-guerre.

J'ai  conservé de  ce  banquet  un  délicieux souvenir !

1921

Mon père veut me mettre à l'épreuve, car je paraissais satisfait de mes créations, il me dit : tu es content de toi  ? (Oui lui répondis-je).

« Mon cher enfant tu apprendras qu'il n'y a que les imbéciles qui  sont contents d'eux, car on peut toujours mieux faire. C'est bien simple ! fais ta collection et moi la mienne et nous verrons. »

 

La présentation a lieu dans le magasin devant nos 8 vendeuses qui regardent mais n'osent rien dire sur leur préférence et pour cause ! On met alors en circulation, toutes les commandes venaient de ma présentation. Mon père grand Seigneur dit alors gentiment  : « Tu as gagné. »

1922

Nouvelle ambiance.

Un gros client américain me demande personnellement. Je m'empresse et lui présente les modèles. Généralement ce genre de client ne reste que très peu de temps. Il regarde le premier modèle présenté et me dit « How much ! » 200 francs « Expensif » make me 2 pairs. And  this  one « How   much » ? 220   francs « Expensif » make me 2 pairs. And this one « How much ? » agacé je réponds « Dont look this one !! too expensive for you ! »  « too expensive for me »  « how much  » 260 F « make me 4 pairs » .

« Un beau mariage. »

J'assiste Place Vendôme aux fiançailles du comte de la  Rochefoucauld avec la ravissante et grande actrice de « Phi-Phi » aux bouffes parisiens (Alice Cocéa). Mon père la reçoit dans son bureau. Peu après je retiens le comte venu dans nos salons, puis le fais entrer chez le grand patron. Ils ressortent elle et lui quelques instants plus tard bras ! dessus ! bras ! dessous ! et tout souriants !!! Ils étaient fiancés.

Me voilà donc en contact avec les grands couturiers. Madame Lanvin, Madame Paquin, Callot, Worth, Jacques Heim, Vionnet, Jenny, Paul Poiret, Chanel, Patou, Cheruit, Jacques Fath, etc.

Je fais 2 collections par an, je les montre toujours aux deux dames les plus élégantes de Paris, l'une après l'autre ! Il se trouve que toutes deux ne retiennent pas les mêmes modèles (comme par hasard). Le goût étant inné chez ces deux dames ce sont naturellement les moins réussis qu'elles refusent. Je les enlève de la circulation.

Madame Gerber de chez Callot sœurs et Madame Lanvin sont celles avec qui j'ai le mieux travaillé  pendant  longtemps. J'ai pris des ordres pour Paul Poiret dont les idées osées et modernes ont révolutionné la mode et la couture parisienne.

1923

 

En 1923, je partis à Londres, fonder une succursale. « 11 Old Bond Street » la rue de la Paix de Londres. J'arrivai transporté de joie, j'aimais l'Angleterre y ayant séjourné longtemps je retrouvais tout ce qui me plaisait, et le bien être.

Je remarquai la grande discipline de mon personnel, leur fair play, qui fait la force de ce grand pays.

Dès le début faisant, la paye moi-même, les ouvriers venaient en faux col et cravate pour le boss (le patron). A un de mes amis anglais — à qui je disais mon étonnement devant tant de civisme   —   me répondit : « Voyez-vous, mon cher, l'Angleterre n'est pas la France, Vous ! Vous avez un sol très riche. Vous avez du blé, de l'orge, de l'avoine, du seigle, du maïs, des fruits, des légumes à profusion, du vin, du Champagne, des parfums, etc., etc.... Nous il  nous faut les meilleurs produits car c'est « Exporter ou mourir », et si nous faisions ce que vous faites, il n'y aurait plus d'Angleterre ! » Je  l'ai remercié chaleureusement !

Toute l'aristocratie anglaise m'a accueilli avec grande gentillesse éprise du beau, de tout ce qui est la mode de Paris, cette grande noblesse de Cour, m'a laissé un délicieux souvenir de leur courtoisie et de leur maintien et me sont restées fidèles.

1925

Je  rappellerai  l'Exposition remarquable des Arts Décoratifs le comble du chic, de la recherche et surtout de la qualité. Dans nos magasins l'après-midi, affluence énorme, je remarque la Duchesse d'Albe, je la salue respectueusement, elle me dit à l'oreille « La Reine d'Espagne est ici. » Je regarde et je vois sa  Majesté assise sur un petit tabouret de bois, servant à monter au rayon de chaussures. Je bondis d'un grand fauteuil de mon bureau a réparé (sic) l'outrage !

« Simplicité royale ! »

La Reine m'a très gentiment fait un gracieux sourire. Pour la dernière fois je revois le Comte Boni de Castellane, très malade, piqué par un insecte en déployant des tapis d'Orient. Je ne devais pas le revoir.

1925 mauvaise année

Je désire partir à New York fonder une succursale. J'en informe mon père qui penche pour un essai avec une grande maison de Fifth avenue. « Je le lui déconseille immédiatement. »

1928

Une cliente nous  apprend qu'une maison Hellstern nous a remplacé à New York. J'écrivis alors à un grand  bijoutier Cartier en Amérique qui me répondit par une lettre autographe, m'expliquant que c'était normal, que la maison Worth en avait fait aussi l'expérience, qu'un procès ne servirait à rien, car je n'étais pas citoyen américain, et j'y perdrais des millions sans aucun résultat !

Charmant ! y a-t-il une évolution à ce propos ! j'ose l'espérer.

1929

La mort de mon Papa en mai 1929. Il nous avait prévenus un an à l'avance de la grande crise mondiale de 1930 où la ruine de certains fut un désastre.

« N'achetez rien ! absolument rien ! » avait-il dit avant de disparaître, pas un gramme de cuir, de peausserie en stock, vous seriez dans la misère ! Nous avons obéi et je m'incline une dernière fois devant son savoir et sa valeur !

« Mon Père avait raison » a dit Sacha GUITRY. Il avait toujours raison.

1930-1939

Une autre exposition coloniale sous la direction du Grand Maréchal Lyautey, eut un éclat incomparable; puis l'exposition internationale de 1937 sous le gouvernement de M. Léon Blum, une belle exposition d'une importance considérable. Je fus  nommé  : Président du Jury International de la Chaussure.

A l'exposition de New York 1939, j'étais délégué du gouvernement français. Je m'y fis remplacer par un grand industriel de Strasbourg.

 

DEUXIEME GUERRE MONDIALE

1939

Après 1918 on répétait sans cesse « c'est la dernière guerre » la der des der et dès 1938 on apercevait les germes de la prochaine, de la drôle de guerre qui devait durer encore 5 longues années.

Pour nous plus de cuir, chaussures avec bon dès 1940, remis par l'occupant. Je réquisitionnais tous les feutres des chapeaux de dames et mis en vente ou en fabrication sur commande, un petit soulier en cette matière avec une semelle de bois articulée, cloutée d'or qui n'avait peut-être pas l'élasticité du cuir, mais qui fit fureur.

« SANS BON »

On a bien essayé de m'attendrir. J'ai vu une fermière arrivant avec une dinde splendide sous son bras. Je veux des souliers en cuir ! qu'auriez-vous fait à ma place, j'en avais assez du rutabaga !

Nouveau bouleversement de notre Société, fort triste ! Pendant cette période il ne restait qu'une Reine mais quelle Reine.

En 1942-43-44 je me rendais au Château de Laeken à Bruxelles auprès de sa Majesté la Reine Elisabeth. Sa grande bonté était proverbiale, elle me fit présenter à une de mes visites un petit mineur, elle en invitait chaque année à tour de rôle à Laeken. J'en ai conservé un pieux souvenir.

LA VICTOIRE ALLIÉE

1944

Chez moi, j'entends à la T.S.F.  le fameux Yalta, occupation de l'Allemagne de l'Est et de l'Ouest. Un nouveau Dantzig !

« L'expérience n'a donc pas appris l'erreur à ne pas commettre. »

La vie est donc un éternel recommencement, on va réveiller les susceptibilités, le nationalisme, en supprimant tout bon sens. Espérons en une Europe européenne pour corriger et réunir les intérêts de ces Nations.

Nous allons assister maintenant à un renouveau. Le goût subsiste bien sûr, mais hélas ! la bourse est moins bien garnie et ne nous apporte pas de commandes comme jadis.

Je fais du prêt à porter cousu main à notre succursale de Cannes et en Angleterre conservant toujours la  mesure qui est incomparable, pour que Paris donne l'exemple. Dans le cousu main, la tenue de la chaussure de dames est parfaite et cela ne se déforme pas comme la semelle emboutie ou collée.

On reconnaît un homme chic à sa chaussure et à sa cravate. Ceci est vrai aussi pour les petits souliers de ces dames. Témoin, cette petite histoire. Un jour sur les boulevards, je croise une péripatéticienne, elle regarde mes chaussures et me sourit. Une deuxième me croise encore et regarde mes chaussures et sourit. Etonné, le l'accoste et  lui en demande la raison. Elle me répond : « Dans notre métier, on regarde d'abord le pied, on voit alors à qui on a affaire et l'on est sûr du portefeuille, bien garni. »

INTERMEDE

 

Un après-midi, la Maison Charvet, grand chemisier de la Place Vendôme, nous téléphone, nous annonçant la visite de Monsieur Sacha Guitry, pour que je le reçoive personnellement. «  Il est dans nos magasins, nous dit-on, et traverse la place immédiatement ».

Il entre soudain, avec son grand chapeau noir, sa belle longue cape noire et sa canne a pommeau d'or. «  Bonjour ! Montrez-moi ce que vous faites, vos derniers  modèles ? ».

L'on s'empresse, on place toute une rangée des dernières créations autour de lui. Il semble distant, détaché puis se penche sur cette présentation, et de sa canne, montrant deux modèles différents, me dit « Mon cher Hellstern, cela sera celui-ci, et cela sera celui-là! ».

1950-1959

Le Roi Mohamed V nous  demande à la Cour du Maroc, il commande ses bottes d'équitation et nous a toujours été fidèle. Mon fils Max qui dirige nos ateliers de Paris a été reçu à Rabat par sa Majesté Hassan II à qui il propose chaque année ses dernières créations.

Pour la première fois nous voyons une des plus grandes actrices du siècle Greta Garbo.

1960

Autre signe des temps.

Une milliardaire USA de passage à Paris nous commande chaque année ce qu'elle aime pour la nouvelle saison. Sa fille Dorothée l'accompagne. « Maintenant lui dit sa mère, tu as 18 ans, je le permets de commander tes chaussures chez  Hellstern ». C'était une vieille coutume et généralement la jeune fille battait des mains et embrassait sa maman pour la remercier. A la surprise générale, Dorothy répond : « Ah !  maman je ne suis pas difficile comme toi, j'ai 30 paires de chaussures dans mon armoire.

« J'achète ! je jette. » « J'achète ! je jette. »

La milliardaire lui en fait le reproche : « Mais ! c'est bien pour cela, ma petite fille que tu es toujours si mal chaussée. » Comme c'est triste pour nous, quel régal que le bon goût, les charmants caprices des jolies femmes  !

Actuellement ce n'est plus la femme chic qui lance la mode, c'est toutes les petites filles. J'aime ces petites filles à partir de 16-18 ans, elles achètent tout ce qui est nouveau, elles vous disent, si cela n'a pas le don de vous  plaire ! « Çà fait jeune. » Ceci est  définitif, sans  réplique.

Ne se parent-elles pas pour notre plus grande joie de jupes collantes laissant voir les genoux, avec des bottes qui représentent sans doute le comble de l'élégance où des pantalons très étroits pas très féminins.

Je donnerais la préférence à la botte russe, jupe évasée, toque de fourrure, cela ferait peut-être un peu music-hall mais qu'importe ! ce serait mieux.

Une de mes petites nièces me rend visite. Je regarde négligemment ses souliers.  44 pointures au lieu de 37. Bout relevant de terre et tout frisé, ses doigts de pied visibles comme des touches de piano. « Tu n'es pas honteuse lui dis-je de porter cela ?. » voir les doigts de pied. « Veux-tu fiche le camp ! tout de suite, tu es trop bête lui dis-je. Elle s'enfuit en murmurant : « On est bien dedans. » « Tu n'es même pas dedans ma pauvre petite » a clos la conversation.

LES ARTISTES

Certainement le cinéma a diffusé le talent de nos meilleurs acteurs. Devant l'écran, certains se trouvent dépaysés, comme isolés. Mais une chose est certaine on peut y lancer sa petite amie. En lui faisant recommencer 4 ou 5 fois la même scène on a une chance, que les grands pontifs choisissent dans la série la projection 3 ou 5 qui donne un bon résultat.

Au théâtre ! rien de semblable, mais l'acteur est devant son public, il est en communion à tout instant avec la salle, il la sent vibrer et donne alors le meilleur de lui-même.

LES IDOLES

Oui nous avons maintenant les idoles, cette très grande jeunesse de la chanson qui brûle toutes les étapes à une vitesse folle et remportent les succès les plus extraordinaires.

LE GÉNIE

« Le génie apparaît à 15 ans. » Cette facilité d'apprendre est le véritable don des jeunes. Ils retiennent, ils s'adaptent avec une facilité extraordinaire. Le pays doit profiter de cette période de leur vie pour les diriger vers ce qui leur plaît pour qu'ils puissent acquérir avec facilité les qualités nécessaires à leur succès à venir. Une formation professionnelle qui leur donne accès ensuite aux commandes du pays. Un cadre bien formé, dirigera ensuite nos usines, améliorera la fabrication, recherchera, cette qualité plus que jamais indispensable pour conquérir les marchés extérieurs.

« Exporter  ou  mourir ». « On  n'exporte   pas n'importe  quoi. »

Ce fameux diplôme,  cher à certains parents, n'est pas valable pour tous. Ces jeunes de 20 ans doivent être instruits avant leur service militaire, de la vie économique du pays, prêt à la lutte pour l'avenir de la France.

Monsieur Louis Armand de l'Académie Française a fait une conférence au Rotary Club de Paris au sujet du bachot. « Messieurs, moi j'ai eu tous les diplômes de la terre, mais cela ne m'a jamais servi à rien ! » Etait-ce une plaisanterie,  quant à moi j'ai bien peur que ce soit une vérité.

De même  pour les langues étrangères,  on apprend à un gosse de 13 ans avec une facilité extraordinaire à parler couramment avec 3 mois seulement dans le pays intéressé. Passé cet âge toutes ces bonnes dispositions sont évanouies !

Voici les souvenirs d'un demi-siècle de splendeur, mais ce passé vécu qu'on voudrait ne pas quitter, est révolu ! Espérons que la vie moderne apportera  un mieux être à tous. La douceur de vivre en paix de continent à continent dam une réconciliation universelle.

En résumé. — On peut toujours juger les gens à leurs chaussures — ceux qui cherchent à vous impressionner portent des vêtements fabuleux — mais ils n'ont pas l'habitude de dépenser gros pour se chausser.

Un véritable gentleman porte des chaussures de toute première qualité. Les petits détails aussi font la  grande élégance !

   

Henri  HELLSTERN

Past Président Chambre Syndicale des Bottiers de Paris
Past Président Jury International (chaussures) Exposition de Paris 1937
Délégué du Gouvernement français
Exposition de NEW-YORK 1939


Souliers, mule et sandale Hellstern de 1914

Modèles de souliers Hellstern de 1926


Chaussures Hellstern de 1930

Jeanne Paquin, première femme de la haute couture
(1869 - 1936)

Paris, capitale de la mode

Jusqu'au 18ème siècle, les tailleurs et les couturières travaillent en fonction des demandes de la Cour. La Révolution puis le développement industriel ouvrent à la bourgeoisie les portes de la mode. C'est l'Anglais Charles Frédéric Worth, arrivé à Paris en 1847, qui est l'initiateur de la haute couture française. Il ne se contente pas de réaliser les toilettes désirées par ses clientes, mais propose et impose ses créations, qu'il présente sur des femmes mannequins. Il pose les bases de la haute couture, proposant à ses clientes des modèles fabriqués sur mesure.

D'autres couturiers qui laisseront leur nom dans l'histoire de la mode, tels que Jacques Doucet et Paul Poiret, le rejoignent, suivis de Jeanne Paquin. Toutes installées à Paris, leurs maisons de couture disparaîtront entre 1929 et 1950, pour laisser la place à Coco Chanel et à Jeanne Lanvin puis à Balenciaga, Nina Ricci et, après la deuxième guerre mondiale, à Christian Dior, Pierre Balmain, Hubert de Givenchy, Carven, ...

Ses débuts

 

Jeanne Marie Charlotte Beckers nait en 1869 à Saint Denis.

Elle devient couturière, effectuant son apprentissage chez Rouff, où elle prit rapidement la responsabilité de l'atelier.


[...] Nous arrivons maintenant boulevard Haussmann, et nous remarquerons au numéro 13 la maison Rouff située au coin de la rue du Helder.
La maison Rouff occupe dans sa presque totalité ce bel immeuble, avec ses vastes et luxueux salons de vente, ses confortables salons d'essayage et ses grands ateliers.
Cette grande maison de couture a une très ancienne réputation, réputation qui se justifie tous les jours par la ligne impeccable et l'intéressante variété de ses nouvelles créations. Nous admirerons chez elle les toilettes du soir, ondulantes et souples, les costumes tailleur à la coupe parfaite, les gracieuses blouses de dentelles, les fourrures précieuses et les riches manteaux.
M. Rouff sait donner à ses modèles une note originale et très artistique.

 

ll s'honore d'avoir une clientèle des plus élégantes qui lui témoigne toujours son entière confiance. Il fait d'ailleurs tous ses efforts pour continuer à mériter sa faveur et son approbation.
La parfaite exécution des commandes est assurée, à la maison Rouff, par un très nombreux personnel.
Il sait combiner pour les femmes les toilettes les plus jolies et les plus seyantes et celles-ci savent bien qu'elles sortiront des salons de ce grand couturier du boulevard Haussmann avec des parures infiniment gracieuses, qui les rendront plus charmantes et ajouteront un attrait de plus à leur beauté. M. Rouff a un goût parfait et très sûr, il fait de la toilette féminine un ensemble admirablement harmonieux au point de vue de la ligne de l'élégance, de l'assemblage délicat des couleurs. N'est-ce pas l'harmonie qui constitue la véritable beauté et n'est-ce pas à réaliser cette beauté que doit prétendre tout l'artducouturier.

La Ville Lumière, 1909

En 1889, elle est engagée comme modéliste dans une nouvelle maison de couture, Paquin, Lalanne et Cie.

Sa famille

Son demi-frère Henri Joire, également couturier, jouera un rôle important, à côté d'elle, à partir de 1911.

Ci-contre, son épouse Suzanne, portant un manteau de ville, dessiné par Jeanne Paquin en 1915.

En 1891, elle se marie avec Isidore René Jacob (1862-1907).

Il prendra une partie du nom de la maison de couture Paquin, Lalanne et Cie, dont il était l'un des associés ; elle était issue d'un magasin de confection pour hommes Paquin Frères, installé à Caen dans les années 1840.

Après avoir acheté les parts de Madame Lalanne, transformant ainsi la société en Paquin et Cie, huit ans plus tard, Isidore Jacob est autorisé à ajouter Paquin à son patronyme.

La maison de couture devient celle d'Isidore et de Jeanne Paquin.

Elle est la créatrice tandis qu'il se charge de la gestion.

 

Revue Les Modes,
décembre 1915


Lorsque Isidore Paquin sera nommé Chevalier de la Légion d'honneur en février 1900, la notice suivante sera publiée :
 

Chef de la maison de la rue de la Paix qui emploie huit cent cinquante ouvriers et ouvrières. A créé une maison très importante à Londres, où deux cent cinquante Français et Françaises sont employés. A été l'un des instigateurs des Fêtes du commerce et de l'industrie lors du retour de Russie du Président de la République. De hautes et nombreuses récompenses lui ont été décernées aux Expositions de Moscou, Saint-Pétersbourg, Anvers, Amsterdam, Bruxelles et Lyon. A contribué pour une large part à relever l'industrie française de la broderie.

Il sera, toutefois, l'objet d'une controverse, le siège de sa société étant à Londres et de nombreuses contraventions lui ayant été dressées pour violation de la loi de 1900, limitant le travail des femmes, et des enfants. M. Millerand, interpellé, devra s'expliquer à la Chambre des Députés.

La réussite, avec son mari

C'est à l'Université de Harvard, aux Etats-Unis, que cette Ligue [Les Culottes] a pris naissance, en vue d'interdire aux femmes de porter le vêtement viril qu'elles ambitionnent, et la Société arbore pour emblème une prosaïque culotte portant cette inscription : « Pour les hommes seulement ! ».

Voici donc le sexe en guerre des deux côtés de l'Océan, et c'est une lutte curieuse et intéressante à suivre, mais dans laquelle, en dépit de premières victoires, je n'oserais prédire le succès définitif au sexe aimable qui me paraît, comme le personnage biblique, trop enclin à échanger son beau droit d'aînesse contre un maigre plat de lentilles.

Ce ne sont pas des lentilles que M. Paquin, le grand couturier de la rue de la Paix, a fait servir aux huit cents ouvrières de sa maison, pour célébrer sa croix de la Légion d'honneur, mais un banquet des plus somptueux dans les salons du palais d'Orsay. Au dessert, l'artiste en couture a prononcé, sans perdre le fil, un discours ému, auquel a répondu le caissier en termes attendris, – autant que des caissiers peuvent s'attendrir ; – après quoi, la fête a continué par un concert, un bal et une tombola, toute la lyre !

La tombola ménageait aux participants une surprise princière. – La maison Paquin comprend dix-huit ateliers, entre lesquels se partagent les différentes parties du costume féminin, jupe, corsage, boléro, manches, rubans, passementerie, etc., et le sultan généreux de ces phalanstères avait attribué, entre autres lots, à chaque atelier, un gros billet de banque. Dix-huit ateliers, dix-huit billets de mille francs ! On juge de l'attente fiévreuse de l'assistance et des scènes pathétiques du tirage. A chaque tour de roue, c'étaient des cris de joie ou de déception, et quelques-unes des heureuses gagnantes, succombant à l'émotion, se sont évanouies...

Bien entendu, cette fête de couturières s'est terminée par un cotillon, et si l'ami de Millerand veut bien renouveler de temps à autre cet aimable divertissement, il aura enseigné à son ministre le meilleur préservatif contre la grève !

Le Correspondant, 1900

La boutique de la maison Paquin se trouve à Paris, 3 rue de la Paix, juste à côté du magasin ouvert en 1858 par Charles Worth.

[...] Il y a quelque temps, nous avons lu dans le Figaro un article intitulé Douze millions de frivolités et consacré à la maison Paquin.
Les marchands de frivolités vendaient jadis tout ce qui concernait la toilette de la femme, et ce mot de « frivolités » est gracieux pour désigner ces mille colifichets, pourtant indispensables et essentiels. Les marchands de frivolités sont devenus aujourd'hui l'une des importantes manifestations de l'initiative et de l'activité française, et si l'on trouve naturel que l'on nous décrive ces immenses usines d'Amérique et ces colossales entreprises allemandes et anglaises, il ne nous semble pas moins intéressant d'étudier une maison de « frivolités » aussi importante que Paquin.
Ce nom est connu dans tout l'univers, et, en tous lieux, les femmes considèrent comme un grand bonheur de pouvoir se faire habiller dans cette maison de haute couture dont l'importance commerciale, économique et financière, vaut la peine d'être mentionnée.
Si nous disons que quatre millions de francs sont dépensés chaque année pour les étoffes servant à confectionner les toilettes qui sortent de chez Paquin, que les rubans employés pourraient couvrir la distance Paris-Versailles,

 

que les vingt-deux millions de mètres de fil qui passent entre les mains des petites ouvrières pourraient relier les deux pôles de la terre, que les essayeuses usent bon an mal an plus de mille kilogrammes d'épingles, qu'il est fait une consommation de trois cent soixante kilogrammes de fil de soie, cent cinquante kilogrammes de baleines, trois cents kilogrammes d'agrafes et de portes, nous ne donnerons peut-être encore qu'une faible idée du nombre incalculable des fournitures utilisées par la maison Paquin, et nous n'avons pas la place de compléter cette énumération fantastique.
La maison de Paris — car l'on sait que Paquin possède également une maison à Londres — emploie environ treize cents personnes. Il est vrai de dire que le personnel est admirablement traité. Les employés, hommes et femmes, au nombre de trois cent cinquante, sont nourris dans la maison ; soit un total de sept cents repas à préparer chaque jour dans les locaux de la rue de la Paix, fonctions réservées à un chef et quinze aides de cuisine. A Londres, où presque tout le personnel est français, les ouvrières sont même logées dans la maison. [...]
Nous n'entreprendrons pas d'énumérer les frais généraux de la maison, nous dirons seulement — et cela suffira pour concevoir le reste — que vingt-cinq mille francs sont dépensés par an pour ces jolis hortensias mauves qui égayent la rue de la Paix.

 

Visitons à présent cette maison de frivolités, depuis l'élégant magasin du rez-de-chaussée où sont exposés quantités de jolis modèles ainsi que les fourrures précieuses.

Au premier étage sont les salons de vente et d'essayage, parmi lesquels nous voyons une véritable petite scène très habilement disposée pour les toilettes de scène.

 

Puis ce sont les différents ateliers, ateliers spéciaux pour les jupes, les corsages, les costumes tailleur, etc., etc.


 

D'étages en étages, nous arrivons à la section de pelleterie admirablement organisée ; la maison Paquin a des acheteurs qui parcourent chaque année les grands marchés du monde, tels que Londres, Leipzig, Nijni-Novgorod.
La maison occupe quatre immeubles, les I, 3 et 5 de la rue de la Paix et le numéro 6 de la rue des Capucines, qui forment un tout homogène que l'on peut parcourir en entier sans s'apercevoir que l'on change de maisons. La maison Paquin a été créée en 1890 par M. et Mme Paquin. En 1896, elle était mise en société au capital de douze millions et demi. Chacun sait que c'est l'une des maisons qui lancent les modes dans Paris et que Mme Paquin est une véritable artiste qui connaît admirablement tout l'art du costume et trouve d'incessants et miraculeux changements de lignes, de couleurs et d'étoffes.

La Ville Lumière, 1909

L'enseigne de la boutique "Robes et manteaux confectionnés" est devenue :

A la Rose de France
Paquin
Fournisseur de la Reine


L'une des toilettes exposées dans la boutique

  Revue Les Modes, 1917

L'espionnage et la contrefaçon commencent dans la mode avant le XXe siècle :

CONCURRENCE DÉLOYALE

Ainsi que notre collaboratrice Claire de Chancenay l'expliquait il y a quelque temps dans un de ses courriers de Mode, la création des modèles au commencement d'une saison est la préoccupation capitale des grands couturiers. C'est comme le scénario d'un roman ou d'un drame, comme l'ébauche d'un tableau. On discute, on cherche, on fait et refait vingt fois avant d'arriver au chef-d'œuvre qui doit faire pâmer d'aise nos élégantes.

Cela coûte naturellement très cher ; aussi les maisons secondaires, ne pouvant s'imposer ces dépenses, sont obligées d'attendre que les modes soient « sorties » pour les copier. Naturellement aussi certains commerçants peu scrupuleux cherchent à surprendre les projets de leurs concurrents.

Une tentative de ce genre a été découverte avant-hier. Vers deux heures, deux dames fort élégantes se présentaient dans les salons de M. Paquin, 3, rue de la Paix, et demandaient à voir les modèles de la saison prochaine. Elles étaient, disaient-elles, américaine, Mmes Nonny sœurs, demeurant 18, rue Neuve, à New-York. Descendues pour quelques jours à l'Hôtel Continental, chambre n°18, elles allaient repartir et ne pouvaient attendre la sortie des modes. Il n'y avait, du reste, aucun inconvénient à leur montrer les modèles préparés, puisqu'elles étaient sur le point de quitter Paris.

Mais M. Paquin se défia : la rue Neuve, à New-York, surtout, lui parut suspecte. De plus, il constata vite que les deux Américaines, qui affectaient de parler le français avec un accent fort yankee, ne savaient pas un mot d'anglais. Il n'hésita pas à les faire arrêter. Chez le commissaire de police, elles firent des aveux complets. C'étaient bien les deux sœurs, mais l'une se nomme Marguerite D. l'autre Jeanne D. femme Le R. Elles habitent non pas New-York, mais la rue Malher.

Elles avaient été envoyées par un grand couturier du quartier de la Bourse pour surprendre les modèles de la maison Paquin. Elles ont été laissées en liberté, mais une action civile va être intentée par M. Paquin à son déloyal concurrent.

Le Figaro, 19/8/1892

A partir de 1897, ils installent des succursales dans divers autres pays : à Londres, puis à Buenos Aires et à Madrid.

UNE PREMIÈRE A LONDRES

Tout ce que Londres compte de mondain, d'élégant, toute la fashion, en un mot, s'était donné rendez-vous hier, de trois à cinq heures, à Dover Street, pour l'inauguration de la nouvelle maison Paquin (Limited). C'était en effet un gros événement que cette prise de possession de la capitale de l'Angleterre par la toute-puissante souveraine qui s'appelle la Mode française.

Et de fait, on ne se serait pas cru à Londres, mais bien plutôt à Paris, rue da la Paix ; car toutes ces jolies ladies parlaient le français ; mais le français avec cet accent britannique qui a une si originale saveur.

Nous procéderons, si vous le voulez bien, à un rapide examen de cette grandiose installation. L'aspect de la maison, à l'extérieur, est celui des hôtels de la rue de l'Elysée. A l'entrée, nous sommes reçus par deux laquais — les door-keepers, comme on les appelle ici — en habit à la française et culotte courte. Le vestibule est d'une décoration très sobre, avec ses murs blancs à panneaux et frises à bas-reliefs. L'escalier est du plus pur style Régence, avec sa décoration en glaces et trumeaux, rappelant la décoration de l'hôtel de Soubise.

Au premier étage — first floor — nous trouvons une série de salons du plus pur Louis XVI, avec jardin d'hiver. Ce sont les salons de vente et d'exposition, dont la décoration blanc et vert d'eau est des plus heureuses. Par un escalier de quatre marches, qui est bien comme conception ce que j'ai vu de plus réussi jusqu'à présent, nous parvenons à la galerie d'essayage. Sur cette galerie s'ouvrent une vingtaine de salons coquets, variés et d'une richesse tout à fait artistique. Je n'entreprendrai pas de décrire l'aspect que donne à ces salons le va-et-vient des visiteurs, des essayeuses et des jeunes filles, toutes jolies et surtout admirablement faites, auxquelles, dans la langue spéciale du métier, on donne le nom de « mannequins ». C'est un frou-frou ravissant qu'il faut voir pour se rendre compte de son charme.

— Mais, disons-nous à Paquin, que nous réussissons à aborder au milieu du mouvement que lui occasionne cette véritable cérémonie d'inauguration, mais comment avez-vous pu arriver en si peu de temps à créer une merveille pareille ? Si j'ai bonne mémoire, au mois de décembre dernier vous n'étiez pas encore décidé sur le choix de l'hôtel où vous vous installeriez.
— C'est très vrai, et moi-même je suis stupéfait quand je pense que tout cela s'est fait en trois mois. Aussi, lorsque, il y a huit jours, Jansen — vous savez, le tapissier de la rue Royale à Paris — nous a annoncé qu'il avait terminé et nous a livré cet hôtel, tel que vous le voyez, je ne lui ai pas marchandé mes compliments.

Et Paquin me demande la permission de me quitter, car il a encore beaucoup à faire. A huit heures, en effet, la Compagnie Paquin (Limited) offrait à la Presse, ainsi qu'aux représentants du haut commerce londonnien un banquet comme seul le Savoy Hotel sait les organiser.

Parmi les nombreux toasts qui ont été portés à ce banquet, à la prospérité et au succès de la Société Paquin, il faut citer surtout celui de M. Barker, le président de la Compagnie, porté « à l'absente », c'est-à-dire à Mme Paquin qui, retenue à Paris par les soins de sa clientèle qu'elle ne veut pas abandonner un seul instant, n'avait pu se rendre à Londres pour cette fête. C'est une belle « première », dont la fashion française et anglaise à Londres conservera longtemps le souvenir.

Harry Finney.
Le Figaro, 31/3/1897

Le magasin de la rue de la Paix s'agrandit en avril 1900 : sept nouveaux salons d'essayage s'ajoutent à ceux qui existent déjà ; ils sont reliés les uns aux autres par une superbe galerie vitrée. La foule élégante, qui se presse chez les Paquin, pourra s'y mouvoir plus à son aise.

La boutique ouverte sur la 5ème avenue à New York, en 1912, consacré à la fourrure, est confié au demi-frère de Jeanne, Henri Joire.

Jeanne Paquin est choisie, en 1900, pour présider la section de la mode de l'Exposition Universelle de Paris.

  Contrairement à Worth et aux autres couturiers, qui sélectionnent leurs clientes, le couple Paquin accueille lui-même les visiteuses avec simplicité.


Le Figaro,13/01/1906

 

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Des styles et des clientèles différentes ...

 

 

 

Le Petit Matelot au Salon
[de l'automobile]

L'exposition de la grande maison, de tailleur et d'habillement du Petit Matelot vaut la peine que l'on monte à la galerie du premier dont c'est l'une des principales attractions.
Les visiteurs y trouveront toutes les nouveautés qui constituent l'équipement à la fois pratique et élégant d'un fervent de l'automobile : grands pardessus en loden, couvertures automatiques, etc. M. Paquin, directeur du Petit Matelot s'est également ingénié à contenter sa c!ientèle féminine. Il y a à son stand des manteaux de fourrures de toute beauté.
Quant aux adeptes de la motocyclette, ils trouveront au Petit Matelot le costume de cuir indispensable pour ce genre de véhicule.

La Presse, 15/12/1903

La maison Paquin favorise le repos estival de ses ouvrières :

Une généreuse initiative

La maison Paquin, réalisant un projet depuis longtemps caressé, va offrir, à partir de cette année, de belles vacances à la petite armée d'ouvrières qu'elle occupe dans ses ateliers. Elle a loué, à Paris-Plage, trois jolis châlets où se succéderont ses 800 ouvrières, qui s'y rendront chaque semaine par groupe de 30 — sans avoir bien entendu à se préoccuper d'aucuns frais de voyage, de séjour, ni de nourriture. Voilà, n'est-il pas vrai, d'heureuses midinettes et un grand couturier bien inspiré.

Le Figaro, 13/5/1905

L'espionnage et la contrefaçon continuent :

LA CHASSE AU MODÈLE

Au moment où s'ouvre la saison d'hiver, on sait combien les couturiers ont besoin de monter une garde vigilante autour de leurs modèles. M. Paquin vient d'en faire une fois de plus l'expérience dans des circonstances assez curieuses et que le grand couturier de la rue de la Paix a tenu à tirer au clair.

Un de ses ouvriers était récemment abordé par M. Max Steiner, représentant d'une grande maison de couture londonienne de Mayfair, lequel lui proposa une bonne affaire, qui consistait à s'emparer chez son patron de quatre « mousselines » — modèles de robes inédits — et de les lui remettre contre une bonne indemnité : 20 francs par « mousseline ». L'affaire fut conclue, l'argent était encaissé et les « mousselines » livrées, lorsque deux agents de police vinrent interrompre cette honnête opération et conduisirent au poste l'acheteur indélicat et l'ouvrier. Procès-verbal a été dressé au commissariat de police du quartier Gaillon. Et c'est ainsi que, pour une fois, l'adroit courtier devra se passer de ces modèles qui valent, à trop bon compte, à ses clients, la réputation d'avoir le « chic de Paris ».

Jean de Paris.

Le Figaro, 8/8/1905

La gloire de la Maison Paquin

Après une maladir l'ayant tnu à l'écart des affires pendant deux ans, Isidore Paquin décède en 1907 ; il laisse Jeanne seule à la tête de son empire de la mode. Son demi-frère Henri Joire et Suzanne, l'épouse de celui-ci, la rejoignent en 1911.

En 1910, Jeanne est la première à organiser de véritables défilés de mode pour promouvoir ses nouveaux modèles, apparaissant entourée de ses mannequins à l'Opéra et les jours de Grand Prix, à Chantilly et à Longchamp. Elle organise également une tournée de 12 de ses mannequins dans les principales villes américaines.

Elle collabore avec divers artistes de son époque :

- elle édite, en 1911, un album de vêtements et d'accessoires conçus par les artistes George Barbier, Paul Iribe et Georges Lepape,

- en 1912, elle crée une cinquantaine de costumes Modern style, dessinés par Iribe pour la pièce La rue de la Paix de MM. de Toledo et Abel Hermant, jouée au Vaudeville. Le premier acte représente un grand salon rue de la Paix, un essayage, des vendeuses, des mannequins, des essayeuses, les clientes, enfin tout ce mouvement d'un grand costumier, ces coulisses de la haute mode que tout Paris rêve d'apercevoir, de connaître. (André Nède. Le Figaro, 20/1/1912).

- elle utilise des modèles de Léon Bakst et d'Etienne Drian dans ses créations,

- elle participe, notamment avec Léon Bakst, à la création de costumes de théâtre. Tous deux imaginèrent la mode de 1925 pour le ballet Jeux de Claude Debussy, présenté en mai 1913 au Théâtre des Champs-Elysées, récemment ouvert.

Costume, ornement, décor

[...] Il y avait dans cette nécessité de l'ornement — qui me faisait songer à la plus féconde étape de l'époque romane — et dans ce principe d'éléments géométraux pour constituer cet ornement ce qui est l'antithèse du décor au dix-huitième siècle, où toute synthèse à caractère scientifique était implacablement effacée sous un arrangement d'éléments à signification réelle, — il y avait là une idée maîtresse que Léon Bakst a la très grande joie de voir réalisée, grâce à Mme Paquin, en des costumes exécutés comme elle seule pouvait le faire, et en ce moment exposés chez elle, rue de la Paix ; et cette idée, Bakst ne pouvait pas ne pas l'essayer, car elle est intimement liée à celle qui se révèle dans ses décors.

Quels seront donc les décors pour le ballet de M. Debussy ? On le saura bientôt : ce qu'il faut retenir de la doctrine de Léon Bakst, c'est que pour lui le décor, doit, être essentiellement un leitmotiv euchromatique organisé par le peintre autour de la pensée du dramaturge ou du musicien : il ne doit pas être localisé d'un façon concrète, mais nous aider à placer l'action et les personnages dans leur ambiance propre. [...]

L. Roger-Milès.
Le Figaro, 2/4/1913

Ses ateliers réalisent, en 1917, ceux dessinés, ainsi que les décors, par Picasso pour le ballet Parade des Ballets Russes de Diaghilev (sur un thème de Jean Cocteau et la musique d'Erik Satie),

- elle réalise également des robes pour le cinéma, notamment celles portées par Josette Day dans le film "La Belle et la Bête" et par Arletty dans "Les enfants du Paradis",

- elle décore ses salons et ses résidences privées, avec l'aide de Robert Mallet-Stevens et de Louis Süe.

  En 1913, elle est la première femme, dans son domaine, à recevoir la croix de la Légion d'Honneur.

Elle ne s'intéresse, toutefois, pas beaucoup à la politique (voir ci-contre).

 

 

Elle préside la Société d'enseignement moderne, fondée par le président du Conseil municipal, qui a pour objet "de développer l'instruction populaire des adultes dans toutes ses branches : enseignement commercial, technique, professionnel, artistique, ménager, etc.". A cet effet, elle a établi des cours publics et gratuits, professés gratuitement. Pour venir en aide aux professeurs de l'œuvre, elle leur assure une retraite après vingt années de dévouement, grâce aux profits d'une fête de charité.

 

Mesdames, voterez-vous
si on vous en donne le droit ?

Quelques réponses
à l'enquête du "Matin"


Mme Paquin
Le Matin, 30/8/1913

 

La façade des établissements Paquin, décorée à l'occasion de la visite des souverains anglais
le 21/4/1914

 

 

 

 

 

Agence Rol


La guerre entraîne une crise de la haute-couture


Les "midinettes" parisiennes manifestent dans le quartier des grands couturiers
pour obtenir une indemnité de vie chère et la semaine anglaise
.

Le coût de la vie, aussi bien dans les pays belligérants que chez les neutres, a subi des augmentations considérables. [...]

Certains employeurs ont gratifié spontanément leur personnel de l'indemnité dite de vie chère : d'autres, au contraire, ne se sont résignés à le faire que devant des réclamations comminatoires et même à la suite de grèves plus bruyantes qu'inquiétantes.

C'est ainsi que vers le milieu du mois de mai 1917, les « midinettes » parisiennes, c'est-à-dire tout le petit monde de la couture, de la lingerie et de la mode, sont entrées soudainement en ébullition. Déjà, on leur avait imposé des salaires de guerre fort réduits qu'elles avaient acceptés sans trop rechigner, faisant contre fortune bon coeur ; mais les temps devenant de plus en plus durs, des plaintes se sont fait entendre, soulignées bientôt par des réclamations franchement formulées. Le 11 mai, le mouvement se déclencha dans une maison de couture des Champs-Elysées, dont 70 ouvrières cessèrent le travail. De porte en porte, d'atelier en atelier, le chômage gagna rapidement ; au bout d'une semaine, les grévistes étaient 10.000 ; plus de cinquante maisons étaient touchées, et non des moindres.

Les principales revendications consistaient en une indemnité de vie chère de un franc par jour et la semaine anglaise, c'est-à-dire le repos du samedi après midi payé, comme cela se passe en Angleterre. La Chambre syndicale patronale des couturiers ne pouvait rester indifférente. Son président, M. Aine-Montaillé, comprit ce que ces revendications avaient de légitime et proposa au comité de grève un contrat accordant satisfaction aux couturières, sauf pour la semaine anglaise, qu'il conviendrait de soumettre sans retard au Corps législatif.

Mais, devant l'intransigeance des midi- nettes, on accepta de faire un essai loyal immédiat de la semaine anglaise ; par contre, l'indemnité de un franc fut réduite à 0 fr. 75.
On avait, hélas ! signé sans consulter les patrons non syndiqués, et ceux-ci ne voulurent rien savoir. M. Montaillé se retira, et une nouvelle commission patrouille fut constituée avec MM. Kempf, Schumpf, Dussenhofer, Mme Paquin, etc.. L'agitation recommença de plus belle dans le personnel de la couture.


Les grands couturiers de Paris sortent du ministère de l'Industrie,
où ils ont eu une entrevue avec M. Malvy, qui était alors ministre.

Enfin, le ministre du Travail et le ministre de l'Intérieur prirent la cause en main, déposèrent un projet de loi instituant la semaine anglaise et firent entendre raison aux patrons, qui acceptèrenl enfin les conditions des couturières [...].

Mais l'exemple donné et la victoire acquise par les couturières avaient mis en goût les autres midinettes et, à leur tour, les modistes, les corsetières, les fourreuses, les confectionneuses, les ouvrières en parapluies, les ouvrières du caoutchouc, les employées de certains grands magasins de nouveautés, les plumassières, les employées de banque, d'équipements militaires, les lingères, etc.. ont suivi le mouvement. Pour toutes, mêmes réclamations : indemnité de vie chère etl semaine anglaise. Comme les couturières, elles eurent satisfaction, et tout rentra bientôt dans l'ordre, à la satisfaction générale. [...]

 

Almanach illustré du Petit Parisien, 1918

Au service de la couture, de Paris et de son second époux

Après à cet épisode, suite au décès du président de la chambre syndicale de la couture, Jeanne Paquin est élue à la présidence, qu'elle assura jusqu'en 1919.

[...] Madame Paquin [...] vient d'être élue, à l'unanimité, présidente de la Chambre syndicale de la Couture parisienne. En la choisissant, la Chambre syndicale a rendu un nouvel hommage à sa haute compétence et a fait un grand pas vers le féminisme, progrès qui se comprend d'autant mieux qu'il s'agit d'une industrie où les femmes occupent la plus grande place.

A ce propos, une anecdote caractéristique : Pour l'après-guerre on recommande aux commerçants français de donner à leur industrie le plus d'extention possible à l'étranger pour contrebalancer la concurrence allemande qui avait fini par nous écraser et qui, on peut s'y attendre, fera des efforts surhumains pour reprendre son influence au détriment de la nôtre. Madame Paquin n'avait pas attendu que la guerre soit finie pour entretenir à l'étranger notre renommée. Depuis plusieurs années elle avait monté à Buenos Aires une succursale, grâce à laquelle les modes françaises faisaient fureur. Cette succursale était placée sous la direction d'une des meilleures « premières » de la maison, Madame M..., une jeune femme qui la tenait en compagnie de son mari.

Revue Les Modes, 1917

 

LA CRISE DANS L'INDUSTRIE DU VETEMENT
Les efforts de la grande couture pour combattre le chômage

La commission mixte instituée sur l'initiative de l'office départemental de placement en vue de rechercher les mesures à prendre pour atténuer la crise qui sévit s'est réunie à l'annexe de l'Hôtel de ville [...].

De la discussion un peu confuse, il ressort une incontestable bonne volonté de la part de la grande couture pour épargner aux ouvrières les douleurs d'un long chômage et une certaine inquiétude chez les confectionneurs devant les projets élaborés.

Mme Paquin a déclaré qu'elle et beaucoup de ses collègues étant disposés à transformer leurs ateliers et, si on leur fournissait le matériel nécessaire, à organiser la fabrication des chemises, culottes et tuniques de soldats américains, là où naguère de mains mignonnes et fines cousaient légères robes du soir et coquettes robes de ville.

— Vos ouvrières, intervint un confectionneur, habituées à manier les mousselines fragiles et les riches soieries, ne sauront pas travailler les tissus grossiers des troupiers ; à cette besogne, elle ne gagneront pas leur pain sec !
— Quelle erreur ! protesta Mme Paquin. Les ouvrières de la grande couture sont habiles et intelligentes ; je ne donne pas quinze jours avant qu'elles puissent produire en quantité un travail soigné. [...]

Le Petit Parisien, 24/4/1918


DU FEMINISME EFFECTIF
Madame Paquin vient d'être nommée Vice-Présidente
du Syndicat d'Initiative de Paris

[...] Dorénavant, aux côtés de MM. Maringer, président de Section au Conseil d'Etat et Lalou, conseiller municipal, ancien président du Conseil Municipal, Mme Paquin occupera un des postes de la vice-présidence, dans lequel elle succède au regretté Professeur Gariel, de l'Académie de Médecine. Déjà, Mme Paquin siégeait au Conseil d'Administration de ce groupement dont l'action ne saurait être trop louée et qui est appelée à rendre à Paris les services les plus grands.

D'ailleurs, ce n'est point un début puisque, présidente de la Chambre syndicale de la Couture parisienne, Mme Paquin se trouvait ainsi la première femme qui ait été appelée à la présidence d'un Syndicat patronal. Si l'on veut bien songer à l'exceptionnelle importance, pour Paris, de tout ce qui concerne la Mode dont notre ville a, en quelque sorte, le privilège, on se rend aisément compte de l'importance du poste où la confiance de ses collègues appelait Mme Paquin. Elle le remplit avec autant d'intelligence que de tact et fut, quand elle se retira, acclamée présidente honoraire. Elle est, d'autre part, chevalier de la Légion d'honneur. Fondatrice avec son mari de la maison, illustre dans l'Univers entier, — maison qu'elle a remise en excellentes mains, — Mme Paquin connaissait à merveille les besoins d'une industrie où elle avait, en tant que productrice, joué un rôle primordial.

Comme je demandais à la nouvelle vice-présidente du Syndicat d'Initiative de bien vouloir synthétiser en une phrase les destins qu'elle lui souhaite :
« — Le Syndicat d'Initiative, me répondit-elle, doit être utile à tous, petits et grands. Tous donc se doivent de lui porter leur concours. »

Et, sous les cheveux blancs qui semblent poudrés à la mode charmante du XVIIIe siècle, les yeux clairs affirmèrent leur volonté d'aider à la réalisation d'un programme aussi heureusement défini.

Ch. PRÉVOST.
La Semaine à Paris, 14/11/1924

Jeanne Paquin se retire en 1920, confiant la création de ses collections à sa collaboratrice Madeleine Wallis et l'administration de la société à Henri Joire.

La Renaissance de l'Art français et des industries de luxe
 

 

 

 

 

L'immeuble du 3 rue la Paix, en 1923

Elle nommée, en 1924, vice-présidente du Syndicat d'Initiative de Paris.

En 1930, elle épouse un homme politique et diplomate, Joseph Noulens.

 

Joseph Noulens (1864-1944)

Député du Gers de 1902 à 1919.
Sénateur du Gers de 1920 à 1924.
Sous-secrétaire d'Etat à la Guerre du 3 novembre 1910 au 27 février 1911.
Ministre de la Guerre du 9 décembre 1913 au 2 juin 1914.
Ministre des Finances du 13 juin au 26 août 1914.
Ambassadeur à Petrograd en mai 1917.
Ministre de l'Agriculture et du Ravitaillement du 20 juillet 1919 au 20 janvier 1920.

Il fit adopter, en tant que ministre des Finances, la loi du 15 juillet 1914 créant un impôt général sur le revenu.

En septembre 1936, la presse annonce le décès de Jeanne Paquin et publie sa nécrologie.

Mme Joseph Noulens, femme de S. Exc. M. Joseph Noulens, ancien ministre des finances, ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg lorsque éclata la révolution russe, et dont nous avons récemment annoncé le décès, n'était autre que Mme Paquin dont la notoriété n'était pas seulement, due à l'influence qu'elle exerçait sur la mode parisienne. Mme Paquin, retirée depuis de longues années de l'activité commerciale, avait dépensé sans compter ses efforts charitables pendant la guerre. Elle avait été nommée marraine de la 74e division dont elle avait, par sa constante sollicitude, adouci les épreuves elle avait également fondé l'ambulance 44 à Saint-Cloud dont elle assurait entièrement l'entretien. Au lendemain de la paix, elle organisait enfin les expositions à l'étranger afin de contribuer à la reprise de notre actilvité industrielle.

Le Figaro, 14/9/1936


Les journaux ont appris récemment sous une forme très laconique et bien peu documentée la mort de Mme Noulens.
Ce nom, fort honoré dans la diplomatie, cachait une femme délicieuse qui eut son heure de célébrité : Mme Paquin.
A l'époque où les modes parisiennes avaient élu comme temple l'unique rue de la Paix, le nom de Paquin rayonnait par le monde d'un inégalable éclat...
Mme Paquin avait appris très jeune l'art délicat du couturier. Distinguée par son patron, elle l'avait épousé et réussit à assurer aux créations de la maison une distinction, une tenue élégante et noble qui lui conquirent bientôt la clientèle française et étrangère.
De tels succès valurent à Mme Paquin la Légion d'honneur. C'était la première fois qu'une femme de France était décorée et Paris — nous avions alors des scrupules un peu ridicules — fut fort ému — et amusé — par l'initiative de M. Alexandre Millerand...
D'une intelligence remarquable, d'un esprit délié et subtil, cette grande artiste fut l'amie — la conseillère même — de littérateurs éminents, d'artistes, d'hommes politiques. Aristide Briand fréquentait ses salons.
Son goût très éclectique lui fit prévoir l'évolution des arts décoratifs et les tendances modernes. Bien avant les « ensembliers », Mme Paquin orna sa demeure d'oeuvres charmantes et raffinées. Bob Mallet-Stevens, qui débutait alors dans l'urbanisme, édifia dans la banlieue ouest de Paris pour Mme Paquin une villa où brillaient déjà toutes les innovations que le Salon des Artistes Décorateurs révéla plus tard : jardins en terrasses, murs en glaces gravées, paravents de laque, éclairage indirect, etc.. La villa de Mme Paquin à Deauville reste un des plus fins joyaux de la Reine des plages.

La Femme de France, novembre 1936

Sa maison de couture reste active, sous la direction d'Ana de Pombo, puis d'Antonio Canovas del Castillo qui, de 1942 à 1944, apporte aux collections un style espagnol élégant. Colette Massignac puis Lou Claverie dirigent ensuite la maison Paquin. Pendant la guerre, elle se développe en Amérique du Sud.

LA MODE FRANÇAISE à Buenos-Aires

Nous sommes heureux d'enregistrer un nouveau succès pour la grande couture parisienne à Buenos-Aires, dû à l'effort de la Maison Paquin. Pour marquer l'inauguration de l'agrandissement de ses nouveaux salons, Paquin a donné une réception d'un éclat particulier en présentant sa nouvelle collection, réception donnée au profit des œuvres françaises. Double et même triple succès pour le rayonnement du goût français au delà des mers, dans un domaine où la Maison Paquin, en luttant pour l'élégance parisienne, soutient une de nos plus belles industries de luxe.

Le Figaro, 15/5/1940

La maison Paquin rachète, en 1953, la succursale française de la maison créée par son prédécesseur, Charles Worth. Les difficultés financières de la société lui font toutefois mettre fin à ses activités, trois ans plus tard.

Le style Paquin

Jeanne Paquin prend en compte, encore plus que ses confrères, les besoins de ses clientes, qu'elle leur fait exprimer pour toute une saison.

Elles adapte ses modèles aux contraintes du nouveau siècle, telles que celles des déplacements en Métropolitain.

Elle fait preuve de grandes qualités de dessinatrice ; les couleurs vives, qu'elle emploie, alors que les autres couturiers utilisent des tons pastels, sont soulignées par l'adjonction de noir.

 
 

Pour les robes du soir, elle s'inspire de motifs du 18ème siècle, les ornant de fourrure ou d'incrustations de dentelle. Peu après le début du siècle, elle relance une ligne Empire puis elle introduit des motifs japonisants, alors très en vogue.

Tout en puisant largement dans le passé, elle suit les évolutions de son temps : elle réalise, en particulier, un modèle de tailleur avec une jupe plissée puis, en 1914, une robe intermédiaire entre un tailleur et un costume flou, que les femmes actives peuvent porter l'après-midi puis le soir.

Sa lingerie et ses robes Tango sont également très connues.

Pour orner ses tailleurs, elle utilise la fourrure qui prend une place importante dans l'image de la maison Paquin.

 

La France à l'exposition de Gand

INAUGURATION DE LA SECTION FRANÇAISE
PAR LES MEMBRES DU GOUVERNEMENT

[...] Avant tout nous célébrerons ce joyau précieux qu'est l'exposition de Mme Paquin. Elle prouve, une fois de plus, combien Mme Paquin et son frère, M. Joire, possèdent à fond la science de la couleur et avec quelle ingéniosité ils savent utiliser les ressources de l'art français. Les robes se tiennent dans une tonalité blanche et noire, sauf celle d'une jeune femme habillée à l'orientale, et qui met une tache très violente de lilas, de rouge et de bleu, avec une coiffure émeraude, apportant une note vigoureuse, violente même, qui, s'harmonisant avec le fond, met en valeur le modernisme sobre et original du décor nouveau et très réussi. C'est une remarquable manifestation d'art ! [...]

Le Petit Parisien, 14/5/1913


Ce que les grands couturiers pensent
de la mode de demain

Chez Paquin

Mme Paquin, chère madame, ne pourra pas être à vous avant un long moment, mais si je puis vous être utile ?
Je fus accueillie par le frère de Mme Paquin, M. Joire, et je m'empressai de lui dire que, comme chaque saison, je venais essayer de cueillir pour mes lectrices quelques indications sur la mode de l'hiver.
— Ne pourriez-vous pas, en attendant Mme Paquin, me donner votre impression personnelle et vos idées ? Elle aura la latitude, tout à l'heure, de me donner les siennes.
— Voyons, réfléchissons à ce que peut être la mode. Je pense que la silhouette et les étoffes employées vous intéressent. Le tulle et la fourrure me semblent être roi et reine dans la maison, cette saison, accompagnés, bien entendu, de quelques belles et rares étoffes façonnées, mais surtout de velours.

— Et quelle silhouette ?
— Mon Dieu, c'est assez difficile à décrire et à expliquer. Vous pourrez juger vous-même par quelques robes que je puis vous montrer. Vous verrez que la taille est toujours très remontée en avant, et je crois que la définition la plus juste pourrait être que les femmes, cette année, paraîtront avoir des ailes ... un peu partout ... sauf dans le dos...
— Et le ventre ? Vous m'avez dit, la saison dernière, que le ventre serait à la mode, l'est-il toujours ?
— Certes, toutes les jeunes femmes, fines, minces, souples, ont raison de se chercher des attitudes personnelles dans des mouvements souples qui peuvent compléter leur propre personnalité. Il est évident que lorsque le corset, ou plutôt la ceinture (car personne n'avoue plus le corset maintenant) est trop bien remplie, ces attitudes sont rigoureusement interdites.
— Je vous remercie des indications très précises que vous me donnez, mais quelle est la couleur dominante ? Voici Mme Paquin qui pourra, si elle le désire, compléter les renseignements que vous m'avez demandés.
— Que voulez-vous que j'ajoute, chère madame, à toutes les explications que M. Joire vous a données ? Je ne vous en aurais certainement pas livré autant. Vous désirez savoir quelle est la couleur qui domine à la maison ? Peut-être est-ce le mordoré avec le cerise et le blanc. [...]
 

Le Matin, 27/9/1913


Robe d'après-midi.

Revue Les Modes,
juin 1903

 


L'actrice Yvonne de Bray, habillée par Jeanne Paquin (robe du soir en satin violet)

Revue Les Modes,
décembre 1915

Sa résidence de Villennes

Jeanne Paquin achète, en décembre 1908, un grand terrain au Bois des Falaises, en même temps que son demi-frère Henri Joire ainsi que, vraisemblablement, sa sœur et son beau-frère, suivant de quelques mois une autre couturière.

Elle y fera construire une maison en bois et acquerra le lot central situé en face ; elle rachètera, en 1923, la villa et le terrain de sa sœur, qu'elle conservera jusqu'en 1926, après avoir vendu, l'année précédente, sa première propriété.

Un arrêt du Conseil d'Etat de 1924, relatif aurecours de Jeanne Paquin contre le classement de ses villas en première catégorie, nous apprend qu'elle louait alors les six villas, dont elle était propriétaire à Saint-Cloud, à Deauville et à Villennes.

VU LES REQUÊTES présentées pour la dame Paquin, demeurant à Paris, 78, rue de l'Université..., tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler, pour excès de pouvoir et violation de la loi, six décisions, en date du 14 nov. 1922, par lesquelles la commission supérieure de classement a rejeté ses recours contre six décisions des commissions départementales de Seine-et-Oise et du Calvados classant en 1re catégorie les villas meublées les Coccinelles, la Bérangère, le Mirador, les Treillages, les Chênes et les Abeilles qu'elle possède à Saint-Cloud, Villennes-sur-Seine et Deauville ;
Vu (la loi du 25 juin 1920 et le décret du 29 juin suivant) ;

CONSIDÉRANT que la commission supérieure, instituée par l'art. 64 de la loi du 25 juin 1920, est une véritable juridiction devant laquelle doivent être observées toutes les règles générales de procédure dont l'application n'a pas été écartée par une disposition législative formelle ou n'est pas inconciliable avec l'organisation même de la commission;
Cons. que la requérante demandait à la commission supérieure l'annulation des décisions de la commission départementale en soutenant que les villas en cause ne pouvaient être légalement classées, alors qu'elle n'était pas passible, en droit, en sa qualité de propriétaire louant ses villas meublées, de la taxe sur le chiffre d'affaires;
Cons. que la commission supérieure s'est déclarée incompétente pour statuer sur la question de droit ainsi soulevée par les requêtes de la dame Paquin, et qu'elle s'est bornée, pour rejeter lesdites requêtes, à constater que l'installation et le prix de location des villas de la requérante justifiaient en fait leur classement; qu'elle a ainsi méconnu sa compétence et les règles générales qui s'imposent à elle comme il a été dit ci-dessus, et qui l'obligent à motiver sa décision sur les moyens de droit, relatifs à la légalité du classement, invoqués devant elle; que, dès lors, il y a lieu d'annuler ses décisions pour excès de pouvoir;...
(Décisions annulées ; dame Paquin renvoyée devant la commission supérieure pour être statué ce qu'il appartiendra sur ses recours contre les décisions de la commission départementale de classement).


Souvenirs de Jeanne Paquin

Elle est aujourd'hui un peu oubliée. Son souvenir persiste touteois :

- par une chanson de P. Marinier et L. Lelièvre, popularisée par Annie Cordy et Marie-Paule Belle : "La Biaiseuse de chez Paquin",

- par l'une des 4 dalles à la mémoire de grands couturiers que vous pouvez trouver, non pas rue de la Paix mais aux angles du carrefour de l'avenue Montaigne et de la rue François 1er.

 

 

Blanche Arvoy, parfumeuse romantique


Blanche Arvoy est née le 21 décembre 1892 à Montreuil sur Mer (Pas de Calais).


Sa villégiature de Villennes

Blanche Antoinette Rose Reneaux a fait construire vers 1932, avec son époux britannique, Bertie Istvan Arvoy, la villa "L'Heure Romantique", où ils ont habité dans l'île de Villennes.

 

Jovoy et Corday

Ses sociétés Corday et Jovoy sont moins célèbres aujourd'hui que celles de certains de ses concurrents tels que Guerlain, Coty ou Lubin et celles des couturiers (Paul Poiret, Gabrielle Chanel, Jeanne Lanvin, ...) ; elles étaient néanmoins bien connues à leur époque par leur fragrances et par les formes de leurs flacons.

Nous empruntons à l'ouvrage "Précieux effluves" (de Jean-Marie Martin-Hattemberg et Freddy Ghozland, Editions Milan), la description de ces deux marques de parfums.

Jovoy (127 rue de Longchamp, Paris)

 

Créée en 1923 par Blanche Arvoy, la marque Jovoy s'est plus particulièrement illustrée par le style animalier de ses flacons et par l'humour qu'elle a manifesté dans le choix de ses noms de baptême !
Ainsi Allez hop !, un parfum présenté dans un flacon en forme de chien dalmatien, assis dans son panier ou Allez Coco !, dessiné sous la forme d'une cage miniature, un perroquet disposé en partie interne du coffret, en guise de bouchon.

 

En 1926 c'est Baccarat qui édite pour le parfum Gardez-moi un flacon rare en cristal opaque noir, représentant un chat sculpté dans une position hiératique, disposé sur un sole cubique vitré qui dissimule le col et le bouchon placés en partie basse.

Chef œuvre d'émotion, un flacon conçu pour exprimer tout à la fois la sagesse féline et un sentiment profond de tendresse voulu par Blanche d'Arvoy.


Autre animal pour le parfum Severem (1923) : son flacon en verre blanc moulé, poli, a la forme d'un dromadaire assis, le bouchon sur la bosse représentant un bédouin.

 

Corday (15 rue de la Paix, Paris)

La marque des Parfums Corday apparaît à partir de l'année 1924. C'est la fascination quelle éprouve pour le personnage de Charlotte Corday et de son aventure dramatique qui incite Blanche Arvoy à adopter ce nom pour l'entreprise qu'elle crée.

Sa première fragrance, en 1924, s'appelle Blanchette qui est en fait le surnom que lui donnent ses amis. Elle est présentée dans un flacon laqué or en cristal de Baccarat dessiné dans un style très moderniste par Georges Chevalier.

 

La plupart des flacons qui suivront seront également exécutés par les Cristalleries de Baccarat : Fleur du Jour, La Plus Belle en 1927 sans oublier L'Orchidée Bleue en 1925, dont le cristal épais et limpide laisse chatoyer la couleur ambre-cognac des essences précieuses. Eternité du parfum ou essences furtives, Blanche Arvoy choisira le mode interrogatif pour un parfum qu'elle développe dans les années 1929-1930 : Quand ? un adverbe teinté de mystère que chacun peut adapter à ses désirs ... une interrogation qui prend la forme d'une tabatière à opium dont le verre coloré en noir laisse présager plusieurs réponses ...

 

L'entrée d'investisseurs venus des Etats-Unis dans son capital, à partir des années quarante, transforme les parfums Corday en une entreprise franco-américaine et conduit au lancement, en 1949, de Zigane qui sera un grand succès aux USA : surréaliste et humoristique, Zigane est présenté dans un flacon et un écrin en forme de violon, évocateur des mélodies tziganes.

Corday cessera ses activités aux Etats-Unis dans les années soixante.


Le flacon du parfum Kai Sang a été conçu par Maurice Depinoix en 1924 : réalisé en verre noir avec émaux et dorures, il a la forme d'un encrier oriental.

En 1952, le parfum Rue de la Paix (adresse de la société Corday) était présenté dans un réverbère miniature, dont chaque lanterne contenait un flacon en verre à capsule, empli d'un parfum différent (Jet, Fame, Zigane).


Les flacons des parfums Toujours Moi, Trapèze (lancés en 1924 et 1956) et Pois de senteur constituent quelques autres exemples de la collaboration de la société Corday avec des "designers" de différentes époques.

La société Corday a réalisé 32 parfums entre 1924 et 1961, ainsi que des eaux de Cologne, de lavande, de lilas.

Elle a également commercialisé, dans les années 1950, des parfums solides, insérés dans des camées.

Les parfums Corday mis en musique

Nous ne pouvons pas encore vous faire sentir, par Internet, les parfums de Blanche Arvoy. Par contre, vous pouvez écouter un extrait musical d'un disque que la société Corday a fait réaliser en 1948 et qui a été récemment réédité par RCA Victor.

Le compositeur américain d'origine britannique, Harry Revel a illustré quelques unes de ses fragrances au moyen d'instruments de musique et de voix humaines, après une rencontre, à la fin de l'année 1936, au bar de l'hôtel Georges V avec une femme séduisante. Les effluves de son parfum Toujours Moi lui ont aussitôt inspiré un thème mélodique.

Avant de quitter Paris, il a rendu visite à la société Corday. Sur la suggestion des personnes auxquelles il a fait part de son expérience, il s'est rendu à Grasse où étaient produites les huiles essentielles des parfums. Dans cette ville, puis à son retour à Paris, il a passé de nombreuses heures à s'imprégner des senteurs et à commencer la composition de ses musiques.

Quelques années plus tard, aux Etats-Unis, il a découvert un nouvel instrument de musique, qui lui permettrait de restituer la nature éthérée des parfums. "Le Theremin est symbole d'effluve, ce qui correspond tout à fait à sa nature filante, à l'éphémère passage des sons toujours uniques qui en émanent". Cet instrument est voisin des Ondes Martenot, créées en 1938 par Maurice Martenot qui avait rencontré, cinq ans plus tôt, Leon Termen, l'ingénieur russe inventeur du Theremin.

L'enregistrement avec un orchestre et un chœur placés sous la direction de Leslie Baxter a eu lieu aux studios RCA Victor d'Hollywood.

Chacun des thèmes de Perfume Set to Music illustre l'un des 6 parfums Corday : Jet, Toujours Moi, l'Ardente Nuit, Possession, Fame, Tzigane.

Si vous avez installé le logiciel Windows Media Player, cliquez sur la photographie de la pochette du disque pour en écouter un extrait, proposé sur le site Teletouch !

 

Pour aller plus loin dans l'histoire de la parfumerie, nous vous proposons de visiter deux sites Web :

 l'encyclopédie ozMoz,
 le site des musées de Grasse.

Victor Armand Roquencourt et Narcisse Jolibois,
fabricants de fleurs artificielles

Deux propriétaires de villas, situées de part et d'autre de la rue Gallieni, La Bicochette et le Val Sinet, avaient le même métier. L'un des deux a certainement incité l'autre à acquérir une villa en face de la sienne.

Victor Armand Roquencourt

 

 

 
La Gazette de Londres nous apprend, dans son édition du 19 mars 1872, qu'un Parisien portant ce nom et ces prénoms, habitant alors 9 rue Tracy, avait inventé un appareil perfectionné pour la fabrication de fleurs artificielles.

 




Le rond-point des Champs Elysées, pendant la visite du tsar

Photo de Da Cunha publiée dans Le Tsar et la tsarine en France
Éditeur : librairies-imprimeries réunies (Paris)

 

Il s'agirait donc du fabricant de fleurs artificielles qui s'est illustré à l'occasion de la visite du tsar, comme l'a écrit Mathieu Marmouget dans son mémoire de maîtrise (Paris X Nanterre, 1997) : La visite du Tsar Nicolas II à Paris. 5-9 octobre 1896.

[...] Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’esprit qui domine pendant la visite du Tsar semble fêter cette reprise avec toute la magnificence et l’ingéniosité dont les industriels, les entrepreneurs et les commerçants sont capables. Les grandes maisons parisiennes saisissent tout de suite la publicité dont elles peuvent bénéficier à cette occasion. [...]

Mais le plus surprenant, ce sont les « deux inventions » dont bénéficient les boulevards et les places, « les arbres fleuris et les globes de Celluloïd qui ont le double avantage de la joliesse et du bon marché » 1.

Victor Armand Roquencourt a été propriétaire de 1889 à 1899 du terrain de la future avenue Foch, sur lequel a été ultérieurement bâtie la villa Marie Isabelle.

Narcisse Jolibois

 

En choisissant son prénom, ses parents l'avaient destiné à travailler dans l'horticulture ou dans l'industrie artisanale de l'imitation de la nature.

Narcisse Jolibois était-il l'un des associés de la maison Jolibois et Ponsard, située 51 rue de Vincennes à Paris, qui dépendait de l'Assistance Paternelle aux Enfants employés dans les Industries des fleurs et plumes ?

 

L'ouvrage "Exposition universelle internationale de 1900 à Paris. Rapports du jury international", édité par le Ministère du commerce, de l'industrie, des postes et des télégraphes (Imprimerie nationale, 1902-1906) nous fait connaître cette association de formation professionnelle :

La Société pour l'assistance paternelle aux enfants employés dans les industries des fleurs et plumes (patronage industriel), fondée le 8 juin 1866, sous la présidence de M. Ch. Petit, a pour but d'assurer un bon apprentissage professiotnnel et de patronner, assister et moraliser, par tous les moyens qu'elle juge utiles et en particulier par des cours professionnels, les jeunes filles employées comme apprenties dans les deux branches d'industrie ci-dessus.

Date d'ouverture des cours : 1er avril ; date de fermeture : 31 mars.

Les cours professés sont les suivants :

Historique des industries des fleurs artificielles et des plumes pour parures, notions de botanique appliquées à l'industrie florale, origine des matières premières employées dans cette industrie, notions de zoologie sur les oiseaux les plus enmployés dans l'industrie des plumes pour parure ; couleurs, outillage, procédés spéciaux, importations et exportations.

Représentation d'après plâtre et d'après nature d'ornements floraux, d'oiseaux ou de parties d'oiseaux (ailes, têtes, pattes, etc.).

L'enseignement pratique est donné dans les ateliers où les enfants ont été placées, avec contrat d'apprentissage, par les coins de la Société et où elles sont surveillées par les délégués du patronage.

Collections (musée).
- Le cours d'enseignement industriel (histoire naturelle et enseignement technique comprend : pour l'enseignement de la botanique, des fleurs de démonstration en carton-pâte démontables (fabrication Auzoux) et des tableaux d'enseignement avec gravures en couleur éditées par la maison Deyrolle ; pour l'enseignement zoologique (oiseaux), une collection d'une centaine d'oiseaux naturalisés et choisis parmi ceux qu'on emploie le plus généralement dans l'industrie des plumes pour parures, et des tableaux avec gravures coloriées de la maison Deyrolle.

- Les cours de dessin possèdent une collection de rnodèles en plâtre (fleurs variées, parties d'oiseaux) et d'oiseaux naturalisés.

Notes :
- Le Docteur Auzoux, ayant éprouvé de grandes difficultés dans l'apprentissage de l'anatomie comme tous ses camarades étudiants en médecine, développa une solution inspirée des marionnettes des spectacles de rue parisiens, en élaborant des écorchés de carton-pâte. Il fonda une société qui subsista jusqu'à l’arrivée de la résine synthétique dans les années 1980.
- La maison Deyrolle, spécialisée en taxidermie depuis 1831, existe toujours à Paris, rue du Bac ; elle propose aux passionnés de la nature des collections d’insectes et de coquillages, des animaux naturalisés de toutes sortes, des curiosités naturelles et du matériel pédagogique pour l’enseignement des sciences naturelles.

Le début de l'introduction du "Nouveau manuel complet du fleuriste artificiel et du feuillagiste ou L'art d'imiter d'après nature toute espèce de fleurs" nous informe sur l'origine et l'état de cet art en 1901.

 

L'art de fabriquer les fleurs artificielles est, maintenant porté en France à un tel degré de perfection, qu'il semble en être originaire ; néanmoins, l'invention en est due aux Italiens qui, les premiers en Europe, se sont occupés de cette agréable fabrication. Ils employèrent d'abord des rubans de diverses couleurs, qu'ils frisaient ou pliaient sur des fils de laiton pour imiter la nature, dont ils étaient loin d'atteindre la vérité. Les plumes, la gaze d'Italie, les cocons du ver à soie leur servirent ensuite. Cette première matière est souple et délicate, mais, pour suppléer aux couleurs qui ne sont point naturelles à nos climats, il fallait la teindre et l'on ne réussissait que bien imparfaitement à obtenir la nuance et la vivacité nécessaires.

Aujourd'hui il serait difficile de nommer les fleuristes qui ont acquis une juste réputation ; il le serait également de décrire toutes les matières qu'ils font servir à leurs agréables manipulations, car tout ce qui tombe sous leurs mains les aide à rendre la nature. Les fabriques les plus renommées sont à Paris et à Lyon.

Indépendamment des fabricants qui trouvent dans l'art du fleuriste des bénéfices assurés ; indépendamment des nombreuses ouvrières, des enfants auxquels cet art donne des moyens d'existence, il offre encore aux dames un agréable passe-temps. [...]