Joseph Halphen, joaillier et négociant
(1822 - 1896)

Joseph Halphen a été propriétaire du domaine de Migneaux de 1864 à 1876. Il a également acquis la propriété de Fauveau voisine, un an de revendre l'ensemble. Le nom de son épouse était alors cité dans des revues d'horticulture à propos des plantations qu'elle y faisait. Son nom avait été donné par l'horticulteur Jules Margottin, en 1858, à une rose (aurore ou rose tendre et aurore).

L'héritier d'une dynastie de joailliers

Son grand-père Salomon avait acquis une partie de sa fortune en travaillant pour l'empereur Napoléon. La Revue de la Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie a transcrit, en septembre 1903, les propos du joaillier Oscar Nassin, auquel Joseph Halphen avait raconté comment son aïeul s'était associé en 1804 à un certain M. Nitot pour fournir à Napoléon les insignes impériaux pour son sacre.

Un soir que Bonaparte se rendait au Théâtre-Français, les chevaux de sa voiture prirent peur, s'emportèrent et vinrent s'abattre rue St-Honoré, juste en face de la bou-tique de Nitot, lequel, voyant ce qui se passait, se précipita au secours du Premier Consul, le fit entrer chez lui et lui prodigua des soins dont le vainqueur et héros impassible de tant de batailles avait, paraît-il, grand besoin. Remis de la secousse éprouvée, Bonaparte remercia Nitot, promettant de se souvenir de lui, ce qu'il fit, du reste, comme on va le voir.

Le 18 mai 1804, le Sénat offrait le titre d'Empereur des Français au Premier Consul. Tout aussitôt on parla du Sacre, et Nitot, qui avait plus de titres à la gratitude de Napoléon que de connaissances en joaillerie, conçut néanmoins l'ambition.de fournir les insignes du sacre. C'est alors qu'il s'entendit avec Salomon Halphen, joaillier négociant à Paris, dont l'expérience pouvait lui donner les moyens de réussir. Les deux associés arrêtèrent leur plan et se rendirent aux Tuileries, dont les portes s'ouvrirent toutes grandes au nom de Nitot.

Voici nos solliciteurs en face du maître de l'Europe ! Nitot, balbutiant et tremblant, expose sa requête. Il demande tout simplement l'honneur de fournir les insignes impériaux. A cette, demande, l'Empereur, qui connaît Nitot et n'a qu'une confiance médiocre dans ses capacités artistiques, fait une moue un peu dédaigneuse, ce que voyant celui-ci s'enhardit. Il présente alors son ami comme l'homme le plus entendu en joaillerie et prêt à le seconder dans la tâche à remplir.

Soit, dit alors l'Empereur, c'est accordé, seulement le temps presse, tu vas commencer immédiatement !
Nitot ne demandait pas mieux, mais quelque chose lui manquait.
Prenant son courage à deux mains, il s'écria :

 

« Sire, nous voulons bien, mais nous n'avons pas le sou ! » Cri du coeur et de détresse qui fut entendu, car l'Empereur, après avoir dit que la chose pouvait s'arranger, signait, séance tenante, l'ouverture d'un crédit de 2.500.000 francs sur le Trésor, première avance sur des fournitures qui devaient s'élever de quinze à dix-huit millions. Et si Nitot et son ami gagnèrent chacun un joli million avec les insignes qu'ils eurent à fournir, ce fut grâce à ce que les chevaux du Premier Consul avaient eu le bon esprit de prendre le mors aux dents et de jeter leur maître dans la boutique et les bras d'un horloger ! ».

Un joaillier et négociant, très entreprenant

Joseph Halphen a amplifié la fortune héritée de son grand-père Salomon et de son père Anselme dans les domaines de la joaillerie et du négoce. Il a été régent de la Banque de France en en 1869, vingt ans après son père.

Nous empruntons à l'ouvrage La Banque de France et ses deux cents actionnaires sous le Second Empire d'Alain Plessis (Ed. Droz) la description de ses activités.

Joseph Halphen était le descendant d'une grande dynastie d'hommes d'affaires parisiens : il appartenait à une famille de notabilités israélites de la capitale. Son père Anselme Halphen, né à Paris en 1797, avait lui-même fait partie du Conseil d'Escompte, puis du Conseil de Régence, de 1842 à 1853. Mais c'est son grand-père, Salomon Halphen, né lui aussi à Paris en 1773, qui y a fondé une grande maison de joaillerie et qui a fait la fortune de ses nombreux descendants.

Celui-ci laissait en effet à sa mort une fortune d'un montant exceptionnel pour cette époque de 10.300.000 F. Anselme, qui hérite du huitième de cet héritage, et qui, au moment de son mariage, disposait déjà de 126.000 F, parait posséder au moment de son décès 1.221.000 F, mais cette estimation minore sans doute sensiblement sa richesse réelle, dont témoigne le chiffre très élevé des dots versées à ses deux fils.

Joseph Halphen avait à ce titre reçu 220.000 F lors de son mariage en 1845 avec sa cousine Augustine Halphen, sans doute elle aussi fort joliment dotée. Ayant hérité d'une partie des biens paternels et continuant de brillantes affaires, il « possède une fortune considérable » , constate dès 1862 le préfet de police.

La société « Les héritiers de Salomon Halphen » a été remplacée en 1859 par la société « Halphen Joseph et Cie ». Joseph, seul gérant, a pour commanditaires sa mère, son frère, ses oncles Armand, Gustave et Gabriel-Germain, et deux cousins, Eugène et Constant Halphen, « rentiers ». Le montant total de la commandite, qui est de 3.250.000 F, doit s'accroître par la mise en réserve automatique du quart des bénéfices réalisés.

Non content de continuer l'affaire familiale, Joseph Halphen lui a donné une plus grande extension encore, et il s'en fait gloire en ces termes : « A l'étranger, j'ai fondé de grandes maisons tant pour le commerce de joaillerie que pour celui des denrées : ainsi, à Batavia la maison Maintz et Cie, à Manille celle de Baër et Cie, sont des maisons établies par moi ; j'ai également mes représentants aux Indes et à (sic) Siam, où j'ai des relations directes avec le roi qui m'a nommé son mandarin ».

Il a encore une maison au Brésil qui « par tous les navires l'alimente en diamants bruts », des fabricants à Amsterdam qui ont taillé pour lui l'«Etoile du Sud » et le « Cohina », et à Paris, en divers ateliers, une « fabrique de bijoux montés en joaillerie occupant toute l'année 150 ouvriers, lesquels bijoux sont expédiés à ses maisons d'Amérique », ou vendus sur place.

 

Une note de la fin du Second Empire constate que « le nouveau magasin de la rue de la Paix n° 16 sous la raison Samper et Cie, est encore son œuvre ». Or, c'est là « un bazar de 12 millions». Il est « un des plus grands commerçants de Paris » et jouit « de la plus grande considération, d'un crédit illimité sur la place.

Quel qu'ait été le rôle personnel de Joseph Halphen, entrepreneur dynamique, ses succès amplifient une réussite familiale bien antérieure, et demeurent l'œuvre d'un véritable consortium familial. La disposition des caveaux de famille au cimetière du Nord symbolise le poids de ce passé familial : au centre, monumental, orné de têtes de béliers, le tombeau de Salomon et de sa femme, les fondateurs de la dynastie et les créateurs de l'affaire ; et groupés alentour, de moins grande taille, les tombes de tous les enfants de Salomon qui, en unissant leurs capitaux, avaient permis à Joseph de continuer et de développer la maison de joaillerie.

L'ouvrage La bijouterie parisienne du Second Empire à la Première Guerre mondiale de Jacqueline Viruega nous apprend, notamment, qu'il faisait travailler d'autres joailliers parisiens pour d'importantes commandes :

Il reçoit une commande de joaillerie du gouvernement égyptien, une « dépense de 400 000 à 500 000 francs en seul prix de façon, à faire en deux mois ». Pour fournir autant de marchandises, il s'adresse aux joailliers les plus habiles de Paris, « à la tête d'ateliers bien organisés, qui peuvent travailler vite et bien ». Robin, Massin, Fontenay ont leur part de commandes, de même que Larchevêque et Hippolyte Nattan, lequel exécute déjà de très grosses commandes pour l'Orient.

- qu'il fournit les pierres à différents joailliers pour les oeuvres commandées par d'autres riches monarques :

De 1860 à 1867, Fontenay fournit de grands travaux de joaillerie d'or pour l'Orient et l'Extrême-Orient, un harnachement complet, étincelant de pierreries, pour le roi de Siam, des armes couvertes de pierres précieuses pour l'Inde. Le shah de Perse lui donne à monter la lame d'un sabre et il livre à Said Pacha, vice-roi d'Egypte, pendules, écritoires, baromètres, surtouts, lampes en or et en pierreries, notamment un service de table en or et émaux ornés de pierreries. Joseph Halphen, marchand de pierres qui a en mains toute la clientèle de l'Orient, fournit les pierres pour ces merveilles. (Il rachète tout quand le gouvernement égyptien est obligé de vendre par la suite.)


 

L'ouvrage La bijouterie française au XIXe siècle (1800-1900) d'Henri Vever (Editeur : H. Fleury , 1906-1908) précise son importance dans la fourniture de diamants :

Vers 1850-55, le marché des diamants bruts était encore à peu près monopolisé à Paris, et le plus important traitant (peut-être l'unique) était Joseph Halphen, qui donnait son brut à tailler à Coster. Il advint que l'importance des affaires, et particulièrement le commerce des diamants montés, tant pour la France que pour l'étranger, — l'Orient surtout, — ne permettant plus à J. Halphen de s'occuper du tri des cristaux-diamants, il céda à Coster l'achat de la précieuse marchandise, que celui-ci lui revendait toute taillée pour la mise en œuvre. De sorte que Coster acquit une très grosse fortune, grâce à Halphen, qui perdit entièrement la sienne plus tard, dans des spéculations malheureuses.

[...]

Ce fut Joseph Halphen, marchand de pierres parisien, qui avait en mains la clientèle de tout l'Orient, qui fournit les innombrables pierreries et perles nécessaires à toutes ces merveilles dignes d'un conte des Mille et une Nuits. Ayant déjà réalisé un beau bénéfice en les vendant, il sut s'en procurer un second en les rachetant presque toutes, quand, par suite de la crise égyptienne, le gouvernement khédivial se vit obligé de réaliser son Trésor. Malgré la très grosse fortune ainsi acquise au cours d'une longue et brillante carrière, Halphen, sur la fin de sa vie, connut aussi les revers ; les vastes et malheureuses spéculations qu'il entreprit sur les denrées coloniales, principalement les cafés, lui firent perdre, dit-on, de 18 à 20 millions, et amenèrent sa déconfiture.

Revers de fortune

Cet ouvrage apporte la précision suivante :

Malgré la très grosse fortune ainsi acquise au cours d'une longue et brillante carrière, Halphen, sur la fin de sa vie, connut aussi les revers ; les vastes et malheureuses spéculations qu'il entreprit sur les denrées coloniales, principalement les cafés, lui firent perdre, dit-on, de 18 à 20 millions, et amenèrent sa déconfiture.

Joseph Halphen a été nommé Chevalier de la Légion d'honneur, en 1870, sur rapport du ministre de l'Agriculture et du Commerce.

 


 

 

Léonard Rosenthal,
roi de la perle et jardinier des gemmes

(1875-1955)

 

 


La Vallée des Roses

 

L'histoire de cette belle villa de Villennes nous a fait rencontrer un personnage, dont nous vous présentons la vie fabuleuse ainsi que le destin extraordinaire de sa famille.

Il en a été propriétaire de 1908 à 1921.

 

S'il n'a pas lui-même fait construire cette villa, alors entourée d'un parc immense, Léonard Rosenthal lui a donné son nom, traduit en français. Il venait souvent à Villennes pour passer des vacances dans la Vallée des Roses avec son épouse et leurs enfants (Jean, Pierre et Lucille, qui y est née), lorsqu'ils ne séjournaient pas dans des stations à la mode, en particulier à Megève.

Son histoire nous fait également connaître ses frères et ses sœurs, plus jeunes, qui formaient avec lui une véritable tribu, partageant la réussite puis les revers de fortune.


La perle de Blanca

Comme nous, vous lirez avec grand intérêt le livre, que sa petite-nièce, Nicole Landau, a publié, en 2004, sur l'étonnante histoire de sa mère et de sa famille.

Nous la remercions très sincèrement pour les précisions et la photographie, qu'elle a bien voulu nous confier, en complément des nombreuses informations contenues dans son ouvrage.

Nous reproduisons ci-après le compte-rendu, qui en a été fait par le magazine "L'Express" :

 


C'est une histoire extravagante. Et délicieuse. L'objet, pourtant, semblait des plus banals. Un titre anodin, La Perle de Blanca, un écrivain inconnu au nom passe-partout, Nicole Landau... Et puis, surprise ! On détient là un petit bijou, où tout se révèle plus que plaisant : le style, l'agencement des souvenirs, les personnages, jusqu'à l'auteur elle-même, alerte septuagénaire, qui signe ici son premier récit. "Les choses reviennent, encore vivantes. Et le trouble, ou le rire et le plaisir s'ensuivent", écrit Nicole Landau, avant d'évoquer, sans souci de chronologie, sa famille hors du commun.

A l'instar de la narratrice, nous ne nous attarderons guère sur "le géniteur fortuit". "Monsieur le Ladino", comme le surnomme Nicole Landau, descendant de juifs d'Espagne installés à Constantinople, était, en effet, beaucoup plus joueur que père. Une passion qui l'éloigna durablement de sa femme, Blanca, et de ses trois enfants. C'est donc la famille maternelle qui impressionne ces pages. Avec, en figure du commandeur, Victor Mandelbaum, le grand-père, entouré de ses 11 frères et sœurs, descendus de leurs montagnes caucasiennes. Juifs du Daguestan, ils vont bientôt devenir les rois du commerce de la perle. Point de départ de l'épopée : l'île Margarita, au Venezuela, en 1901.

Victor, 21 ans, géant aux yeux bleus et à la barbe noire, s'impose vite comme un acheteur respecté de tous et tombe sous le charme de Yumari, jeune Indienne gaiquerie. Fruit de cette alliance des contraires, Blanca sera la mère tant aimée de Nicole. Si belle, si gracieuse, si énigmatique, si "exotique". Tandis que Victor s'envole vers d'autres rives fructueuses, au large du golfe Persique, Blanca est envoyée parfaire son éducation en France, auprès de ses oncles et tantes. A son tour, quelques années plus tard, Nicole connaîtra les hôtels particuliers de Neuilly, mais aussi la fuite devant l'occupant allemand. "Riche, juif et caucasien. C'était trop et impardonnable." Les Mandelbaum paieront donc leur tribut à l'horreur nazie. Pourtant, sous la plume de Nicole, c'est bien "le rire et le plaisir" qui prédominent. Un rire russe mâtiné d'un sourire caribéen.

Les livres de Léonard Rosenthal

Il signait "LéoRo" ses écrits à ses proches, comme en témoigne la dédicace de l'un de ses livres à son ami Henri Barbusse.

Pour simplifier, nous le nommerons plus familièrement Léonard.

 

Son œuvre littéraire nous donne divers renseignements et quelques anecdotes sur sa jeunesse modeste, ses débuts difficiles à Paris, son existence "riche" (dans tous les sens du terme).

Ses livres concernent deux types de sujets :
- ses passions à l'origine de sa fortune,
- ses idées et ses conseils, issus de son expérience.

Les merveilles de la nature

Léonard décrit de manière très documentée les perles et les gemmes, pour lesquels il déclare sa passion, et les commerces que ces trésors naturels ont suscité et qu'il a contribué à développer.

 

Son premier ouvrage "Au Royaume de la Perle" a été édité en 1919 par les Editions Payot et Cie à Paris.

Complété d'illustrations d'Edmond Dulac, il a été réédité l'année suivante par les Editions d'Art H. Piazza à Paris, puis en 1920 en anglais à Londres et en 1925 par Brentano's à New-York.

Après un rappel historique (La perle dans l'histoire et Origine de la perle), Léonard décrit ce que l'on pourrait appeler aujourd'hui la filière de la perle à l'époque (Les pêcheries de perles, L'ostréiculture perlière, Le travail de la perle, Le poids et le prix, Commerces et commerçants) et son évolution (L'avenir de la perle, Protection et expansion du commerce des perles).

   

Il revient ensuite à l'histoire de la perle, mais en tant que bijou : Les perles célèbres, Comment on porta la perle, Mythes et légendes.


Ce deuxième livre, "Au Jardin des Gemmes", a été édité en 1925, également par les Editions Payot, qui l'ont l'orné d'illustrations de Léon Carré.

Après les "superstitions et moralités" relatives au bijou, Léonard s'intéresse particulièrement à 3 pierres précieuses (l'émeraude, le rubis et le saphir) et à leurs légendes. Puis il décrit les gemmes et leurs vertus, la magie et les superstitions autour des pierres gravées.

Après un chapitre sur les "secrets et prévoyances", il traite de questions soulevées à cette époque :
- les risques des bijoux, le bolchevisme et la crise de 1921-22,
- les bijoux et la fortune française.

 

Dans cet ouvrage, il fait allusion à la polémique qu'a suscité la parution du premier : le reproche d'avoir dévoilé des secrets du commerce des perles, qu'il avait mis de nombreuses années à découvrir, venait certainement de confrères mécontents.

Il y mentionne que, pour écrire ses livres, il est aidé par des amis journalistes qui rassemblent l'importante documentation nécessaire : Georges Montorgueil, du Temps, et Georges Drouilly, du Gaulois. Une notice biographique du premier a été publiée par les Archives Nationales, qui conservent ses documents :

Né à Paris, le 5 novembre 1857, Octave Lebesgue commença sa carrière de journaliste dans la presse lyonnaise. Puis il collabora à plusieurs journaux parisiens notamment Paris, La Bataille, Le Mot d’Ordre, L’Echo de Paris, sous les pseudonymes de Georges Montorgueil, Jean Valjan, Caribert. Il devint ensuite chef des informations à l’Eclair, et enfin rédacteur en chef du Temps jusqu’à sa mort, survenue en avril 1933. Depuis 1900, il était directeur de L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux.

Auteur des livrets de trois drames lyriques, Mérovig, La Cloche du Rhin, avec la collaboration de Gheusi, et Léone – la musique de ces deux dernières œuvres étant l’œuvre de Samuel Rousseau – il publia également de nombreux ouvrages et albums sur Paris : Le Café-Concert, La Vie des Boulevards, Les Plaisirs du Dimanche, La Vie à Montmartre, La Parisienne peinte par elle-même, entre autres, et une vie romancée d’Henry Murger.

Les leçons de l'expérience

Les Editions Payot ont publié les trois ouvrages, où Léonard donne des conseils issus de son expérience d'homme devenu très riche, de négociant et de bâtisseur :

- "Faisons fortune", en 1924,
- "L'Esprit des affaires [Réflexions d'un commerçant]", en 1925,
- "Quand le bâtiment va", en 1928.

Il y expose également ses théories économiques et politiques, tout en déclarant n'être "ni le champion ni l'adversaire de tel ou tel système politique".

Dans la préface du deuxième, il explique comment ses livres sont rédigés :

Je me couche, presque chaque soir, à 8 h 1/2, aussitôt après avoir dîné, et c'est à ce moment que je dicte à mon secrétaire les fragments de chapitres qui viennent ensuite se souder entre eux. Ma dictée est absolument une conversation. Je parle, sans m'attacher au sens des mots, et l'esprit uniquement attaché au développement de l'idée, car seule l'idée a du prix à mes yeux. Mon secrétaire s'est adapté à cette méthode comme à ma manière de penser. Il note ma pensée que je tiens à lui donner concise et claire. A lui de construire ensuite les phrases en un meilleur français, en conservant du mieux possible, car j'y tiens, ma façon de parler.

Ces 3 livres nous ont fourni de nombreux détails et d'amusantes anecdotes que nous résumons, avec quelques citations, dans la biographie, qui suit.

La fabuleuse existence de Léonard Rosenthal

La famille juive du Caucase russe

Les sommets enneigés de la chaîne du Caucase se dressent, sur plus d'un millier de kilomètres, entre les plaines du sud de la Russie, les hauts plateaux de l'Anatolie et de la Perse ainsi que les déserts de l'Asie Centrale.

Après l'Astrakhan et la Crimée, les tsars russes font la conquête de cette région au 18ème siècle et au début du 19ème ; des peuples d'origines très diverses chassés par de multiples envahisseurs successifs s'y étaient réfugiés. Ayant quitté les steppes pour vivre dans les montagnes, la plupart d'entre eux ont conservé leur mode de vie, leur culture, leurs coutumes et leurs traditions.

Situé au Nord, le Daghestan, dont le nom signifie "le pays des montagnes" en turc, est aujourd'hui une république de la Fédération de Russie, limitrophe de la Tchéchénie.

 

Avant les enjeux pétroliers de l'Azerbaïdjan voisin et les prises d'autonomie des populations islamiques, les violents conflits actuels n'avaient pas encore atteint la communauté de montagnards juifs, appelés Tats, qui y vivait paisiblement à côté des Tchéchènes, en élevant des chevaux.

Le père de Léonard y naît, en 1845, à Groznyi ou à Vladicaucase (littéralement "la reine du Caucase"). Jeune garçon juif de quatre ans, il fuit avec sa mère en Turquie pour ne pas être enrôlé de force dans l'armée impériale. Il en revient avec la nationalité ottomane et son nouveau patronyme d'origine germanique. Il a neuf enfants avec sa première femme, qui meurt à 34 ans lors de la naissance du dernier. Sa seconde femme lui donne 3 autres enfants. Il décédera en 1924 à Neuilly-sur-Seine, chez son fils Victor.

Léonard naît, en 1875, dans cette famille commerçante : elle vend des verres en cristal de Baccarat, des objets en porcelaine allemande ou française ainsi que du blé. Le russe est la langue maternelle mais on y parle également un dialecte arabe, qui sera utile plus tard aux frères qui voyageront et résideront dans le golfe Persique.

Il fait ses études dans le système d'éducation russe de l'époque, qui ne comprend que deux heures de cours par jour ; néanmoins, il fait partie de ceux qui utilisent leur temps libre pour compléter leur formation, s'initiant à la vente et aux transactions commerciales dans le magasin paternel.

A l'âge de 13 ans, alors qu'il n'a jamais quitté la maison familiale, son père lui confie sa première mission de négoce ; chargé d'approvisionner du blé pour compenser la faiblesse de la récolte de cette année, et ne pouvant quitter son magasin, il envoie Léonard, muni d'une grosse somme d'argent, acheter les céréales par wagons entiers dans des lieux lointains, parfois très éloignés des lignes de chemin de fer. Il doit non seulement négocier avec des cultivateurs, dans leurs fermes, ou avec des commerçants sur les marchés, mais organiser la logistique pour mettre en sacs, rassembler et transporter les grandes quantités de blé achetées. Il a l'idée de le faire moudre sur place pour faciliter son transport. Près de la gare qu'il choisit pour l'expédition, il s'adresse à un meunier, dont il sait qu'il a une dette envers son père. Lorsqu'il prend livraison de la farine, il présente son identité et annonce au meunier qu'il ne sera pas payé ... Quand il rentre, une vingtaine de jours après son départ, s'attendant à un accueil chaleureux de son père pour le récompenser de son succès, il reçoit une paire de gifles : elles traduisent l'inquiétude de son père, qui était resté sans nouvelle de lui pendant son long voyage. Le lendemain matin, il le félicite chaudement après un récit détaillé.

Cette correction non méritée le décide toutefois à quitter son père pour aller tenter la fortune à Paris. Agé de 14 ans, Léonard abandonne sa première patrie et rejoint la France en traversant l'Allemagne, sans connaître la langue de ces deux pays.

Les difficiles débuts parisiens

La vie familiale reprend son cours quelques années plus tard, dans un climat apaisé : son père le rejoint à Paris avec deux de ses jeunes frères, après avoir vendu sa maison de commerce.

Lorsqu'il commence à travailler, avenue de l'Opéra, dans le commerce des perles fines, il habite encore dans une modeste mansarde de la rue Mayran, avant de pouvoir louer un petit appartement rue Cadet. Avec ses premiers gains, ne mangeant pas tous les jours à sa faim, il se jette sur les buffets de hors-d'œuvre de la Brasserie Universelle. Plus tard, il reconnaîtra que "l'homme riche ne se nourrit guère mieux que l'homme de condition moyenne et souvent il préférerait avoir sur sa table une bonne soupe aux choux paysanne que le plat compliqué que lui a confectionné son chef". C'est pourquoi il dînera souvent le samedi soir chez son coiffeur, son appétit ayant été aiguisé par le parfum du pot-au-feu préparé par la femme de celui-ci pendant qu'il se fait tailler la barbe.

Un jour où il doit faire face à une échéance, il emprunte avec beaucoup d'hésitation au père, marchand de vins, d'un camarade d'école de son frère, une petite somme qu'il mettra 5 mois à rembourser. Plus tard, il se rappellera cet épisode et consentira des prêts, rarement remboursés, lorsqu'on fera appel à lui.

A 20 ans, très pauvre encore, il aime le théâtre, faisant longuement la queue pour obtenir une place au poulailler du Français ou de l'Opéra-Comique. Lorsqu'il pourra se payer les meilleures loges, le théâtre ne lui apportera plus les mêmes émotions ; il trouvera plutôt la joie dans les jeux avec ses enfants et dans "la vue de quelques fleurs simples des champs", une "joie que rien de ce qui s'achète ne peut remplacer".

L'apprentissage des affaires

Trois passages de "L'Esprit des affaires" montrent son caractère entreprenant et son sens des affaires.

L'animateur d'Abondance

Lorsque Léonard termine ses études à l'Ecole Commerciale de la rue de Trudaine, il habite chez des amis, de condition modeste, dans une petite rue de Montmartre, "un de ces appartements si adroitement cachés dans leur coin que le soleil renonce à en découvrir les fenêtres".

Atteint d'une invincible fatigue, il a besoin de lumière et d'oxygène. Un médecin, qu'il rencontre par hasard, lui propose de l'examiner et lui conseille un séjour dans les Alpes. Cherchant un logement après son arrivée à Evian, il va d'abord au Splendid, le plus bel hôtel de la station. Le prix de la pension étant sans rapport avec ses maigres ressources, il fait le tour de tous les hôtels jusqu'au plus modeste. Sur le conseil du marchand de nouveautés, auquel des amis l'ont recommandé, il se rend en calèche, à travers de magnifiques paysages, au village d'Abondance distant de 30 kilomètres. Expliquant sa situation, il négocie fortement le prix de la pension avec la propriétaire de l'Hôtel des Alpes. Il réussit à obtenir la meilleure chambre pour un prix inférieur à la moitié de celui de la pension en saison, tout en bénéficiant de repas copieux et excellents.

Sa santé étant revenue en deux semaines, il se lie avec les clients. Il organise "des soirées, des représentations, des bals, des parties de croquet, des concours de tir à la carabine, des excursions, etc." Il leur apprend à danser la mazurka polonaise, improvise avec eux un orchestre équipé d'instruments de musique divers et de casseroles ; des clients sont réveillés avant d'être entraînés dans une randonnée nocturne, avec torches et flambeaux, à travers le village.

L'Hôtel des Alpes se remplit au fur et à mesure que les établissements voisins se vident de leurs clients qui s'y ennuient. La propriétaire de l'hôtel ne regrette pas son sacrifice sur le prix de pension accordé à Léonard, qui a retrouvé la santé physique et morale : "Les yeux ouverts, la démarche confiante, l'esprit libre et le cœur satisfait, l'optimiste s'en va droit vers son étoile ..."

Ses débuts de négociant

Ayant achevé ses études, il espère ne plus avoir besoin de l'aide financière de son père. Après des recherches difficiles, il trouve un emploi à la Cristallerie de Baccarat, rue de Paradis. Sa connaissance de plusieurs langues lui permet de servir des clients étrangers et d'effectuer des traductions. Il est étonné par l'importance de sa première paie, deux louis d'or, mais celle-ci fond très rapidement.

Il erre dans les salles de l'Hôtel des Ventes, où il rencontre un ancien menuisier italien qui n'arrive pas à nourrir sa famille, quand est mis en vente un lot de planches qui l'intéresse ; il s'agit, en fait, d'une armoire normande qu'il pourrait remonter et réparer pour la revendre. Léonard lui propose de s'associer à lui pour cette opération et lui avance la moitié de la somme nécessaire. Il achète les outils manquants et, quelques jours plus tard, la vente de l'armoire lui procure son premier bénéfice.

Il réalise d'autres affaires plus intéressantes en compagnie du menuisier et continue de fréquenter la salle des ventes, développant son aptitude à apprécier la valeur de toute marchandise. Il achète les objets les plus hétéroclites, pour les revendre : parapluies, huile de foie de morue, harengs (qu'il fait ensuite mariner), jouets, wagons de foin, petits chiens, ... Il s'approvisionne par caisses, tonneaux, ou même wagons entiers non seulement à l'Hôtel des Ventes, mais également dans les monts-de-piété, aux chemins de fer, dans les magasins de solde. Une affaire mauvaise sur cinq lui fait toutefois souvent perdre le bénéfices des autres. A cette époque, dont il se souviendra comme la plus heureuse de son existence, il ne mange qu'un seul repas chaud par semaine.

Bientôt, il achète des bijoux d'occasion à la salle des ventes ou chez des bijoutiers pour les revendre avec de petits bénéfices.

La revente du collier à son vendeur

Son sens des affaires se révélera en de nombreuses occasions. L'anecdote suivante se situe alors qu'il est déjà dans le négoce des perles.

Un confrère insiste pour lui vendre un collier qui ne l'intéresse pas. Il accepte finalement et emporte aussitôt le collier dans son atelier. Il en revient, après l'avoir rompu, avec ses perles classées en 6 catégories ; il propose à son confrère de les acheter pour faire un autre collier. "Affaire pour affaire". Il réussit à le persuader que ce lot de perles est "très bon marché et très avantageux pour lui". Après lui avoir revendu ses propres perles avec 10 % de bénéfice, il lui en indique l'origine.

Ils en rient ensemble avant que Léonard annule la vente. "Ce don d'hypnotisme ou de persuasion est donc excellent, mais en affaires, il ne faut l'utiliser [...] qu'à bon escient, et de manière que commerçant et client y trouvent profit réciproque".

Au Venezuela et dans le golfe Persique, les perles blanches avant l'or noir

 

L'île Margarita

Séduit par un collier de perles fines dans une salle des ventes de la rue Drouot, Léonard entrevoit la fortune que pourrait lui apporter le négoce de ces trésors de la nature.

En 1901, il envoie ses frères cadets, âgés de 21 et 17 ans, au Venezuela, pour acheter des perles à des pêcheurs de l'île Margarita.

 

 

L'île fait partie des petites Antilles ; elle est la plus grande du Venezuela, dont la côte est distante d'une vingtaine de kilomètres.

Elle est découverte vers la fin du 16ème siècle par Christophe Colomb qui la baptise.

Par la suite, la découverte d'importants bancs d'huîtres perlières attire de nombreux pirates et des Conquistadors espagnols ; ceux-ci traitent les indigènes de l'île, les "Guaiqueris", en esclaves jusqu'à ce que le peuple du Venezuela prenne son indépendance en 1811.

A Porlamar, les deux frères aux yeux bleus, l'un brun l'autre roux, se font remarquer par leur grande taille alors que les habitants de l'île sont assez petits. Ils y resteront 4 ans, expédiant des perles à Léonard, qui les revend. L'engouement des riches européennes pour les colliers de perles apporte la richesse aux frères Rosenthal.

Victor devient un acheteur important et l'ami des îliens indiens, qui vont chercher les huîtres perlières au fond de l'océan, équipés d'un scaphandre. Il tombe amoureux de la sœur de l'un d'eux. Deux ans après son arrivée, une fille prénommée Blanca naît de cet amour.

Elle sera envoyée en France pour être élevée par une tante paternelle ; sa mère vivra jusqu'à l'âge de 106 ans. Elle aura elle-même une fille qui racontera, avec talent, l'histoire de la famille dans son livre "La perle de Blanca" ...

Victor remerciera les pêcheurs de perles, en leur offrant, en 1905, une sirène en bronze de taille humaine, qui semble correspondre à une légende locale : un monument "La Sirenea" accueille toujours à l'entrée de la ville de Porlamar, les visiteurs, arrivant de l'aéroport, notamment ceux qui viennent de tous les continents pour faire de la plongée sous-marine.

L'archipel de Barheïn

Au moment où le marché des perles se trouve complètement déséquilibré, entraînant la ruine de son entreprise, Léonard apprend que les pêcheurs de perles du golfe Persique subissent également les conséquences de cette crise et meurent de faim. Il décide de se rendre sur place pour leur acheter directement leurs lots de perles de tailles et de qualités différentes, alors que jusqu'alors les acheteurs étaient spécialisés en fonction de leur utilisation (boutons, colliers, bijoux constitués de grosses perles). Il réussit à convaincre son banquier de lui prêter les millions de francs nécessaires.

Léonard décide bientôt d'y envoyer son frère Victor, qui quitte son île du Venezuela pour une autre île rocheuse. Le voyage jusqu'à Bahreïn est long et fatigant, mais en vaudra la peine.

Bahreïn est considéré comme l'un des cinq pays formant le "berceau de l'Humanité". C'est un archipel d'environ 700 Km2 situé dans le Golfe arabo-persique, entre la côte orientale de l'Arabie Saoudite et la péninsule du Qatar.

Assyriens, Perses, Babyloniens, Grecs, Sassanides s'y succèdent avant notre ère. En l'an 630, le souverain de l'île et ses sujets adoptent la religion musulmane. Les portugais y sont présents de 1507 à 1622.

Au protectorat britannique établi en 1861, succède en 1913 l'indépendance, sous le contrôle de la Grande-Bretagne, reconnue par les Ottomans. L'indépendance est définitivement proclamée en 1971.

 

A quelques distance de Manama, poussiéreuse capitale de ce petit état au climat étouffant, des huîtres perlières se développent à proximité de sources d'eau douce jaillissant des fonds sous-marins.

Dès 1908, Léonard et son frère Victor sont parmi les plus importants acheteurs des perles du Golfe pour le compte des cheikhs. La réussite financière de la fratrie permet de faire venir en France les autres membres de la tribu, restés en Russie, où se multiplient les pogroms.

Paris devient la capitale du négoce des perles, attirant aussi bien les marchands acheteurs du monde entier que les vendeurs de perles déjà portées.

Léonard raconte la ruse de son frère Victor pour impressionner des pêcheurs arabes, qui ne voulaient pas leur montrer leur plus belles perles, doutant de leurs capacités financières. Trois ans de séjour parmi eux lui ont permis de connaître la "complexe psychologie de leur âme". Lorsqu'il revient d'Europe, 50 ânes doivent faire plusieurs fois le trajet du bateau jusqu'à leur demeure pour transporter les caisses d'argent apportées. Ce défilé remplit les pêcheurs d'admiration et de respect. Pourtant, la somme d'argent est relativement modeste : elle est constituée de pièces de 50 centimes, alors que leurs fournisseurs de perles ne connaissent que les livres sterling en or (qui s'échangent alors en roupies indiennes, constituant la monnaie locale).

Après la deuxième guerre mondiale, les pêcheurs de perles devront remiser leurs scaphandres et revenir à des pêches plus classiques : les perles "cultivées" au Japon, où les premières greffes d'huîtres ont été réussies en 1904, s'imposent après 1930 par leur coût inférieur. Le Venezuela et Bahreïn deviendront deux des plus importants producteurs d'or noir. Nicole Landau écrit à ce propos :

A Bahreïn, l'odeur pourrie des huîtres fut bientôt remplacée par le parfum du pétrole. Plus polluant peut-être, mais bien plus acceptable puisqu'il était accompagné de celui, si subtil, du billet vert qui achète tout. On ne pêcha plus de perles, mais on peut imaginer qu'elles continuent de grossir confidentiellement les trésors des émirs. Tandis que sur l'île Margarita, depuis des décennies, force fut aux pêcheurs de retourner traquer la langouste.

Des émeraudes de Colombie aux saphirs du Kashmir

Pour Léonard, les gemmes sont d'abord des merveilles de la nature avant d'être des objets de négoce. Dans son livre "Au jardin des Gemmes", il raconte ses expéditions dans les Pyrénées à la recherche de pierres.

  Lorsqu'il envoie deux de ses frères cadets au Venezuela, c'est un autre, Adolphe, qu'il charge d'aller en Colombie acheter des émeraudes. A Muzo, la plus grande mine du monde fournit encore, de nos jours, 90 % de la production mondiale. Le Guide du Routard en résume l'histoire ainsi :

Les Muisca qui vivaient dans la région exploitaient les mines bien avant l’arrivée des Espagnols. Elles servaient aux offrandes et au troc. Puis les indigènes devinrent esclaves et les émeraudes furent envoyées à la couronne d’Espagne avant de servir de financement à la campagne de libération de Bolivar. Après l’Indépendance, la "fièvre verte" s’est emparée des aventuriers du pays attisant toutes les convoitises.

Nicole Landau apporte une note d'humour : "A l'époque, le cartel de ces pierres vertes était quand même moins dangereux que celui de la poudre blanche".

Les frères Rosenthal, après avoir noué des liens avec plusieurs maharajas indiens en leur fournissant des gemmes, trouvent dans leurs bijoux de nouveaux objets de négoce. Lorsque l'associé de Victor à Bahreïn épouse sa fille Blanca, en octobre 1923 à Paris, "se trouvèrent rassemblés, ce jour-là, non seulement tous les princes des perles [...], mais encore les maharadjahs les moins démunis de tout l'Empire des Indes : Kapurthala, Cooch Behar, Patiala, Baroda, Jammu et Kashmir".

  Au nord de l'Inde, la chaîne de l'Himalaya contient des trésors géologiques. Au Kashmir se trouve une importante mine de saphirs bleus, située au dessus du village de Sumjam à plus de 5 000 mètres, connue localement depuis longtemps.

Le Kashmir (ou Cachemire) est un territoire situé entre l'Inde, l’Afghanistan, la Chine et le Pakistan. Il occupe une position stratégique avec des frontières qui ne sont pas acceptées par ses voisins.

Ancien État princier vassal de l'Empire britannique, qui l'a vendu à un maharaja hindou, peuplé surtout de musulmans, il devient, lors de l'accession de l'Inde à l'indépendance, l'enjeu de convoitises ; plusieurs guerres territoriales opposent le Pakistan, l'Inde et la Chine, qui revendiquent encore aujourd'hui les parties qu'ils occupent.

 

 

Peu après le début de l'exploitation de la mine de saphirs en 1881, le maharaja Hari Singh en prend le contrôle. Victor devient son homme de confiance, en développant le marché de ses pierres bleues et ses collections de perles, d'émeraudes et de bijoux ainsi qu'en gérant ses nombreux investissements à l'étranger. Entre ses nombreux voyages dans le golfe Persique, il séjourne dans la propriété boisée, qu'il a acquise entre le Kashmir et Bombay.

Il reste l'ami du maharaja jusqu'à la partition du pays, après l'indépendance de l'Inde, en 1947.

Les nababs parisiens

Sa petite-nièce décrit Léonard, à l'époque de sa fortune :

 

Roux et barbu avec des yeux bleus très pâles, il riait comme un petit garçon, quittait ses chaussures dès qu'il entrait quelque part même s'il n'était pas chez lui, et les oubliait souvent sous la table de la salle à manger.

[...]

Il tenait le haut du pavé parisien, tutoyait Jean Perrin, l'homme de sciences, recevait Paul Painlevé et avait des conversations parfois coléreuses avec Anatole France qui le traitait de bourgeois anticommuniste... en 1919.

Léonard change fréquemment de logement : en 1908, rue de Rivoli puis boulevard Haussmann et rue Chauchat (près de la rue Drouot). Tandis que son frère Victor a fait construire un "palais" à Neuilly, il habite ensuite près de l'avenue du Bois (avenue Foch, de nos jours) dans un hôtel particulier, "une sorte de coffre-fort en pierre de taille, tendu de velours et de satin, meublé en laque de Chine avec un escalier en marbre de Carrare".

Victor participe à la fondation de plusieurs clubs sportifs réservés à une élite. Il joue au golf mais son sport préféré est le polo. Il possède des haras et une dizaine de poneys dans son écurie de Neuilly. Capitaine d'une équipe, il pratique ce sport "davantage à la manière des mandarins chinois et des cavaliers hindous qu'à celle des millionnaires sud-américains ou des membres du Jockey Club".

Les trois frères, rois de la perle, assurent le logement dans le 9ème arrondissement ainsi que la subsistance des frères et des sœurs qu'ils ont fait venir de Russie. Leur père leur rend souvent visite. "Lorsqu'[il] arrivait, la canne à la main, les guêtres de daim souple recouvrant ses souliers vernis, tout le monde se levait pour l'accueillir avec respect, et [Léonard], le roi des rois, son fils aîné, était le premier à l'inviter à s'asseoir à sa place".

Chacun possède une résidence secondaire en Ile-de-France. Tandis que Léonard a choisi une villa anglo-normande à Villennes, Adolphe a acheté dans la vallée de Chevreuse une maison aristocratique, entourée de jardins (roseraie, potager) et de diverses dépendances (orangerie, serres, écuries, ferme, poulailler).

Léonard, qui considère qu'"il faut tout de même à l'existence laborieuse des dérivatifs et un peu de fantaisie" et n'a commencé à étudier les arts qu'à 45 ans, donne une éducation artistique à chacun de ses enfants ; il se méfie toutefois des arts, qui peuvent devenir "une funeste passion [...], qui absorbe le temps, le cerveau, la volonté".

Les surprises de la renommée

Au cours d'un voyage en chemin de fer vers l'Allemagne, il se retrouve par hasard avec deux confrères, qui bientôt discutent du commerce des perles, en prononçant son nom. Sans se présenter, il leur demande : "Connaissez-vous Léonard Rosenthal ?". Ces personnes bien renseignées donnent "des détails étonnants sur sa situation de fortune, sur les étapes de sa réussite commerciale, sur son chiffre d'affaires, sur sa clientèle et sur sa vie privée même". Ils l'informent "sur les dessous des opérations de sa maison, sur ses collaborateurs, sur leurs défauts et leurs travers, sur sa famille même, quantité de choses qu'il est le premier à ignorer".

A la frontière, quand leurs passeports leur sont rendus par le commissaire chargé du contrôle, celui-ci l'appelle tout haut par son nom. Lorsque Léonard répond "C'est moi, Monsieur !", les deux confrères, se sentant pris dans un piège, ne peuvent cacher leur stupeur et leur gêne.

Il mettra à profit certains des renseignements qu'il a ainsi recueillis.

Ses idées

Pour l'immigration

Il n'est pas étonnant que Léonard se déclare en faveur de l'immigration, notamment pour repeupler les zones rurales.

Contre le communisme

Celui qui a quitté la Russie en 1889 refuse, par contre, la transplantation de l'expérience communiste russe. "Tous pour l'Etat, l'Etat pour Tous", cette "admirable formule chrétienne" est pour lui une "folle utopie" ; il préfère "le double jeu des qualités et des défauts des individus et des collectivités : la vanité, l'ambition, l'émulation, l'intérêt, ...", qui donne de meilleurs résultats.

Contre la militarisation

La guerre a retiré de son esprit "l'idée de la nécessité des forces armées pour la défense des droits et des intérêts des nations".

Après 1918, l'armée comprend autant d'hommes qu'avant la guerre. Pour lui, ces 600 000 soldats constituent 8 % du capital-travail, qui se trouve immobilisé par la nécessité des armées. "Nous sommes exactement dans la situation d'un homme qui emploierait chaque année le quart de ses ressources à payer une prime d'assurance qui ne le garantirait pas contre la perte de la moitié du reste en cas de cataclysme".

Le mécène philanthrope

Dès que Léonard a acquis sa fortune, divers personnages importants essaient de la mettre à profit, en particulier pour le renforcement de l'armement de la France. L'un d'eux, qui a reçu une commande d'un million d'obus de 155, en fonte aciérée, lui propose d'affecter ses fonds disponibles à l'achat, en Amérique, de 3 fortes presses. Il décline la proposition, refusant de gagner énormément d'argent en fabriquant des engins de ruine et de mort.

Profitant largement de sa fortune, Léonard en consacre toutefois une partie à des actions humanitaires. Il s'intéresse aussi bien à l'éducation des jeunes défavorisés qu'aux travaux des scientifiques les plus célèbres.

Les œuvres caritatives

Léonard fonde deux œuvres "ayant pour but de venir en aide aux hommes tombés momentanément dans la misère". Ayant remarqué que des ouvriers gagnant correctement leur vie se trouvent au nombre des solliciteurs, il considère que "Le coupable est le syndicalisme avec ses tarifs uniformes imposé au patron. Le mérite professionnel de chacun n'a aucune valeur, les charges de famille pas d'avantage".

Regrettant que la fondation d'une famille ne soit pas favorisée, il propose de créer dans chaque usine une organisation, dont le patron ou les ouvriers seraient les administrateurs ; sa mission serait de répartir un pourcentage de la paye hebdomadaire entre les pères de famille dans la proportion de leurs charges.

Tout en construisant des immeubles luxueux, il s'intéressera aux logements à bon marché.

Les premières écoles techniques

Léonard fonde l'école Rachel pour donner une formation professionnelle aux veuves et aux jeunes filles pupilles de la Nation. Située 15 quai Bourbon, ses cours sont gratuits. Il en confie la direction à l'épouse de son frère Adolphe. En 4 à 6 mois, les élèves ayant fait des études secondaires peuvent devenir ingénieur aide-chimiste, dessinateur industriel, retoucheur de photographies (ces métiers n'ont alors pas de nom féminin). Les moins instruites pourront être bobineuses, polisseuses sur métaux, prothésistes dentaires, coiffeuses, confectionneuses de chaussures.

Il crée également une école, dont les cours et le déjeuner de midi sont gratuits, pour les garçons pupilles de la Nation, leur offrant une formation en mécanique et en électricité ; l'apprentissage y dure un an et demi. L'école accueille environ 150 élèves, qu'elle place ensuite à l'âge de 15 à 17 ans. Léonard croit "qu'il y a là un exemple dont un Etat soucieux de sa renaissance industrielle peut s'inspirer".

Pendant la guerre, il consacre les écoles Rachel à la rééducation des mutilés.

L'aide aux écrivains et aux chercheurs

  Dans son journal littéraire, Paul Léautaud signale que L. Rosenthal est venu, plusieurs fois, en aide à des écrivains nécessiteux.

Léonard subventionne les travaux de divers scientifiques. Il est le meilleur ami de Jean Perrin qui obtient le prix Nobel de physique, en 1926, pour ses recherches sur la structure discontinue de la matière.

Le physicien peut alors faire construire un laboratoire exceptionnel pour l'époque : celui-ci comprend un puits à l'abri des rayons cosmiques ainsi qu'une coupole astronomique. Il créera, en 1937, le Palais de la Découverte à proximité de l'avenue dont il va être question.

 

Le bâtisseur visionnaire des Champs-Elysées

Les investissements immobiliers

Léonard crée, dans les années 1920, la Société des Grands Immeubles afin de rénover et de développer l'habitat et les commerces des Champs-Elysées.

Dans son livre "Quand le bâtiment va", qu'il écrit trois ans après y avoir entrepris la construction ou la transformation de nombreux immeubles, il envisage des transformations importantes de l'avenue : "Je vois très bien la démolition de toutes les maisons allant du numéro 14 au Rond-point qui est celle occupée par Le Figaro, et que nul ne songe à démolir, jusqu'à la rue du Colisée, et leur remplacement par trois ou quatre immeubles seulement de proportions grandioses".

 

Il contribue notamment, avec ses frères, à la construction de l'immeuble où se trouvait le "Cinéma des Champs-Elysées", devenu "Le Normandie" puis plus récemment "UGC Normandie" ; son entrée, au 116 bis de l'avenue, est également, de nos jours, celle du cabaret "Le Lido".

Les deux derniers étages de ce bâtiment, de couleur rose, en forme d'accordéon constituaient un somptueux appartement habité par l'un des frères, Adolphe.

Les premières galeries commerciales

Dans ce livre relatif aux questions immobilières, Léonard rappelle l'histoire des Champs-Elysées avant de raconter les circonstances dans lesquelles il a eu l'idée de construire successivement deux passages, Les Arcades du Lido et Les Portiques.

Plusieurs ouvrages récents sur les passages parisiens et sur les Champs-Elysées ont résumé des chapitres de la thèse que Bertrand Lemoine a consacré en 1983 à ce sujet (ou de l'ouvrage "Les passages couverts en France", qui en est issu et a été publié par la Délégation à l'action artistique en 1989). Nous reproduisons presque intégralement ceux concernant les deux galeries, dont Léonard a conçu et financé la construction ainsi que la décoration.

Les Arcades des Champs Elysées

Après la petite galerie des Champs Elysées établie en 1895, la construction des Arcades des Champs Elysées (plus connues sous le nom des Arcades du Lido) illustre la transformation subie depuis le début du XXe siècle par cette prestigieuse avenue.

 

La promenade élégante bordée d'hôtels entourés de jardins que les Parisiens fortunés remontaient en calèche pour aller respirer le bon air du Bois, laisse place à cette époque à une avenue urbaine où s'installent commerces de luxe, immeubles de bureaux et vitrines de constructeurs automobiles. Un Parisien décrit avec amertume ce changement dans un guide mondain de 1925 : "chassé par les autres, qui de la chaussée font une piste dangereuse, et qui, chose plus cruelle ont envahi les maisons transformées en boutiques. Le commerce a tué l'élégance, le salon est devenu foire. Les caravanserails, les maisons de couture, les banques ont accompli le reste (...). Jadis, je veux dire il y a quinze ans, on ne rencontrait sur les Champs Elysées que des gens élégants dont le souci était de plaire. On se promenait. Aujourd'hui, le peuple est roi. Des milliers de midinettes, d'employés, de rustres envahissent les trottoirs de leur laideur, de leur tumulte, de leur vulgarité" etc... Ce point de vue personnel illustre les transformations sociales qui accompagnent les changements urbains à la faveur de l'extension de Paris vers l'ouest. On retrouve ici, à un siècle de distance, le même phénomène que dans les quartiers nouveaux construits sous la Restauration. Lotissements des vastes terrains occupés par les hôtels particuliers, développement du commerce, accroissement et mutation des échanges. C'est dans ce contexte semblable que va se construire une nouvelle génération de passages sur les Champs Elysées.

Georges Montorgueil soulignait d'ailleurs vers 1926 que "Les Champs Elysées, fixés comme aspect, sont, en ce qui concerne leur mouvement, en pleine métamorphose (...). Les passages qui furent autrefois les privilégiés des commerces, y tentent une résurrection. C'est dans la logique de notre capitale en continuel enfantement". Mais il ajoutait : "Un passage nouveau à notre époque semble une gageure ou un paradoxe". Un autre journaliste soulignait en 1932 que ces nouvelles constructions "auraient honte d'être classées passages, afin qu'on ne puisse les confondre d'aucune manière avec leurs plus modestes prédécesseurs".

Le promoteur des "Arcades", M. Rosenthal, le "roi de la perle fine", avait acquis en 1924 un hôtel "somptueux et ridicule" construit en 1905 par Gustave Rives pour Georges Dufayel, fondateur des Grands Magasins du même nom. Rosenthal a raconté comment lui est venue l'idée de créer là un passage, dans ce contexte de l'essor commercial et mondain des Champs Elysées. Le terrain mesurait 120 mètres de longueur pour seulement 15 de largeur :

"C'est un couloir pensais-je aussitôt, un véritable passage. Comment bâtir de chaque côté ?

Passage ! Passage !

Le mot dansait dans ma tête avec persistance. Et soudain ce fut comme un trait de lumière. Un passage ! Mais parfaitement ! Un magnifique passage enclavé dans l'immeuble même avec des boutiques de luxe de chaque côté (...). Voilà l'oasis luxueuse qu'il faut aux promeneurs sans rompre la monotonie d'une trop longue promenade ; voilà le cadre qu'il faut au négoce élégant pour déclencher aux Champs-Elysées l'essor commercial inscrit dans ses destinées".

 

Rosenthal ne manquait d'ailleurs pas de perspicacité lorsqu'il écrivait que "l'avenir n'est pas éloigné où, du haut en bas de l'avenue, il ne restera pas un rez-de-chaussée bourgeois, et où la suite ininterrompue de magasins de luxe en fera le véritable boulevard de l'élégance parisienne".

Les travaux furent rondement menés. L'architecte Charles Lefebvre, "pendant vingt ans le plus grand bâtisseur dans Paris", décéda pendant le chantier, que terminèrent ses collaborateurs Jullien et Duhayon. L'entreprise, l'Industrielle foncière dirigée par Cabanié, avait employé 500 ouvriers et mis en œuvre 500 tonnes d'acier, 11.500 de ciment, 1.000 m3 de pierre, etc ... Parmi les principaux artisans qui concoururent à l'œuvre, on peut citer Martin pour la sculpture, René Gobert pour la ferronnerie, Jacopozzi pour les vitraux, Lalique pour les fontaines de verre. L'ensemble avait coûté 60 millions, plus 30 pour le terrain.

 

L'inauguration eut lieu le 1er octobre 1926 en présence de 1.000 invités. Dès l'ouverture les "Arcades" furent saluées pour l'ampleur de la conception et le luxe de leur décor :

"Des colonnes soutiennent un plafond vitré élevé où la lumière du jour et celle de la nuit se succèdent sans qu'on s'aperçoive à quel moment fuit le jour, dans quel instant la nuit commence. L'eau des fontaines gargouille dans les vasques entre les parterres à l'orientale qui dessinent sur le sol leurs arabesques fleuries. C'est à l'art des éventaires d'ajouter par ses raffinements à un superbe décor".

Et il ajoute : "Un passage aux Champs Elysées est tout à la fois un anachronisme hardi et une audacieuse nouveauté".

Le passage se présente comme un grand hall vitré entrecoupé de portiques supportant des immeubles traversant.

Le centre de ces parties fait office de terrasse de café et d'estrade pour un orchestre tandis que les espaces directement sous la verrière sont garnis de fleurs.

La circulation se faisait donc sur les côtés de cette nef, disposition qui subsiste aujourd'hui alors qu'un glacier et des boutiques occupent tout l'espace central.

 

Les accès sont ménagés à travers de vastes halls qu'une paroi vitrée plus tardive sépare du passage.

 

Le luxe assez ostentatoire des matériaux met en valeur la décoration d'inspiration néo-classique, avec ses grandes colonnes en marbre rouge surmontées de chapiteaux dorés.

Huit provenaient de l'ancien hôtel Dufayel, les huit autres ayant du être réalisées en stuc pour des raisons d'économie.

La double enveloppe de la verrière, selon un procédé devenu courant depuis la fin du XIXe siècle, permet un jeu entre la partie périphérique horizontale et la partie centrale voûtée.

Une plaquette publicitaire a vanté ces dispositions avec un soupçon d'emphase : "On entre dans cette galerie offerte au passant comme dans le hall d'un palais. C'est la vie du vieux Palais-Royal ressuscitée et transportée ici, mais avec quelque chose de complètement nouveau, une vie protégée, défendue, à l'abri de l'air et des bruits, une sorte de plaisir capitonné comme l'auto d'où l'Elégante vient de descendre pour entrer dans cette terre de luxe".

Tout ceci était aussi favorablement jugé par la presse : "Le passage est haut, large, fleuri, bien éclairé, d'une architecture suffisante, bordé de boutiques de luxe, animé par les entrées des bureaux de plusieurs buildings. Un orchestre, un thé, un bar contribuent encore à la réussite des Arcades". Marcel Zahar a cependant critiqué le parti pasticheur du décor des architectes :"[...] ils ont accroché à la façade des urnes, des poupons dodus, enfin des délicatesses dont nous nous privons aisément aujourd'hui". [...] Parmi les boutiques, on trouvait un grand chemisier, "qui ne s'est pas contenté de participer au luxe de l'endroit, mais qui a voulu et qui a réussi à être un novateur dans sa spécialité", des lingères, une librairie, un grand bottier, d'étincelantes carrosseries d'automobiles, des marchands de robes. La vitrine des boutiques se prolonge jusqu'au haut de l'entresol formant ainsi une façade entièrement vitrée, au dessin très simple.

Quatre accès aux immeubles surplombants donnent dans la galerie.

Ils desservent de longs corridors qui courent parallèlement au passage et plusieurs centaines de bureaux ou appartements.

 

L'ensemble forme ainsi une petite cité grouillante de vie que Jean-Luc Godard a saisie sur le vif dans le film "A bout de souffle" tourné en 1961. La galerie fut également à cette époque un lieu de rendez-vous de la jeunesse dorée, attirée en particulier par l'enseigne d'un disquaire particulièrement bien pourvu en nouveautés étrangères.

Les Arcades avaient aussi leur pôle d'attraction, "machine à aspirer le public", le Lido réalisé trois ans après l'ouverture du passage en sous-œuvre sur les plans de Berger. Sur une surface de 110 x 40 mètres, aménagée en sous-sol, on trouvait une piscine chauffée [...], un dancing, un institut de beauté, un salon de coiffure, un bar, 125 cabines, un hammam, des salles de douche, de massage, de repos. L'ensemble était à la fois "lieu de sports, restaurant mondain, bar, thé, salle de spectacle" animé par des attractions chorégraphiques et nautiques. Le cabaret du Lido acquit rapidement une renommée telle qu'il devint un détour obligé pour les touristes fortunés. Le nom en a d'ailleurs été donné à l'ensemble du passage. Il le garde encore aujourd'hui malgré le déménagement du cabaret [...].

Les Arcades ont certainement relancé la mode des passages couverts à Paris, au moins pendant quelques années, puisque trois galeries concurrentes ont été construites à proximité. [...]

Les Parisiens donnent à l'établissement exploité par la Société Hydrothérapique et Balnéaire des Champs-Elysées le nom de "Plage de Paris" ; en 1928, suite à de mémorables soirées vénitiennes qui ont lieu dans la piscine, le nom de Lido lui est attribué. Le cabaret, conservant son nom, et ses danseuses vêtues de plumes ainsi que de perles et de pierres nombreuses (mais fausses) ont rejoint un autre immeuble construit par Léonard. La galerie commerciale a repris son appellation d'origine : "Les Arcades des Champs-Elysées".

Elle a été transformée de manière importante.

Le marbre d'origine est toutefois toujours présent, rouge pour les colonnes, blond et noir pour le revêtement des murs.

Si la fontaine de René Jules Lalique n'est plus visible, ses appliques lumineuses, en bronze et en verre, sont toujours en place.


Les Portiques

Le succès des Arcades des Champs Elysées encouragea son promoteur, Léonard Rosenthal [...], à entreprendre en 1927 une spéculation semblable dans le haut des Champs Elysées. Mais alors que les Arcades avaient occasionné la construction de plusieurs immeubles, les nouveaux Portiques ont été aménagés à travers des immeubles existants, comme beaucoup de passages du XIXe siècle.

Il s'agissait d'un groupe de cinq immeubles, donnant à la fois sur les Champs Elysées, la rue Arsène Houssaye et la rue Lord Byron, construits pour la plupart vers la fin du XIXe siècle. Une cour intérieure occupait le centre de l'îlot. Cette disposition ne se prêtait [pas] à un véritable passage mais plutôt à l'aménagement d'un atrium vitré auquel on aurait accédé par des porches couverts. Le promoteur s'est d'ailleurs vanté de ce parti original : "En le concevant, j'ai surtout eu l'idée de créer quelque chose que personne au monde n'avait encore vu nulle part". L'autre difficulté à vaincre était de pas déplacer les locataires des immeubles existants pour éviter de trop lourdes indemnités. Malgré cela, l'architecte Grossard et les ingénieurs Edouard Perrin et Adolphe Rosenthal (frère de Léonard) surent tirer le meilleur du terrain pour dégager de vastes volumes, à l'échelle des passages de cette génération.

[...] Cinq boutiques furent ménagées sur l'avenue avec de grandes vitrines [...] derrière lesquelles on pouvait voir "dans un décor de gloire mécanicienne, sous l'éclat des projecteurs, comme des divinités de la vitesse, brillantes, lustrées, les puissantes torpedos, les somptueuses limousines". On pénétrait dans le passage par un long porche prolongeant les vitrines de l'avenue et qu'on peut encore voir aujourd'hui. On débouchait ensuite sur un atrium à deux niveaux : en contrebas, [...] 22 boutiques. Il communiquait par deux escaliers monumentaux avec une galerie périphérique donnant accès à 19 boutiques. [...] Alors que les Arcades du Lido conservaient encore la disposition traditionnelle du passage, établi le long d'une circulation principale, les Portiques offraient avant tout un grand espace ménagé en cœur d'îlot, privilégiant ainsi la fonction commerciale à la fonction de traverse. L'appellation même de Portiques jouait d'ailleurs sur deux tableaux, désignant à la fois une rue couverte et un vestibule à colonnes.

La disposition générale évoquait plus l'intérieur d'un édifice religieux qu'un passage : "Le style sobre et élégant, les revêtements de marbre Bois Jourdan des Pyrénées confèrent à cette salle l'aspect grave d'un temple ; ne sommes-nous pas dans la crypte du luxe ; cette impression est encore renforcée par deux orgues encastrés dans la muraille. Ah ! génie commercial, fine stratégie ! (...) les arguments des vendeurs aux lunettes d'écaille, des vendeuses ravissantes comme des stars de cinéma seront soutenus par la séduction des andantes". Sur un côté de la grande salle, des colonnes de marbre gris à chapiteaux dorés soutenaient "une vaste verrière dont l'harmonie linéaire s'accorde à la fantaisie des mosaïques du sol qu'elle baigne d'une lumière opaline." [...]

Le sous-sol comprenait une salle des fêtes avec dépendances, une centrale électrique et la soute à charbon, une centrale thermique alimentant les cinq immeubles associés au passage. [...]

Les Portiques furent inaugurés en grande pompe le 5 avril 1928, en présence de Edouard Herriot, ministre de l'Instruction publique, du Préfet de la Seine, des Présidents du Conseil municipal et du Conseil général, etc... Ils semblaient promis à un bel avenir mais un journaliste notait déjà en 1932 que "les Portiques ne sont pas encore parvenus à attirer la vie mondaine ni à retenir le commerce de luxe. [...]". Il ne semble pas que par la suite Les Portiques aient vraiment prospéré. Le hall fut remplacé à une date indéterminée par le restaurant La Pergola qui a fermé ses portes en 1980. La partie centrale du passage est actuellement en cours de complète rénovation, attendant peut-être une prochaine renaissance.

 

Ces travaux n'étaient, en fait, pas destinés à l'accueil de nouveaux commerces.

Aujourd'hui à l'adresse des Portiques, 79 Champs Elysées, il n'y a plus qu'un long couloir conduisant aux bureaux d'une société de conseil américaine, qui ont vraisemblablement remplacé les boutiques entourant l'atrium. Seuls des motifs décoratifs, habillant les miroirs des parois latérales dans le style des années 1920, rappellent l'origine de ce lieu.

La Voie Triomphale

En 1928, la circulation est déjà très difficile sur les Champs Elysées. Dans son ouvrage, Léonard fait différentes propositions, dont certaines assez curieuses et utopistes, pour l'aménagement de l'avenue. Il suggère également des embellissements : "Les Champs Elysées doivent être, par leurs jardins rénovés et par leurs dispositifs lumineux, une exposition permanente d'art décoratif".

Il prévoit "qu'une force irrésistible en fait le point de convergence de toutes les branches du commerce du luxe" et que cette poussée vers l'ouest de la capitale va s'accentuer. Il entreprend le projet de prolonger cet axe prestigieux jusqu'à la Défense.

En 1926, Léonard finance un concours privé pour l'aménagement de la porte Maillot, dont il souhaite faire une entrée monumentale de Paris. Des architectes célèbres y participent :

- Robert Mallet-Stevens imagine un ensemble grandiose d'architecture très moderne,

- Henri Sauvage propose des immeubles en gradins, caractéristiques de son style,

Charles Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier, conçoit un quartier de tours émergeant d'une grande dalle piétonne séparée des voies de circulation des automobiles.

  Léonard sera très déçu que le conseil municipal ne donne pas suite à ces propositions jugées trop monumentales. Encouragé par lui, Le Corbusier précise son projet et expose ses idées en 1933 au Congrès International d'Architecture Moderne d'Athènes et dans la Charte d'Athènes de 1941. Après d'autres concours qui seront organisés dans les années 1930, elles seront reprises quarante ans plus tard pour l'aménagement du quartier de La Défense ...

Les crises économiques

Les aléas du commerce des perles et des gemmes

Une première crise économique, en 1906-1907, cause la faillite de 60 négociants en perles fines.

La Révolution bolchevique a, en 1921-1922, des conséquences que le russe, émigré sans un sou à Paris 32 ans auparavant, subit et nous raconte : les nouveaux émigrés n'ont pu emporter que leurs bijoux, qu'ils revendent pour vivre en Europe occidentale. Le gouvernement bolchevique confisque les bijoux que Léonard a déposés dans une banque de Moscou ainsi que ceux des riches familles qui n'ont pas pu fuir le nouveau régime ; lorsqu'il les liquide bientôt, les marchés de Londres et de Paris se trouvent submergés, entraînant une grave crise du négoce des pierres précieuses.

Les suites du jeudi noir

La crise qui commence le jeudi 24 octobre 1929, resté dans l'histoire sous le nom de "jeudi noir", aura des conséquences beaucoup plus importantes. Ce jour-là, plus de 13 millions de titres sont échangés en une seule séance de la Bourse de Wall Street ; il sont vendus par des investisseurs paniqués, craignant de voir le cours de leurs actions s'effondrer. Le krach se confirme le mardi suivant, avec une chute de 43 points de l'indice des valeurs boursières. Au 1er janvier suivant, les cours des principales actions ont perdu 25 %, certains titres ayant abandonné plus de 90 % de leur valeur. Les financiers américains rapatrient leurs placements en Europe et la dépression se propage.

Le monde occidental entre dans sa plus grave crise économique. Les faillites de deux banques, le Comptoir Lyon Alemand et la Banque Nationale de Crédit (BNC) provoquent les difficultés de nombreux diamantaires. En France, où le gouvernement a une politique protectionniste, la crise ne se manifeste largement qu'en 1932. Elle sera aggravée par les mesures du Front populaire et ne prendra véritablement fin qu'avec la seconde guerre mondiale.

Atteinte par la crise, la société "Léonard Rosenthal et frères" sollicite en 1932 un arrangement avec ses créanciers et est mise en liquidation amiable en 1934. Pour les frères, c'est la fin de l'opulence, comme le note Nicole Landau : "Si la montée fut vertigineuse, la descente fut plutôt une dégringolade". Un site Internet sur les bijoux et les pierres précieuses apporte des précisions sur la faillite de la société des frères Rosenthal :

Cette société en nom collectif avait eu un engagement de près de 50 millions envers la BNC ; atteinte par la crise, elle sollicita en 1932 un arrangement avec les créanciers et fut mise en liquidation amiable en 1934. Les trois frères constituèrent ensuite chacun une nouvelle société et prirent des participations dans des sociétés immobilières ; le frère aîné alla s'installer à New-York où il développa un commerce de perles florissant. La BNC voulut faire jouer la clause de retour à meilleure fortune ; après de longues tractations Léonard Rosenthal proposa la remise de 80 000 actions de la Société foncière des Champ-Elysées ; en 1948, les associés procédèrent au rachat définitif de cette clause pour 4 500 000 francs.

La guerre et le refuge américain

La barbarie nazie

La porte Maillot ne sera pas pour Léonard le lieu de ses succès architecturaux mais celui d'un drame atroce. Son frère Adolphe n'a pas voulu quitter Paris, pensant qu'il ne risquait rien, comme l'écrit Nicole Landau :

Son fils, ceux de [Léonard], et tous les garçons de la famille en âge de servir leur patrie étaient partis sous la bannière tricolore. Sa fille était encore en classe et préparait d'importants concours hippiques. Ils avaient une propriété non loin de Paris, qui pouvait éventuellement servir de refuge si les vivres venaient à manquer.

[Il] disait volontiers : " Je suis un ancien combattant de la Grande Guerre, j'ai reçu à ce titre la croix de guerre, la médaille militaire, je suis français et j'ai fait les Arts et Métiers. Nous avons servi la France, dès la première Grande Guerre. Il ne peut rien nous arriver".

En septembre 1941, il est abattu dans un passage souterrain par trois faux policiers français, vraisemblablement des auxiliaires de la Gestapo, qui s'étaient présentés chez lui peu de temps auparavant, en déclarant le chercher pour le conduire dans un camp de concentration.

Quelques jours plus tard, sa fille rejoint la Résistance. L'une des sœurs sera déportée à Ravensbrück, d'où elle ne reviendra pas.

La fuite

Contrairement à son frère, Léonard, naturalisé comme lui, comprend qu'il ne doit pas rester en France. Quelques mois avant ce tragique événement, il rejoint la région de Saint-Jean-de-Luz, qu'il connaît bien, avec sa femme et leur fille. Ils parviennent à franchir la frontière espagnole et, après un long périple, ils arrivent à New York.

Pour sa nièce Blanca et sa fille, la fuite se termine dans un camp de concentration du sud-ouest de la France, après un séjour cauchemardesque dans la Kommandantur de Salies-de-Béarn. Nicole Landau raconte ce terrible souvenir dans son ouvrage. Son collier de perles fines et les émeraudes, rubis et saphirs, cachés dans le beurre et le lard de leur pique-nique, leur sont confisqués ; sa mère doit se débarrasser, en cachette, de sachets de pierres, dissimulés dans ses sous-vêtements, qui devaient également assurer leur subsistance.

La vie américaine

Léonard devient citoyen des Etats-Unis et reconstitue partiellement sa fortune grâce au négoce des perles de culture. Il résidera à New-York jusqu'à son décès en 1955.

La famille et les descendants de Léonard

Ses frères et ses sœurs, qui l'ont rejoint en France

Victor

Victor est né en 1880. Pour suivre Léonard, il doit interrompre ses études primaires. Il suit des cours du soir, après son arrivée à Paris. Il parlera parfaitement le français, néanmoins avec un accent russe.

Il est naturalisé après avoir reçu la médaille militaire, la croix de guerre et la Légion d'honneur, suite à ses actions militaires pendant la guerre de 1914-1918, au cours de laquelle il a été grièvement blessé.

Adolphe

Cet autre frère cadet est né en 1877 à Vladicaucase. "[Il] était un homme radieux, amoureux, toujours parfumé aux essences chyprées, les yeux bleus et rieurs, et une fleur fraîche à la boutonnière que son valet lui apportait tous les matins avant de sortir".

Ingénieur diplômé de l'Ecole des Arts et Métiers, il a participé à la conception des immeubles et des passages imaginés et financés par Léonard.

Sa fille était une championne d'équitation et avait déjà gagné de nombreux concours hippiques à l'âge de 17 ans.

Henri

Ce frère original, qui aurait été trépané après la guerre, était alchimiste. Il interdisait l'accès à son laboratoire situé dans les soupentes de la petite maison, où il habitait avec sa famille ; celle-ci était située dans le parc de la propriété de son frère Victor à Neuilly.

Pendant la seconde guerre mondiale, ses deux fils ont été mobilisés. Tous deux aviateurs, ils ont rejoint Londres pour poursuivre le combat contre les Allemands. Après la guerre, l'aîné est devenu géomètre ; le second, prénommé également Léonard, a été ingénieur en aéronautique.

Anatole

Le plus jeune des frères, qui a certainement été profondément marqué par l'absence de sa mère décédée lors de sa naissance, n'a pas eu le caractère entreprenant de ses aînés. Nicole Landau en fait un portrait peu flatteur, que nous résumerons ainsi : il vivait aux frais de ses frères, dans sa garçonnière de l'un des passages des Champs-Elysées et au bar du Fouquet's, au milieu des femmes.

Il avait appris l'anglais, l'espagnol et l'arabe, comme ses frères ; il parlait notre langue sans accent sauf l'accent parigot qu'il prenait pour s'exprimer en argot ...

Amalia

Avant de rejoindre ses frères à Paris, Amalia, qui était née à Groznyi, "vivait à Samara, une bourgade cossue au bord de la Volga, importante étape pour les caravanes de chameaux chargés d'épices et de tapis. Samara, une ville perdue pour qui rêve de Paris. Malgré ses greniers à grains et ses établissements de cure au lait de jument". Son époux vétérinaire était chargé d'acheter les chevaux de l'armée du tsar. Elle apprit le français mais elle ne maîtrisera pas bien la langue lorsqu'elle arrivera à Paris avec sa sœur et leurs enfants presque adultes.

C'est elle qui sera chargée de l'éducation de sa nièce Blanca, née dans l'île Margarita.

Ses épouses

La première épouse de Léonard, Jeanne Salomon, qui a souvent résidé dans la villa "Vallée des Roses", était issue d'une famille juive alsacienne et de bretons catholiques.

Après son divorce, Léonard s'est remarié.

Ses enfants

Jean

Le fils aîné de Léonard a eu des activités héroïques pendant la guerre, entre Londres et les maquis de Savoie, qu'il dirigeait, et où il se faisait fréquemment parachuter, comme le précise le document suivant.

Léonard Rosenthal, grand bijoutier parisien, s'installe à Megève en 1940 avec son fils Jean, tout juste démobilisé de son escadre aérienne. En 1942, Jean rejoint de Gaulle à Londres et part se battre avec Leclerc en Tripolitaine. Grièvement blessé, il est rapatrié sur Londres et affecté au Bureau central de renseignement et d'action (RCRA). Il revient en Haute-Savoie durant l'été 1943 comme officier de liaison interallié, sous le nom de Cantinier. Il est justement chargé de prendre contact dans le département avec Julien Viallet, qui se cache près de Frangy, aux Daines, pour taire passer les messages de Londres. Après quelques aller-retours entre Londres et le département, des contacts avec Tom Morel, il représente le commandement interallié à l'état-major des FFI (Forces françaises de l'intérieur) de la Haute-Savoie. Le 16 août 1944, il joue un rôle fondamental dans la capitulation de la garnison allemande du Fayet, qui permet la libération de Saint-Gervais. La guerre terminée, il reprend l'activité familiale de diamantaire. 

Compagnon de la Libération, il a été décoré du plus haut grade de la Légion d'honneur.

D'autres informations sur Jean Rosenthal peuvent être consultées sur le site Internet de la Chancellerie de l'Ordre de la Libération.

Pierre

Son frère cadet a été tué par les allemands en Tunisie, en 1943. Il avait deux jeunes garçons. L'aîné est devenu musicologue, le plus jeune cardiologue.

Lucille

Leur sœur, née en 1912 dans la villa de Villennes, regrette de ne pas avoir retrouvé l'immense parc qui l'entourait lorsqu'elle est revenue visiter les lieux à la fin du siècle.

Rachel

Cette fille, rousse et souriante, est celle qu'il a eue avec sa deuxième épouse et qui est devenue américaine. Férue d'art, elle a initié sa cousine lorsqu'elle a franchi l'Atlantique après la guerre :

Elle se mit à truffer mon temps et ma curiosité de noms et d'images inconnus comme Braque, Klee, Matisse, Picasso, Dubuffet, Moore ou Giacometti, elle m'entraîna de force dans les coulisses des théâtres et les ateliers de Montparnasse. Elle m'apprit à écouter et à aimer Chostakovitch, Bartok et Boulez. J'apprenais Paludes par cœur, et Dubuffet.

Les descendants de la famille

Deux petits-fils d'Adolphe vivent au Brésil. La petite-fille de Victor, auteur de "La perle de Blanca", a travaillé dans le domaine de la communication. Son fils continue, à Paris, le commerce des gemmes.

Deux des petit-fils de Léonard ont été marchands de pierres précieuses, tandis que deux autres ont été médecin et musicologue.

Les princes de la perle noire  

A la fin des années 1950, les bancs d'huîtres perlières de Tahiti ont été pêchées en trop grand nombre pour permettre une production suffisante de perles noires. Leur culture va prendre le relais grâce aux travaux de scientifiques japonais et aux efforts de descendants de Léonard.

Jean-Marie Domard, vétérinaire du Service des fermes et des pêcheries de Polynésie, commence la culture des perles polynésiennes, en 1962, en greffant 5 milliers d'huîtres avec l'aide d'un spécialiste japonais, le Professeur Wada. C'est après avoir eu connaissance de la première "récolte" de plus de 1 000 perles d'excellente qualité, trois ans plus tard, que Jacques et Hubert, les fils de Jean Rosenthal, s'intéressent à cette nouvelle filière, appelée maintenant perliculture. Ils créent, en 1966, la première ferme perlière dans l'atoll de Manihi. Malgré des débuts difficiles, le succès de leur entreprise suscite l'établissement de confrères dans des îles voisines. Depuis cette époque, une vente aux enchères de leur production est organisée chaque année à Papeete.

 

L'atoll de Manihi est situé dans l'archipel des Tuamotu, à 600 Km au nord-est de Papeete.

L'anneau corallien "composé d'extraordinaires franges de cocotiers aux feuilles légèrement jaunies par l'excès de soleil et dont les racines ont donné au sable sa couleur saumon" est "entouré d'une eau tantôt turquoise tantôt couleur émeraude selon la lumière du jour".

Ce lagon et ses fonds sous-marins exceptionnels attirent de nombreux amateurs de plongée.

Nous regrettons de ne pas avoir pu nous y rendre pour rencontrer l'arrière-petit-fils de Léonard, qui y exploite la plus importante ferme perlière. Nous le remercions de nous avoir mis en relation avec Nicole Landau, pour nous aider à vous présenter une partie de la saga de la famille Rosenthal.



Pour aller plus loin dans l'histoire des perles et des gemmes, nous vous proposons de visiter quelques sites Web :

 sur les pierres précieuses : un dossier de l'encyclopédie WebEncyclo et les pages relatives aux émeraudes, aux rubis et aux saphirs du site de la bijouterie parisienne De l'Or et des Etoiles,
 sur les perles : une page du site de la bijouterie Maskarine située en Martinique,
 plus précisément sur la perliculture en Polynésie : une page du site de la bijouterie Freva située en Nouvelle Calédonie, un dossier (sans image) de RFO et un reportage en images (sans texte) du photographe Valéry Joncheray.