Villennes, sur la route de l'armée de libération américaine
Quatre-vingt jours seront nécessaires, après le débarquement des troupes anglaises et américaines en Normandie, pour qu'elles atteignent l'Ile-de-France, en longeant la Seine sur sa rive sud.
Pendant que Paris se soulève et se libère après l'arrivée de la Deuxième DB, les combats continuent le long du fleuve, en aval ; à Villennes notamment, l'armée américaine est confrontée, du 25 au 29 août, à une unité de parachutistes allemands qui a quitté précipitamment la capitale comme de nombreuses autres troupes d'occupation. Depuis Triel, elle tente d'empêcher les libérateurs d'avancer et de traverser la Seine.
Après 3 jours de combats, ceux-ci réussiront à prendre le contrôle des têtes de pont (Mantes, Les Mureaux et Poissy) et à rendre la liberté à la région. L'armée américaine établit plusieurs ponts flottants, notamment à Rosny et aux Mureaux, pour remplacer les ponts que l'aviation alliée a détruits afin d'interdire à l'ennemi le franchissement du fleuve.
Les dernières victimes villennoises de la guerre
Alors que la fin des hostilités est proche dans notre département, plusieurs habitants du village vont y trouver la mort.
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Deux événements tragiques seront relatés par Collatino Belluzzi, qui en est le témoin ; parcourant le village et ses hauteurs, notamment pour se rendre sur son terrain du chemin des Groux où il cultive des légumes, il cache sa caméra Pathé 9,5 mm, qu'il porte sur lui au péril de sa vie jusqu'à l'arrivée des Américains. |
Cliquez sur le magnétoscope, pour voir le film, d'où ont été extraites certaines des images qui illustrent cette rubrique. |
Un avion allemand s'écrase sur une maison
Une nuit de juillet vers 3 ou 4 heures, suite à un combat aérien, un avion allemand en flammes, que le pilote ne contrôle plus, traverse la Seine et le village avant de s'écraser sur le coteau. Il termine sa chute sur une maison proche de l'avenue Irène, tuant le couple de propriétaires dans leur sommeil. Les différents morceaux de l'appareil se dispersent dans un rayon d'au moins 30 mètres.
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Les corps calcinés des deux aviateurs brûlent encore vers 7 heures du matin, lorsqu'arrivent les premiers témoins. Les S.S., stationnés à proximité pour couvrir la retraite de l'armée allemande, refusent de les considérer comme des compatriotes, n'admettant pas que l'avion appartienne à la Luftwaffe ; des Villennois les enterrent dans une fosse située à droite de l'entrée du cimetière, dans des caisses de fruits en bois fournies par l'épicier, M. Blossier.
Des otages sont fusillés à Breteuil
Le matin même de l'arrivée des Américains, le 25 août, suite à une attaque des FFI sur des véhicules de l'ennemi sur la route de Vernouillet, les Allemands sont à la recherche d'otages. Quatre officiers, circulant dans leur véhicule sur le chemin des Groux échangent des coups de feu, au niveau du Bois des Falaises, avec des jeunes résistants qui cherchent à récupérer des armes au château de Fauveau. Deux d'entre eux, Michel et Jacques Jeunet, sont capturés et chargés les bras en l'air, tenus en joue, dans le véhicule qui revient peu après vers la ferme de Marolles. Il s'y arrête devant Alfred Boursinhac et Adolphe Gerha, alsacien, interprète de la mairie de Villennes, qui vraisemblablement souhaite intervenir. Après quelques minutes de discussion, ils sont, à leur tour, poussés dans le véhicule.
Les 4 otages sont conduits au Mas de Breteuil, où ils
sont enfermés dans la cave. Les Allemands jettent des
grenades à travers le soupirail et fusillent les quatre
hommes. |
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Selon le témoignage ultérieur de son fils, Alfred Boursinhac avait reçu 17 éclats de grenades et 2 balles de mitraillette. |
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Nous avons retrouvé le rapport qui fut rédigé pour relater cet acte de barbarie. Malgré les détails des scènes horribles qu'il nous restitue, nous le transcrivons intégralement (en respectant l'orthographe).
Rapport de l'assassinat de
Messieurs Rodolphe GEHRA, Michel JEUNET Le 25 Août 1944 vers 12 Heures une automobile Allemande passe à coté des frères JEUNET qui circulaient sur la route Nationale 190 lorsqu'ils essuyent des coups de feu ; des personnes qui se trouvaient aux environs se sauvent à travers champs, les frères JEUNET se jettent dans le fossé ainsi que les Allemands qui avaient descendu. Le calme rétabli les Allemands firent monter les frères JEUNET en voiture en les menaçant de leurs revolvers et les obligèrent à tenir leurs bras levés après leur avoir dérobé leurs papiers et leur argent. Environ 1 kilomètre plus loin, ils rencontrent M.M. Rodolphe Gehra et Alfred Boursinhac qui rentrent à leur domicile, ils les obligent également à monter en voiture et les conduisent à leur cantonnement qui se trouvait dans un immeuble situé à Breteuil et dénommé "Le Mas de Breteuil". Ils les ont fait descendre tous les quatre dans la cave où ils ont été enfermés à clefs par le sous-officier Joseph ZIMMER. Rodolphe Gehra qui était employé à la Mairie en qualité d'interprète essaye de parlementer, mais sans succès. Il lui fut répondu qu'ils allaient les tuer et leur écraserait la tête à coups de crosse. M.M.Gehra et Jeunet se sont évanouis. Vers 13 h. 30 après avoir mis hors d'usage à coups de grenades une voiture automobile Peugeot qu'ils n'avaient pu mettre en route appartenant à Monsieur Gevrey, architecte à Médan qui a entre les mains un bon de réquisition signé par l'officier ils jetèrent les grenades par les soupiraux de la cave. Alfred BOURSINHAC réussit à saisir une grenade et à la lancer à quelques distances de lui. Les Allemands en lancèrent d'autres et au bout de quelques instants ils furent tous atteints, mais non satisfaits les Allemands tirèrent par les soupiraux à coups de mitraillettes et de mitrailleuses comme le prouvent les douilles de différents calibres trouvées sur place. Les habitants de la maison d'en face, M. et Mme Johannet, rue de la Croix, furent sommés de rentrer chez eux et mis en joue. Mesdames Perrot et Berthelot ont été enfermées dans une salle contiguë à la cave, elles ont été libérées par un soldat Allemand qui leur a dit de s'éloigner. Les Allemands remontèrent en voiture et quittèrent définitivement leur cantonnement, se dirigeant sur Poissy. A ce moment les voisins pénétrèrent dans la cave, trouvèrent Monsieur Rodolphe GEHRA tué, Monsieur Michel Jeunet tué, Monsieur Jacques Jeunet grièvement blessé, Monsieur Alfred BOURSINHAC portait de nombreuses blessures mais ne paraissait pas grièvement atteint, il a subi une forte commotion cérébrale mais est aujourd'hui hors de danger. Tous étaient couverts de nombreuses blessures, éclats de grenades et balles, certaines ont pénétré par la plante des pieds, ce qui implique forcément que les Allemands tirèrent encore lorsque leurs victimes étaient tombées. Le supplice de ces malheureux a été atroce, ils ont été une heure sous la menace de la mort. Gehra était tombé la face contre terre et ses ongles avaient pénétré dans le sol ; le masque horrifié de Michel Jeunet qui était tombé le buste appuyé dans l'angle des murs de la cave démontrait aussi les souffrances subies. Ces crimes odieux commis sans aucune raison militaire ne s'expliquent même pas par les vengeances, aucun attentat n'a été commis sur le territoire de Villennes les jours qui ont précédé rien ne pouvait faire supposer aux Allemands que leurs victimes appartenaient à un groupement de résistance, les frères Jeunet leur étaient inconnus ils savaient pertinemment qu'ils n'étaient pas armés et que ce n'était pas eux qui avaient tiré puisqu'ils étaient sur la route à même hauteur qu'eux. Gehra était en contact avec eux par sa fonction d'interprète le matin même vers 10 heures 30. Ils l'avaient conduit à Villennes, avec une chenillette pour une réquisition. Boursinhac leur était connu comme habitant du hameau où ils cantonnaient. L'officier commandant le détachement été entré chez lui à plusieurs reprises ; il avait causé à sa femme, donné des bonbons aux enfants et dit qu'il était lui même père de 6 enfants. L'auteur de ce rapport quittant en ce moment son objectivité ouvre une parenthèse et croit devoir faire remarquer aux lecteurs le contraste énorme qui existe entre l'attitude correcte bienveillante même de cet officier et de sa cruauté foncière. Il cause simplement parle de sa famille donne des bonbons aux enfants et n'hésite pas peu de temps après à faire de ces enfants des orphelins. Cela démontre bien que contrairement à ce que certains ont pu penser en 1940, les Allemands ne sont pas après tout des hommes comme les autres. Aucun doute n'est possible il ont tué pour le plaisir de tuer, aucun allemand n'était ivre, tous, Officier, Sous-Officier et soldats ont participé au meurtre. L'officier fait arrêter la voiture près de Monsieur ROBOT, habitant de Breteuil, sans doute avec le désir de l'emmener également, après quelques minutes de réflexion il a dit au chauffeur de continuer, a-t-il pensé que quatre victimes suffisaient ? Cela démontre bien que c'est lui qui a décidé de tuer. Le sous Officier a fermé la porte de la cave et les soldats ont tué. Les victimes sont : tué Rodolphe GEHRA, Alsacien, sous-officier retraité laissant Veuve et deux enfants. tué Michel Jeunet, célibataire 18 ans. blessé Jacques Jeunet marié père d'un enfant, 23 ans grièvement blessé. blessé Alfred Boursinhac, père de 7 enfants, frère prisonnier actuellement. L'identité au sous Officier a été établie de façon formelle, par sa carte d'alimentation oubliée dans la chambre qu'il occupait à Breteuil. Aucun Allemand n'a logé avant ni après dans cette chambre. L'identité de l'officier peut-être établie par le bon de réquisition qui est entre les mains de Monsieur Gevrey. Le détachement appartenait à un service portant le numéro 23.677. Ce rapport a été signé par Monsieur Téoullier, Maire de Villennes, qui a fait les constatations d'usage par le Commandant Beaugé qui a assisté à l'ensevelissement des corps par le Docteur Fauvel qui a apporté les soins aux blessés et qui a constaté les décès, par Madame de Bellefontaine, Conseillère Municipale et Secouriste qui a participé à l'ensevelissement des victimes et par Monsieur Parigot, Adjoint qui a assisté à l'enlèvement des corps ainsi que Mesdames Berthelet Perrot et Daniel qui ont assisté à l'enlèvement des corps et à leur ensevelissement. Après lecture faite ont signé et déclaré sous la foi du serment qu'il exprime l'exacte vérité. Villennes S/Seine le 14 Octobre 1944. |
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Une plaque sera apposée à l'entrée de la
maison de Breteuil, pour rappeler cet épisode tragique,
ainsi qu'une autre, au cimetière, en souvenir de Rodolphe
Gehra. |
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La joie et le recueillement après les derniers combats
Un militaire américain arrive seul dans le centre de Villennes
Le 29 août, des soldats américains de la Task Force Boyer, dont le PC était à Bures, et du 10th Tank Bataillon se déploient sur le coteau de Villennes le long de la crête.
L'un d'entre eux, semble-t-il enhardi par une dose d'alcool, s'aventure seul, avec son fusil, à la rencontre des Villennois et embrasse les femmes qui le saluent.
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Echanges de tirs au dessus de la Seine
Dès le lendemain et pendant quatre jours, les américains vont échanger des tirs avec les parachutistes allemands (6ème Fallschirmjäger Division), qui ont pris position, le long de la Seine à Triel, dans des tranchées creusées dans les terrains agricoles des Grésillons.
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La liesse de la population
Dès qu'ils le peuvent, de très nombreux Villennois rejoignent les chars américains sur le chemin des Groux, pour remercier les libérateurs et les inviter dans leurs foyers.
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Quelques anciens Villennois pourront se reconnaître sur cette photo, parmi des militaires américains, dont l'un porte l'ami qui nous a permis de la reproduire. |
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Villennes se pavoise ; les enfants portent des drapeaux dans les rues.
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Bientôt, les véhicules blindés et les jeeps défilent dans la rue principale du village, sous les acclamations des habitants.
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Pour voir d'autres photographies de la traversée de Villennes par les véhicules de l'armée américaine de libération, cliquez ici puis sur la photo. |
L'installation d'une municipalité provisoire
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Le capitaine Baugé, responsable de la Résistance pour le secteur Vernouillet-Villennes, déclare qu'il n'y a plus de risque que les Allemands traversent la Seine et que Villennes est libéré. Il prend possession de la mairie pour y mettre bientôt en place un "Comité de salut public", qui administrera la commune jusqu'à l'installation d'un nouveau conseil municipal, le 13 mai 1945, après les élections de fin avril. |
C'est aussi l'heure, comme dans toutes les localités
françaises, des règlements de compte et de
l'humiliation pour quelques femmes. |
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L'hommage aux victimes de la guerre
Précédée par la fanfare, les pompiers, les jeunes gymnastes, le clergé et les notables de Villennes, la population se dirige en cortège vers le monument aux morts, où une gerbe est déposée.
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Il se situe, depuis 1919, en face de la gare, sur la place du village
qui deviendra quelques années plus tard la Place de la
Libération.
Des Villennois dont les actions contribuèrent à la victoire
Plus de 70 ans après cette triste période de notre histoire, nous pouvons mettre à l'honneur les Villennois, plus ou moins connus, qui participèrent à la lutte contre l'ennemi.
Nous citerons particulièrement quelques uns qui restent dans les mémoires :
Des habitants de notre village, dont les familles y résident toujours
- Léon Mirgon : Ses faits d'armes pendant les deux guerres lui valurent plusieurs médailles et la Légion d'honneur. Il fut maire de Villennes de 1953 à 1959.
- Emilienne Le Sidanner : Membre du réseau de renseignements militaires Asturies, elle fit preuve d'une volonté et d'un courage qui lui permirent de revenir du camp de Ravensbrück, où elle avait été déportée. Elle fut nommée Officier de la Légion d'honneur, avec une citation signée du Général de Gaulle.
Tous deux résidaient dans le Clos Sainte Barbe.
Un résistant mort en déportation : Maurice Dreux
La rue de Seine a pris le nom d'un Villennois, engagé dans la Résistance, décédé en 1945 dans le camp de Dora où il avait été déporté. Il y a, vraisemblablement, été enfermé, jour et nuit, dans des tunnels comme de nombreux autres hommes des pays occupés qui y avaient été envoyés pour les aménager afin d'y construire les missiles V2.
Maurice Dreux était chevalier de l'Ordre
équestre du Saint Sépulcre de Jérusalem,
dont il était secrétaire général. Cliquez sur l'image ci-contre, si vous souhaitez connaître cet ordre, fondé en 1099, qui est devenu une association catholique internationale, maintenant la tradition caritative de la Chevalerie. Il s'est séparé de son important patrimoine immobilier pour aider la Terre Sainte. Maurice Dreux avait, également, été fait chevalier de l'Ordre de Saint Lazare en 1927. |
D'anciens résistants et héros de la guerre, qui s'installèrent ensuite à Villennes
- Léandre Fallou : Pionnier de la radionavigation aérienne, capitaine honoraire de l'armée de l'air, il reçut la croix de guerre avec citation et fut nommé Officier de la Légion d'honneur pour ses actions en Afrique du Nord.
- Susan Travers : La seule femme qui fit partie de la Légion Etrangère, après avoir participé à la Libération de l'Italie et de la France ; elle l'avait accompagnée dans les campagnes d'Afrique et du Moyen-Orient, comme conductrice de plusieurs officiers, en particulier du Général Koenig qu'elle réussit héroïquement à sortir de Bir Hakeim. La croix de Chevalier de la Légion d'honneur compléta sa large collection de médailles.
Le premier habitait dans l'île, la seconde dans la ruelle de la Lombarde.
D'autres qui choisirent Villennes pour leur résidence secondaire
- Marcel Bleustein-Blanchet : Le pionnier de la radio et de la publicité Marcel Bleustein fut, sous le pseudonyme de Blanchet, pilote d'avion de la France libre et résistan, au sein d'un réseau britannique. Il reçut la Croix de guerre et le grade de Chevalier de la Légion d'honneur, puis commandeur et grand officier.
- Fred Samuel : Né en Argentine, le joaillier connu par son prénom depuis qu'il dut abandonner son nom d'origine juive, s'engagea dans La Légion Etrangère. Plusieurs fois prisonnier, il réussit à s'enfuir et créa un réseau de Francs Tireurs Partisans puis il accompagna l'armée de Libération. Titulaire de la Croix de guerre, il fut nommé Commandeur de la Légion d'honneur.
- Lazare Rachline : Résistant sous le nom de Lucien Rachet ou le pseudonyme Socrate, il fut l'un des responsables, à Londres, du Bureau Central de Renseignements et d'Action. Le général de Gaulle lui confia la mission d'unifier la Résistance et de préparer la libération de Paris. Jacques Delmas, dit Chaban, qu'il nomma général de brigade, fut choisi par lui pour l'assister.
Les deux premiers possédaient les villas "Le Pré fleuri" et "Bagatelle" dans l'île ; le troisième fut propriétaire de "Castel Villennes".
Cliquez sur les noms de ceux qui sont surlignés pour lire leur biographie.
Pour écouter deux séquences sonores vous faisant particulièrement connaître chacune des deux femmes, cliquez sur la flèche du lecteur audio, situé à côté de la photo et du nom de chacune.
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Emilienne
Le Sidanner |
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Susan
Travers |
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