.

SOMMAIRE

Cette rubrique du site Internet de la mémoire de Villennes reste la plus consultée.
Avant de la parcourir, vous pouvez écouter l'hymne de l'ancienne cité naturiste, Physiopolis, la grande usine humaine.

Les compléments apportés après la causerie et la visite des Journées du Patrimoine 2012 en font l'une des plus longues rubriques. C'est pourquoi nous vous proposons un sommaire ; si vous souhaitez accéder directement à l'une des parties, cliquez sur son nom.

 

L'île de Platais
Les fondateurs de Physiopolis
Le développement et l'évolution du domaine
1928-1932 : le retour à la nature et la vie saine
1933-1939 : le sport et le ressourcement
1939-1945 : le refuge et l'approvisionnement
1946-2001 : les fêtes et la convivialité
De 2002 à nos jours : l'évasion de la ville

Les célébrités de Physiopolis
Vidéos sur Physiopolis

 

L'île de Platais

Alors qu'elle est souvent appelée "île du Platais", son nom, qui figure sur les cartes anciennes et les plus récentes, est "île de Platais".

Platais était-il le nom de l'un de ses anciens propriétaires ?

 

Une île partagée entre trois communes

  Cette île de la Seine est représentée sur les plans de Triel (ci-contre) et de Médan (ci-dessous), établis en 1786.

Sur celui de Médan, qui en possède la plus grande partie, alors que les deux extrémités appartiennent aux paroisses de Triel et de Villennes, elle est dénommée "Isle des Couleuvres".

 

Ces plans montrent qu'il n'y a alors aucune construction, la teinte verte représentant des prairies.

En 1801, un différend oppose Villennes à sa voisine à propos de l'île. Au mois de mai, les deux communes se réunissent et décident à l'unanimité "que la demande de la commune de Médan est de toute justice" et que "la pointe de l'île des Couleuvres, dans l'alignement des bornes des deux communes restera à celle de Villennes et l'autre partie à celle de Médan".

  Cette décision marque le retour à la limite dessinée sur le plan d'intendance de Villennes.
  Le plan cadastral de Triel montre qu'en 1821 l'île était partagée entre cette ville et Villennes.

Plusieurs bornes, où sont gravées les lettres T et V, sont encore visibles en plusieurs points de Physiopolis, indiquant la délimitation entre les deux communes.

La partie villennoise sera ultérieurement élargie et une bande de terrains du côté du grand bras de la Seine y sera intégrée.

Elle est représentée seule sur ce plan cadastral.

 

Aujourd'hui, le domaine de Physiopolis appartient à Villennes et à Médan, la partie non bâtie au-delà de l'ancienne Plage de Villennes, autrefois appelée l'Arcadie, étant sur le territoire de Triel.


 

La limite entre les deux communes est figurée en bleu sur ce plan parcellaire.

La partie médanaise est celle s'étend sur la gauche du plan jusqu'à la Plage qui, malgré son nom, a toujours été sur le territoire de Médan.

Sur des vues récentes par satellite, on ne distingue pas le chenal, qui s'est rétréci, entre les extrémités boisées de l'île de Platais et de sa voisine, l'île d'Hernière.

Elles montrent que les deux bras de la Seine ont, à peu près, la même largeur, contraire-ment aux îles de Villennes et de Migneaux.  


Le chalet d'Emîle

 

Le plus célèbre propriétaire d'une parcelle de l'île est certainement Emîle Zola. Son ami Cézanne aimait s'y installer pour y peindre les paysages de la Seine.

En 1880, il multiplie les achats de terrains autour de sa propriété de Médan. Il commence, en juin, l'acquisition de terrains de l'île de Platais, situés sur le territoire de Triel en face de sa maison, en en achetant un de 57 acres.

Un acre était une portion de champ, que l'on pouvait labourer en une journée, et valait environ 50 ares.

En juillet, il demande au préfet l'autorisation d'établir dans l'île, en face de sa propriété de Médan, un chalet au bord de l'eau sans tenir compte de la servitude du contre-halage.

 


 

En septembre 1880, Emîle Zola inaugure le chalet, qu'il y a installé et baptisé Le Paradou , qui était un "kiosque norvégien acheté lors de la démolition de l'Exposition de 1878 et transporté à grands frais".

 

Après sa mort, son épouse Alexandrine vend, au printemps 1903, la propriété de l'île au libraire parisien Belin.


1932 : le chalet est, à nouveau, en vente

Il y a trente ans, Zola vivait ici et écrivait son dernier livre

Son chalet de l'île de Villennes ne trouve pas d'acquéreur

La propriété située dans l'île de Villennes, au bord de la Seine, est à vendre... mais ne trouve pas d'acquéreur.

Le 29 septembre 1902, il y a eu trente ans hier, Emile Zola était trouvé râlant dans la chambre de son appartement, 21 bis rue de Bruxelles à Paris. Quelques heures plus tard, en dépit des soins qui lui furent prodigués, le grand romancier rendait le dernier soupir. La nouvelle, on s'en souvient, fit sensation.

 
Les haines, les passions n'étaient pas encore éteintes, nous a expliqué ce matin M. Maurice Le Blond, directeur du Journal officiel et gendre d'Emile Zola. Les ennemis de mon beau-père affirmèrent aussitôt qu'il s'était suicidé, cependant que ses partisans criaient à l'assassinat. On fit une enquête qui démontra que la mort était accidentelle.

La veille, en effet, Emile Zola et Mme Zola quittaient Médan pour s'installer à Paris. Comme le temps était froid, pluvieux, on alluma des feux dans les chambres. Mais des fissures s'étaient produites dans les cheminées, lorsque, durant l'été, on avait réparé les immeubles voisins. Moins fatiguée que son mari, Mme Zola résista à l'asphyxie. Il n'en fut pas de même pour Emile Zola, qui, indisposé en se mettant au lit, demeura incapable d'atteindre la fenêtre qu'il avait voulu ouvrir.

Dimanche à Médan

Ce n'est pourtant pas, à Paris, mais à Médan, que les amis d'Emile Zola célébreront cette année son souvenir, au cours de leur pèlerinage habituel placé sous la présidence de M. Paul Langevin, professeur au collège de France, assisté de l'ancien vice-président de la Société des Gens de Lettres, M. Henry de Forge, et de M. Alexandre Zevaès, avocat à la cour. A cette occasion, M. Marcel Chabot dira un poème à la gloire du père des Rougon-Maquart, et une gerbe sera déposée au pied du buste qui se trouve dans le jardin.

Des berceaux dans le cabinet de travail

Or, ce jardin, cette maison qui sont, à juste titre considérés comme le berceau du naturalisme, sont, depuis qu'en 1905 Mme Zola en fit don à l'Assistance publique, devenus un dispensaire pour les enfants du peuple. C'est la raison pour laquelle, en pénétrant hier dans le cabinet de travail du grand romancier, je me trouvais en présence d'une douzaine de nourrissons qui donnaient, en vidant leurs biberons, les signes d'une évidente satisfaction.

- Ici, me dit-on, ce sont les plus petits.

Leur présence, exception faite des douze petits lits blancs, n'a rien changé à l'aménagement de la pièce. C'est une salle de vastes dimensions, aux murs lambrissés de chêne. Avec son manteau bleu semé de fleurs de lys, la cheminée demeure monumentale. Une large baie donne sur les jardins. En contre-bas la Seine, en face l'île de Villennes. Ici naturalisme, là-bas naturisme.

Au centre de la pièce, le fauteuil et la table de Zola, sur laquelle gisent des ours de peluche, des hochets, des animaux de caoutchouc.

- Il faut bien distraire nos petit malades, déclare l'infirmière, comme pour s'excuser.

Emile Zola photographe

Au rez-de-chaussée, la salle à manger sert de salle de visite. Sur le mur deux grandes photographies : un portrait de Mme Zola et une gerbe de fleurs au dessous de laquelle on peut lire : « En remerciement à ma chère femme, qui, étant à Rome, a eu la grande tendresse de penser à me faire envoyer cette très belle gerbe de chrysanthèmes et de roses, le lendemain de la reprise de L'Assommoir.

Avec tout mon cœur.
Le photographe Emile Zola.
Médan, le 4 septembre 1902. »

Le salon des soirées de Médan

Toujours au rez-de-chaussée, le salon, le grand salon de Médan où se réunirent si souvent autour du maître, les chefs de l'école naturaliste : Huysmans, Maupassant, Paul Alexis, Henri Céard et M. Léon Hennique, le survivant de cette belle équipe, une longue pièce sombre et triste avec ses fenêtres garnies de verres de couleurs. Mais on l'a transformée pour y loger les petits convalescents.

Dans leurs berceaux, ils se redressent, agitent leurs petits bras. Au centre, une longue table basse et des petits fauteuils. Et près de la cheminée contre laquelle Maupassant aimait à s'accouder, un blondinet aux yeux purs éclate d'un rire plein de lait.

Un pont vaudrait mieux

Traversant la Seine en bateau, j'ai accosté dans l'île de Villennes. Là, Emile Zola avait acheté 28.000 mètres de terrain et fait construire un chalet rustique qui fut vendu quelques années après sa mort. Terrain et chalet se trouvent de nouveau en vente. Un énorme écriteau l'affirme aux promeneurs et soutient également qu'Emile Zola avait fait de ce chalet son cabinet de travail. C'est beaucoup dire, tout au plus peut-on soutenir qu'il allait parfois y déjeuner avec des amis.



La première table de travail d'Emile Zola dans la villa de l'île de Villennes


Quoi qu'il en soit, si les visiteurs sont nombreux, les acquéreurs restent rares.

Et quand on leur fait valoir les souvenirs littéraires qui se rattachent à la propriété, ils répliquent avec candeur : - Sans doute, sans doute. Seulement, n'est-ce pas, il n'y a pas de pont pour venir ici. II faut passer en bateau. Ce n'est pas commode. Emile Zola c'est très bien... mais s'il y avait un pont, cela vaudrait mieux.

Dans ce pays furent composés d'admirables livres qui transformèrent la littérature. Un pont vaut-il cela ?
- Peut-être, dit « l'usager »
 

La Plage de Villennes (à Médan)

A l'été 1935, le chalet d'Emîle Zola a été démoli, le terrain ayant été vendu par ses propriétaires à une société qui y installe un établissement balnéaire ; celui-ci, ouvert le 7 juillet, est inauguré deux semaines plus tard.

 

Plage de Villennes-Medan

La plus jolie plage dans le plus beau site. A 30 kms de Paris, par la route boisée de St-Germain et Poissy, par la gare St-Lazare ou par les cars Renault (Porte Maillot).

Vous y trouverez : un parc pour mille voitures, des vedettes pour traverser la Seine, une piscine d'eau filtrée et stérilisée, une piscine pour enfants, une plage de sable immense pour les amateurs de soleil, des bois pour les amateurs d'ombre, des douches, des tennis, des jeux, de la danse, des consommations fraîches à des prix actuels. Prix d'entrée à la plage : Dimanche 6 fr. Semaine 3 fr. (passage compris).

Paris-soir, 14/7/1935


 

La Plage de Villennes sera exploitée, l'été, jusqu'en 2002 par la même famille installée à Villennes.

Nous lui consacrerons une rubrique lorsque ses bâtiments auront été réhabilités et qu'elle aura retrouvé une activité ...

 

Les fondateurs de Physiopolis

En 1928, deux frères, médecins "hygiénistes", Gaston et André Durville, créent le Domaine de Physiopolis dans l'île de Platais.

 

Près de 10 ans avant l'instauration des congés payés, ils sont les précurseurs de la société des loisirs.

Dans la revue de la Société Naturiste, qu'ils ont fondée, ils exposent leur philosophie :  la vie en harmonie avec la nature et le développement du corps par les exercices sportifs.

Une île de la Seine, protégée par un rideau d'arbres, accessible uniquement par bateau, constitue le meilleur cadre pour mettre en pratique leurs idées. Qui sont ces deux frères médecins ?


Gaston et André Durville

Leur famille

Nous empruntons les informations données par leurs descendants, à la communication d'Isabelle Duhau À Physiopolis, la cité de nature de Villennes-sur-Seine (Yvelines) - La doctrine naturiste des docteurs Durville (publiée dans les Actes du Xe colloque d'histoire régionale de la fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l'Île-de-France, tome 56, 2005). Ce texte, très complet et intéressant, est disponible sur le site Internet de la Région Île-de-France.

Leur père

 

Gaston et André sont les fils d'Hector Durville (1849-1923). Ce dernier, fils d'agriculteur, autodidacte, qualifié d'occultiste, est un important théoricien du magnétisme.

Il fonde une revue en 1878, ouvre une clinique et crée en 1887 la Société magnétique de France. Il est l'auteur de dizaines d'ouvrages et de brochures sur le sujet, édités par sa propre maison d'édition.


Il est également le fondateur d'une société à vocation initiatique l'Ordre eudiaque, qui vise à magnifier la personne humaine en ce qu'elle a de plus élevé. Les pouvoirs du magnétisme comme de l'hypnose sont recherchés dans l'Ordre comme dans la société, qui revendiquent une tradition de l'Egypte antique. Hector est enfin un défenseur de l'exercice libre de la médecine et organise notamment deux congrès pour défendre cette thèse.

Leur frère

Henri Durville (1888-1963), le deuxième des trois fils d'Hector, exerce lui aussi librement la médecine dans sa fondation où il soigne grâce au magnétisme, à la suggestion mentale et au naturisme. Après la Première Guerre mondiale, il s'oriente de plus en plus vers les sciences occultes. Grâce à la maison d'édition familiale qu'il dirige désormais, il édite ses propres textes ainsi que certains de ceux de ses frères.

Gaston et André Durville

Gaston (1887-1971) fait lui de véritables études de médecine. En 1911, il soutient sa thèse intitulée « Étude étiologique de l'hypnose ». Il est alors, avec son frère Henri, co-directeur de la Revue du psychisme expérimental : magnétisme, hypnotisme, suggestion, psychologie, médiumnisme. Excellent sportif, il s'éloigne peu à peu du magnétisme pour développer une médecine naturiste. Juste avant 1914, il ouvre à Paris un institut de médecine naturelle et crée en 1923 une autre revue baptisée La Vie sage.

André (1896-1979) est également médecin, ayant soutenu en 1924 sa thèse intitulée « L'action de la pensée sur les phénomènes de nutrition cellulaire ». Ses activités sont indissociables de celles de son frère Gaston, avec qui il est associé aussi bien dans l'Institut naturiste, que dans la revue qui change de nom en 1930 pour s'appeler Naturisme, le grand magazine de culture humaine ; ils sont également partenaires dans la fondation et la gestion de la Société Naturiste et dans celle des deux communautés de Physiopolis et d'Héliopolis. Enfin, il co-signe avec son frère certains ouvrages. Selon la tradition familiale, Gaston aurait été le théoricien et André l'organisateur.

Leurs ouvrages

Leurs ouvrages, publiés entre 1921 et 1940 aux Editions de Naturisme, aux Editions de l'Institut Naturiste et à l'Institut de médecine naturelle, nous les font un peu mieux connaître, montrant bien leurs centres d'intérêt et les méthodes qu'ils proposent :

De Gaston et André Durville :

- L'art de lire le caractère, le tempérament et les prédispositions maladives par l'examen du visage :

ce livre de morphopsychologie a servi de référence à bien d'autres ouvrages publiés par la suite.

 

La cure mentale : pour guérir les maladies sans médicaments, par l'emploi raisonné des forces naturelles qui sont en nous

- La cure végétale, La médecine pour tous par les plantes

- La gymnastique amusante pour l'enfant

 

De Gaston Durville :

- La cure naturiste. La cure alimentaire - la cure de soleil - la cure d'eau - la cure de mouvement et la cure morale

- La cure naturiste pour entretenir sa vigueur et se guérir sans médicaments (tome 1 : la doctrine naturiste, la cure alimentaire, la cure d'air, la cure de soleil - tome 2 : air et soleil, nudisme et campisme - tome 3 : le massage, la cure d'eau)

- La cure naturiste, Toute-puissance de la prière et de la foi en toutes les circonstances pénibles ou douloureuses de la vie : maladies, difficultés, entraves

 

- La cuisine saine, Ce qu'il faut manger pour conserver sa santé et pour se guérir.

Leurs revues

La revue La Vie sage

 

En 1922, Gaston et André Durville créent la revue La Vie saine, devenue, en octobre 1923, La Vie saine et sage, et, en 1924, La Vie sage.

Son exposition dans les kiosques fut interdite par la Préfecture de police, pour ses illustrations de nu intégral.

 

(Source : la Revue des Lectures, 15/7/1931)

 

La revue Naturisme

 

La revue Naturisme, qui s'intitulait Le grand hebdomaire de culture humaine, est fondée en mai 1930 et dirigée par les frères Durville.

Cet hebdomadaire, organe officiel de la Société des naturistes et de « l'île des naturistes » paraissait chaque jeudi sur douze à seize pages.

La revue publia souvent des articles sur Physiopolis et des photos (ici, en première page, dans les numéros de septembre 1933, septembre et novembre 1934, mai 1937).

 

 

 

Pour en savoir plus, notamment sur l'Ordre eudiaque et la Société Naturiste

 

Cliquez sur l'image pour accéder à la rubrique présentant plus complètement Gaston et André Durville, avec de nombreuses photos issues de leurs diverses publications.

L'évocation des activités de leur père Hector et de leur frère Henri qui ont été leurs éditeurs-imprimeurs est utîle pour retracer leur parcours.

Nos recherches apportent, notamment, un élément nouveau sur l'origine de la doctrine des frères Durville : la Société Naturiste et sa première réalisation, Physiopolis, auraient un lien avec l'Ordre eudiaque, société à vocation initiatique créée par Hector Durville et animée ensuite par son fils Henri.

Le développement et l'évolution du domaine de Physiopolis

Les diverses personnes dont nous avons recueilli les témoignages distinguent trois périodes dans l'histoire de Physiopolis :

- avant la Deuxième Guerre mondiale,
- pendant celle-ci,
- après.

Nous avons ajouté deux années-charnières, marquées chacune par un évènement qui nous semble avoir modifié l'évolution du domaine :

- 1932 : inauguration d'Héliopolis, deuxième réalisation des deux fondateurs,

- 2003 : arrivée de l'électricité.

 

Traversez la Seine !

Le bateau, permettant de rejoindre le domaine de Physiopolis à partir de l'embarcadère du quai de Seine à Villennes, a évolué dans le temps. Nous n'avons pas de photo du premier qui fonctionnait au moyen de la propulsion humaine à rames.

 

Il fut remplacé, en 1929 ou 1930, par un canot à moteur, vraisemblablement celui-ci baptisé Le Moustique.

Pendant la seconde guerre mondiale, le manque de carburant nécessita, à nouveau, l'utilisation de rames.

Pour voir les autres qui lui ont succédé, cliquez ici puis sur l'image.


 

Cette robuste femme, qui vous accueille, était une gardienne de Physiopolis, certainement chargée également des passages.

 

 

1928-1932 : le retour à la nature et la vie saine

Les débuts de la Cité de nature

 

A l'origine les membres de la Société Naturiste, qui venaient passer les fins de semaine dans la cité naturiste, étaient logés sous ces tentes.


Cette photo a été publiée, en 1935, par la Librairie Aristide Quillet, dans l'ouvrage "L'Ile-de-France par le texte et l'image" de Léon Groc et Aristide Quillet.

 

Après avoir rappelé que l'école naturaliste était née dans la maison d'Emile Zola, les auteurs ont ainsi évoqué les naturistes qui ont succédé, dans l'île, à l'écrivain et à ses amis Maupassant et Huysmans :

Est-ce pour rendre à la vérité - même quand elle est d'une beauté contestable - un hommage semblable, que les « naturistes » ont choisi, pour leurs démonstrations et leurs divertissements, l'île de Villennes, à une demi-lieue de Médan ? Les naturalistes, du moins, ne mettaient à nu que les âmes.


Un accident attire l'attention sur le domaine, bientôt nommé Physiopolis

 


Le journal Paris-Soir a publié cet article dans son édition du 27 avril 1930.

AU CAMP DES NATURISTES

Un malheureux accident vient de se produire dans la colonie naturiste de Villennes-sur-Seine. Deux Parisiens, M. et Mme Grommer, venus y passer les vacances de Pâques, commirent l'imprudence, durant la nuit de lundi à mardi, d'allumer un réchaud à pétrole sous la tente qui est l'habituel logement des colons. Le lendemain matin, on les trouva sans connaissance. Ils avaient été tous deux intoxiqués par le gaz et M. Grommer si gravement, qu'il a succombé hier. La femme, dont l'état, toutefois, n'inspire pas d'inquiétudes, est toujours en traitement à l'hôpital de Saint-Germain.

Ainsi il aura fallu ce triste événement pour que le public daigne s'intéresser à ce camp de Villennes où quelques citadins convaincus, et qui sont du reste chaque année plus nombreux, viennent se soumettre, durant quelques jours ou quelques semaines, aux règles d'une existence plus saine et plus « naturelle ». Et pourtant, combien elle est curieuse et intéressante cette œuvre à laquelle se consacrent les docteurs Gaston et André Durville, pionniers du naturisme en France !
C'est le dimanche ou bien pendant les vacances d'été qu'il faut aller à Villennes pour surprendre ses habitants dans leur vie à la fois bucolique et sportive. Ils sont accueillants et c'est de fort bonne grâce qu'ils exposent au visiteur les principes essentiels de leur religion.

Mais écoutons parler le docteur André Durville :
« La vie que mènent la plupart de nos contemporains est un défi continuel aux lois de la médecine bien comprise et de l'hygiène. On l'a souvent constaté : l'homme ne meurt pas, il se tue. C'est contre ce suicide inconscient que nous essayons de lutter.
L'homme se tue en absorbant des poisons lents qui intoxiquent son organisme : viandes, lait, café, tabac, que sais-je encore.
De même notre corps a besoin d'être constamment aéré, ensoleillé, lavé. Or, que cachent nos vêtements modernes, chauds, étriqués, opaques, sinon une peau anémiée et blafarde ? Sous les chapeaux, les tricots, les flanelles, les draps épais, l'organisme mijote dans ses exhalaisons malsaines.
Il suffit de regarder l'être humain pour voir qu'il est construit pour remuer d'une façon intense, pour respirer largement. Emporté dans le frénétique tourbillon du surmenage moderne, il fait tout au contraire pour gagner du temps.
Il a remplacé ses jambes par des véhicules rapides et ce qui faisait travailler ses muscles, par des machines perfectionnées. Voilà pourquoi les étiques et les ventripotents sont si nombreux. Voilà aussi pourquoi les maladies du foie, du rein, du cœur font de si grands ravages.
Enfin, dans les centres de surmenage, d'intoxication, de perversion que sont les grandes villes, nos contemporains ont faussé leur psychologie, aiguisé à l'extrême leur sensibilité, déformé leur intelligence, amoindri leur volonté. »

Mais aussitôt, c'est vrai, il s'empresse de nous rendre quelque espoir. Car ce remède est fort simple : il tient tout entier dans le naturisme, et bientôt une ville nouvelle s'élèvera non loin de Paris. Villennes bientôt s'appellera « Physiopolis », et elle sera la capitale de la santé et de la bonne humeur.
Pour y obtenir droit de cité, il suffira d'observer le régime des citoyens naturistes qui fréquentent déjà l'île de Villennes. Une nourriture composée seulement de fruits, de légumes, d'œufs très frais, et, par exception de poisson. Pas de viande, pas d'alcool ? Le vin toutefois y est autorisé.
Pour tout vêtement le parfait naturiste porte, en été, un caleçon (auquel la femme joint un soutien-gorge). Mais cette tenue est évidemment difficile à porter en hiver, et plus encore dans les villes. Hommes et femmes doivent adopter cependant, en toutes saisons et partout, des tenues légères, permettant l'aération constante de l'épiderme. Bien entendu, chapeaux et cols sont rigoureusement interdits aux messieurs.
Gymnastique, lancer du disque et du javelot, canotage, natation, basket-ball, etc., tous les sports seront en faveur à Physiopolis, comme ils le sont à Villennes. A l'heure présente, on compte dans le camp vingt moniteurs de culture physique.

- Mais quand Villennes deviendra-t-elle officiellement Physiopolis ? demandons-nous au docteur Durville.
- Aussitôt que les premières maisons y seront construites, c'est-à-dire dès cet été.

Heureux les Physiopolitains !

L'île des naturistes


Gaston et André Durville ont exposé leurs objectifs et raconté la création et les débuts de leur île des naturistes dans cet intéressant ouvrage.

Quelques unes de ses images ainsi que certaines publiées dans leur revue Naturisme sont reproduites ci-après.

Beaucoup d'autres nous ont été données par d'anciens résidents ou des membres de leurs familles, que nous remercions très sincèrement.

 

 

 

 

Collection de David Lorenté.

 

Témoignage d'un proche des frères Durville

 

Contrairement aux périodes suivantes, nous n'avons pas pu recueillir le témoignage d'un propriétaire actuel sur les débuts de Physiopolis, en 1928, la doyenne étant née à cette époque.

Nous nous appuierons sur les souvenirs de Pierre Audebert, secrétaire général de la Société Naturiste.

Il les a rédigés et publiés, une vingtaine d'années plus tard, dans le Bulletin de la Société naturiste et du Syndicat des co-propriétaires de Physiopolis, dont il assurait la rédaction.

 

 

 

 

Collection de Jean-Paul Pagès.


En voici l'essentiel :

L'aspect de l'île Platais était assez différent, à cette époque, de ce qu'il est actuellement. Trois bâtiments seulement y étaient édifiés : le garage à bateaux situé près du débarcadère, la maison Clément, enfin le pavillon enfoui parmi les arbres touffus et les herbes folles de la propriété Zola [...].

La noue, dont il ne subsiste plus maintenant que quelques vestiges, s'étendait sur presque toute la longueur de l'île. Elle s'amorçait derrière le garage à bateaux, s'approfondissait et s'élargissait, coupait la partie Est du grand stade actuel et continuait, interrompue seulement par la propriété Zola, pour aller s'achever en "Arcadie", où elle est demeurée, depuis, en l'état.

 

Un petit sentier partait du débarcadère, traversait l'île après être descendu au creux de la noue et atteignait la rive Est qu'il longeait ensuite sur toute sa longueur.

C'est dans ce cadre sauvage que, dès les premiers beaux jours d'avril 1928, une soixantaine de naturistes enthousiastes vinrent s'ébattre en pleine nature et camper sous la tente.


Leur principale occupation consista, cette année-là, à faucher les hautes herbes et à défricher le terrain central bientôt appelé "Stade Durville".

 

 

 

 

Mais le sport proprement dit n'était pas oublié : on courait dans les prés, on lançait le medecine-ball et le javelot, on faisait de la gymnastique...


  L'année 1929 allait consacrer l'éclatant succès de l'île des Naturistes. En dépit d'un temps maussade, 350 à 400 personnes étaient présentes lors de la première réunion printanière du dimanche 7 avril, au cours de laquelle un Hindou, le yoghi Varma, donna une leçon de culture physique.

En un seul mois, cent dix membres nouveaux furent inscrits. Le dernier dimanche de mai, favorisé par un soleil radieux, vit affluer une véritable foule. Cependant, la question de la tenue n'était pas encore définitivement tranchée. On savait seulement que le costume de ville était interdit sur les stades et que toutes les tenues sportives, par contre, étaient autorisées : slips, petites culottes, maillots de bain, il y avait de tout.


 

M. Louis-Charles Royer écrivit dans un de ses livres, au sujet de Villennes :

"J'ai vu des jeunes filles commencer par enlever simplement leurs souliers et leurs bas. Puis, la caresse de l'air et du gazon opérant, se promener en combinaison. Le soir, elles en étaient au slip. Et ravies. "

 

 

 

La création d'un stade isolé de nu intégral fut un instant envisagée ; mais ce projet fut bientôt abandonné, pour de multiples raisons. [...]

 

 

En juillet, enfin, la tenue minimum fut ainsi fixée : pour l'homme, le slip, pour la femme, le slip et le cache-seins obligatoire. On recommandait l'emploi de teintes vives ou du noir ; le blanc, "qui donne l'illusion du linge et qui déshabille celui qui le porte", était déconseillé.

Le nu intégral était formellement interdit aux adultes, même pour la baignade. Il était autorisé pour les enfants ayant moins de 5 ans. Le slip nous paraît aujourd'hui tout à fait banal. Il constituait pourtant, en 1929, une tenue d'avant-garde.

 


Collection d'Anne-Catherine Gerbaud

Pour bien comprendre quelle audace il représentait, il suffit de se rappeler que les femmes, et même la plupart des hommes, portaient encore sur les plages le maillot complet, descendant jusqu'à mi-cuisses.

Depuis, le slip et le "deux-pièces" ont fait leur chemin...

 

 

La presse commença à parler de "l'île des hommes nus". Le New-York Herald, notamment, et l'arbitre des élégances Maurice de Waleffe, dans Paris-Midi, consacrèrent de longs articles à ce sujet étonnant.

 

Pendant tout l'été, une animation intense régna sur le grand stade, où se concentrait alors la vie de l'île.

Un jeu inédit, le cage-ball (gros ballon) connut une vogue immédiate. On s'exerçait aussi au medecine-ball et au volley-ball.


La leçon de culture physique du docteur Gaston Durville était suivie avec une ferveur unanime.

 

L'excellent moniteur de gymnastique rythmique Talens, admirablement bronzé et velu comme un faune, enseignait, selon la méthode de Raymond Duncan, les secrets de la beauté du geste.

Geneviève Yone et Yves Brieux, danseurs de l'Opéra, venaient s'entraîner chaque semaine. J'ajoute qu'ils donnaient, également, des cours de gymnastique rythmique.

 

On admirait la stature formidable de Shelly, véritable hercule de vingt-deux ans, aux muscles d'acier, qui dirigeait la culture athlétique.

On se baignait - déjà ! - à la petite plage, et les canoës glissaient sur la Seine.

Et tout le monde, depuis les athlètes au teint halé, parmi lesquels Bédé, Kahn, Walterscheid (photo ci-contre), jusqu'aux néophytes à la peau blanche, tout le monde, hommes, femmes et enfants, vivait sans contrainte, ivre d'air pur, de soleil et de mouvement, dans une atmosphère de camaraderie simple et joyeuse.

 


 

De nouveaux adeptes s'inscrivant sans cesse, les barques à rames qui assuraient le passage s'avérèrent insuffisantes. Il devint nécessaire de mettre en service un petit bateau à moteur.

Le passeur était alors M. Lassalle, qui devait plus tard se fixer à l'île du Levant et qui est mort, pendant la guerre, en déportation.

Le garage à bateaux, où des placards étaient aménagés, faisait office de vestiaire. Quelques-uns déposaient leurs vêtements, parmi les sacs de pommes de terre, dans une pièce située au-dessus de la cantine ; d'autres les laissaient, tout bonnement, dans l'herbe, sans même en retirer leur portefeuille, qu'ils retrouvaient invariablement intact, le soir venu...

La presse multiplia ses commentaires. On raillait les naturistes, qu'on représentait gambadant complètement nus, grimpant dans les arbres et se nourrissant de racines. Mais Juliette Pary remit les choses au point dans Ambassades et Consulats : "Dans l'imagination du public, ces gens-là vivent pour être nus. En réalité, ils sont nus pour vivre." (lire l'article ci-après). Les films Pathé, de New-York, envoyèrent leurs opérateurs dans l'île pour tourner un film d'actualités qui obtint en Amérique un grand succès de curiosité.

La première tente fixe, en fibro-ciment, celle du Comité d'Organisation (actuellement infirmerie), fut construite au printemps 1929.

 

 


 

En juin, douze tentes fixes du même modèle, à toit simple et non débordant, étaient bâties en bordure du grand stade.


 

En juillet, les lices étaient placées sur le pourtour du stade, vingt-huit nouveaux bungalows construits, des fontaines avec bassins placées aux quatre angles ; on commença à combler la noue.

La Cité Naturiste s'édifiait. Il lui fallait un nom. Ce fut chose faite en août 1929 : Physiopolis (la cité de la nature), ainsi s'appellerait désormais l'île Platais, berceau du naturisme.

 


 

On travailla avec acharnement, dans l'île des Naturistes de Villennes, durant tout l'automne 1929 et tout l'hiver suivant.

Entraînés par les incomparables animateurs qu'étaient les docteurs Gaston et André Durville, les naturistes eux-mêmes, le dimanche, maniaient la pelle et la pioche, remuaient la terre, triaient les brouettées de déblais, poussaient les wagonnets.


 

En septembre 1929, cent vingt mètres de la première "avenue" - demeurée, depuis, principal chemin de Physiopolis - étaient nivelés.

En novembre, ce chiffre était porté à cinq cents mètres, tandis qu'on achevait la deuxième voie, "l'avenue des Noyers", en bordure de laquelle se trouve maintenant la fontaine d'eau potable.

 

Ouvrons ici une parenthèse pour rappeler une amusante anecdote. Lorsque, plus tard, on commença à cimenter une partie du chemin principal, notre ami Waltersheid fut le héros ou la victime d'une curieuse aventure. Walter avait l'habitude de se mouvoir sautant sur son unique jambe ; il avançait par larges bonds successifs, avec une rapidité, une aisance et une endurance vraiment stupéfiantes. Un jour, il procédait comme à l'accoutumée pour se diriger vers le stade, quand - inadvertance ou facétie ? - son pied nu s'enfonça brusquement dans quelque chose de mou : c'était le ciment tout fraîchement posé. Emporté par l'élan, Walter fit encore quelques enjambées. Il en résulta trois ou quatre empreintes singulièrement espacées, d'un pied étonnamment unique. Et longtemps après, les empreintes pédestres du bon Walter, solidifiées, continuèrent d'intriguer le passant...

Un puissant renfort fut apporté aux naturistes, en févier 1930, par une équipe d'ouvriers qui, en semaine, procéda aux gros travaux de terrassement. Un cheval fut même amené dans l'île par l'entrepreneur. Il y resta un certain temps ; sa présence remplissait de joie les Physiopolitains qui se disputaient l'honneur de conduire la brave bête par la bride quand elle tirait les wagonnets ou la herse. Ces scènes bucoliques furent photographiées sous tous les angles et de charmantes jeunes femmes n'hésitèrent pas, certain jour, à monter à califourchon sur le dos de l'animal pour passer devant l'objectif...


Le club d'athlétisme de Suresnes, les White Harriers
 

Une élévation de terrain bordait alors l'île sur sa rive orientale, et la noue, profonde de plus de deux mètres, coupait la partie est du grand stade, ainsi que nous l'avons déjà dit.

Les buttes furent rasées, une grande partie de la noue comblée, le stade nivelé, et, le dimanche 23 mars, la piste entourant le stade était inaugurée par une course handicap de 7 kilomètres réunissant les athlètes naturistes et l'équipe des White Harriers.

Il ne restait plus alors qu'une petite excavation au creux de laquelle on voyait un arbuste dont les branches seules émergèrent, par la suite, lorsque le trou fut entièrement comblé par les naturistes au cours de l'été, et ils devinrent les cinq arbres qui se dressent actuellement devant le terrain de M. Juilliard.

Enfin, on planta des cerisiers dans tous les terrains autour du grand stade, autour des futurs tennis et en bordure de Seine, et on sema du gazon sur le sol fraîchement remué, principalement sur le stade. Dans l'animation intense du dimanche, dans l'atmosphère d'enthousiasme et de jeunesse qui était celle de Physiopolis, ces "semailles" furent l'occasion de nouvelles scènes pittoresques. Tout le monde s'y mit, car il convenait que tout fût prêt pour recueillir les centaines de personnes qui, bientôt, allaient venir dans l'île. Une gracieuse semeuse, entre autres, montra son habîleté à répandre les graines d'un geste harmonieux. Parallèlement à ces travaux, l'édification des bungalows se poursuivait activement. De 40 en août 1929, leur nombre passait à 60 à la fin de la même année, pour atteindre 110 en 1930.

Le premier tennis fut aménagé en juillet. Son terrain n'était pas "richement préparé", certes, mais seulement défriché, damé et recouvert d'une légère couche de sable. Les "lignes" étaient faites en ciment ; un treillage de quatre mètres de haut entourait le court.

En même temps étaient installés le basket, le portique et le "pas de géant".


 

Si l'on ajoute que la plupart des clôtures, ou lices (1.500 mètres) furent également mises en place à cette époque, si l'on cite encore la construction d'un débarcadère, on peut conclure que l'année 1930 fut vraiment, pour Physiopolis, l'année des grands travaux.

M. Théodore ne craignait pas d'écrire, dans La Femme et l'Enfant : "La vie intégrale qu'on veut nous vanter comme le dernier mot de la civilisation contemporaine, c'est la vie animale, la bête sans intelligence qui n'a que des sens et qui se laisse aller à tous les caprices et à toutes les fantaisies de la chair". Mais Mme Luc Valti répliquait, dans Gringoire : "... Dans ce train enfumé qui me ramène à Paris, face au compagnon de voyage fortuit qui m'honore de bouffées de pipe et d'alcool, je pense à Physiopolis drapée de couchant. Elle m'apparait, lumineuse et fraiche vision, comme une image biblique représentant les premiers humains qui jouent aux êtres heureux, aux sereins philosophes."

Nous pouvons toujours voir, à une extrémité du stade, le mat d'un pas de géant. On ne peut plus tourner autour en se suspendant, comme autour d'un autre qui était plus grand.

 

 

Des timbres imprimés à cette époque nous montrent les activités des résidents :

- les travaux de terrassement,

- les jeux sportifs sur le stade, déjà en service.

Ce plan montre les parcelles qui avaient déjà été vendues en 1928. 5 000 personnes débarquaient sur l'île chaque semaine du mois de juin 1929. Cette fréquentation confirmait la réussite de Physiopolis.

Pierre Audebert poursuivait ainsi sa narration du développement de Physiopolis en 1930 et son inauguration officielle, l'année suivante :

Un charme de plus s'ajouta bientôt à ceux que possédait déjà l'île des Naturistes partout il y avait des fleurs. Le goût et l'ingéniosité des amateurs d'horticulture avaient été stimulés, en juillet 1930, par un concours de jardins fleuris : les roses, les pivoines, les capucines, les millets piquaient leurs notes pimpantes dans la verdure environnante.

Cependant, si sa nature même d'île conférait à Physiopolis un certain nombre d'agréments supplémentaires - dont les plus appréciés étaient l'absence de circulation automobîle, clone d'émanations d'essence, et l'impression reposante d'un éloignement du monde civilisé - elle entraînait un inconvénient, auquel n'échappait d'ailleurs aucune (les îles égrenant leur chapelet tout au long de la vallée de la Seine).

Cet inconvénient se révéla, pour la première fois depuis la création de la Cité Naturiste, au cours de l'hiver 1930-1931. Après plusieurs semaines de pluies continuelles, une forte crue du fleuve se produisit. Moins grave certes que ses devancières de 1910 et de 1924, de fâcheuse mémoire, elle n'en fut pas moins assez importante pour que l'île soit submergée sous un mètre d'eau en moyenne.  

Mais les dégâts furent limités et, le printemps revenu, les naturistes reprirent en foule le chemin de Villennes. Une heureuse surprise les attendait à la gare Saint-Lazare, les vieux wagons à compartiments étroits et à portières multiples (certains de ceux qui roulaient sur la ligne voisine passant par Triel étaient encore, à cette époque, éclairés par des lampes à huîle), les wagons vétustes et incommodes étaient remplacés par de confortables voitures métalliques, à couloir central, bien suspendues, claires et propres, pourvues de larges portes à chacune de leurs extrémités. Et pour prendre place clans ces belles voitures, on ne déboursait pas un sou de plus qu'auparavant : 7 F. 50 pour le voyage Paris-Villennes et retour...

Les habitants de Villennes avaient jusqu'alors considéré avec méfiance, et même avec une certaine hostilité, ces gens bronzés qui débarquaient, cheveux au vent, à la petite gare et se dirigeaient en groupe compact vers l'île Platais, ces originaux qui payaient une cotisation de cent Francs par an pour se retremper le corps et l'âme au sein de la nature. On parlait à mots couverts des naturistes, comme si leur présence était susceptible de donner à la bourgade une renommée de mauvais aloi. Car on était persuadé qu'ils se mettaient entièrement nus, dans un but qu'on n'osait pas préciser tout haut, mais auquel chacun pensait à part soi. Quant à se rendre sur place, en voisin, pour contrôler les faits soi-même, une telle éventualité était repoussée avec une vertueuse indignation.


 

Les rares "autochtones" qui avaient osé se risquer dans l'île avaient bien parlé, timidement, de sport et de santé, de slips et de soutien-gorge.

Mais on ne les croyait pas. Les naturistes étaient des détraqués, c'était certain. D'ailleurs, cela avait été "marqué" sur les journaux de Paris.

Alors, influencée, sans doute, par l'opinion de ses administrés et par les légendes absurdes qui circulaient sur le compte des habitués de Physiopolis, la municipalité avait adopté une attitude peu compréhensive. Le règlement du Centre Naturiste interdisait l'usage du slip et du cache-seins "en bordure de Seine, aux embarcadères, à la baignade, et en général dans tous les endroits accessibles à la vue, de la rive", et rendait obligatoire, aux mêmes emplacements, le port d'un maillot complet pour les femmes et d'une "culotte courte" pour les hommes. Mais la mairie ne s'en contenta pas ; elle fit placarder un peu partout, sur le territoire de la commune, de petites affiches notifiant l'interdiction, sous peine de poursuites, de circuler dans les rues de Villennes... en pyjama de plage.

Les Villennois ne nous en voudront pas de rappeler ces menus incidents, eux qui, aujourd'hui, sont parfaitement accoutumés à voir, en été, non plus seulement les naturistes, mais aussi les baigneurs de la Plage, les fervents du canot, les campeurs, et même les habitants des villas, gagnés par l'ambiance, évoluer parmi eux dans une tenue qui les eût fait rougir de honte il y a vingt ans. Eux dont la petite cité prend maintenant chaque année, de mai à septembre, des airs de station balnéaire animée et prospère...

Tout cela n'empêcha nullement la renommée de Physiopolis de s'étendre rapidement. La Société Naturiste délivrait toujours d'avantage de ces insignes portant le millésime de l'année qui jouaient le rôle des actuelles cartes de membres et que l'on devait obligatoirement porter sur soi pour pénétrer dans l'île. C'est ainsi qu'en 1931 on compta jusqu'à 1.800 membres. Toutes les professions, toutes les classes sociales étaient représentées, de la petite dactylo à la femme de lettres, de l'ouvrier à l'avocat et à l'industriel, du fonctionnaire à l'artiste et au comédien.


Michel Simon et sa guenon à Physiopolis

 

C'est notamment à cette époque qu'un grand acteur de la scène et de l'écran, alors au début de sa carrière théâtrale, mais qui s'était déjà fait un nom, vint régulièrement dans l'île. Timide, accompagné seulement d'un de ses singes dont il aimait la compagnie, il demeurait la plupart du temps dans la petite propriété qu'il avait acquise, près du "camp sud".

Le bruit du grand succès remporté par l'île des Naturistes ne devait pas tarder à parvenir jusqu'au ministère de la Santé Publique. A la suite de l'action des docteurs Gaston et André Durville et de la vigoureuse campagne menée par leur hebdomadaire Naturisme - qui avait succédé, en mai 1930, à la revue La Vie Sage - les pouvoirs publics comprirent l'immense portée sociale du naturisme et son utilité pour l'amélioration de la santé physique et morale. Et, le 28 juin 1931, un événement capital se produisait : l'inauguration officielle de Physiopolis. Aux côtés du représentant du gouvernement, la municipalité de Villennes elle-même, reconnaissant son erreur de bonne grâce, y déléguait le maire et le premier adjoint...

L'inauguration et le développement

4500 naturistes étaient présents lors de cette cérémonie.

Le ministre de la Santé publique et des Sports, Camille Blaisot (photo de gauche), empêché, s'était fait remplacer par son directeur de cabinet. Quelques mois plus tard, en décembre, la revue Naturisme annonça la visite d'Emîle Morinaud, sous-secrétaire d'état à l'Education physique.

Il ne vint pas, non plus, dans l'île des naturistes, ayant délégué le chef de son secrétariat particulier ...

 


 

C'est le développement de Physiopolis qui justifiera, l'année suivante, la demande de la municipalité de Villennes à la Compagnie du Chemin de fer d'ajouter un train à 23 h, les soirs des dimanches et des fêtes d'été, après celui de 21 h 50.

Le projet d'un nouveau stade réservé aux enfants et d'un terrain de jeux fut annoncé. Le financement de leur nivellement et de leur aménagement était assuré par un prélèvement de 20 % du prix de vente des lots des terrains les entourant.

Les tentes en fibro-ciment

Les bungalows se multipliaient autour du grand stade.

 


 

Ce document publicitaire, affirmant que Physiopolis n'était pas une affaire immobilière, proposait d'acheter un terrain et de commander une tente fixe. C'était, en effet, la première dénomination de ces bungalows.

Trois modèles de tentes en fibro-ciment, de 3 m sur 3,65 m, étaient proposés.

Conçus et fabriqués exclusivement pour Physiopolis, ils n'étaient pas construits à Vernouillet, comme certains peuvent le croire, sur le site, où la société Eternit, qui acquerra la Société du Fibrociment ainsi que Dalami, s'installera plus tard.

 


Cette maison de Poissy contient encore des éléments en amiante, des panneaux peints décoratifs. Elle appartenait, en effet, à Oscar Edmond Lanhoffer, qui avait fondé en 1901 la Société du Fibrociment.

Son usine se trouvait dans la cité pisciacaise au bord de la Seine, près du pont actuel.

Nous la voyons ici pendant la crue de janvier 1910.


L'architecte nommé Livera qui a dessiné les plans des bungalows était-il naturiste ?

Il était déjà familier de Villennes : il avait, en effet, été en 1925 l'un des deux constructeurs d'une bâtisse villennoise d'un style moins épuré et beaucoup plus importante :

l'étonnante villa Le Cloître, construite en forme de château andalou dans le Bois des Falaises pour la femme de lettres Maria Star.

 

Narcisse dit Maxime Livera, ingénieur architecte, et André Livera, entrepreneur, dont les liens de parenté ne sont pas connus, originaires d'Italie, résidaient tous deux à Cambrai.

Voici la description des tentes fixes, publiée dans le livre A l'île des naturistes - La Santé par la vie Saine :

 

Les tentes que nous conseillons à tous nos adhérents sont, non pas en toîle, mais en fibro-ciment ; une solide carcasse de fer, bien boulonnée et scellée, au ciment, dans le sol, assure la solidité ; entre les fers sont posés et fixés des panneaux prêts d'avance en fibro-ciment. Une porte, en avant, une fenêtre sur un des panneaux latéraux, ou, mieux, au fond, le tout en matériaux résistants. La superstructure est munie de planches, qui permettent de poser des objets.

Les tentes ont un aspect très élégant ; elles font penser à celles des scouts, à celles de l'explorateur ; elles sont bien éclairées. Non seulement elles n'enlaidissent pas le cadre de l'île, mais elles l'embellissent encore, si c'est possible.

Elles sont établies pour résister à toutes les intempéries, à toutes les infiltrations possibles de l'hiver. Ceux qui veulent leur tente plus confortable encore peuvent y faire faire, pour un supplément insignifiant, un plancher complètement étanche, en ciment ; ils peuvent faire faire, aussi, deux placards, de chaque côté de la porte.

Nous étudions, actuellement, les lits, tables, sièges de camping en ciment armé.

Il semble possible, aujourd'hui, de construire un bungalow selon les plans de ces tentes fixes, mais au moyen d'un autre matériau sans amiante. En effet, le brevet que les frères Durville auraient déposé ne peut pas être trouvé à l'Institut National de la Propriété Industrielle. Par contre, plusieurs y ont été enregistrés au nom de la Société du Fibrociment et des revêtements ELO et de ses dirigeants sur les procédés de fabrication.

Parmi les divers brevets de Maxime-Narcisse Livera, l'un est relatif à la fabrication d'objets moulés en ciment, tels que des éléments de mobilier qui auraient pu équiper des tentes fixes de Physiopolis.

 


 

L'architecte a conçu, sur le même plan, une construction plus grande que les frères Durville appelaient bungalow de camping et qui devait être disponible au printemps 1930.

Ce bungalow, qui existe toujours, était vraisemblablement le prototype, qui n'a pas été suivi d'une fabrication en série.


De nombreux bungalows de fibro-ciment subsistent, certains délabrés et abandonnés, d'autres joliment décorés et réaménagés, parfois agrandis.

Pour en voir quelques uns, cliquez ici puis sur l'image.

 



La Fête du soleil

 

 

 

 

Lorsque la pluie détrempait le terrain, à défaut de cure de soleil, de jeunes naturistes, précurseurs des adeptes actuels de la thalassothérapie, pratiquaient la cure de boue.

 


 

Le mois de juin 1932 était pluvieux.

Pendant une répétition de la Fête du soleil, ces jeunes femmes s'étaient abritées dans un élément du décor du spectacle auquel elles allaient participer.



Keystone View Company

 

Légende de la photo : Une très curieuse "Fête du Soleil" a eu lieu hier dimanche dans "L'île des Naturistes" à Villennes-sur-Seine ; pour la première fois, plusieurs milliers de visiteurs invités... habillés assistaient aux débats joyeux et rythmés des jeunes filles et jeunes gens à peu près nus. La fête comportait des ballets gréco-romains, des exercices rythmés et un cortège pittoresque : l'entrée du Dieu du Soleil dans sa bonne "Cité Physiopolis".

Un article paru dans la revue La Culture physique, assez critique dans sa conclusion, nous donne des détails sur cette fête mémorable :

NATURISME, LUNES AU SOLEIL

Le Grand Q. G. des naturistes se trouve à Villennes-sur-Seine. Là, dans un site ravissant, la Seine coule encerclant une île étroite et longue, l'île des naturistes. Moyennant une cotisation (membre bienfaiteur : 500 francs, membre actif (par an) 100 francs, membre adhérent (par an) 50 francs), tout naturiste peut habiter et vivre sa vie dans cette île. Rien ni personne ne viendra troubler sa quiétude si ce n'est une fois par an le flot des curieux venus assister à la Fête du Soleil qu'on célèbre, au coeur de l'île, sur le théâtre de verdure, avec toute la pompe et la solennité adéquates. Cet événement pour 1932 eut lieu l'autre dimanche. Nous arrivâmes sans difficultés à Villennes, les banlieusards auxquels on demande des renseignements sur la distance ou la direction répondent bien gentiment avec une douce hilarité à vos questions.
- Ah ! vous allez là-bas, à Physiopolis ? Vous avez pourtant l'air bien comme il faut et bien sensé, enfin ça vous regarde. La distance ? Ce n'est plus bien loin, six kilomètres à peu près !

A Villennes une vedette à pétrole transporte dans l'île les amateurs. Il est midi. La foule n'est pas encore là. Seuls les purs, les vrais de vrai du nudisme déjeunent, assis sur l'herbe. Un coup d'oeil sur leur menu... : viande froide, pâté, des bouteilles de bourgogne... Ils savent se nourrir ces végétariens consacrés à la salade. Une auberge est là. Brave homme, le restaurateur me reçoit avec une cordialité qui m'émeut... Nous bavardons.
- Vous devez faire de bonnes affaires ?
- Oh ! non hélas ! ces gens nus n'ont pas d'argent sur eux. Vous comprenez. Ils s'en aperçoivent au moment de payer alors ils n'emportent pas ou ils disent qu'ils vont revenir... Allez les reconnaître après !

Dzim, boum, boum, badaboum, l'orchestre a préludé ; dans une clairière de l'île, la fête du soleil commence. Quelques centaines de nudistes, autant de « civils » sont assis sur l'herbe. L'estrade du théâtre d'art naturiste est faite de quatre marches, d'une planche et de quelques colonnes. Elle représente le paradis terrestre,  dit le programme. Adam et Eve s'y agitent tandis que le Malin les tente, les aguiche et les vainc en dépit des cabrioles de l'ange.
Ce qu'Adam est beau, dit une grosse dame habillée.
Son mari (elle l'appelle Abel), lui en très simple appareil, lui jette un regard terrible.
 

Successivement sous des applaudissements délirants « Pan et les nymphes, La Chasse à la Panthère, L'Aurore de la Civilisation, La Fête du Soleil », clou du programme (un homme barbu récite à haute voix les vers d'or de Pythagore les assistants ont des yeux blancs), déroulent leurs tableaux vivants. Puis voici les « Jeux antiques », et pour finir le « Triomphe du Naturisme ». Symbolisé par un personnage raidi et nu, le Naturisme arrive porté en triomphe par de jeunes gymnastes qui traînent à leur suite la dépouille du Malin. Au moment où ils parviennent sur la scène, assistants et spectateurs entonnent le nouvel hymne : « Physiopolis, la grande cité humaine ». La fête s'achève. Un grand sîlence plane. La mystique nudiste a envahi ces gens. Ils sont affreux pour la plupart, sauf quelques femmes, velus et gras, semblables à des hippopotames ou à des sauterelles ridicules et superbes, vers en petit caleçon, hannetons rabougris ou bedonnants.
Quelle belle chose tout de même que le naturisme, me dit un aimable homme habillé d'un slip et de sa seule barbe.
Il a un colimaçon qui fait des grâces sur son épaule, un doigt levé.
Je ne peux plus y tenir, je me sauve. Il n'y a plus personne là où je suis, tout au bord de l'eau ; un oiseau qui chante me fait tourner la tête et je vois alors à travers des branches un spectacle capable de me réconcilier avec tous les nudistes : une adolescente merveilleusement harmonieuse penchée vers le fleuve. Je ne bouge pas, elle non plus. Son immobilité, son équilibre instable m'impressionnent. Elle va tomber. Doucement je m'aproche, le coeur battant...
C'est une statue. On l'a placée en symbole sans doute... Retournons vers les hommes. Ils s'agitent dans la clairière, poussant de petits cris. Leur odeur flotte dans l'air. Ils se lancent un gros ballon qui leur retombe sur la tête ou sur le derrière. Ils tendent leurs bras vers le soleil.
Mais il y a longtemps que le soleil offusqué s'est voilé la face.
                                                                                                                      (Candide)

Jean Wilmes.
La Culture physique, mars 1932


L'hymne de Physiopolis,

la grande usine humaine

 

 

 

 

 

 

 

A l'occasion de cette fête, Pierre Audebert a composé une chanson qualifiée de marche naturiste, dont voici la partition.

 



Pour écouter une interprétation de la chanson, cliquez sur la flèche à la gauche du lecteur situé sous la partition.

Françoise Kohn-Vilain a aimablement accepté de retrouver les intonations et les tremolos de l'époque ; elle est toutefois plus habituée aux chants classiques et religieux qu'interprète l'Ensemble du Pic Saint-Loup qu'elle dirige ...

Le maillot deux-pièces

Alors que l'Ordre eudiaque trouvait son inspiration dans l'Egypte antique, les naturistes de Physiopolis étaient imprégnés de mythologie grecque.

Ce furent, toutefois, les romaines qui, les premières, portèrent des vêtements légers constitués d'une culotte et d'un bandeau cache-seins.

 


 

Il était encore très difficîle, après la Deuxième guerre mondiale, de se procurer les maillots deux-pièces, que portaient ces jeunes résidentes de Physiopolis.

Un seul magasin parisien en vendait, d'une seule forme et en 3 couleurs seulement ...

Le maillot ne sera appelé Bikini qu'en 1946 lorsqu'il sera breveté et lancé avec le slogan "la première bombe an-atomique".


Souvenirs d'une famille des premiers résidents naturistes

Nous publions l'ouvrage réalisé par Anne-Catherine Gerbaud, qu'elle a présenté ainsi :

Dans les années 1930, mes grands-parents vont régulièrement sur une île de la Seine, cachée au milieu de la verdure à quelques kilomètres à peine de Paris : Villennes-sur-Seine. Depuis 1927 les deux frères Gaston et André Durville, docteurs à la recherche d'une meilleures hygiène de vie pour leurs patients citadins, ont créé le domaine de Physiopolis sur l'île de Platais. Mes grands-parents y achètent alors une tente "en dur" et avec leurs deux enfants Pierre mon père, et Colette ma tante, ils y passeront de nombreuses vacances jusqu'après la guerre. Ils adhèrent très vite à la philosophie de vie préconisée par les docteurs naturistes : vivre en plein air, en harmonie avec la nature pour rester en bonne santé physique et morale. Mes grands-parents invitent leurs amis, leurs cousins et cousines, et c'est toute une joyeuse compagnie qui se retrouve à Villennes pour passer de bons moments ensemble. Pour mon père et sa sœur, Villennes est un véritable paradis : pouvoir courir en liberté, jouer avec d'autres enfants dehors au soleil, sans avoir peur de la circulation, quel bonheur ! Les photos présentées dans ce livre donnent une idée de l'ambiance qui régnait à l'époque et qui a perduré jusqu'après la guerre de 1940-1945. Les textes sont extraits de la revue Naturisme, le grand hebdomadaire de culture humaine. Ils ont été sélectionnés pour refléter au mieux ce qu'était la philosophie naturiste de l'époque.

Cliquez ici pour le feuilleter.

Physiopolis dans la presse

SOURIRES

Il fait froid. Est-ce possible ? Le thermomètre descend degré par degré au lieu de de monter à l'échelle. Ce n'est pas vraisemblable... Vous ne me ferez pas croire que la température baisse puisque, il y a cinq jours au plus, les naturistes de Villennes, en tenue officielle, tenaient leur grande réunion sportive...
Naturistes ou nudistes ? Je dis bien : naturistes. Les uns et les autres forment ensemble la famille nombreuse des sans-culotte, les premiers (les naturistes) portent des pagnes, alors qu'on n'en voit pas sur les seconds, les nudistes, leurs cousins issus des germains (on sait que le nudisme est né en Allemagne).
Il gèle à pierre fendre... Illusion, vous dis-je... Constatez avec le gendarme de Nadeau que le temps est beau pour la saison nous sommes à l'époque où les coureurs qui aiment vraiment la nature jettent leurs vêtements par-dessus les moulins. Ils vont, déguisés en vers, face au vent glacial, afin de durcir leur épiderme et de prouver à leurs concitoyens que la laine et les fourrures sont des enveloppes dont on se passe fort bien avec un peu d'entrainement...
Villennes, paradis terrestre en miniature, Villennes, île de beauté, île des torses, est décidément le dernier refuge de l'enthousiasme ! Les rayons d'un soleil imaginaire suffisent à protéger les naturistes contre les morsures du froid le chauffage central est remplacé très économiquement par la chaleur animale...
Si le délégué du Sous-Secrétaire d'Etat à l'Education Physique, présent aux championnats de Villennes, n'a pas dit cela aux assistants, il a eu tort...
Au surplus, la mode est aujourd'hui d'affecter la pauvreté, nous affirme un chroniqueur parisien. Comment s'étonner de voir des snobs courir dans les champs, sans le moindre morceau d'étoffe sur le dos ? Cette fête de la mouise n'est-elle pas dans le ton général de notre période de crises ? A Villennes, on a vu - on ne m'enlèvera pas cette idée de la tête - la première marche des contribuables, des pauvres cochons de payants allant, sous un ciel morne, sans souliers et sans chemise, n'ayant pour tout vêtement qu'une feuille, une feuille d'impôt !...

Le Petit Grégoire.
L'Ouest-Eclair, 19/12/1931


La pratique du naturisme suscita des réactions diverses dans la presse, tels qu'un article de la revue Parisiana (15 décembre 1932), dont nous reproduisons un extrait.

 

Il existe chez nous des naturistes qui avaient pris l'habitude de "pratiquer" dans une île à dix lieues de Paris, dans un coin ravissant qu'on appelle Villennes.
Oh ! ils n'étaient pas très audacieux. Les hommes portaient un caleçon de bain, et les dames, en plus, une gaine sur les seins, quelque chose comme un soutien-gorge.
En face de l'île, se trouvait un restaurant champêtre et luxueux. Jamais l'établissement en question n'avait fait d'aussi belles recettes que depuis l'arrivée des nudistes. Toute la journée les clients observaient la libre culture au moyen de jumelles de course.
Qu'est-ce qui se serait passé si nous avions été rencontrés tout à l'heure, par des riverains de Villennes ! Dora sourit, un peu méprisante :
 - Ce que vous êtes vicieux à Paris !


L'IMPOSSIBLE CONSÉCRATION

Les docteurs Durville qui allient à un sens très sûr des affaires le génie de la réclame poursuivent à Villennes leur œuvre de régénération humaine par le naturisme, œuvre dont on ne pourrait que les louer s'ils avouaient plus fréquemment tout ce qu'elle doit aux travaux du Dr Carton, de Brévannes, dont ils furent les élèves.
Mais ceci est une autre histoire qui n'a rien à voir avec la petite cérémonie qui s'est déroulée dimanche dernier dans l'île colonisée par les adeptes de la religion nouvelle.
Les docteurs Durville avaient, dans leur revue, annoncé à grands coups de tam-tam que M. Morinaud se rendrait au milieu d'eux afin de présider leur grande réunion sportive annuelle. A leur désappointement de Morinaud point mais M. Méchery, chef du secrétariat particulier du ministre. On fit contre mauvaise fortune bon coeur et M. Méchery reçut les hommages préparés pour M. Morinaud.
De ce lâchage, les docteurs Durville se montrèrent bien entendu furieux, mais ce n'est pas la première fois qu'ils eurent à subir pareille déception.
Déjà, voici un an, ils crurent « posséder » M. Blaisot, ministre de la Santé Publique qui, au dernier moment, se défila et envoya son chef de cabinet. Les docteurs Durville, qui sont gens tenaces, ne se tiennent pas pour battus.
Ils ont juré d'avoir un ministre. Ils l'auront...

 

La revue satirique bec et ongles se montra, également, critique dans son numéro du 6/2/1932.


Un autre journal humoristique s'était amusé au sujet du nudisme, dans son édition du 6/1/29.

 

Voulez-vous vous bien porter, être délivrés des mille bobos inhérents à la vie moderne, avoir les membres souples, le cœur en joie et l'esprit dispos, posséder en un mot une âme saine dans un corps sain ? Rien n'est plus simple ! Rien non plus ne semble plus économique : vivez nus, intégralement nus !
Tel est le conseil que donnent à leurs contemporains une légion de généreux apôtres, fondateurs de l'école dite naturiste ou nudiste.
Cette école est essentiellement buissonnière. Nouveaux Robinsons, les nudistes ont planté leur tente en plein air, dans une île de la Seine, voisine, je crois, de Villennes. Sur cette étroite bande de terre entourée d'eau de toutes parts, selon les définitions de la géographie, une centaine d'adeptes de tout âge et de tout sexe, hommes, femmes, enfants, vieillards, offrent leur épiderme aux caresses du soleil et aux chatouillis de la brise printanière.
A la vérité, ces sages ne se montrent pas aux visiteurs entièrement nus, une sorte de caleçon leur servant de cache-sexe. Mais cette dernière concession faite aux préjugés modernes, ne doit pas être une concession à perpétuité, elle durera le temps nécessaire à l'édification, autour de l'île, d'une clôture capable de mettre les insulaires à l'abri des regards profanes.

On prétend même que, dans leur hâte d'exécuter intégralement le programme qu'ils se sont fixés, les néophites du nudisme rognent chaque jour un peu de cet ultime vêtement, à mesure que s'élève le mur protecteur. Quand le dernier rang de briques aura été posé, le caleçon, réduit à une mince bande d'étoffe, s'envolera au premier souffle du vent.

Cette question du nu est fort discutée par les théoriciens de l'esthétique et de la morale qui ne manquent jamais d'en disserter à toute occasion, et notamment à propos des exhibitions dont les plages sont le théâtre, dès que reparaît l'époque des vacances. Elle vient d'être reprise par les sommités de l'art médical. Chez eux, comme ailleurs, les avis sont partagés (on partage tant de choses, dit-on, entre confrères !).
Certains, dont la compétence est hors de doute, tiennent la nudité pour le remède à tous les maux. D'autres, non moins dignes de foi, déclarent que vivre nu, ailleurs que sous les tropiques, constitue une véritable tentative de suicide et que nous verrons bientôt la colonie de Villennes décimée par la grippe, les bronchites et les rhumes de cerveau à moins qu'elle n'ait été d'ici là entièrement dévorée par les moustiques.
- Le nu seul est normal, disent les premiers de ces messieurs. Les animaux vivent nus !
- Vous dites une sottise, répondent poliment les seconds. Certes, les bêtes ne portent pas de complet-veston, elles n'en sont pas moins protégées contre les intempéries par une fourrure dont la longueur et l'épaisseur varie avec les climats, et même avec les saisons. Il est d'ailleurs permis de supposer que nos ancêtres de l'âge des cavernes étaient pareillement couverts d'une ample toison que le port des vêtements a, par la suite, fait disparaître conformément aux lois du transformisme et de l'adaptation aux besoins.
- Justement ! répliquent les toubibs nudistes. Si c'est l'usage des vêtements qui a fait tomber les poils dont s'ornait à l'origine la peau humaine, l'absence complète de frusques ne peut manquer de les faire repousser, conformément au voeu de la nature. Ou, alors, votre transformisme n'est qu'une sombre blague. Mon Dieu ! on peut toujours essayer, voici la belle saison qui approche !

Entendu aux environs de Villennes, un dimanche.
PREMIER MONSIEUR. - Tout nus ! Tout nus ! Je vous demande un peu à quoi ça ressemble ! SECOND MONSIEUR. - Ça ressemble à une dégoûtation, parbleu !
PREMIER MONSIEUR. - Sans compter que tous ces salopiauds dans leur île donnent au reste du pays un exemple déplorable ! Voyez-vous que tout le monde prenne l'habitude de se promener sans rien sur soi !
SECOND MONSIEUR. - Ce serai du joli !
PREMIER MONSIEUR. - Ce scandale n'a que trop duré. Il faut espérer que la police comprendra enfin son devoir, et ne laissera pas plus longtemps une bande d'énergumènes menacer ainsi la santé morale et physique du peuple français !
SECOND MONSIEUR. - Je vois avec plaisir que nous sommes tout à fait du même avis... Vous êtes hygiéniste, sans doute, monsieur ?
PREMIER MONSIEUR. - Non monsieur, je suis tailleur, et vous, monsieur ?
SECOND MONSIEUR. - Moi, monsieur, je suis chemisier !
(La conversation continue).
[...]                                                                                                     BERNARD GERVAISE.




L'ÎLE DES NATURISTES

A quarante-cinq minutes de Paris, en face de Villennes-sur-Seine, il est une île bienheureuse où, dans des espaces verdoyants, des hommes, des enfants et des femmes, délivrés des lourds costumes de ville et vêtus de simples maillots de bain, vivent au grand soleil, font du sport, se baignent, se reposent sur l'herbe, et par tous leurs pores respirent l'air pur.
- Oh ! dit-on. Là-bas, sur l'Ile naturiste, on est tout nu !


Exercice d'ensemble

Mais oui : on est nu comme on l'est sur les plages, sur les stades sportifs, aux bains de la Seine.
Mais on n'est pas nu comme on l'est dans les music-halls !
Il y a nu et nu : Nu habillé — nu candide.
Nu artificiel — nu naturel.
Nu du Casino de Paris — nu d'un petit enfant.
Nu des boîtes de nuit — nu du Musée du Louvre.
Pourquoi les naturistes sont-ils nus ? Pour laisser respirer le corps, pour le délivrer de ce qui le déforme et l'alourdit, pour le rendre à l'air, au soleil, à la santé, à la nature.
La plus grande erreur serait de croire que le naturisme et le nudisme sont équivalents. Le naturisme inclut le nudisme, il ne s'y borne pas.
Dans l'imagination du public, ces gens-là vivent pour être nus.
En réalité, ils sont nus pour vivre.
Vivre ! C'est là leur but. Vivre sainement, harmonieusement, dans le plein développement de toutes les fonctions naturelles du corps et de l'esprit ! Les titres mêmes des revues naturistes, françaises et étrangères, sont des mots d'ordre : « Vivre intégralement », « La Vie riante », « Le Pays de la lumière », « Au grand soleil », et enfin « La Vie sage », organe des Docteurs Durville, Directeurs de l'Institut de Médecine Naturelle, Présidents de la Société Naturiste, organisateurs de l'Ile des Naturistes.
Les voilà qui se promènent à travers leur île, surveillant plaisamment leur petit monde naturiste, enseignant gymnastique, gaieté, santé et joie de vivre.
Le Docteur André Durville, bronzé, musclé, athlétique, constitue une réclame vivante pour son œuvre.
Le Docteur Gaston Durville, son aîné, respire une si franche bonhomie, propage autour de lui une telle atmosphère de sympathie, de liberté, de naturel, d'énergie et de courage, que rien qu'à le voir, on se sent guéri !

- Notre mouvement, m'explique-t-il, répondant à mes questions avec la plus encourageante cordialité, se distingue des mouvements similaires précisément en ceci qu'il n'est pas strictement nudiste. Peut-être les générations futures seront-elles, moralement et physiquement, à la hauteur du nu intégral. Nous ne poussons rien à l'extrême, nous nous conformons aux règles générales de la décence et traitons cette question individuellement et avec modération. Que chacun se vête comme il lui plaît, pourvu qu'il satisfasse au minimum de vêtements exigé.

En effet, même M. Chiappe en personne, s'il venait sur l'Ile, n'aurait rien à redire. Le cache-sexe est obligatoire pour les hommes, le cache-sexe et le cache-seins pour les femmes. Tuniques, maillots, culottes, slips, pull-overs, parsèment l'herbe verte de coquelicots rouges et de pissenlits jaunes.
Une plage à la mode n'a pas un autre aspect.
Seulement, elle n'a pas la même âme !
Car l'Ile a une âme - l'âme du soleil, du vent, de l'herbe, de l'eau : l'âme du corps !
Préjugés, préjudices, idées toutes faites, doutes, soupçons, sourires équivoques, se fondent dans cette atmosphère de fraîcheur et de pureté.

- Vous êtes, dit en souriant le Docteur Durville, dans le cas de tous les interviewers : ils viennent critiquer, se moquer, nous chercher noise, et vers la fin du jour ils s'inscrivent membres de la Société...

Nous avons, ajoute le Docteur, les adeptes les plus inattendus. Imaginez-vous qu'un missionnaire - oui, oui, tout ce qu'il y a de plus catholique! est devenu nudiste intégral. Et voilà que maintenant - comble de l'ironie - on l'envoie en Guinée mettre des pagnes aux sauvages !
- Mais en général, Docteur, dans quel milieu social se recrutent vos naturistes ?
- Dans le milieu intellectuel, Mademoiselle. D'ailleurs, vous avez dû vous en apercevoir. Au début, nos membres se recrutaient parmi les médecins, les avocats, les étudiants, le corps enseignant. Maintenant que notre Société prend une extension toujours plus considérable, nos adeptes nous viennent de tous les côtés. A tous, nous ouvrons nos portes : pour ceux qui sont hors d'état de payer la cotisation, nous la réduisons au minimum. Pour dix francs par an, un homme du peuple, ouvrier surmené, fatigué par la vie de Paris, le fracas et l'air malsain de la grande ville, peut passer tous ses dimanches sur notre Ile, prendre part à tous les sports et jeux, faire des exercices, l'hiver, dans ma propriété de Boulogne, bénéficier des consultations de notre clinique gratuite.
Mais notre œuvre, accessible à tous, même aux plus indigents, n'est pas exclusivement populaire : venue d'en haut, elle n'a aucune nuance politique. Surtout, elle n'a ni ne veut avoir cette tendance extrême qui caractérise le mouvement nudiste en Allemagne, où l'on prêche l'égalité par la nudité. Notre devise à nous, c'est : ordre, organisation, hiérarchie.
- Etes-vous satisfait, Docteur, de l'extension qu'a pris le mouvement naturiste ?
- J'ai toute raison de l'être. Avant la guerre, quand j'ai écrit mes premiers livres naturistes, (le mot de « naturisme » est dû aux Drs Monteuuis et Pascault qui ont, les premiers, attiré l'attention sur l'abus d'artifices dans la vie moderne, sur la nécessité d'une alimentation saine et naturelle et de cures d'air, de soleil et d'eau). Avant la guerre, donc, les réalisations actuelles auraient paru impossibles. En 1922, lorsque nous fondâmes la Société Naturiste, destinée à assainir et à revitaliser la race, ce qui était déjà possible à l'étranger, en Allemagne, en Scandinavie, ne l'était pas encore en France. Et maintenant, voyez !
Oui, je vois: je vois des gosses parisiens, maigres et blafards, se rouler avec délices dans l'herbe fraîche, respirer par tous les pores de leurs pauvres petits corps anémiés, pousser les gros ballons de leurs menottes pâles, et revenir en courant vers leurs mères, les joues roses et les yeux brillants. Je vois une femme lasse qui a suffoqué toute la semaine dans un bureau empoussiéré, se dilater au soleil comme un tournesol joyeux. Au point de vue esthétique, elle n'est pas encore à la hauteur; sa tête est échevelée, sa peau mate de sueur, son nez luisant ; mais, oublieuse de la poudre, du rouge et des fards pastel, sa figure candide exprime une si profonde béatitude que tous les naturistes, à son passage, se retournent et sourient :
- Vous êtes bien chez nous, hein ?...
Je vois des étrangers qui, la veille, ne se connaissaient pas, s'aborder en souriant, se serrer la main, et se traiter entre eux, à l'instar des Docteurs Durville, des gardiens et de tout le « personnel naturiste » de l'Ile, avec une bienveillance, une sympathie et une simplicité qui n'excluent pas la plus parfaite correction.
Je vois. Je vois que si l'Ile n'est pas en odeur de sainteté, elle est du moins en odeur de santé !
Et lorsque, à mon retour, on me questionne curieusement :
- Eh bien. Cette Ile Naturiste ?
- Cette Ile, dis-je, ne ment pas à son titre : c'est bien la vie sage.
- Non ?...
Et mon interlocuteur, très charmant et très spirituel, mais dont la vie, je le crains, n'est rien moins que sage, hausse les épaules :
- Tant pis !
Tant pis. pour lui !
Mais tant mieux pour ses enfants !
Nous autres, intoxiqués par tous les poisons anciens et modernes, ne saurions renoncer si facilement aux artifices chéris, aux nus habillés, aux exquises faussetés, aux complications passionnantes. « Mais, dit Romain Rolland, ne donnons pas à la jeune génération nos maladies, même celles que nous cultivons en nous. »
Si nous les voulons simples, sains, joyeux, libres des tares physiques et des obsessions morales, envoyons nos gosses chez les naturistes !
Sur l'Ile bienheureuse, en un des coins ombragés, verts et sauvages, une enfant blonde et ensoleillée, en un élan soudain, ouvre tout grands ses bras, comme pour embrasser le monde, et s'écrie :
- Çà, c'est la vie !

Juliette PARY.

Ambassades et consulats, août 1929




A L'ÎLE DES NATURISTES OU PHYSIO-FOLIES !

Serait-ce le voisinage de Médan, berceau du naturalisme qui incita les docteurs A. et G. Durville à choisir Villennes pour y bâtir Physiopolis ? Je ne sais, mais l'île des hommes nus tend à faire de Villennes un centre comparable au Mont-Saint-Michel, à Lourdes, ou à tout autre lieu de pèlerinage !

Ce restaurant des bords ie la Seine indique sur ses prospectus : « Vue unique face à l'île des naturistes » et vous trouverez au « tabac » du pays, des cartes postales de l'île mystérieuse ! Le paradis terrestre était gardé par un archange à l'épée flamboyante ; l'ange gardien de Physiopolis est armé d'un carnet de tickets, et se charge de passer les visiteurs sur la nouvelle terre.

Pèlerins à la recherche d'une Jérusalem nouvelle, nous découvrons la cité du fibrociment. Alignées selon les règles de la géométrie rigoureuse observée au Père-Lachaise ou à Bagneux, les demeures des Physiopolitiens s'écrasent parmi les orties et les papiers gras. Le poil agressif sur une poitrine étroite, un naturiste m'aborde :
- Voyez, rendez-vous compte, on a dit beaucoup de choses sur nous ; et bien ! tenez : sa main tendue nous désigne une dame aux charmes débordants qui folâtre dans les gravats avec des grâces de jeune éléphant. « C'est ma femme... dix kilos en quatre mois. Oui, madame ! Dix kilos de graisse remplacés par des muscles ! »

Les concessions à perpétuité - habitations à bon marché du naturisme - nous révèlent le secret de leurs installations. Des lits de sangle monastiques, des fourneaux à pétrole, quelques fleurs... en papier découpé style loge de ma concierge !

Décidément, les naturistes n'ont rien inventé, pas même la publicité. Voici une « concession » qui s'adorne de deux banderoles tricolores : « Ayez le sourire ». Chiropractie. Sur la porte, un nom : Gaston Gross, chiropracticien américain, Paris.

Les habitations sont numérotées, le 104 est entouré de massifs de buis et d'ifs soigneusement taillés. Nous cherchons vainement la plaque « Regrets éternels ». Plus prosaïques, les voisins ont installé un garde-manger sur leur seuil.

Et les naturistes ?
Les naturistes, ils déambulent à la recherche de leurs vêtements perdus ! Celui-ci porte une ptose abdominale presque inconvenante, et joue au ballon avec une dame d'âge canonique. Cet autre s'essaye à des grâces de choryphée. Faune famélique, il bondit sur l'herbe fanée, contemplé par des nymphes sanglées de soutien-gorge noirs !

Un phonographe égrène Parade d'Amour !

Quittons Physiopolis qu'on ne pourra jamais appeler « l'île de Beauté », ses petits lotissements, ses papiers gras, ses orties, son chiropractor et traçons sur l'embarcadère de l'île des hommes qui ne sont pas tout à fait nus : « Vous qui venez ici, laissez toute espérance ». Et nous n'aurons pas démérité du tourisme !

Paris-soir, 24/8/1930



L'ÎLE MYSTERIEUSE

A cet endroit, la Seine a déjà pris son air campagnard. Ce n'est pas encore, il est vrai, le fleuve qui roule ses flots clairs entre deux rives d'épinard, pour la seule joie des alouettes et des goujons se frôlant à fleur d'eau, mais ce n'est plus l'horrible banlieue au parfum de cambouis et de frites, qui mêle sa verdure phtisique au coton sale des faubourgs.

Bref, le naturisme commence où finit le naturalisme, et c'est précisément sur l'îlot fleuri de Médan, nouveau Tilsit, que la métamorphose s'opère. Ici, Zola doit pactiser avec un nommé Polyclète, fabricant de canon. Un canon, il est vrai, qui, au contraire des autres, ne sert guère qu'à l'amélioration de la race humaine, ce qui est en somme une triste destinée pour un canon.

A Villennes, le dimanche, dans les cabarets du rivage, les Parisiens, au son du clakson, prennent le thé ou vident une canette, et n'ont d'yeux que pour la verte Physiopolis, où vivent, dit-on, les hommes nus. Parfois, n'y tenant plus, quelques promeneurs courent à l'embarcadère, tendent leur obole au passeur, et abordent dans l'île mystérieuse, hilares et bien décidés à s'en « payer une tranche ». Une bouée est accrochée à un arbre. Plus loin, un écriteau : avis aux visiteurs, il est interdit d'avoir une attitude discourtoise et de se permettre des réflexions déplacées. J'ai idée que cette recommandation ne doit pas toujours être inutile.

Une jolie fille, vêtue d'un slip et d'un soutien-gorge tricotés, une rame sur l'épaule, descend vers le fleuve, en mangeant à belles dents une tartine de pain d'épice. Comme eût dit Prudhomme (Joseph ou Sully), sa démarche est celle d'une statue, et les explorateurs, soudain, cessent de rigoler..

Il faut passer au guichet pour visiter les stades de Physiopolis, et quelqu'un évoque avec à-propos le camp peau-rouge du jardin d'Acclimatation.


Le coin des aïeules

De chaque côté d'une allée bitumée, des « tentes fixes » en fibro-ciment s'alignent, toutes pareilles. Leur forme tient à la fois de la guérite et du caveau de famille. Au creux brûlant d'une immense piscine vide, des indigènes se rôtissent, écartelés comme des étoiles de mer. Un gros Silène passe, un broc à la main. Il porte deux buissons de poil noir à ses épaules et la peau de son ventre est si tendue qu'on ne peut que deviner son nombril. Assise sur un pliant, au seuil de son caveau, une dame âgée, aux jambes bleuies de varices, montre sans pudeur aux passants étonnés son dos. de jeune fille aux vertèbres apparentes. Ses petits-enfants, intégralement nus, jouent dans son ombre, sagement.
Des hommes nus surgissent de tous les coins. Presque tous sont bien bâtis, et leur visage est empreint d'une extraordinaire gravité. Je m'obstine à appeler « hommes nus » des gens qui ne sont que des nudistes, mais je sais maintenant la différence qui existe entre le nu et le nudisme. L'homme nu porte au cou et aux mollets la trace rose du faux-col et des fixe-chaussettes. Il a la peau douce, molle, blême, ses bras l'embarrassent et il a l'air de marcher sur des œufs.

La femme nue appartient, jeune, à Henry Bataille, et vieille, à Daumier. Les nudistes, eux, ne sont point de ce monde. Ils ignorent et le costume et le ridicule et l'amour, et j'ai vu, à Physiopolis, des filles ravissantes sourire à des athlètes de brique qui restaient froids comme le marbre. Si ces héros juvéniles s'étaient rencontrés dans le métro, nul doute qu'ils n'eussent fait l'amour le soir même, après de telles « avances ».


Le nu intégral



Dans le stade, des hommes nus, beaux pour la plupart...
Dans le stade incendié de soleil, les « naturistes » courent, jouent au ballon, luttent, crient. Un arbitre, dont le poignet s'orne d'un bracelet-montre, emprunte, semble-t-il, une certaine indécence à cet accessoire insolite.

Hector, va t'habiller, on va rater le train.

Deux adolescents, qu'un 400 mètres a essoufflés, se sont étendus sur l'herbe tiède et discutent. [...] L'autre grogne des mots inintelligibles et feint de dormir. Le premier a de larges pattes carrées de mécano. L'autre arbore un cache-sexe de soie noire et les ongles de ses pieds sont soignés.

Ces deux nudistes en uniforme ne sont encore que des néophytes, et la mère Nature n'a pas eu le temps de faire son œuvre. Bientôt, dans leur tête bouillonnante, Al Brown mettra knock-out Louis Marin et ils lâcheront Karl Marx pour Bernardin de Saint-Pierre.

C'est du moins la grâce que je leur souhaite.
Carlo Rim

Marianne, 23/5/1934


Parce que que mes conseils pourront servir l'année prochaine, voici des confidences sur mon emploi de l'été écoulé.

Où passer son dimanche quand la crise vous retient loin des plages à la mode et vous interdit même la plus modeste auberge de montagne ? J'optai pour les naturistes, adeptes non du nu intégral cher à M. de Mongeot mais disciples des Docteurs Durville et citoyens de Physiopolis.

Connaissez-vous Physiopolis ? Ecoutez les habitants de Villennes décrire la petite île de verdure, nouvel Eden où se réfugient ceux qu'a lassés la civilisation :

- Les pauvres, me dit une dame aux appas abondants, prisonniers d'un chandail rose et mandarine. Ils sont tout de même un peu cinglés. Mais leur coin est tout plein ravissant. Regardez voir !

C'est vrai. Vert sombre avec des trouées de vert jeune, l'île s'étend mollement sur la Seine, comme une coquette sur sa couche argentée. Pour l'aborder, il faut être un élu. Montrer patte blanche au passeur, carte de presse ou invitation des docteurs Durville, grands suzerains de ce fief. D'aucuns même imaginent que, pour toucher son sol, il faut d'abord se dépouiller de tous voiles. Pas du tout. J'ai gardé mon chapeau, ma robe et ma petite cape, et bien m'en a pris car la journée, commencée dans une atmosphère de fournaise, tournait à l'orage avec des nuages annonciateurs d'ondées.

Yole à moteur, deux minutes de trajet, abordage. Un écriteau vous accueille sur l'autre bord avec, en lettres géantes, ce nom qui est à lui seul un programme : « Physiopolis ».

Rebroussons donc chemin sur le sillon des temps et reprenons l'homme à son âge heureux, quand il vivait librement dans la libre nature. Le docteur Durville (Gaston) qui m'accueille au débarqué, revêtu d'un seul slip, me met tout de suite au courant :

- Nous prétendons que nos contemporains vivent et s'alimentent en dépit du bon sens. Que la médecine et la chirurgie actuelles, en localisant leurs efforts, ne s'attaquent qu'à l'effet et non à la cause. Qu'en soignant son organisme tous les jours, d'après nos méthodes naturistes, on prévient et on combat même toutes les maladies. Venez plutôt...

En même temps que moi, ont débarqué dans l'île :
Un adolescent - adepte, me dit le docteur - qui s'avance vers nous en traînant par la main un homme mûr. Ce dernier en pantalon de velours, casquette, gros paletot. Humeur plutôt indécise.

- Docteur, c'est papa. J'ai fini par le convaincre. Je vous l'amène.

Le néophyte - est-il donc bien convaincu ? - fait des mines effarouchées et serre les épaules. Dame, exposer sa personne au plein air quand des nuages noirs roulent là-haut, prêts à crever...

Mais le jeune apôtre n'admet pas de réplique :

- Vite, papa, vite. Va m'enlever tout ce fourbi ! Ce fils tyrannique connaît-il de nom les fils de Noé ? Vient ensuite une famille nombreuses - papa, maman et cinq rejetons - avec, sur leurs talons, un homme de peine qui porte leur malle et des accessoires de ménage. Tout ce monde-là est correctement vêtu.

- Vous voyez docteur ? Nous venons camper.

Ils viennent camper. Disséminées par-ci, groupées par-là, de blanches cabanes en fibro-ciment, toutes de mêmes dimensions et faites sur le même modèle. La demeure primitive dans son absolue simplicité. Deux pièces exiguës, un lit de camp, une table pliante, une rudimentaire cuisine. On y joue aux Robinsons. Foin du confort et des hostilités du progrès. Ni gaz, ni électricité, ni robinets capricieux. Encore moins, Dieu merci, de T.S.F. Ce sont d'édéniques refuges où le pauvre citadin vient se fuir ou se consoler d'avoir un cerveau fécond en inventions de torture.

- Chaque case est la propriété d'un adepte, m'explique-t-on. On vient y passer son dimanche et ses jours de vacances. On peut même y vivre toute l'année.

Les habitants de cette terre bénie sont, bien entendu, végétariens. Et mystiques d'une religion nouvelle :

- Nous suivons à la lettre les principes du créateur. Il nous a donné l'air, la lumière. Profitons-en. Les fruits de la terre : qu'ils soient notre seule nourriture. Et faisons travailler nos muscles par des exercices quotidiens.

- Mais le nu, dis-je. Car enfin, vos adeptes portent slip, soutien-gorge ou cache-sexe. Ce n'est pas comme au paradis d'Adam.

- Le nu, répond gravement le docteur Durville (André cette fois) ne peut pas être intégral. Nous sommes des latins au sang chaud. Il faut tenir compte de la pudeur.

Un tour chez les habitants de Physiopolis :
Des hommes qui bêchent la terre : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front !... » En l'occurence, c'est pour quelques atomes de santé que l'on peine.

Dans cette case, un jeune homme aux cheveux très plaqués s'affaire, un pot de couleur à la main. Il est en train de peindre sa demeure. Il a sans doute un logis à Paris, pourvu de tout le confort. Mais en ce moment, rien n'est pour ce grand enfant en dehors du lopin de terre où se dresse sa cabane. Ainsi du gosse qui bâtit sur la grève un château de sable... La couleur a giclé sur lui et l'habille d'une pluie de gouttelettes jaunes. Bien entendu, un soupçon de caleçon pour tout costume. Mais à ses côtés, un autre naturiste frileux, sentant s'aigrir la bise de l'Île-de-France, a passé un chandail.

- Les premiers hommes, explique-t-il, avaient bien le droit de se couvrir quand le temps se gâtait ? Le froid est le froid.

Son exemple est d'ailleurs suivi à la ronde. Chandails, peignoirs bariolés... On se croirait à Deauville, devenue plage de familles. Et je pense à la pudique demoiselle, cependant, qui m'a lancé hier, l'air mi-figue mi-raisin :
- Ce ne sont pas là des reportages d'honnête femme.

Toutefois, vous me raconterez vos impressions ?

Mes impressions ? Je lui dirai, la main sur la conscience, que Freud aurait aimé ce coin-ci. Rien de vraiment étalé, mais, comme à travers l'hypocrite petit slip, des aperçus de péché se devinent ! Mais ces couvre-pudeur ont beau amorcer des curiosités. Ils ont beau aimanter les troubles pensées : « Coucou ! Je suis le fruit défendu !... » la morale les impose et la décence est bien forcée de s'en accommoder. Ils désarment le malin, croit-on en terre latine.

Sur un stade de jeux, une centaine de sportifs. On se lance le ballon. Tout autour, fourmis diligentes, des jardiniers, des terrassiers, voire des tailleurs de pierre improvisés. Tout ce monde-là ratisse, reconstruit, ensemence. Et, penchés sur leur tâche, ils ont tous un visage de béate sérénité.

- Effet du grand air et de la vie libre en commun.

Il règne ici un esprit de fraternité, me dit mon cicerone.

Dans un coin isolé et en lutte avec les herbes folles, voici enfin l'homme des cavernes, le vrai. Barbe en broussaille, cheveux qui mordent la nuque. Grand corps tout blanc, tout lisse et musclé. Rien qu'un petit pagne couleur de chair, révélant tous les secrets défendus. Tranquillement offert aux regards, ce corps est pourtant chaste comme un marbre antique.

L'homme, penché sur sa tâche, relève la tête au crissement de nos pas. Il nous fait un petit signe, quelque chose comme un salut de dieu. Je vois en lui l'incarnation du génie sylvestre.

- Et alors ? lui lance le docteur.

Mon Dieu ! Il va parler ! Dans quelle langue préhistorique, de quelle voix d'autrefois va-t-il énoncer sa pensée de sage ?

Ah ! bien oui. Sur l'accent traînard du titi parisien :
- Ben mon vieux, quel turbin ! Et l'horticulteur qui m'a plaqué, et le menuisier qui me manque de parole !

Et pour achever de me faire atterrir :

- Je prends tout à l'heure ma voiture et je te relance ces fainéants à domicile.

A moi, très galamment :
- Vous excuserez, madame, ce costume d'homme des Bois. Et, puisque vous venez de Paris, n'auriez-vous pas un journal du soir ?

- C'est, m'explique le docteur, fier de cette importante recrue, un de nos plus puissants industriels.

Je n'ai pas su lequel, car on laisse son nom au vestiaire et Physiopolis a aboli les présentations.

A l'heure du déjeuner, mes instincts gourmands maudissent le naturisme. Pour tout nectar, un cidre indigent, en guise d'ambroisie, et des salades cuites sans sel ni vinaigre. Un pain aussi riche que de laborieuse digestion, un hachis d'amandes au sucre étiqueté : « Confiture naturiste ». Le tout servi sur un « zinc » du plus moderne effet, comme on en voit partout par centaines. Qu'on est loin de l'hydromel absorbé dans le creux de la main et servi par des nymphes aériennes !

Mais, dans le train enfumé qui me ramène à Paris, face au compagnon de voyage fortuit qui m'honore de bouffées de pipe et d'alcool, je pense à Physiopolis drapée de couchant. Elle m'apparaît lumineuse et fraîche, terre biblique où des contemporains surmenés vont jouer aux êtres heureux, aux philosophes.

LUC VALTI.

Mon Paris. Son visage et sa vie ardente, Octobre 1936


Physiopolis au cinéma

Gaston et André Durville voulurent amplifier le succès de Physiopolis, en faisant connaître leur réalisation par le cinéma.

Physiopolis, la cité mystérieuse des naturistes et L'île aux hommes nus

Pierre Audebert a relaté le tournage du film qu'ils avaient commandé à un cinéaste :

Juché sur les plus hautes branches de l'arbre du grand stade, posté au détour d'un chemin ou allongé à plat ventre sur l'herbe, cherchant des angles imprévus, un homme pointait vers les naturistes une caméra dont le mécanisme tournait, tournait sans cesse.

Pas un dimanche de ces mois de juin et juillet 1930 ne se passa sans qu'on le vit enregistrer plusieurs scènes. Cet homme, c'était Jean Dréville.

 

 

Quelques semaines plus tôt, le 4 mai, les Actualités Fox-Movietone avaient déjà donné l'exemple. Les techniciens de cette firme avaient débarqué avec pas mal de difficultés d'ailleurs. L'encombrant matériel nécessaire à la prise de vues et - puisque le cinéma parlant venait de naître - à l'enregistrement des sons. On avait fixé sur la pellicule les images de naturistes pratiquant culture physique et jeux divers, accompagné d'un commentaire des docteurs Gaston et André Durville. Les écrans du monde entier avaient présenté ce reportage.

Mais le film que tournait Jean Dréville n'était pas une bande d'actualités. C'était un documentaire muet, un peu romancé, intitulé Physiopolis, la cité mystérieuse des naturistes, et réalisé sur un scénario de George O'Messerly. Tous les naturistes apportèrent un concours enthousiaste aux auteurs de ce "poème cinématographique", qui se proposaient de raconter les bienfaits de la vie saine.

Jean Dréville - devenu depuis un de nos meilleurs réalisateurs - était à l'époque un opérateur de talent. Il ne tarda pas à être conquis et à adopter lui-même la tenue de l'île des Naturistes en y ajoutant, il est vrai, un bonnet de marin américain en guise de coiffure. Las ! de magnifiques coups de soleil furent la rançon de cette conversion hâtive. Et Jean Dréville, pour terminer son travail, dut protéger avec une serviette ses épaules écarlates.

Quant à George O'Messerly, connu dans les studios comme directeur de production, c'était un disciple de Raymond Duncan (photo ci-contre).

Aussi, portait-il, de préférence au slip, une tunique "à la grecque" et, pour la même raison, ne manquait-il pas d'accorder une place importante, dans son œuvre, à la gymnastique rythmique.

 


O'Messerly et Dréville avaient à peine donné le dernier coup de manivelle qu'un autre film fut commencé, en août 1930, à l'île des Naturistes. Il s'agissait cette fois d'un film "parlant et chantant", selon la formule en vogue à ce moment-là, dont le titre était L'île aux hommes nus, avec en sous-titre La vérité sur les naturistes.

Edmond-T. Gréville, lui aussi devenu depuis un metteur en scène côté, en assurait la réalisation.

A la différence de Physiopolis, il y avait une intrigue, même des rôles, des rôles véritables : la principale interprète était Wanda Vangen, avec comme partenaire l'athlète naturiste Shelly.

Ce film devait être sonorisé avec des bruits de nature : bruit des feuilles, chant des oiseaux, clapotis de l'eau, etc. Edmond-T. Gréville et ses assistants, portant tous les étonnantes chemises de cow-boy déjà à la mode chez les cinéastes, vinrent à l'île des Naturistes, flânèrent longuement et tournèrent quelques "plans". Et puis, sans qu'on sache exactement pourquoi, on n'entendit plus jamais parler d'eux, ni de leur film, à Villennes. On ne revit malheureusement plus Shelly, lui non plus : séduit par le septième art, il avait pris, dit-on, le chemin des studios français, puis des studios étrangers.

[...] Si le film d'Edmond-T. Gréville resta inachevé, celui de O'Messerly et Jean Dréville connut un sort infiniment meilleur. Il n'est pas exagéré de dire qu'il fit même une brillante carrière. Tourné en "muet", il était présenté avec sous-titres : mais une deuxième version, sonorisée, avec musique et commentaires, fut faite quelques temps plus tard.

Le bruit courut un moment que la censure cinématographique avait interdit le film de O'Messerly et Dréville. Ce bruit était faux. Présenté à la presse le 20 septembre 1930, Physiopolis était accepté par la censure le 4 octobre. Pourquoi, d'ailleurs, en eût-il été autrement ? On se le demande vraiment !

"Lorsque le naturisme, dans un nombre d'années que nous ne pouvons pas estimer, se sera implanté dans nos mœurs", prophétisait Claude Sergyl (Comœdia), "on considérera ce film comme ayant été en avance sur son époque. Le film de George O'Messerly et Jean Dréville a bien des qualités. Le rythme, d'abord, qui est rapide et qui ne donne pas à l'image le temps d'appuyer trop. Il y a beaucoup de tact dans la présentation du sujet. Nous voyons des hommes et des femmes, des enfants respirer, courir, marcher, jouer, faire des mouvements de gymnastique, bref faire du sport. Ils le font avec le minimum de vêtements voulu, voilà tout. Et cela reste toujours beau, toujours très pur. La Grèce le fit avant nous, et c'est une garantie, si j'ose dire. Inutîle de dire que toutes ces images d'hommes et de femmes presque nus nous laissent une impression absolument chaste ... "

"Le film est très habîlement construit", estimait de son côté Gaston Thierry (Paris-Midi). L'ensemble conserve beaucoup de noblesse, avec des paysages de poésie et de réelle beauté. Le film se termine par une très belle vision de jeunes filles allant puiser de l'eau - à une simple pompe d'aspect bien prosaïque ! - des jeux d'enfants, le repos d'une famille achevant, le soir tombant, son frugal repas ... Et c'est très bien ! "

La presse eût donc été à peu près unanime à chanter les louanges du film Physiopolis si les scènes de danses rythmiques chères à O'Messerly - peut-être trop nombreuses et trop stylisées - n'avaient été mal comprises par certains critiques qui y virent, ou affectèrent d'y voir, la preuve d'on ne sait quel néo-paganisme :

 

"Il m'est apparu," écrivait Boisyvon (Pour Vous), "que les nudistes, entre le temps qu'ils emploient à préparer leur repas et celui où ils jouent au ballon, pratiquent certains rites païens qui les rapprochent des derviches, des Aïssaouas, des Parsis, des Thébains et de quelques autres sectes vivantes ou disparues dont les croyances nous sont assez lointaines. A certaines heures du jour, ils commémorent par les mouvements rythmiques les plus curieux leur reconnaissance au soleil. L'aube, le plein midi, le crépuscule les trouvent en train d'écarter les bras, de lever les jambes, de se prosterner en l'honneur de l'astre divin, en qui ils incarnent sans doute tous les dieux. On m'a dit qu'il ne s'agissait que de culture physique, je n'en crois rien : je préfère supposer que les nudistes, ayant mis en commun leur foi mystique, adorent le soleil et répètent avec émotion des mouvements qui ont un sens occulte. "

Généralement mieux inspiré, M. Boisyvon se laissait emporter, en l'occurrence, par une imagination excessive ... Le 9 octobre, une "grande réunion amicale des naturistes français" était organisée, dans la salle des fêtes du Petit Journal, rue Cadet, pour la présentation du film Physiopolis. Les invitations précisaient avec humour : "Tenue de soirée recommandée, tenue de ville autorisée, tenue de stade interdite (!)". Bien avant l'heure fixée, la salle était comble. Les naturistes, imités par leurs invités, firent un accueil triomphal à "leur" film.


Et Physiopolis commença le circuit des salles de Paris, de banlieue, de province.

 

Un an plus tard, on le projetait encore ... Le docteur André Durville en conserve toujours, croyons-nous, un exemplaire. Pouvons-nous exprimer le vœu qu'un jour l'occasion soit donnée aux "vieux" naturistes de revoir ces belles images, vivant et précieux témoignage d'une époque révolue ?

Pourrons-nous voir ce film que nous n'avons pas pu trouver, la Cinémathèque française ne disposant pas d'une copie ?

Voici quelques autres articles publiés dans les journaux, lors de sa sortie.

Nous venons d'apprendre que le film tout récemment présenté de MM. O'Messerly et Jean Dréville, Physiopolis, vient d'être interdit par, la censure.
Pourquoi ? Est-ce parce qu'il ne nous a montré que de chastes images, toutes d'air, de soleil, de lumière, de mouvement, de joie, de beauté, de santé physique et morale, est-ce parce qu'il est réconfortant, est-ce parce que sa photographie lumineuse, ses angles de prise de vue nouveaux et ingénieux, son montage simple, adroit et très attachant, sont trop au-dessus de la production habituelle, est-ce que son plaidoyer pour le naturisme (non le nudisme !), pour le sport est trop clairvoyant, et montre trop la carence du gouvernement sur ce chapitre, la différence entre les institutions sportives publiques, et celle privée des docteurs Durville, dans l'île de Villennes, est-ce pour toutes ces raisons louables que la censure a interdit le film Physiopolis ? Nous le demandons.

La France active, 15/10/1930
 



Le Matin, 31/10/1930


VINGT MINUTES CHEZ LES NUDISTES

Etes-vous nudiste ? Une telle question, il y a deux ans, un an, vous eût paru extravagante, n'est-il pas vrai ? Aujourd'hui, chères Abeilles, vous l'avez assurément entendue de la bouche de quelques-uns de vos amis. Pour moi, je pourrais vous citer un journaliste connu, un peintre de talent qui, depuis quelque temps, s'efforcent vivement de me faire partager leur enthousiasme pour le nudisme.

Dirai-je que le film de MM. O'Messerly et Jean Dréville (un peu pompeusement intitulé : Poème cinégraphique) n'a pas aidé à ma conversion ? Si elle doit se produire un jour, assurément, il ne la retardera pas non plus, car il est parfaitement anodin. Foin des intentions moralisatrices ou des espoirs de régénération de la race humaine ! A Physiopolis, il s'agit uniquement de vivre en maillot de bain, tout comme nous le faisons chaque été, vous à Deauville et à Cabourg, moi dans une minuscule et ravissante plage dont je ne vous révélerai pas le nom, dussiez-vous pour tenter de l'obtenir, vous traîner à mes pieds. J'y vis sur cette plage en un appareil infiniment simple, et croyez bien que je ne souffrirais pas de revêtir certains de ces maillots qu'on voit à Physiopolis et qui vous couvrent depuis les genoux jusqu'aux épaules.

C'est entre ces deux extrêmes qu'évoluent, dans ce film, les élégances vestimentaires ; vous pouvez croire que les nuances sont infinies et qu'une étude sur le maillot de bain pourrait être aisément nourrie par la seule description des costumes qu'on y peut voir, costumes que plusieurs agrémentent d'une note originale : barbe, lunettes, etc.. ce qui ne manque pas de déchaîner de grands rires chez les spectateurs. Pourquoi un monsieur presque nu avec une barbe est-il un peu ridicule ? Je serais bien incapable de vous le dire.

Les adeptes de Physiopolis se présentent comme d'aimables sportifs, fervents du ballon, de la corde, de la nage, du canot, de la dînette en plein air et du sommeil dans l'herbe, point du tout comme d'intransigeants sectateurs d'une nouvelle religion. Je n'ai pas la bosse mystique, que voulez-vous, et je n'arrive pas à prendre tout à fait au sérieux les braves gens qui mettent tous leurs espoirs dans certaines pratiques plus ou moins fétichistes.

A cela vous me répondrez que je parle comme M. Clément Vautel et que je ferais mieux de m'occuper de cinéma. Soyez sûres que s'il y avait quelque chose à dire sur le film, je vous le dirais, mais il n'y a là, en somme qu'un joli travail d'amateur, très sympathique au demeurant, et d'une naïveté parfois savoureuse. C'est agréable, pas ennuyeux, et la figuration a été suffisamment sélectionnée pour que les vieux messieurs et les dames sur le retour puissent prendre quelque plaisir à contempler ces appétissantes anatomies ; mais peut-être préfèrent-ils tout de même les boys et les girls patentés des music-halls ; car, au Studio de Paris, l'exhibition ne dure en somme que vingt minutes et le reste du spectacle est bien dur à avaler. [...]

G. Charensol.
La Femme de France, 14/12/1930


La présentation avait commencé par « Physiopolis », un documentaire nudiste extrêmement chaste qui fait aimer le grand air, la jeunesse, et la culture physique, toutes choses qui ont leur prix.

Le film n'est pas ennuyeux. Il est souvent gracieux et heureusement mis à l'écran dans de fort jolis paysages.

Les danses à demi nues qui auraient autrefois causé un certain scandale sont fort bien accueillies par le public éduqué depuis longtemps par la pratique du sport, à ces juvénîles et saines harmonies de la beauté humaine.

Les Spectacles, 4/12/1931

 


Hebdo-Film, 7/11/31


This nude world

 

Un autre film sur le naturisme, américain, a été réalisé en 1933.

Tourné près de New-York, puis en France et en Allemagne, il contenait des scènes filmées par George O'Messerly à Physiopolis, avec la participation de Gaston Durville.

David Lorenté a pu trouver ce film aux Etats-Unis. Pour visionner, sur sa page Facebook, les séquences relatives à Physiopolis, commençant par un exposé de Gaston Durville (en anglais avec un accent proche de celui de Maurice Chevalier), cliquez sur l'image de l'affiche.

 

L'essaimage à Héliopolis

La Physiopolis de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

 

 

La revue Naturisme annonça, en février 1931, la création d'un deuxième centre naturiste :

 


Les naturistes français disposaient jusqu'à ce jour d'un centre de week-end ou de petites vacances, dont la réputation était rapidement devenue mondiale : l'île des Naturistes, la Physiopolis de la Seine [...]

Mais les amants de la nature étaient contraints, pour leurs grandes vacances, à se réfugier, comme tout le monde, sur les plages mondaines où - paradoxe étrange - ils devaient abandonner le slip ou le cache-seins de Villennes, pour revêtir la classique tenue de plage, afin de satisfaire aux prescriptions surannées des municipalités pudibondes.

Poursuivant inlassablement le programme de leurs réalisations pratiques, les docteurs Gaston et André Durville, puissamment aidés, moralement et financièrement, par l'élite des premiers fondateurs du centre de Villennes, viennent de réaliser, avec le concours de personnalités parisiennes comme M. Bastier du Vignaud, l'achat d'une société anonyme : la Société des îles d'Or.

Cet achat met entre les mains du monde naturiste une des trois fameuses îles d'Hyères : l'île du Levant, partie en propriété, partie en location. [...] La Physiopolis de la Seine reste ce qu'elle était : une île délicieuse, à proximité de Paris, où, pendant la belle saison, des milliers de naturistes parisiens continueront à passer, en toute liberté, d'agréables dimanches ou de charmants week-ends. Avec l'île du Levant va naître la Physiopolis de la Méditerranée, l'île des Naturistes de la Côte des Maures, l'Héliopolis français, où les naturistes du monde entier, appartenant à toutes les classes de la société, riches ou pauvres, artisans, ouvriers, viendront en toute saison, fraterniser, au cours de leurs grandes vacances, cordialement unis dans le même idéal de santé par la vie saine et simple. [...]

Bientôt, dans la nouvelle "île bienheureuse", face au soleil levant, flotteront les couleurs de la Société Naturiste, symbole de la santé, d'énergie, de fraternité.

Le domaine naturiste d'Héliopolis jouit, encore de nos jours, d'une réputation internationale. Il se situe, dans l'île du Levant proche d'Hyères, sur les flancs de la colline dominée par le fort d'Arbousier construit par Napoléon.

Les naturistes et la marine nationale, qui a établi un centre d'essai d'engins guidés sur le reste de l'île, ont succédé à divers occupants de ce lieu "paradisiaque" :

- anachorètes (ermites retirés du monde pour pratiquer leur dévotion, en fuyant les persécutions des empereurs romains), au début du christianisme,
- différents ordres religieux (Moines de Lérins, Bénédictins, Frères de la croix),
- les anglais, qui l'ont envahie en 1793,
- le comte de Pourtalès, propriétaire de l'île au 19ème siècle,
- les adolescents internés dans une colonie pénitentiaire, jusqu'à son incendie, en 1866, provoqué par une révolte des jeunes prisonniers.

Le nudisme intégral

L'lle du Levant, plus isolée et plus ensoleillée que l'île de Platais constitue un meilleur cadre pour la pratique du naturisme.

Les frères Durville se sont, plusieurs fois, montrés favorables à la nudité intégrale, mais ils la proscrivaient de leurs centres pour des raisons légales. La préfecture de police de Paris, consultée à ce propos en 1929, leur aurait rappelé la législation en vigueur concernant l'outrage public à la pudeur, déclarant qu'elle n'hésiterait pas à employer tous les moyens légaux pour empêcher que le nudisme s'implante en France.

Certains ont affirmé que la raison de la recherche d'un autre site propice au naturisme pendant toute l'année avait été cette censure de la part des pouvoirs publics. Ne serait-ce pas plutôt que le soleil n'était pas suffisamment présent sur l'île de Platais pour y installer le stade de nu intégral qui y était prévu.

Héliopolis fut créée sous une forme juridique différente de celle de Physiopolis : une association ne pouvant pas acquérir des terrains pour les revendre par lots, Gaston et André Durville avaient dû se substituer à la Société Naturiste, en achetant et revendant des terrains en leur nom propre pour les revendre. La cité de l'île du Levant se structurera comme un véritable village, avec une délégation de compétences de la part de la commune d'Hyères, ce qui n'avait pas été possible à Villennes.

Les frères Durville à Héliopolis


Gaston Durville, à gauche, en 1955, à Héliopolis
(photo publiée dans la revue Vie au soleil, juin 1984)

 

Ces différentes raisons feront que Gaston et André Durville seront moins présents dans l'île de Platais, privilégiant la Physiopolis de la Méditerranée.

Depuis 1980, la place principale du village porte le nom des deux fondateurs.


Le naturisme : un mode de vie et des détracteurs

Le naturisme et le sport

Nous reproduisons ci-après un texte qui présente, sur le site Web de l'Institut Libre d'Education Physique Supérieure, une communication de Sylvain Villaret (Docteur STAPS, Université de Lyon 1, CRIS de Lyon), qui a étudié le phénomène naturiste, notamment à travers l'expérience de Physiopolis.

La Société Naturiste de France des Drs G. et A. Durville
ou la promotion d'un sport naturiste affinitaire dans l'Entre-deux-guerres.

Le phénomène naturiste connaît un véritable renouveau dans les années folles. Le naturisme est alors envisagé par ses prosélytes comme un véritable mode de vie, seul moyen d'éviter de retomber dans les errements passés à l'origine de la Grande Guerre.

Outre les représentations et les rapports particuliers que ces adeptes entretiennent avec leur environnement physique et social, il repose sur des "pratiques phares" comme le dévêtissement, les bains d'air, d'eau, de soleil, la culture mentale, le végétarisme mais tout particulièrement l'éducation physique et les sports pratiqués en pleine nature.

Au début des années 1920, il éclate en divers mouvements de "réforme de la vie" dont les plus connus sont la Société Naturiste Française du Dr. Carton, la Ligue Vivre de M. Kienné de Mongeot et de M. Viard, le Trait d'Union de J. Demarquette et la Société Naturiste de France des Drs G. et A. Durville.

Avec plus d'une dizaine de milliers d'adhérents et un hebdomadaire vendu à plus de 50 000 exemplaires, cette dernière société détient une place dominante parmi les organisations naturistes existantes. Par ailleurs, cette structure s'affirme dès sa création comme un lieu de promotion du sport naturiste, avec la création de Physiopolis, la cité sportive de l'île de Platais.

Cette communication poursuit ainsi l'objectif de démontrer la place centrale faite au sport dans le mouvement affinitaire des Drs Durville. Nous pourrons ainsi juger de l'utilisation qui est faite du sport dans le cadre de l'idéologie naturiste et d'une stratégie de recrutement à visée commerciale. Nous aurons enfin l'occasion de repérer les caractéristiques de la pratique sportive naturiste. Le corpus étudié au moyen de l'analyse de contenus comprend les ouvrages et les revues naturistes d'époque.

A l'époque, naturisme ne signifie pas systématiquement nudisme intégral. Les adeptes des fins de semaines et des vacances en plein air et sous la tente sont alors souvent vêtus de slips ou de maillots de bain, tels que les premiers deux-pièces.

Gaston Durville a néanmoins déclaré, en 1931 : "La pratique de la nudité non seulement ne développe pas l'immoralité, mais est un des bons moyens pour la combattre".

Le naturisme et le catholicisme

Qu'en pensaient les catholiques ? Un article de La Revue apologétique - Doctrine et faits religieux, dans son numéro de juillet 1932, rappelle d'abord que le Dr Paul Carton, qui a constitué, en 1921, la Société naturiste française et fondé, l'année suivante, la première Revue naturiste, est catholique et que ses ouvrages, ses conseils sont empreints d'une haute moralité et d'un esprit franchement chétien.

Son auteur pose, ensuite, la question : Pourrait-on accorder la même confiance à l'entreprise, dite « naturiste » elle aussi, des frères Durville ? Voici ses réponses (sans les numéros des pages des citations de leurs livres et les notes) :

Ceux-ci ont fondé, mais bien après le docteur Carton, une « Société naturiste » en 1925, et une revue hebdomadaire « Naturisme » en mai 1930. S'il faut en croire Jean de Lardelec et l'on sait combien, à la « Revue des Lectures », on est attentif et compétent en pareille matière, nous avons affaire tout simplement à un « mouvement qui se propose d'amener le public au nudisme » avec les ménagements nécessités par les lois et les préjugés actuels.

Si l'on s'en tient, du moins, au livre que vient de publier le docteur Gaston Durville, « La Cure naturiste », il s'agit apparemment de « Médecine naturelle », comme chez le docteur Carton. Tout le programme de la « Science naturiste » revient à demander à l'homme de « se conformer aux lois de nature ». Les médicamentations chimiques, depuis la morphine jusqu'à l'huîle de foie de morue sont donc à proscrire : « Si la médecine médicamenteuse n'existait pas, la mortalité serait certainement moindre ».

Et il est grand temps de réagir : « Jamais la société n'a compté tant de misères nerveuses ; jamais les asîles n'ont compté tant de fous. La guerre est encore venue, apportant sa formidable recrudescence de chocs moraux ! ». L'homme moderne a donc un urgent besoin d'être « désintoxiqué ». Il ne le sera efficacement que par la « Cure naturiste » qui comprend une cure alimentaire, une cure d'air, une cure de soleil, une cure d'eau, une cure de mouvement et une cure morale.

Le docteur Gaston Durville s'applique à paraître mesuré : « Gardons-nous de devenir un maniaque... ». « Vouloir aller trop vite serait risquer des accidents... » . « Si l'on veut trop changer, on ne changera rien du tout, car on ne sera pas écouté... ». Il met en garde contre les bains de soleil pris sans discernement et donne maints conseils de décence. Il va même, dans ce livre, à se déclarer contre le nu intégral : « La Nature semble avoir prévu pour nous le vêtement ». Il est donc bien loin de proclamer, comme le docteur « nudiste » Fougerat de Lastours, que toute héliothérapie est impossible si l'on garde sur soi un cache-sexe ou un soutien-gorge...

Cependant nous ne laissons pas, devant l'ensemble du mouvement « durvillien », d'être inquiet. Cette inquiétude ne porte pas seulement sur les deux insinuations que nous aurions à relever dans le livre « La Cure naturiste » : en faveur du régime sec américain et à propos de la pudeur qui serait, lisons-nous avec surprise, un « sentiment antinaturel ». Ce qui nous inquiète par dessus tout, c'est l'enthousiasme mystique que l'on sent à tous les tournants de cet ouvrage et qui rappelle par trop les élans quasi religieux des Nudistes : « Nos malades, lit-on, exécutent parfaitement nos prescriptions, parce qu'ils ont bien compris la raison de ce qu'ils font ! Ils sont devenus des adeptes de la vie saine et naturelle, ils sont des apôtres ! »

Des apôtres... Si nous feuilletons la revue hebdomadaire des frères Durville « Naturisme », nous rencontrons les mêmes pensées et les mêmes sentiments : « Penchons-nous donc avec une curiosité respectueuse et bienveillante sur ces arènes où des braves se jettent courageusement, sans souci des médisances et du ridicule, pour essayer, à leurs risques et périls, une éthique nouvelle. Ils hâtent certainement, par leur action, ce renouvellement social si lent à provoquer par nos écrits ou par nos enseignements. Ils le précipitent en payant de leur personne; en offrant la matière sociale de cette expérimentation vivante, dont nous pourrons bientôt tirer des observations utîles, des faits concluants... Qui peut prévoir tous les résultats qu'elle pourra donner dans le domaine de l'esthétique physique, de l'éthique sociale, en épuration sexuelle, en élévation morale ? » C'est le témoignage d'un observateur qui se dit « désintéressé et sans complaisance ». Admettons que ce soit vrai. Il a mis ainsi, en tout cas, bien en relief un des caractères les plus troublants de l'entreprise des frères Durville.

C'est pour « La Culture humaine » qu'ils militent. Aussi ont-ils fondé un « Institut naturiste », dont le siège est à Paris, 16e, rue Cimarosa, 15 bis, et des « centres naturistes » pour leurs disciples qui, à les en croire, se chiffreraient déjà par milliers : Physiopolis, installé dans l'« île des Naturistes » à Villennes-sur-Seine : la « première cité mondiale naturiste, cité de bungalows rustiques, sans usines, sans gratte-ciel, cité de l'air et du soleil, cité des hommes presque nus, où guérissent les tares humaines, où se bronzent les épidermes, où se musclent les épaules, où se redressent les échines..., l'usine moderne où se prépare la race rénovée de demain », et Heliopolis, la deuxième cité naturiste qui sera bientôt créée en pleine Méditerranée, à l'île du Levant, une des îles d'Hyères.

Il s'agit donc d'un « naturisme de troupeau » et d'une véritable croisade dans le genre de celle de « Vivre ». Ses dirigeants n'ont-ils pas donné successivement à leur revue les noms suivants : « Vers la sagesse », « La Vie saine », « La Vie saine et sage », « La Vie sage » ? Celle-ci a même été, à cause de ses nudités, interdite en étalage dans les kiosques par la Préfecture de police. D'aucuns disent que c'est après cette interdiction et pour éviter la fuite de leur clientèle que les frères Durville ont cessé de se dire « nudistes ». Ne le seraient-ils pas restés malgré tout ? D'autres ajoutent que les justes principes que nous rencontrons chez eux sont de simples reproductions  mais vidées de tout esprit chrétien de ceux du docteur Paul Carton.

C'en est assez pour qu'il soit prudent de tenir en suspicion, jusqu'à plus ample informé, le NUDO-NATURISME des frères Durville.

« Dans tous les milieux on devient naturiste... » (Préface du Dr G. Durville.) Nudiste ? Naturiste ? Après les engouements de naguère pour le sport, il est indéniable que nos jeunes s'enthousiasment de plus en plus pour l'Hygiène, le Nu, la Lumière et le Soleil.

Le Naturisme du Dr Paul Carton semble donner satisfaction à ces aspirations nouvelles. Les faveurs du public et les encouragements des gouvernements vont, en revanche, aux Nudistes et aux Nudo-Naturistes.

En Allemagne, toute ville de quelque importance a une société nudiste ou nudo-naturiste. Il existe, constate le Dr G. Durville, dans ce pays plus de trois cents sociétés de ce genre. « A Dresde, le dimanche, plus de trois mille personnes vont dans des grands parcs se mettre nus au soleil, moyennant cinquante pfennigs ». Pour se rendre compte que l'auteur est loin d'exagérer, on n'a qu'à parcourir les numéros des grands illustrés Lu et Vu qui viennent d'être consacrés à la vie contemporaine en Allemagne...

Et en France, quand on songe que trois ministres représentant le gouvernement, dont M. Blaisot, le député conservateur de Caen, ont cru devoir officiellement inaugurer le premier « stade Durville » à Villennes, le 28 juin 1931, et décorer de la Légion d'honneur les docteurs G. Durville et Vachet, on ne peut s'empêcher de craindre que notre pays ne soit, lui aussi, envahi bientôt par ces mouvements nouveaux.

Les éducateurs catholiques, en conséquence, doivent les bien connaître afin de mettre en garde la jeunesse française contre les dangers très graves du Nudisme et les éléments troublants du Nudo-Naturisme.

GASTON LECORDIER.

Cliquez ci-après pour lire l'histoire du naturisme sur le site Web de France Espaces Naturistes.

1933-1939 : le sport et le ressourcement


La polémique

La belle harmonie de la cité naturiste est, toutefois, troublée en 1933, la nature humaine prenant le dessus.

Une partie des propriétaires (60 sur 160) s'oppose aux frères D ... , comme ils les nomment dans leur Journal de la Ligue de Défense des Propriétaires de Physiopolis, baptisé Le Naturisme Social.

Ils y dénoncent :

- les importants profits qu'ils ont réalisés en revendant les terrains de l'île,
- la gestion financière peu transparente de l'association,
- leur appropriation des parties communes.

La polémique est animée par le Marquis de Giafferi, qui écrit également dans son journal :

Ah ! Si au lieu d'éparpiller vos forces, de gaspiller les fonds dans la revue, l'imprimerie, l'invraisemblable piscine qui ne retient, ni garde, ni rejette l'eau, d'aller vous fourrer dans cet autre guêpier de l'île du Levant, vous aviez mis cette énergie et ces sous dans une seule chose, celle de l'île de Médan, vous auriez fait une belle oeuvre, au lieu de courir la prétentaine ! [...]

Enfin, Docteurs D... - et nous devrions être les derniers à parler de cela - il faut de l'hygiène. Car votre société est devenue - malgré vous peut-être - un lotissement. Des membres y passent des mois (ils ont raison). Salubrité d'abord : il faut davantage d'eau potable, davantage d'espace entre les petites tentes, des latrines en plus grand nombre, des fosses pour enfouir les ordures, arrosées d'eau grésylée, et qui s'utiliseraient ensuite pour les jardins.

Il faut aussi stimuler la création de jardins potagers et songer ... enfin ! à la commodité des membres.

Le procès, que ces opposants intentent à Gaston et André Durville, se conclut par un non-lieu. Les intérêts des copropriétaires et des membres de la Société Naturiste, 10 fois plus nombreux, divergèrent davantage au cours des années. La convention signée en juillet 1936, précisant la coexistence des deux entités, n'aplanit pas les difficultés et durant vingt ans, de nouvelles conventions et leurs avenants furent souvent dénoncés.

Le chemin de halage

Le même numéro de septembre 1933 du journal Le Naturisme Social nous informe d'un litige entre les riverains de la Seine, sur l'île, et le service de la Navigation, qui veut faire appliquer une ancienne loi imposant un espace libre de 7,80 mètres où existait un chemin de halage (le marquis, espérant vraisemblablement le soutien de nombreux propriétaires, mêle à son article des propos polémiques contre les frères Durville ...).

RIVERAINS, RÉSISTEZ !

Par le Marquis de Giafferri

Pauvres Naturistes ! Pauvres propriétaires de Médan et de Villennes-sur-Seine ! Ils tombent de Charybde en Scylla !

Après la pompe aspirante des frères Docteurs Durville, voici poindre sur eux la pompe à phynance du Fisc, de l'Enregistrement, des Hypothèques. Tout cela pour ne pas avoir régulièrement acheté leurs terrains, les avoir fait cadastrer, enregistrer, transcrire aux Hypothèques ; ils risquent d'être dépossédés demain.

Mais voici le bouquet ! La lourde main de I'Administration de la Navigation Fluviale va venir, avec ses "servitudes", leur rogner leurs terrains et leur imposer sérieusement leurs pontons, rampes d'accès, supprimer leurs clôtures, les obliger à un recul de 3 à 9 mètres du haut des berges (et non du niveau Seine), pour un soi-disant chemin de halage aboli en 1896, car le remorquage à vapeur, tirant des trains de péniches, était florissant dès 1897 (Guêpes, Bleus, etc ...).

Pauvres Naturistes riverains ! Les professeurs, frères, docteurs Durville, qui déjà ne vous avaient point prévenus du danger des inondations, et lesquels, il y a trois ans, voulaient vous arracher vos stades et vos allées acquis chèrement au prix de 50 francs au lieu de 2 francs le mètre, s'étaient bien gardés de vous parler "servitudes fluviales" !

Et boum ! voilà la Navigation qui veut intervenir à son tour pour vous rogner de 3 à 9 mètres de votre terrain dans toute sa largeur parallèle.

Mieux, la Navigation vous interdit de clore côté Seine, afin que vos enfants tombent plus facîlement à l'eau et que votre séjour familial soit un perpétuel souci d'angoisse, que les chiens errants, les maraudeurs pénètrent sur votre terrain ouvert à tout venant et dévastent votre jardinet, dévalorisant ainsi votre modeste propriété, fruit de vos épargnes!

Ah ! Naturistes, dans le lotissement Durville, vous êtes bien mal lotis et mal défendus ! Vous voulez rester inertes, sans réagir ? Parfait ! Restez comme l'autruche, la tête sous l'aîle ; bientôt vous serez grignotés de toutes parts : fisc, docteurs, Navigation. Vous n'aurez qu'une fonction, celle de payer, et vous serez victimes de multiples inquisitions qui empoisonneront vos beaux dimanches, si vous n'avez pas le sursaut passager d'énergie de vous unir à nous.

Voici le passage de la loi périmée avec laquelle on veut vous brimer ; elle a nom du reste : "Servitudes fluviales". Il s'agit de l'article 46, chapitre III, de cette loi du 8 avril 1808 qui dit : "Les propriétaires riverains des fleuves et rivières navigables ou flottables sont tenus, dans l'intérêt du service de la Navigation, et partout où il existe un chemin de halage (jamais existé), de laisser le long des bords desdits fleuves et rivières, ainsi que sur les îles, où il en est besoin, un espace libre de 7 m. 80 de largeur (pas précisé niveau ou berge).

"Ils ne peuvent planter d'arbres (les arbres sont centenaires), ni se clore par haies ou autrement, qu'à une distance de 9 m. 75, du côté où les bateaux se tirent (jamais plus halés en Seine depuis un demi-siècle), et de 3 m. 25 sur le bord où il n'existe pas de chemin de halage." (Bien entendu, les îles sont exceptées.)

Eh bien ! non, ne marchez pas, riverains ; résistez à cette loi ridicule et surannée du 8 août 1898, que Zola avait répudiée, car déjà, deux ans auparavant, la navigation à traction animale avait en partie cessé sur l'Oise et affluents, et totalement sur la Seine, où existent, enracinés dans l'eau, des arbres centenaires (après Pontoise et Conflans). Ils frangent nos rives d'une belle ceinture de verdure ; les berges sont entretenues avec soin et s'embellissent de fleurs chaque saison ; mais cela empêche de dormir ces Messieurs de la Navigation, destructeurs de sites et de beautés naturelles !


La Légion d'honneur

 

Lorsque Gaston Durville fut fait membre de la Légion d'honneur, en 1933, cette distinction provoqua des troubles dans les milieux catholiques, peu favorables au naturisme.

 

Ce dessin fut publié dans la revue Naturisme. Sa légende reflétait l'embarras du délégué officiel : "Au nom des pouvoirs ... Sapristi, où vais-je lui épingler ?".

 

La tenue des naturistes fit rapporter l'anecdote suivante par le journaliste qui avait relaté la fête du soleil :

A Villennes une vedette à pétrole transporte dans l'île les amateurs. Il est midi. La foule n'est pas encore là. Seuls les purs, les vrais de vrai du nudisme déjeunent, assis sur l'herbe. Un coup d'oeil sur leur menu... : viande froide, pâté, des bouteilles de bourgogne... Ils savent se nourrir ces végétariens consacrés à la salade.

Une auberge est là.

Brave homme, le restaurateur me reçoit avec une cordialité qui m'émeut...

 

Nous bavardons. - Vous devez faire de bonnes affaires ? - Oh ! non hélas ! ces gens nus n'ont pas d'argent sur eux. Vous comprenez. Ils s'en aperçoivent au moment de payer alors ils n'emportent pas ou ils disent qu'ils vont revenir... Allez les reconnaître après !

A son tour, en 1937, André Durville sera lui aussi nommé au grade de chevalierde la Légion d'honneur, au titre de l'éducation physique, des sports et des loisirs. Les liens entre la Société naturiste et le gouvernement se sont, en effet, renforcés avec le Front Populaire, qui partageait une même conception de la santé publique, du sport et des loisirs populaires.

Les lotissements jardins

En avril 1936, considérant que "le centre naturiste créé par les docteurs Durville est d'une utilité incontestable", le conseil municipal de Villennes accepte le projet de "lotissements jardins de l'île du Platais" ; il demande toutefois des modifications afin de préserver la beauté du site et d'améliorer l'hygiène (absence d'eau potable, eaux usées se perdant dans le sol, ordures ménagères et paille de couchage jetées dans les berges de la Seine).

Il conteste également une clause relative aux  lots situés en bordure de Seine : l'estimation de leur superficie, berges comprises, depuis le niveau des plus basses eaux, est jugée comme une véritable tromperie pour les acheteurs, les berges étant "propriété de la Navigation" jusqu'à la limite de débordement.

Ce projet fut toutefois rejeté, en juin 1937, par un arrêté ministériel. En octobre, ses observations ayant été satisfaites, le conseil municipal redonna un avis favorable, sans suite immédiate.

 

Environ  230  bungalows en fibro-ciment étaient, néanmoins, déjà été construits.


L'arrivée de l'eau courante potable

 


 

 

C'est en juin de cette année qu'une canalisation d'eau potable, raccordée au réseau public sur la berge de Villennes, fut posée.


 

Elle acheminait l'eau à plusieurs bornes-fontaines pour distribuer l'eau dans le domaine, le seul puits, dont l'eau était potable, étant trop souvent inefficace.

Elles existent toujours mais elles ont été remplacées par d'autres plus récentes.


Nous pouvons toujours voir la pompe à roue de l'ancien puits.

 

Week-ends et vacances en famille

Les propriétaires de bungalows continuaient à traverser la Seine pour passer les fins de semaine en famille. Les visiteurs bénéficiaient parfois d'un comité d'accueil.

 

 

La santé par le sport

Tous les résidents pratiquaient des sports, notamment la natation dans la Seine et le canoë-kayak autour de l'île ; les bateliers n'appréçiaient pas que certains s'accrochaient à leur train de péniches, pour revenir en amont.

 

Le stade était plein tous les dimanches. Une grande journée sportive étai organisée le premier dimanche de septembre.

Le concours athlétique de 1934

Le 2 septembre 1934, eut lieu la première journée du concours de l'athlète naturiste. Ainsi commençait l'article de la revue Naturisme, qui le relatait :

48 adeptes de 18 à 60 ans n'hésitèrent pas à venir vérifier leur valeur physique en affrontant les 9 rudes épreuves de course, saut, lancer, grimper, porter et natation, inscrites au programme.
 

Les sports nautiques n'étaient pas oubliés. De nombreux résidents avaient de l'entraînement.

 

La descente de la Seine à la nage

 

Cette compétition de natation était organisée chaque année.

La revue Naturisme de septembre 1938 a relaté celle qui avait eu lieu le 15 août.

Voici le départ des concurrents et la plus rapide des jeunes, Colette Gerbaud, après son arrivée :


 

Natation sur le grand stade ?

 

 

 

Assez souvent, cette compétition aurait pu se dérouler autour des bungalows, car la Seine continuait périodiquement à sortir de son lit.

Nous l'évoquerons plus loin.

 

1939-1945 : le refuge et l'approvisionnement

Physiopolis reste ouvert mais, officiellement, pas pour tous !

Le beau dimanche à la plage à 20 kilomètres de Paris !
Dans l'île des Naturistes

Jeunes filles en short et pères nobles athlétiques
courent, dansent et cuisinent sous le soleil de juillet

Il y a vingt minutes à peine que nous avons quitté Paris, sa fièvre et son mouvement et maintenant dans un décor de lumière et de fleurs, des hommes, des femmes, des enfants, vont, courent, sautent, jouent, plongent dans l'eau. Leur peau est bronzée, leur corps est souple et musclé. Leurs gestes sont harmonieux.
 
L'homme qui vient d'aborder dans l'île de Villennes, tout prêt à sourire et à se moquer avec quelque peu l'arrière-pensée de se « rincer l'œil » ne peut plus qu'admirer, se taire et éprouver une immense gêne de sentir sur lui tout l'attirail inconfortable du vêtement moderne

Ils sont venus si nombreux avec les idées fausses, les idées de la société d'hier, de gens dont tout l'idéal consistait dans la bonne petite vie désaxée d'avant 39. On allait voir les « nudistes ». Car il était avéré qu'à Villenoes on faisait du nudisme intégral.

Ah ! comme ils ont été déçus ! D'abord parce qu'on n'y fait pas de nudisme, ensuite parce que rien n'est plus sain, plus réconfortant, plus moral que le naturisme pratiqué à Villennes.

Une usine à santé

Dans un méandre la Seine, l'île étale sa petite silhouette de verdure et de fleurs. Des bungalows coquettement aménagés jettent des taches claires sur le fond argenté du fleuve baigné de lumière.

Aujourd'hui, ils sont des milliers venus de tous les coins de la capitale. Les uns ont quitté l'atelier, d'autres le cabinet de travail. Ceux-ci sortent de la fourmilière malsaine des usines à production, ceux-là de la fournaise parisienne du métro.Tous communient du même idéal sain et vivifiant, le culte de leur corps, le repos de leur esprit torturé par la vie moderne.

Cet enfant saute au milieu d'autrès enfants ; le jeune homme joue au ballon ; un athlète, aux portiques, exécute un rétablissement harmonieux ; un autre joue au tennis ; d'autres taillent leurs rosiers, vont se jeter à l'eau, s'étendent au soleil.

Sans arrêt, des barquea entières de visiteurs accostent à l'appontement. Le passeur est en short. Ses muscles se gonflent sous l'effort. Il est souriant, heureux de sentir l'air et le soleil baigner son corps.

Plus de juifs

Un article des statuts interdit l'entrée aux juifs. Cependant quelques uns ont réussi à se glisser dans l'île.

Ils trouvent des appuis auprès de certains éléments dirigeants. Pourquoi une ordonnance officielle ne viendrait-elle pas sanctionner cette interdiction ? C'est le vœu de tous les vrais Français qui veulent éliminer l'entreprise judaïque.

Rudy CANTEL

Paris-soir, 22/7/1941

Les jardins potagers de Physiopolis

La période de la Deuxième Guerre mondiale fut très pénible et souvent tragique pour les Français. Des résidents de Physiopolis gardent toutefois un bon souvenir de leurs séjours dans l'île, où ils trouvaient un refuge et des moyens de subsistance.

 

De nombreux jardins, aujourd'hui joliment fleuri, avaient été transformés en potagers.

Le stade toujours très fréquenté

Le stade rassemblait toujours de nombreux personnes.

Pour voir d'autres photos des exercices sportifs de cette époque, cliquez ici puis sur l'image.

 

La piscine, lieu de spectacles

 

La piscine avait été désaffectée. En effet, il n'avait pas été nécessaire de régler ses problèmes d'étanchéité, la Plage de Villennes voisine, disposant de plusieurs bassins, offrant un meilleur cadre pour la natation.

Cette ancienne piscine était utilisée pour divers spectacles, présentés par les résidents, dans lesquels se produisaient notamment Colette Gerbaud (ci-contre, en 1942, et son frère Pierre, violoncelliste).

Images de Physiopolis en Noir et Blanc

Le magazine Noir et Blanc a publié un reportage sur la cité de nature en août 1945.


La plus belle photo est celle représentant Eliane Best et l'une de ses amies. Elle s'aspergeait d'eau en buvant à la pompe, voisine du bungalow de sa famille.

 

67 ans plus tard, l'eau n'y coule plus, mais la doyenne de Physiopolis a accepté de prendre la même pose.

 

Témoignage d'une ancienne résidente,

jeune fille à l'époque

 

Nous reproduisons une large partie des souvenirs que nous a confiés Bernadette Rapin.

Son père Jean Rapin, garde républicain, et sa mère avaient acquis un bungalow en fibro-ciment avant de faire construire un chalet en bois.

 

Ce texte est illustré de photos de ses albums familiaux.

 


Si l'Ile des Naturistes m'était contée

Vacances de printemps et d'été à Physiopolis

Quel bonheur et quelle excitation à l'idée de partir à Pâques et pendant les grandes vacances de juillet à début septembre dans cette île paradisiaque pour les enfants surtout ! Pas de voiture : sport, vélo, natation, se rendre à la plage ou à la pointe de l'île pour se baigner ou faire des cabanes dans l'Arcadie (terrain vierge, en friche, avec beaucoup de noyers), situé après la Plage.

De Paris où nous habitions dans le 8ème, nous allions à pied à la gare Saint-Lazare, avec juste une valise, car dans l'île, les habits se résumaient aux maillots de bain, shorts et, le soir, un survêtement. La lessive pour les mamans était ainsi simplifiée, fort heureusement car aucun confort dans cette île.

Arrivés à cette belle petite gare de Villennes, nous allions à pied jusqu'à l'embarcadère. Nous agitions une grosse cloche pour appeler le passeur qui attendait qu'il y ait plusieurs personnes pour venir nous chercher sur le ponton. Nous étions en période de guerre et c'était une barque qui nous prenait, pas de bateau à moteur à l'époque. La traversée n'était pas longue et lorsque j'en ai eu la force, il m'arrivait de faire le passeur, à la stupeur des personnes qui n'étaient pas trop rassurées, mais tout s'est toujours bien passé.

 

Sur l'autre rive, notre maison étant dans le centre de l'île, nous reprenions notre marche à pied et nous nous installions. Nous marchions le plus souvent pieds nus ou avec des tennis, suivant le temps.

 

 

 

Nous allions chercher l'eau dans des brocs à des fontaines à proximité. L'on tournait une grande roue et l'eau sortait et cette corvée revenait plusieurs fois par jour, car cette eau était vitale pour boire, se laver, laver le linge, faire les repas et la vaisselle, etc.

Pour se laver, c'était la cuvette et une fois par semaine, nous allions nous doucher. Il y avait un bâtiment avec plusieurs WC et derrière, donnant sur la Seine, 4 à 5 douches à ciel ouvert, à eau froide bien sûr, mais on était habitué.

 


 

Il n'y avait sur l'île qu'une échoppe organisée par le gardien, proposant des produits de première nécessité. Pour les courses, il fallait aller dans le village de Villennes. Maman y allait donc à pied courageusement, car le village était à 3 Km environ. Lorsque j'ai eu 14 ans, avec des copains, nous avons décidé d'aller faire les courses en prenant un canoë que nous attachions à un embarcadère à Villennes, sans souci, à l'époque pas de vol ; nous le retrouvions qui nous attendait sagement, et pour nous c'était une escapade bien sympathique.


La journée passait très vite, nous partions sur les terrains de sport et inventions sans arrêt des jeux. Il y avait des terrains de volley-ball, des barres parallèles, etc.

De plus, nous avions la chance d'avoir un couple de professeurs de sport (M. Waltersheid, présenté plus haut par Pierre Audebert dans ses souvenirs, et son épouse), adorant les enfants car il ne pouvait en avoir.

 


Ils se dévouaient vraiment pour nous apprendre la gymnastique, le saut en hauteur, en longueur, les barres parallèles.



 


Ils avaient une cloche qu'ils agitaient en marchant pour rappeler les enfants sur le stade principal de l'île, tous les jours, dans l'après-midi.

Il y avait souvent des compétitions :

descente de l'île à la nage,

tour de l'île en course à pied,

courses en sac, ...


 

Les premiers recevaient une médaille bien méritée.

 

A côté de la bâtisse en dur où vivaient à l'année le passeur et le gardien, il y avait un grand garage à bateaux et une petite salle réservée à la danse, le samedi soir, lorsque le temps était incertain. Un vieux phono faisait l'affaire. S'il faisait beau, une grande dalle de béton à l'air libre servait de piste de danse et le passeur s'improvisait serveur de boissons pour ceux qui le désiraient. L'ambiance était vraiment bon enfant. Sur cette dalle, en journée, nous avions à notre disposition des tables de ping-pong et nous nous en donnions à cœur joie.

Nous n'étions que très rarement dans les maisons qui servaient seulement à dormir car elles étaient relativement petites et la table pour les repas était mise dans le jardinet qui entourait la maison.

Le soir tout le monde allumait la lampe à pétrole qui diffusait une lumière très tamisée. Fourbus et fatigués, nous ne demandions qu'à dormir de bonne heure pour repartir jouer le lendemain.

 

J'aimais chanter et plusieurs couples m'invitaient à le faire chez eux, sur leur terrasse et pour leur faire plaisir, je m'exécutais. J'étais vraiment heureuse de vivre et j'appréciais cette vie de liberté avec les amis. Les seules contraintes que j'avais parfois étaient de m'occuper de mon frère de 5 ans mon cadet et de ma petite sœur qui avait 12 ans de moins de moi, mais j'aimais m'amuser avec eux, les déguiser, faire des gâteaux avec de la terre et de l'eau.

Début septembre, nous partions en Arcadie pour gauler les noix. Elles étaient encore avec leurs cosses vertes. On les étalait dans le jardin sous le soleil pour que les cosses s'en aillent plus rapidement ; ensuite nous les faisions sécher et nous les emportions à Paris pour l'hiver.

Escapades à la Plage

Tous les jours, nous nous rendions à la pointe de l'île pour nous baigner et de temps en temps, nous allions à la Plage qui était payante bien sur. Cette plage était un enchantement. Elle occupait un bon kilomètre sur l'île avec des bâtiments importants, une centaine de cabines, des douches et un espace en rotonde pour danser. Sous la rotonde, une petite boutique vendait des accessoires : bouées, maillots de bain, etc. Au premier étage, il y avait un espace privé pour les nudistes.

Cette plage était très connue : y venaient les colonies de vacances, les centres aérés et le public. Une vedette assurait la traversée. Certains dimanches, il y avait jusqu'à 1000 personnes. Pour les enfants, tout était prévu ; le petit bain pour les bébés, le moyen bain et le grand bain.

Au début des années 1940, un grand toboggan se jetait dans la Seine. Ensuite, un autre, plus moderne et très long, se jetait dans le moyen bain et il fallait voir la queue des personnes l'utilisant, aussi bien enfants, qu'adultes. Sur le côté de ces bâtiments, de grands emplacements avec les balançoires, les tourniquets, et beaucoup de tables et chaises à la disposition de tous, pour le pique-nique éventuellement. De très beaux arbres nous protégeaient des ardeurs du soleil. D'année en année, des améliorations ont été faites : des terrains de tennis, des tables de ping-pong, un mini golf très joli, situés à l'arrière des bâtiment. Il y en avait pour tous les goûts et les journées étaient bien remplies.

On avait trouvé un moyen de ne pas payer l'entrée de la Plage. En effet, elle était cernée par des grillages, avec une porte d'accès pour les personnes habitant l'île, mais les affreux jojos que nous étions soulevaient un grillage et passaient de l'autre côté facilement. Le seul problème, le soir lorsque nous désirions repartir par la porte, était qu'elle était fermée et la personne en charge des entrées nous dit un jour : "Vous avez su entrer et bien repartez comme vous voulez". Impossible par le grillage d'où nous venions, qui était très fort et plié dans l'autre sens, alors, nous repartions par la Seine et étions obligés de nager en luttant contre le courant jusqu'au premier ponton. Un rétablissement et nous étions dans notre île.

Retour aux origines

En 1936, mes parents qui habitaient Paris, se promenant sur les quais de la Seine, remarquèrent un livre fait par les docteurs Gaston et André Durville, qui préconisaient aux Parisiens de s'aérer, de faire du sport et d'avoir une alimentation plus saine. Ils indiquaient l'île Platais à Villennes pour camper le week-end et pour les vacances. A cette époque, les voyages organisés étaient très rares et pour les personnes habitant Paris, c'était un havre de paix et de bon air.

Ils achetèrent l'un des bungalows en fibro-ciment, en forme de tente, qui, autour des stades, permettaient de surveiller les enfants qui s'y ébattaient. Bien sûr, il n'y avait que de quoi dormir et un petit coin de rangement, les repas se faisant toujours dehors sur la terrasse en ciment, mais au moins pas de corvée ! On fermait la porte jusqu'à la semaine suivante.

Les familles se retrouvaient également tous les ans pour les vacances de Pâques, en juillet, août et début septembre, puisque l'école ne recommençait qu'au 15 septembre. Bien sûr, les amitiés entre les enfants se nouaient d'année en année et nous formions une bande bien soudée. Les familles nombreuses faisaient construire des maisons en bois. Il y avait même quelques constructions en dur, souvent en bordure de Seine.

Ceux qui avaient la chance d'y résider avaient un ponton où était amarré une barque ou un canoë pour se balader sur la Seine. C'était sans danger car il y avait très peu de péniches qui circulaient.

Pour ma part, j'aimais ramer et j'emmenais souvent, en toute inconscience, des enfants très jeunes me demandant d'aller faire un tour sur l'eau avec moi, en barque, mais ils ont toujours été très sages et aucun problème ne s'est produit, fort heureusement.

 

[...] Il y avait également un bémol : les inondations qui arrivaient assez souvent en hiver. Je me rappelle être venue après l'une d'elles avec mon père pour juger des dégâts. Nous avions pourtant une maison sur pilotis, mais l'eau était montée à plus d'un mètre à l'intérieur, les lits étaient irrécupérables ; il a fallu tout sortir dehors et nettoyer toute cette vase qui avait tout envahi, sans parler de l'odeur nauséabonde. Après cette expérience, nous mettions la literie sur des tréteaux et essayions de monter les affaires le plus haut possible dans la maison.

Mais rien n'affectait le plaisir de se retrouver dans cette île de liberté et de bonne humeur et mon père s'y rendait le plus souvent possible pour décompresser.

Physiopolis sous les tirs de la Libération

Il y a eu aussi cette période douloureuse où les Allemands investissaient l'île et lorsque les Américains sont venus à Villennes, les Allemands retranchés de l'autre coté de la Seine tiraient sur les Américains. Dans l'île, cela a été la panique, car on avait peur de sortir ou d'être tués. Alors les rares hommes que nous avions avec nous creusèrent des trous dans lesquels nous dormions.

Ensuite, nous avons tous été évacués. Les habitants de Villennes nous ont recueillis, en attendant que nous puissions retourner chez nous. En ce qui nous concernait, cette période a été difficîle pour ma mère, car le téléphone était inexistant et mon père, retenu en caserne (il était garde républicain à Paris) ne donnait pas de nouvelle et Maman n'avait plus d'argent. Je me rappelle qu'un voisin qui avait une moto lui avait proposé de l'emmener à Paris pour retrouver son mari et faire le point. Maman, malgré sa peur a accepté la proposition et je suis restée avec mes frère et sœur à l'attendre.

Après la Libération, nous avons vu arriver sur l'île les rescapés des camps de concentration et j'avais été extrêmement choquée de voir leur maîgreur et leur teint blafard. [...]


1946-2001 : les fêtes et la convivialité

 

Un lien entre naturistes

 

En mars 1947 parut le premier numéro du journal Physiopolis, bulletin intérieur de la Société naturiste et du Syndicat des co-propriétaires de Physiopolis.

Il nous fait connaître les difficultés qui s'étaient amplifiées entre ces deux entités et sur les efforts qui ont été faits pour les surmonter.


Fêtes des sports


Cette publication donne un compte-rendu des fêtes, telles que celle de la section nautique : compétitions l'après-midi, banquet, bal et tombola dans la soirée.

 




 


Cross en Arcadie

 

 

 

 

 

 

Le numéro 6 du bulletin, publié en septembre 1948, a largement relaté la première compétition de cross-country.

Elle s'est déroulée autour de l'île, en particulier dans la partie restée à l'état naturel.

 

Une  belle épreuve  naturiste
LE   PREMIER   GRAND "CROSS" AUTOUR DE  L'île
a remporté un vif succès

C'est par un  temps idéal - et inespéré à la fin d'un  été peu  clément -   que   s'est   couru,   le   dimanche   12   septembre,   le   premier grand  cross-country autour  de l'île.  Épreuve naturiste par excellence, ce cross a remporté un vif succès parmi une très nombreuse assistance. Le départ et l'arrivée eurent lieu sur le grand stade. Départs par catégories : minimes,  dames, vétérans et seniors. Quarante-trois personnes ont pris le départ, quarante et une personnes ont bouclé le tour. C'est un résultat remarquable.

On trouvera par ailleurs les résultats techniques.

C'est à 16 h. 09 que fut donné le premier départ à neuf enfants (de 12 à 15 ans). Deux kilomètres environ de parcours. Chaque enfant, plein d'ardeur et de vitalité, partait avec la pensée secrète de vaincre. N'était-ce pas magnifique ? Tout le long du parcours, ce fut Bernadette Rapin qui tint la tête du peloton, mais, talonnée constamment par Willy Schmidt, elle n'a pu arracher la victoire qu'avec deux secondes d'avance sur ce dernier. Le petit Rochefort, qui s'alignait pour la première fois dans une compétition, s'est bien distingué en se classant troisième ; c'est un garçon sur   lequel   il   faudra   compter dans les   épreuves   à   venir.   Andrée Le Floch, s'accrochant au groupe de tête n'a pu faire mieux. G. Martel et M. Weiss ont fait une bonne moyenne. Madeleine Le Floch a déçu nos espérances, car elle avait mieux couru à l'entraînement ; elle fera mieux la prochaine fois. La jeune Eliane Audebert, dont c'était la première grande course, s'est bien comportée. Une bonne note aussi à Prisca Botino pour sa persévérance ; tombée en Arcadie et sur le point d'abandonner, elle s'est ressaisie et a tout de même terminé la course. Tous ces enfants ont bien mérité leur récompense. Il n'y avait pas d'abandon  parmi  eux.

La distance, pour les femmes, n'était inférieure que de 300 mètres à celle des hommes. Cinq femmes seulement étaient au départ. Ce fut une course sans histoire : chacune marchait à l'allure qui lui convenait le mieux. Course d'une grande régularité. Les concurrentes firent preuve de courage et de persévérance, gardant leurs positions du commencement à la fin.

J.-P.   WALTER.

La course à pied est le plus naturel et le plus salutaire de tous les sports. C'est pourquoi la Société Naturiste organise désormais un grand cross-country en fin de saison. La première « édition » de cette belle course a eu lieu le 12 septembre. Elle a témoigné, d'une façon éclatante, de la vitalité du naturisme ... et des naturistes. Elle a remporté d'emblée un succès si grand et si mérité qu'on peut d'ores et déjà la considérer comme l'épreuve dominante de Physiopolis. Dès maintenant, chacun songe au «cross» de l'an prochain ... Il convient de féliciter sans réserve les principaux artisans de cette réussite : le dévoué Walter, qui organisa l'épreuve jusque dans ses moindres détails, avec une foi communicative ; Mme L. Walter, qui entraîna spécialement les enfants ; l'infatigable Dossaris, qui travailla pendant des semaines à améliorer et compléter la piste, permettant, pour la première fois, d'effectuer le tour complet de l'île, dont les nouveaux chemins révèlent, par endroits, des aspects inconnus. On voit, sur notre photo, deux des participants, Lejoliff et Wang,  gravissant une butte,  en «Arcadie».

(Photo P. Audebert.)

Notons cependant qu'Annette Salmon, par solidarité, restait toujours en contact avec ses camarades ; ce n'est qu'à quelques mètres de la ligne d'arrivée, dans un sprint final, qu'elle s'octroya la première place. Il n'y a pas eu d'abandon.

La course des vétérans (4 km. environ) fut sans conteste une des plus spectaculaires. Les dix partants firent preuve d'une grande sagesse. L'ordre des coureurs n'a guère été modifié depuis le passage devant le grand stade. C'est Rapin qui, dans un style «aérien» et bien personnel, domina nettement tous les autres concurrents. A la sortie du stade, il avait déjà plus de cent mètres d'avance ; à mi-chemin, son  avance s'était encore accrue et c'est en grand champion qu'il franchit la ligne d'arrivée, nettement détaché. Les suivants, Paol, Schmidt et Panet, arrivaient également détachés ; ils ont couru avec beaucoup de technique et avec un grand sens tactique. Cabrol, «en rodage»,   a   fait  mieux que   ses   espérances. Il a eu un vif succès. Buard a fait aussi une très bonne impression, courant avec régularité, décontracté, rythmant bien la respiration sur sa foulée. N'oublions pas Dossaris, le vétéran des vétérans ; il s'est classé honorablement en devançant de plus jeunes que lui. Aucun abandon dans cette catégorie.

Dix-neuf partants au départ de la catégorie des seniors. Dès le premier tour du stade, Weiss fonça dans un style impressionnant ; il resta constamment dans le groupe de tête et, se détachant irrésistiblement en fin de course, il termina en grand vainqueur. Victoire méritée, car s'il n'avait pas été handicapé par une blessure au pied, il aurait bouclé le tour en moins de temps encore. Le svelte Silvestre et le puissant Chétrit couraient toujours de pair, si bien qu'à l'arrivée ils n'étaient séparés l'un de l'autre que par une seconde. Si, en tête, les positions n'ont guère changé, il n'en a pas été de même pour les autres coureurs ; les places se sont âprement disputées. Une bonne note pour M. Barthe et J. Banck, deux jeunes qui, par leur ténacité, ont fait l'admiration du public. Dans cette catégorie, deux abandons sont à  noter.

Toutes ces courses furent passionnantes et fort applaudies par les spectateurs enthousiastes.

En l'absence du président de la Société Naturiste, la distribution des prix a été présidée par notre sympathique vice-président, M. Cholet, et sa charmante  femme.

Je ne voudrais pas terminer ce petit compte rendu sans remercier chaleureusement tous les naturistes au grand cœur qui, par leurs nombreux dons, ont encouragé et récompensé tous les concurrents.  -   J.-P.   W.

CLASSEMENT.
Minimes (12 à 15 ans) : 1. B. Rapin, 10' 45" ; 2. W. Schmidt, 10' 47" ; 3. R. Rochefort, 10' "51" ;
4. A. Le Floch ; 5. G. Martel ; 6. M. Weiss ; 7. M. Le Floch ; 8. E. Audebert ; 9. P. Botino.
Au départ : 9 ;   à  l'arrivée : 9.

Féminines : 1. Mme Salmon, 19' 21"; 2. Mlle D. Roche, 19' 23" ; 3. Mlle J. Girard,  19'   45" ;
4Mme   Rémond ; 5. Mme Mauricette.
Au départ : 5 : à l'arrivée : 5.

Seniors : 1. J. Weiss, 15' 11" : 2. Silvestre, 15' 17" : 3. Chétrit, 15' 18" ; 4. Langevin ;
5. M. Barthe ; 6. Best ; 7. J.-M. Pribyl ; 8. Wang ; 9. Lejolliff ; 10. Prost ; 11. Lang ; 12. J. Banck ; 13. Leroy ; 14. Grisol ; 15. Dubosq ; 16. R. Banck ; 17. Lauze.
Au départ : 19 ;   à   l'arrivée : 17.

Vétérans : 1. Rapin, 16' 36"; 2. Paol, 16' 17" ; 3. Schmidt, 17' 30" ; 4. Panet ; 5. A. Mancier ;
6. Cabrol ; 7. Buard ; 8. Dossaris ; 9. Trochon ; 10. Candau.
Au départ : 10 : à l'arrivée : 10.

La vie à Physiopolis

Le même bulletin nous donne des informations intéressantes :

- sur la vie animée des résidents à la belle saison (très perturbée en cet été 1948 par de mauvaises conditions météorologiques),
- sur les débats, qui existaient sur la notion de "naturisme".

Nous reproduisons les textes des différents articles, dans leur intégralité, en les classant dans ces deux catégories. Certains des auteurs font preuve d'humour ...

Les animations sportives et festives

LA   VIE   A    P H Y S I O P O L I S

Du début  de juillet,   gris  et  frais,  jusqu'aux  premiers jours de septembre noyés de pluie, en passant par les orages et les ouragans, on peut dire que l'été 1948 ne nous a pas gâtés.

Il fut pourtant marqué, à Physiopolis, par plusieurs réunions réussies.

On trouvera ci-dessous l'exposé des principales d'entre elles, par ordre chronologique. Les résultats des tournois de tennis et des matches de basket, ainsi que ceux de la réunion d'athlétisme du 10 septembre, seront donnés dans le prochain  Bulletin.

DESCENTE DE L'île (RELAIS  MIXTE)    (4   juillet)

Le 4 juillet a eu lieu une descente de l'île à la nage par relais (mixte). En voici   le  classement :

1. Mlle D. Roche et M. G. Silvestre (11') ; 2. Mlle F. Bruneau et M. A. Lemonnier (12') ; 3. Mme Augustin et M. R. Augustin (12' 4") ; 4. Mlle A. Le Floch et M. J. Banck (12' 35") ; 5. Mme Silvestre et M. R. Trochon (13') ; 6. Mlle M. Le Floch et M. G. Pelleing (14').

LA FETE   DU   14  JUILLET

En dépit du temps maussade, le 14 juillet a été fêté joyeusement. Le soleil était  dans  les  cœurs ...

Dès le 13 juillet au soir, un défilé des enfants porteurs de lampions préluda au rassemblement des habitants de l'île autour d'un magnifique feu de camp, puis on assista au feu d'artifice et  des  chœurs   improvisés firent   entendre des refrains de campeurs. La soirée se termina par un bal fort animé, agrémenté, lui  aussi, de chansons.

Le lendemain, 14 juillet, des jeux divers étaient organisés près du portique (courses en sacs, courses au cerceau, etc. ). Les enfants s'en donnèrent à cœur-joie...   et  les grands aussi.

Félicitons MM. Fourgerolle et Bouvy, qui assumèrent parfaitement l'organisation générale de la fête et, en particulier, celle du feu d'artifice ; M. Parot, qui prépara le feu de camp en technicien averti (car il y a une technique des feux de camp !) ; M. Chétrit, qui, avec M. Bouvy, assura le contrôle, la mise au point et la distribution des prix ; M. et Mme Walter, animateurs infatigables des jeux d'enfants, danses, chants, etc. ; M. Poirier, enfin, qui se chargea  d'organiser le bal.

Soulignons encore l'enthousiasme et la satisfaction de tous, dans une atmosphère de camaraderie et de saine gaîté rappelant l'esprit naturiste d'autrefois.

GRANDE DESCENTE DE L'île   (29  août)

La traditionnelle descente de l'île à la nage devait avoir lieu le 22 août. Mais, ce jour-là, les écluses célestes déversaient un véritable déluge et, si cette circonstance ne pouvait évidemment pas gêner les nageurs, il n'en était pas de même  pour les suiveurs,   chronométreurs et spectateurs. L'épreuve fut donc reportée  au  dimanche  suivant.

«Temps» rapides dûs à un fort courant, faibles écarts entre les nageurs, lutte serrée entre les deux premiers chez les hommes,  telles en furent les caractéristiques.

CLASSEMENT.
Minimes (demi-parcours) : 1. M. Leclerc, 7' 5" ; 2. B. Rapin, 7' 12" ; 3. M. Le Floch,  8' ;
4. Prisca Botino,  8' 30".

Féminines : 1. D. Roche, 18' 25" ; 2. Mme Paderin, 19' 30" ; 3. Mme Augustin, 19' 32" ;  
4. Mme. Panet, 20' 15" ; 5. J. Girard, 20' 17" ; 6. H. Leroux, 22' 20".

Hommes : 1. Grisol 16' 53" ; 2. Chétrit, 16' 54" ; 3. Cerda, 17' 40" ; 4. Lejoliff, 18' 20" ;
5. Augustin, 18' 21" ; 6. Best, 19' 55" ; 7. Schindler, 20' 45" ; 8. Leroy, 20' 55" ; 9. Trochon, 21' 5" ; 10. Closset, 21' 7" ; 11. Dossaris, 21' 30" ; 12. Wang, 21' 50" ; 13. Dessier, 22' 45".

GYMNASTIQUE   RYTHMIQUE

Une bonne nouvelle, certainement attendue : l'année prochaine, des cours gratuits de gymnastique rythmique, s'adressant particulièrement aux enfants et jeunes filles, auront lieu chaque semaine, sous la direction de Mme Huguette Leroux, qui a bien voulu assurer la Société Naturiste de son concours bénévole.

UN TOURNOI D'ECHECS

Un tournoi d'échecs, réunissant une dizaine de joueurs, est en cours, avec comme chef de fîle le joueur de classe internationale Volodia Matveeff.

Le jeu d'échecs est un excellent sport intellectuel. Les pays slaves l'ont compris, qui l'enseignent dans leurs écoles. Il développe puissamment les fonctions mentales d'obstruction, d'analyse, d'imagination, de logique, d'intuition : il exerce la patience, la ténacité, le calme, et en même temps le goût du risque, par les coups audacieux qui peuvent forcer le gain, mais aussi précipiter la défaite. Il sera le bienvenu à Physiopolis, pendant les heures pluvieuses ou les longues  soirées d'automne.

Si l'enthousiasme avec lequel a été accueilli ce premier tournoi se confirme, des cours de débutants et des cours de perfectionnement, grâce auxquels les joueurs deviendront rapidement de très bonne force, seront organisés l'année prochaine.

TEMPETES,  OURAGANS ...

Le jeudi 5 août, à la suite d'un orage accompagné de pluie diluvienne, les tennis étaient littéralement inondés. Des terrassiers bénévoles s'employèrent en toute hâte à creuser des «rigoles» pour faciliter l'évacuation de ces eaux intempestives ...

Le lendemain, ce fut plus grave : vers 19 heures, un véritable ouragan surgit avec une soudaineté et une violence inouïes. Un grand peuplier, situé en bordure de Seine, près du garage à bateaux, s'abattit, le tronc cassé net, en travers du chemin. Il n'y eut heureusement aucun accident de personne.

Il ne restait plus qu'à débiter l'arbre ... et aux naturistes à compter avec consternation les beaux dahlias brisés, les fruits tombés ...

Tout le long de l'île, au long de l'eau

EN RODAGE

Notre ami Cabrol est décidément un  spécialiste de la facétie.

Le 14 juillet, pour participer à la «course au cerceau», il avait amusé tout le monde en arborant un étonnant maillot de bain 1900, rayé de bandes transversales.

Le 12 septembre, avant de s'aligner au départ du «cross», il se fit dessiner sur le dos un magnifique escargot, surmonté de cette inscription pessimiste :   « En rodage ».

Ce qui ne l'empêcha pas de faire une très belle course et de se classer fort  honorablement.

L'an prochain, Cabrol devra se déguiser en  zèbre ... Au fait, son maillot 1900 conviendra parfaitement pour cet usage.

LES RESPONSABLES

L'inclémence persistante de l'été 1948 fut évidemment regrettable pour les amateurs de soleil et de plein air.

Etait-ce toutefois une raison suffisante pour faire comme ces personnes qui n'hésitèrent pas à adresser, à ce sujet, d'amers reproches ... au président de  la Société Naturiste ?

Ah ! mais ... On est responsable ou on ne l'est pas !

SIMPLIFICATION

On a suggéré qu'un baromètre soit installé à l'entrée de l'île des Naturistes, pour renseigner chacun sur le temps probable.

Un mauvais plaisant prétend qu'il eût suffi, cette année, de peindre directement sur le mur non   seulement le cadran, mais aussi les aiguilles.

Entre   «pluie»  et   «tempête»,    par   exemple ...

TOUS EN  CHŒUR !

A la suite d'un brillant essai de chœurs à plusieurs voix lors de la soirée du 13 juillet, un groupe de naturistes va tenter de réaliser un quatuor ... à cinq voix. Il y aura la voix lactée, la voix ferrée, la voix hiérarchique, la voix diplomatique et la basse espagnole.

On assure même qu'un champion fera des tyroliennes. Familiarisés qu'ils sont avec la physiologie, nos camarades savent que la glande «tyrolienne», qui est quelque part dans le gosier, permet, à celui qui sait s'en servir, de chanter «Le Pâtre des Montagnes» en virtuose, avec toutes ses variations.

Belles soirées en perspective !

LA MATIERE  GRISE

Donc, le jeu d'échecs est pratiqué avec une certaine faveur à Physiopolis. Rien à dire à cela : on ne peut pas toujours faire du sport ... L'une des lois fondamentales de la nature n'est-elle pas celle du rythme, de l'activité et du repos ? Encore ne s'agit-il ici que de repos musculaire, car, aux échecs, la «matière grise» est soumise à un violent exercice !

Mais alors, ne faudra-t-il pas changer le nom de Physiopolis et le transformer en  «Psychopolis» ?


SI,   ROBINSON  EXISTE !
(J'irai me vautrer dans les ronces)

(Suite)

A peu de distance, d'autres individus perchés sur de hauts tabourets pour être à la hauteur d'une longue planche, malencontreusement trop élevée pour servir de table confortable, aspirent avec des pailles des boissons colorées qui paraissent les énerver dangereusement si j'en juge par leur teint cramoisi et l'animation de leurs discussions.

Derrière se trouve une plateforme et, à l'instant où nous arrivons, un tam-tam assourdissant se fait entendre. Aussitôt nous voyons un grand nombre de ces jeunes hommes et de ces jeunes filles, qui semblaient totalement apathiques, se dresser comme mus par un ressort et se livrer à une gymnastique échevelée. Un curieux contraste existe entre leurs physionomies sérieuses, leurs visages tendus, leurs regards fixes, comme extatiques, et leurs membres postérieurs qui se trémoussent à une cadence accélérée. Ce doit être pour eux une  danse  sacrée.

La plupart de ces danseurs ont le même costume réduit au minimum, ce qui produit un effet spectaculaire de hanches, de ventres et de poitrines agitées, mais ils sont bien trop absorbés par leur rythme sauvage pour se rendre compte de l'indécence évitée par les tribus indigènes qui ne dansent pas entre sexes différents.

Nous fuyons cette région. La journée est trop avancée pour que nous allions explorer la grande forêt qui continue l'île vers le Nord. Nous reconnaîtrons cette partie de l'île quand nous entreprendrons  nos  expéditions nautiques.

Longtemps après notre départ, alors même que nous étions engagés dans les défilés nous ramenant dans la savane, nous entendions encore le son lointain du tam-tam.

Assis sur un petit tertre, nous sommes rapidement tombés d'accord pour baptiser ces nouvelles régions. Nous décidons d'appeler cette partie de l'île la «Côte des Sauvages» et nous sommes bien résolus à ne plus nous y aventurer.

Le vallon qui y conduit sera la «Vallée des Désespérés» et le défilé sera «Porte Close». La forêt qui s'étend au Nord sera la «Forêt relativement vierge ». La côte plate à l'Est du fleuve  sera le « Grand Désert ».

Nous avons lentement regagné notre enclos, gardant  le  sîlence.

«Au faîte des arbres de la grande haie grésillaient les insectes du soir qu'on voyait, sur le clair du ciel, remuer tout autour de la dentelle des feuillages. Parfois il en dégringolait un, brusquement, dont le bourdonnement grinçait tout à coup. Beau soir d'été calme ...»

(A  suivre.)

Le naturisme : principes, conseils et débats

Dégâts d'une civilisation

Par   suite  des   exigences   de   la vie moderne, nos retours à la nature, à Physiopolis, ne peuvent être que périodiques et relativement courts.

Pour nous, naturistes, dont l'un des buts est de limiter les dégâts de notre civilisation, il est intéressant d'énumérer les perturbations physiques et surtout psychiques que nous fait subir la vie moderne. Il faut s'adapter ou disparaître. Bien sûr ; mais le naturisme n'est-il pas précisément une méthode de choix pour cette adaptation ?

Puissent les lecteurs non naturistes, qui nous accusent de jouer à l'homme primitif, faire leur profit des quelques vérités qui suivent, et que nous finirions par ne plus voir tellement elles s'intègrent dans notre vie quotidienne.

Notre œil est victime des poussières et de la lumière artificielle. La cornée se défend comme elle peut contre le contenu des chiffons que les ménagères confient généreusement à l'air environnant. Les variations brusques de lumière artificielle éprouvent la rétine. Et le citadin de plus de quarante ans qui a une vue normale devient l'exception. L'autopsie d'un Parisien âgé révèle des poumons gris, comme ceux d'un mineur, et non d'un beau rouge comme ceux du campagnard.

Le sens de l'ouïe est si tyrannique que se boucher les oreilles ne suffit pas pour ne plus entendre. L'oreille est la cible de choix de l'agitation moderne. Le bruit actuel de la rue est un vacarme par rapport à celui de 1900. La T.S.F. envahit les logements, et la musique que l'on y trouve n'est pas celle qu'il faudrait. Notre Radio nationale comprendra-t-elle un jour qu'il ne faut pas faire du «dynamique» à tout prix, qu'il est meilleur, pour la santé d'un travailleur parisien rentrant las de sa journée, de donner des berceuses plutôt que du hot-jazz ? Un coup de cravache n'améliore pas un cheval fatigué.

Les tuyaux d'échappement de nos moteurs déversent dans l'atmosphère des produits toxiques, rapidement mortels dans un garage clos, et que notre organisme supporte, grâce à leur dilution, mais cela ne va pas sans dommages pour la santé.

Un mauvais plaisant prétendait que l'air qu'il respire dans le métro a déjà servi dix fois, huit dans les poumons des autres, et deux dans leur tube digestif d'un côté ou de l'autre ! Devrons-nous nous servir de cette boutade pour obtenir, dans les rames et sur les quais, une ventilation suffisante, sinon comparable à celle des métros étrangers ?

On a découvert depuis peu de temps l'importance de l'électricité statique de l'air sur notre organisme. Et il serait particulièrement salutaire, pour les nerfs «raccourcis», de se promener pieds nus ... On va découvrir le naturisme ! Et tant pis pour les semelles crêpe. On finira bien par nous conseiller d'empoigner quelques minutes le fil de terre de notre T.S.F. si nous voulons un sommeil rapide et calme, mais je serais bien surpris si on recommandait la marche pieds nus.

Nous, nous connaissons déjà le remède.

Toutes les perturbations de la civilisation sur nos nerfs ont une répercussion sur l'intégrité de notre cœur, et harcèlent celui-ci. Un adage sportif bien connu, indique que l'on marche avec ses muscles, que l'on trotte avec ses poumons, et que l'on galope avec son cœur. Les courses de vitesse des derniers Jeux Olympiques de Londres ont été le triomphe des «nègres volants» et constituent une des preuves les plus spectaculaires de l'affaiblissement du système cardiaque des civilisés.

Pour nous, il y a Physiopolis, ses tentes, ses terrains de jeux, toute cette organisation que nous devons à ceux qui nous ont précédés, et le bain de nature qui corrige un peu les dégâts de notre civilisation.

Physiopolis, la préservatrice de notre petite santé de civilisés, la valeur-refuge en or !

Henri   LAVERRIERE,
Président de la Société Naturiste.


SUR L'EMPLOI DE L'INTELLIGENCE

Quand on me vante l'intelligence d'un homme que je ne connais pas, je demande aussitôt quel usage il en fait. Car il y a tant de gens qui emploient la leur à rouler les autres qu'il est bien permis de se défier.

Je n'admire pas une belle intelligence mal utilisée. Celui qui la possède n'est pas intéressant, et je lui préfère de beaucoup un homme moins doué, pourvu qu'il soit bon.

Le monde est plein de fripons intelligents. Il y en a dans tous les domaines, et ce sont eux qui pourrissent la société. Cela n'empêche pas qu'ils ne soient admirés d'une foule de gens. Il est triste de constater que ces derniers subissent leur ascendant et s'extasient comme des niais devant  les ressources de leur esprit.

Un brave homme les intéresse moins ou pas du tout. Ils prennent la bonté pour de la faiblesse. Ils se trompent. C'est la trop grande facilité à céder aux volontés des autres qui est de la faiblesse. La vraie bonté ne laisse pas abuser d'elle. Et c'est par elle surtout que l'on rendra ce monde habitable.

Jusqu'à présent la méchanceté des hommes en a fait un séjour qui n'a rien de charmant. L'autre jour, dans un journal, un sociologue disait qu'elle augmentait en proportion de nos besoins factices et qu'il était temps de revenir à la simplicité. Cette remarque, il y a longtemps que nous l'avons faite, mais alors les sociologues nous riaient au nez. Aujourd'hui ils semblent avoir compris.

Toutefois ce retour à la simplicité, que des philosophes comme Bergson ont reconnu indispensable, ne peut s'obtenir que par un effort intellectuel persévérant. J'admire l'intelligence qui l'accomplit, mais, pour brillante qu'elle soit, je n'admire pas celle qui est au service d'une mauvaise cause.

A.   DESCAZAUX.

Vivre au soleil et au grand air, le dimanche, sur un stade, c'est bien, mais c'est insuffisant. Soyez naturiste chaque jour de la semaine, par votre alimentation, votre genre de vie, votre manière de penser.


L'œuvre  d'un  précurseur

Il n'est pas trop tard pour parler de la mort, survenue il y a quelques mois, d'un de ceux qui furent, dans le temps et par la science, à l'avant de la doctrine naturiste.

Curieuse et attachante figure que celle du docteur Paul Carton, dont les recherches, les travaux, les ouvrages et les enseignements ont contribué à faire du naturisme médical ce qu'il est devenu. Son intolérance, son intransigeance, son injustice à l'égard de certains de ses confrères qui préconisaient un nudisme plus ou moins intégral en commun, ne peuvent diminuer sa valeur, son courage scientifique et notre estime. Il serait bien inutîle, maintenant qu'il n'est plus, de rappeler ses attaques coléreuses centre les fondateurs de Physiopolis.

Celui qui vient de disparaître, après avoir été alité plus de trois ans (il avait eu la colonne vertébrale fracturée à la suite d'un accident lors d'un bombardement), avait énergiquement lutté dans sa jeunesse et son âge mûr pour faire admettre ses idées du monde médical et des malades. Quelques unes d'entre elles sont devenues des vérités évidentes, mais d'autres restent encore en discussion, sauf pour des naturistes convaincus et ... pratiquants. Il se plaça médicalement parmi les héritiers spirituels d'Hippocrate et entraîna à sa suite la médecine naturiste. Sa ténacité et sa foi se heurtèrent souvent à une incompréhension qui aurait découragé un esprit moins combatif que le  sien.

Dans ses recherches et dans ses conceptions, il ne sépara pas l'être humain de la nature et il put constater que la maladie n'est qu'une réaction de défense de l'organisme contre des façons de vivre, et plus particulièrement de s'alimenter, non conformes aux lois naturelles. La simple citation des titres de ses principaux ouvrages suffit à nous faire envisager l'importance et la direction générale de  ses  travaux :

La Tuberculose par arthritisme (1911), La cure de soleil et d'exercices chez les enfants (1917), Les lois de la vie saine (1922), Traité de médecine, d'alimentation et d'hygiène naturistes (1920), Le décalogue de la santé (1922), L'essentiel de la doctrine d'Hippocrate extrait de ses œuvres (1923), La cuisine simple (1925), Enseignements naturistes (1925), Diagnostic et conduite des tempéraments (1926) et surtout Les trois aliments meurtriers (1928). Vinrent ensuite L'apprentissage de la santé, La vie sage, L'art médical, la deuxième série de ses enseignements naturistes, parue sous le titre : Enseignements et traitements naturistes pratiques, etc.

Dans Les trois aliments meurtriers (1), il se dressa contre les plus dangereuses erreurs de nos habitudes alimentaires. Mais laissons-lui la parole :

«Ces trois aliments sont l'alcool, la viande et le sucre préparé industriellement. Les trois sont nocifs pour des motifs différents. La viande ne s'adapte pas à notre structure anatomique à notre physiologie cellulaire ; l'alcool et le sucre chimique sont des produits  irritants  et anti-naturels.»

«... Dès que l'on se nourrit principalement de viande, de poisson, de sucreries, de boissons fermentées et distillées, on surexcite ses forces pour mieux les abattre ensuite, on épuise sa vitalité, on prodigue ses réserves de vie, on détruit ses résistances à la maladie, on aggrave toutes ses prédispositions morbides, ses tares viscérales, et on accélère sa décrépitude.»

«... II n'existe au monde qu'une boisson hygiénique, c'est l'eau claire. Il ne suffit pas que l'alcool fasse dégager ses calories à la machine humaine, en la dégradant, pour être proclamé aliment. Un seul qualificatif lui est applicable, c'est un poison.»

«La viande est l'objet d'un préjugé aussi répandu et aussi invétéré que celui du vin. L'euphorie, la stimulation factice et dangereuse que son ingestion procure, la font rechercher de plus en plus par les travailleurs manuels qui, s'ils n'ont pas un fort morceau de viande à chaque repas, se figurent "crever  de faim".»

«Nous avons déjà dénoncé cet inconcevable aveuglement qui fait attribuer aux maladies ou aux microbes les troubles morbides dont l'alimentation carnée est seule responsable ... La viande, aliment antiphysiologique, poison cellulaire indéniable, ne saurait prétendre à la moindre vertu curative.»

«Le sucre contenu dans les végétaux et les fruits crus est un aliment vivant, physiologique, combiné au protoplasme des cellules végétales, associé à des ferments, à des vitamines et à des sels nutritifs vitalisés. Le travail d'absorption de ce sucre naturel s'opère par un contact harmonieux, par un échange d'énergie entre les cellules végétales vivantes et nos cellules digestives vivantes. Le sucre industriel, au contraire, est un aliment mort qui a perdu l'association protoplasmique végétale, le contact des sels minéraux vitalisés, des vitamines et des ferments oxydants qui le rendaient physiologique. Il n'est plus qu'une drogue irritante, qu'un corps chimique dangereux, parce que nulle part la nature ne nous l'a présenté sous cette forme. Par conséquent, nos organes doivent fournir un effort antiphysiologique pour l'assimîler. Ce travail d'incorporation d'une énergie chimique morte se fait par un contact blessant qui détermine une déviation des actes digestifs cellulaires, une irritation antiphysiologique qui surmène les viscères et, par sa répétition, arrive  à les  altérer profondément.»

La place nous manque pour reproduire les principaux passages où le docteur Carton démontre scientifiquement le bien-fondé de sa thèse, mais nous pensons que les lecteurs qui ignorent son œuvre comprendront toute son importance dans le développement et la diffusion des principes et de l'idéal qui nous sont chers.

Augustin MANCIER.

(1) Norbert Maloine, éditeur, Paris.


La peau, elle aussi, doit respirer !

C'est un homme d'une quarantaine d'années. Sa profession l'oblige à mener une vie sédentaire et calfeutrée, dans une atmosphère viciée. Il est affligé d'une «bedaine» confortable.

En vacances, il passe ses journées en tenue légère : short ou slip. Cinq jours après son arrivée au plein air, sans qu'il ait modifié son régime alimentaire en quoi que ce soit et sans qu'il ait encore commencé aucun exercice physique, il a déjà «fondu» ; son tour de taille a diminué de quatre centimètres.

Phénomène bien explicable, si l'on songe que l'organisme respire non seulement par les poumons, mais aussi par les pores de la  peau.

L'aération de l'épiderme a  activé  les échanges. Une désintoxication s'est amorcée. Les fonctions sont stimulées, les organes fonctionnent plus normalement, le foie hypertrophié, paresseux, «brûle» mieux. Il se dégonfle. La «bedaine» aussi,  par conséquent ...

Certes, cela n'est pas suffisant, et notre homme devra, s'il veut se refaire et conserver un corps sain, s'imposer une alimentation rationnelle et une cure de mouvement bien conduite. Pas seulement une semaine, un mois,  un an :  toute sa vie ...

Mais cet exemple ne montre-t-il pas l'utilité incontestable du dévêtissement ? Et ne donnera-t-il pas à réfléchir au «non-naturiste» dont notre ami Pol Ellian rapporte d'autre part les remarques, et qui répugne à  enlever sa veste ?

Pourquoi vous ne devez pas porter de gaine, mesdames ?

La santé est le résultat du parfait équilibre entre les échanges.

Notre organisme, vous le savez, vit grâce aux échanges qui s'effectuent au moyen des fonctions d'assimilation et d'élimination. Ce sont la respiration, la circulation et la digestion, que l'on appelle  grandes fonctions, parce que vitales.

Le premier devoir d'un être humain envers lui-même est de ne pas gêner ou entraver ces fonctions si importantes, mais plutôt de les activer.

Or, la gaine a pour but, soi-disant, de vous amincir, de vous affiner la taille. C'est faux ; méfiez-vous de ces gaines, serre-taille, guêpières ou autres balconnets, qui, vous dit-on, «sculptent» la silhouette. Hélas !  la réalité est toute  autre, et ces «charmants accessoires» de la beauté féminine sont cause de bien des laideurs : bourrelets graisseux, fesses en gouttes d'huîle,  etc.

Et ceci s'explique ; en effet, la pression exercée par la gaine a pour résultat de ralentir la circulation dans les régions soumises à cette pression.

La circulation étant gênée, les tissus, mal irrigués, s'atrophient, s'infiltrent de graisse, perdent leur élasticité. Ce processus est lent, ce qui lui permet de passer inaperçu au début, mais il est inexorable.

Si vous voulez avoir la taille fine, le ventre plat, il n'y a qu'un seul moyen : FAITES DE  LA CULTURE PHYSIQUE.

C'est   évidemment un   peu   plus   difficîle que d'acheter une gaine, mais, en toutes choses, seul l'effort est récompensé, et les solutions de facilité donnent toujours des résultats décevants.

La nature a pourvu les femmes, aussi bien que les hommes, d'une gaine de muscles, d'une solidité et d'une souplesse absolument remarquables ; il suffit de la développer.

Quelques minutes d'exercices abdominaux, chaque matin, ou chaque soir, si vous préférez, vous feront des abdominaux à toute épreuve.

On a, mesdames, la taille qu'on mérite.

Faire de la culture physique paie.

Porter une gaine se paie.

Lucienne WALTEK.


UN NON-NATURISTE  ÉCRIT..

J'ai reçu une lettre d'un non-naturiste qui a eu la bonne fortune de lire notre Bulletin ainsi   que  le   Carnet de Descazaux.

Cette épître mérite d'être retenue parce qu'elle émane d'un homme intelligent, sincère, ayant de la sympathie pour certaines de nos vues, mais incompréhensif à l'égard du thème général de nos conceptions, c'est-à-dire de notre idéal.

Cette lettre est, dès lors, très instructive pour nous, car elle témoigne d'un état d'esprit répandu et elle indique aux naturistes les raisons pour lesquelles ils sont généralement  incompris.

En voici les passages essentiels :

«Descazaux est fort sympathique et son Carnet charmant livre son âme de rêveur et sa souffrance, sans amertume, d'être incompris. Il y a chez lui du poète.»

«Le Carnet d'un Naturiste, plaidoyer d'un convaincu, ne me paraît toutefois pas convaincant. Il me semble y avoir, à côté de beaucoup de vrai, une certaine méconnaissance de l'homme actuel et de la société. Descazaux ne me paraît pas être un propagandiste moderne ; il crie sa conviction, sincère et profonde, mais son cri risque fort de n'éveiller nul écho dans les âmes contemporaines. Rêveur, il méconnaît le matérialisme actuel ; il ignore aussi la force des habitudes, des préjugés.»

«Le naturisme est, dit-il, mal connu ; sans doute, il est surtout mal jugé par la confusion créée (à dessein peut-être par d'aucuns qui lui ont porté ainsi un coup terrible) avec le nudisme.»

« Je considère que chez les naturistes vrais, le nudisme n'est pas une fin en soi, mais un moyen de récupérer la liberté du corps et d'arriver à un équilibre physique. Le nudisme,   s'il   peut   être intégral à l'extérieur, que relatif en raison de nos mœurs, de nos lois, de nos usages  actuels.»

«Le nudisme intégral est-il d'ailleurs conforme à notre nature ? Je ne le pense pas ... »

Suit une critique du nudisme que je laisse de côté car elle n'intéresse qu'épisodiquement le naturisme. Et mon   correspondant   continue :

«Si tant de gens sont hostîles au nudisme naturiste, c'est par réaction contre son exhibitionnisme caricatural.»

«Autre problème, celui de l'alimentation. Que l'abus de la bonne chère soit nocif, je n'y contredis pas, mais je ne pense pas qu'une alimentation strictement naturiste soit désirable. Outre les choses délectables dont nous serions privés par un retour absolu à la nature, que de troubles seraient créés dans la société ! Que de professions s'écrouleraient, fondées sur la gourmandise !»

«Je goûte encore l'eau pure et en éprouve une certaine volupté, mais cela ne m'empêche aucunement d'apprécier un bon vin.»

«Je me contente aisément d'un bol de lait et de pain ; j'ai souvent déjeuné d'un peu de pain et de fruits, mais je trouve une satisfaction certaine à déguster un bon repas. In medio stat virtus. La gourmandise doit rester tempérante. Un bon repas se complète de quelques jours de frugalité. Là est, je crois, la sagesse. Il ne faut pas trop demander à l'humaine nature et surtout  trop  lui refuser.»

«Je tiens encore le progrès scientifique comme un avantage de notre temps et je ne le pense pas contraire aux théories naturistes qui en reconnaissent les bienfaits tout en condamnant  ses  excès.»

«Le point sur lequel Descazaux me paraît témoigner d'une vraie naïveté est   son  étonnement de  ne pas  recevoir l'approbation et l'appui du corps  médical ...»

Ici se place une charge très «moliéresque» de la médecine et des médecins. Je la néglige, son humour n'apportant pas d'élément sérieux à la critique. Son auteur, revenant à l'ami  Descazaux, déclare :

«Si je me sépare de lui jusqu'à présent, non par hostilité et méconnaissance des choses, mais par paresse et par «adoration de mon collier», je suis pleinement d'accord avec lui quand il recommande la rêverie, nous propose les charmes de la nature. »

Ayant glorifié la nature, mon correspondant poursuit :

«Si je pouvais suivre mes  goûts, je n'userais pas mes jours au contact de la bêtise, de l'ignorance et de la malhonnêteté des gens, à vivre dans un appartement mesquin.  J'habiterais un petit coin calme ... près d'une rivière ... J'aurais là l'innombrable monde des eaux avec ses mystères, ses renouveaux. De l'algue infime au poisson monstrueux ... », etc.

«... A la ville ... que d'inconvénients : un air vicié et empuanti qui rend la chaleur plus lourde, plus pénible ; une nourriture plus chère et moins fraîche ; nul fruit qui soit mûri sur l'arbre ; nul légume venu naturellement ...»

... Je ne vais pas malgré tout au naturisme tel que je le suppose, par paresse, par amour de mes habitudes, non par préjugé. Je répugne au nudisme parce que, sauf de rares exceptions, mon col ne me gêne pas, mon veston ne me fait pas souffrir et que j'ai un certain respect pour moi-même et tiens comme un acte de politesse, à l'égard d'autrui d'être correct. Je répugne à enlever ma veste parce que je ne puis que mal me passer de bretelles et que je ne sais rien de pis qu'un homme en manches de chemise avec des bretelles qui font remonter la chemise dans le dos.»

«Je puis critiquer Descazaux, mais si je ne partage pas ses vues, je ne me reconnais pas le droit de méconnaître sa franchise et un courage que je n'aurais peut-être pas à sa place.»

«Je crains que son livre, charmant de sincérité et de fraîcheur, ne provoque que peu de conversions. Il faudrait, pour attirer des adeptes, la publicité tapageuse en honneur dans le monde moderne ; des slogans mille fois répétés ; des photos ; des affiches suggérant pour les uns des nus attirants (venus par curiosité sensuelle, il faudrait les retenir ensuite par d'autres moyens, pour d'autres suggérant la vie de leur rêve : l'eau, la fraîcheur, etc.. Cela suppose non des convaincus désintéressés, mais des hommes d'affaires, âpres et durs et des possibilités financières.»

A cette lettre, je n'ajouterai qu'une remarque : nous ne sommes ni des hommes d'affaires ni des financiers. Nous n'avons pour nous que notre sincérité, notre pauvreté et notre amour désintéressé du beau et du bien. Mais nous souffrons de voir le vrai visage du naturisme déformé par les pitreries auxquelles se livrent les snobs de tout poil.

Pol   ELLIAN.


Au delà de l'horizon

LA   GUERRE   DES   SLIPS

Une vague de pudibonderie s'est abattue, cet été, sur plusieurs pays d'Europe. En Suisse, la police des cantons d'Obwalden et de Nidwalden a publié l'arrêté suivant : « Les touristes qui violent la morale publique en s'exhibant insuffisamment vêtus dans les lieux publics seront, à l'avenir, arrêtés».

En   Italie,  une  circulaire du  ministère de l'Intérieur a ordonné à la police d'interdire   sur   les plages   le   port   du   slip et «autres   costumes   de   bain»   trop succincts.   A  Roseto Degli, sur l'Adriatique,   le   montant   des   contraventions  a atteint   trois millions   de   lires en quinze jours.

Pourvu que cela ne donne pas au fisc français l'idée d'employer ce moyen pour se procurer de nouvelles ressources !

FACHEUSE   MESAVENTURE

Un journal de Budapest a rendu compte d'un «désastre» survenu sur une plage hongroise surpeuplée  :

«Une jeune femme élancée, aux allures de diane chasseresse, émergea de l'eau. Les spectateurs s'exclamèrent en voyant que la partie inférieure de son deux-pièces manquait. Affolée, la belle enfant saisit la sortie de bain d'un monsieur qui se trouvait à côté d'elle. Le monsieur, qui ne portait rien dessous, s'évanouit.»



La planque de René la Canne

 

L'un des ouvrages de Roger Borniche, ancien inspecteur de police de la Brigade criminelle du Quai des Orfèvres, comprend plusieurs chapitres, qui ont pour cadre Villennes pendant l'été 1949. En effet, René Girier, l'auteur présumé du braquage de la joaillerie Van Cleef & Arpels de Deauville, qu'il traquait pour l'arrêter (en concurrence avec ses collègues de la Préfecture de Police), avait choisi le domaine de Physiopolis pour se cacher.

Nous reproduisons quelques passages, concernant cette planque, le voilier "Sans-Souci" du truand qu'il y ancrait et la tentative d'arrestation ratée.

 

A trente-six kilomètres très exactement du parvis de Notre-Dame et à neuf cents mètres de la sortie de l'autoroute de l'Ouest, un chemin goudronné sillonne les terres labourées et conduit à Villennes-sur-Seine.

Juché sur un coteau verdoyant, le village s'étire en pente douce jusqu'à la rive du fleuve, paradis des pêcheurs et des amateurs de canotage, face à une île qu'enserrent deux bras langoureux de la Seine et qu'un bac relie à l'embarcadère.

J'arrive au bord de la Seine, exténué, le visage ruisselant de sueur, la chemisette à tordre. J'aurais mieux fait de demander une voiture à la boîte. Au lieu de ça, j'ai ressorti de ma cave un vieux tandem que Marlyse et moi avons enfourché. Elle m'avait promis de pédaler. En fait, je me suis tapé le voyage tout seul, tandis que sa robe légère flottait au vent. Quand je mets pied à terre, je suis aussi fourbu que la "lanterne rouge" après la montée du Tourmalet.

Le passeur, un vieux beau farci de décorations, est aussi fier de sa casquette galonnée que de sa moustache à la gauloise, roussie en son milieu. Quand il parle, il la lisse avec amour, d'un rapide aller et retour du dos de la main, découvrant des canines jaunies par la nicotine.

Pour l'instant, c'est le décolleté avantageux de Marlyse qui le préoccupe. Une main dans sa sacoche, où tinte de la monnaie, l'autre offrant les tickets d'admission, il lui vante la situation de l'île et les efforts de la municipalité, s'inquiétant de savoir si, au passage, nous avions admiré la propriété d'Emîle Zola devenue après sa mort accidentelle, un centre de convalescence.

« C'est la première fois que ces messieurs-dames viennent à Villennes ? »

J'aurais mauvaise grâce à dire le contraire. C'est première fois, en effet. Je n'y viens, ni pour m'amuser ni pour admirer le paysage. J'ai dans mon portefeuille la photo de Girier que j'ai débarrassée des caractéristiques peu flatteuses de l'identité judiciaire. Elle s'est transformée en un simple portrait, au dos duquel j'ai griffonné « à mon cher cousin, René ». Ainsi, on ne peut savoir si ce prénom est le sien ou le mien.

Je guette le moment favorable pour montrer la photo à ce jacasseur qui en devient fatigant à force d'être intarissable. J'apprends que la partie nord de l'île est réservée à la plage d'où s'échappent, déformés par brise, des refrains d'accordéon, et qu'un camp de naturisme avec bungalows et pontons d'accostage occupe la partie sud.

« Comment allons-nous faire, chérie, pour le dénicher dans ce monde ? » dis-je à Marlyse. Puis m'adressant au passeur : « C'est notre cousin, un grand, beau garçon, amateur de voîle. Peut-être le connaissez-vous ? »

J'exhibe la photographie. Le vieux la regarde du coin de l'œil et la repousse, le menton avancé dans un geste significatif d'ignorance :

« Vous savez, il passe tellement de gens ici ! Soixante à chaque voyage! Le mieux serait que vous voyiez le plagiste. Il le ferait appeler par le haut-parleur. »

Je n'insiste pas. Je range ma photo, déçu sans le laisser paraître et je prends place avec Marlyse dans le bac où les passagers se sont entassés.

Lorsque nous accostons sur l'île, le vieux me crie, les mains en porte-voix :

« S'il n'est pas à la plage, demandez donc au loueur ! Il ravitaille aussi les bateaux dans le camp. »

Le chemin de halage devient pour nous un sentier d'amoureux. Mais le c?ur n'y est pas.

Le béret poisseux, les pommettes saillantes dans un visage émacié, les paupières lourdes, un corps dégingandé sous des bleus couverts de cambouis, tel est le loueur de bateaux que nous dénichons au milieu de son parc, un pot de goudron à la main. Quelques barques se trémoussent sur le clapotis des vagues nées au passage d'un train de péniches. Près de la distributrice manuelle d'essence, semblable à un phare miniature, des coques avariées jonchent le sol.

L'homme se penche sur la photographie du cousin René ressortie pour la circonstance. A plusieurs reprises, il écarte du coude un gamin au visage tacheté de son qui se hisse sur la pointe des pieds pour mieux voir.

« Cette tête ne m'est pas tout à fait inconnue, mais pour dire où je l'ai vue ! Vous avez demandé à la plage ? »

Ça sent l'échec ! Comme un jeune chien, j'ai foncé sur une piste sans issue. Le Gros, qui pressentait l'inutilité de ma démarche, n'avait pas tort. Diffusée par la presse, la photographie de Girier a frappé le public. Le loueur l'a inconsciemment rapprochée du hé que je lui tends. Ce n'est pas de chance mais, au moins, j'ai la conscience tranquille. Je n'aurai rien négligé.

Je jette à Marlyse un regard désemparé. Mon humeur a basculé et ma rêverie heureuse de tout à l'heure se transforme en angoisse. Je n'ai pu toucher un seul de mes six informateurs. Partis, envolés vers des cieux plus cléments. Le Gros va être content. Ma proposition d'inspecteur principal s'envole, elle aussi, à tire d'aîles, vers un point de non-retour.

L'homme paraît ennuyé de ne pouvoir me rendre service. Il essaie de justifier son ignorance :

« Vous savez, moi, je loue et j'entretiens les bateaux. Si votre cousin fait du voilier avec des amis et qu'il gare son bateau ailleurs, on peut pas savoir! »

C'est évident ! Et c'est tellement vrai que je ne fais même pas attention au manège du gosse qui, à plusieurs reprises, enfonce son index dans la cuisse de son père. Énervé, celui-ci le repousse :

« Arrête, morpion, tu m'embêtes. Qu'est-ce que tu veux encore ? »

L'œil de l'enfant brille. Son doigt désigne la photo. D'une voix mi-espiègle, mi-craintive, il zézaie :

« Ze le connais, moi, le monsieur. Z'est le Zans-Zouzi, zon bateau. Il a touzours de belles dames avec lui. »

Le loueur se retourne, intrigué. Il se penche sur son fils:

« Qu'est-ce que tu racontes ?

- Zi, affirme l'enfant. Ze les ai vus tous nus dans les buizzons. Il met zon bateau derrière le bungalow de Mme Zhampion. »

Je dois avoir une drôle de tête pour que le commerçant s'en aperçoive. Il me regarde avec étonnement et je fais un sérieux effort pour sourire et articuler d'une voix que j'espère inchangée :

« Oh, vous savez, ça ne peut pas être ça ! Mon cousin n'a pas de bateau. »

J'évite ainsi la fuite possible. En même temps, mon esprit part à la vitesse d'un météore pour savoir comment je vais identifier le propriétaire du Sans-Souci et, ce qui me paraît être un jeu d'enfant : la dame Champion.

Le tout, dans la discrétion la plus absolue.

« Qu'est-ce qu'on fait ? » demande Marlyse.

Je n'en sais plus rien. Je suis anéanti et fiévreux. A mesure que nous progressons dans l'allée centrale, mon énervement et mon inquiétude grandissent. Dois-je continuer à rôder dans les parages à la recherche de ce cousin hypothétique ou revenir, demain par exemple, avec le renfort du Gros ? Il est 16 heures et il fait chaud. Le mieux serait de faire un saut à la plage, d'étancher ma soif avec un demi et d'y consulter l'annuaire. Peut-être Mme Champion a-t-elle le téléphone ? C'est par elle qu'il faut commencer. Avec un peu de chance, qui sait si elle ne nous prêterait pas son bungalow pour planquer ?

L'abonnée Champion ne figure pas sur le bottin. Qu'importe. J'appelle la boîte.

« Borniche, passez-moi le patron ! »

Un grésillement, un grognement, une exclamation. « Oui ?

- Je suis à Villennes.

- Où ça ?

- Villennes, vous savez bien ! »

Sîlence. Dans l'écouteur, je perçois la respiration saccadée du Gros. En dépit de la chaleur qui règne dans la cabine, je sens passer dans mon dos comme un rapide frisson.

« Alors ?

Je peux difficîlement parler, mais je crois que c'est bon. »

Nouveau sîlence. Raclement de gorge. Puis la question, rauque, précise : « Qu'est-ce qui est bon ?

Le ticket, monsieur le Principal. Enfin, pas le ticket, l'île ... »

Le Gros s'énerve, le ton est sec : « Expliquez-vous, bon Dieu !

Je crois que j'ai le bateau. Et l'endroit où il ancre.
En planquant un peu...

- Vous l'avez vu ?

- Qui ?

- Girier ?

- Non. Je viens seulement d'avoir le tuyau.

- Bon. J'arrive. »

Malgré moi, je hausse les épaules. Je vois le Gros enfîler sa veste, sauter sur son pistolet de fête foraine, claquer la porte de son bureau, dévaler, le teint empourpré les cinq étages et bondir dans la Citroën de service. Je proteste :

« Ce n'est pas utîle ce soir, patron. Mais demain, c'est possible. Je vous expliquerai.

- Bon. » Le ton est empreint de déception. « Ne perdez pas de temps ! »

Raccroché. Je quitte la cabine et je rejoins Marlyse qui, le buste renversé sur sa chaise, les yeux fermés et les jambes allongées, s'abandonne aux rayons du soleil.

« Tu sais, chéri, dit-elle, sans bouger d'une paupière, Mme Champion, c'est la troisième allée de gauche dans l'allée principale, après le transformateur. Son pavillon donne sur la Seine, côté Triel. Elle habite Paris, boulevard Flandrin. Le Sans-Souci existe bien. Il était encore là la semaine dernière. »

J'écoute, ahuri, le verre à portée des lèvres. Marlyse marque un temps d'arrêt, se tourne vers moi, les yeux abrités par sa main en parasol, et ajoute :

« Tu vois, ce n'est pas plus compliqué que cela. Un facteur qui a soif, ça sert à quelque chose. »

Je me laisse choir sur ma chaise, aussi ragaillardi par la nouvelle que démoralisé par le chemin que je dois encore m'envoyer pour rentrer à Paris.

Soudain une conviction s'impose à moi. Appeler son bateau le Sans-Souci quand on est pourchassé par toutes les polices est bien digne de Girier, de sa manière insolente de défier la société et de jouer perpétuellement sa vie à quitte ou double.

Je suis maintenant persuadé que c'est bien lui qui a réalisé le hold-up de Deauville. Les barrages n'ont rien donné ? Et pour cause ! J'imagine René la Canne remontant paresseusement la Seine à bord du Sans-Souci, en maillot, sous le brûlant soleil d'août, cent millions de bijoux dissimulés sous ses pieds, pendant que des pandores dégoulinant de sueur montent leurs chicanes et interpellent de longues fîles d'automobilistes congestionnés.

Si mon intuition s'avère exacte, et je suis sûr qu'elle l'est, il me suffira de planquer le temps qu'il faudra à Villennes. Un jour Girier réapparaîtra. Alors, en fait de canotage, René la Canne ira ramer à la Santé.

Un complice de René Girier avait transporté les bijoux volés à Deauville, par la Seine, au moyen de son voilier "Sans-Souci".

Un Requin, m'avait appris mon correspondant, un huit mètres à coque en acajou et cuivres rouges, un beau voilier. Je crois que ce Jacques l'a acheté à Meulan. Il y a adapté un moteur auxilaire pour faire du ski nautique.

 

Jacques était, en fait, René Girier. L'épisode suivant a lieu le 31 août 1949, alors que Roger Borniche a appris par une écoute téléphonique, que René Girier et son complice-chauffeur, dont la voiture B.M.W. a été aperçue remorquée par une dépanneuse sur la route de Poissy, sont rentrés à Villennes.

Le Sans-Souci est là, qui se dandine, amarré à un chêne, la voîle au vent. Des traces d'eau sur le chemin de halage et l'herbe foulée témoignent d'un débarquement récent. Un cordage traîne à proximité.

« Ils ne doivent pas être loin ! souffle le Gros. Nous avons intérêt à ne pas nous faire voir. Ils vont sans doute revenir. »

D'un signe de tête, il nous ordonne de le suivre et, à l'abri de feuillages voisins, il nous chuchote sa pensée :

« On ne peut partir d'ici que par le bac. On va se placer de l'autre côté. Au restaurant de l'embarcadère par exemple. De là, nous les verrons automatiquement passer. »

L'idée est géniale. De la terrasse, nous avons vue sur la Seine, le passeur et la route.

« On ne peut pas les louper », répète le Gros qui se félicite de son plan.

C'est vrai. Nous prenons nos aises, au soleil, les jambes allongées, devant trois demis glacés. Le chauffeur a quitté son volant et il est allé s'étendre dans l'herbe, les pieds dans l'eau, un journal sur la tête. Les chauffeurs et les inspecteurs, bien que copains, ne fraient pas. C'est l'usage. Un chauffeur est là pour véhiculer, pas pour penser. C'est ce que leur rabâche tous les mois leur délégué syndical : « Qu'on nous donne des traitements d'inspecteurs et nous prendrons des responsabilités. Sinon, on se contente de nos manches ! » II n'a pas tout à fait tort.

Tandis que nous discutons, optimistes, nos yeux ne quittent pas la rive. Il n'est pas loin de midi. Le Gros fouille le menu. Pourtant, au fond de moi, je sens une certaine anxiété me barrer l'estomac. Ou Girier est resté dans l'île et nous allons le voir apparaître, ou bien il est déjà parti. Dans ce cas nous pouvons poireauter longtemps.

C'est à ce moment précis que le dé s'effectue dans mon cerveau. La voiture ! Je n'y avais pas pensé plus tôt ! Si Girier s'en va récupérer la B.M.W. garée quelque part sous les arbres, il passe devant nous et nous le sautons. Mais si c'est Robillard qui va chercher la voiture, nous ne pouvons que le laisser fîler et il risque de repérer notre traction-avant par trop caractéristique.

Je dévale les marches et je m'en vais secouer le chauffeur.

« II faut planquer ta bagnole ailleurs, pépère. Là-bas, derrière les arbres, où tu veux. Ici, on va se faire repérer !

-  Bon! »

Le chauffeur n'est pas contrariant. Il ramasse son journal, se traîne jusqu'à son engin, s'y installe et va le placer au fond d'une impasse, le nez contre un bâtiment désaffecté. Il revient vers la Seine, ses clés à la main.

« Ça te va?

Parfait ! »

Je reprends ma place sur la terrasse. Le Gros me donne raison, avec toutefois une réserve ; si nous avons besoin de partir rapidement, nous sommes coincés.

« II n'y a pas trente-six solutions, dis-je.

Exact, fait le Gros dont le visage s'est soudain crispé. Il n'y en avait qu'une. Regardez. »

Je tourne la tête. A 10 mètres de nous, au ralenti, la B.M.W. de Mathieu Robillard, surgie on ne sait d'où, passe devant l'embarcadère, se brinquebalant sur les inégalités du sol. Elle prend un peu de vitesse et disparaît au détour du chemin. A la droite de Robillard, j'ai pu apercevoir le visage de Girier qui riait de toutes ses dents, les cheveux au vent.

 

Nous restons là, tous les trois, sidérés, rivés à nos chaises. Quand nous reprenons conscience et que nous sautons dans notre Citroën, la B.M.W. est loin. Le chauffeur met la gomme pour la rejoindre, sans succès.

Sous le tunnel de l'autoroute, un coude sur le dossier du siège, le Gros se retourne vers moi. Je sens la menace poindre sous ses propos.

« Borniche, vous avez intérêt à leur mettre la main dessus avant la P.P. ! Sans ça... »

Je sais ce que signifie cette menace et je poursuis intérieurement la pensée de mon chef vénéré :

« Sans ça, mon petit Borniche, vous allez dégringoler de votre piédestal à la vitesse d'un aérolithe. »


Le 27 janvier 1951, l'ennemi public n°1 vient d'être arrêté. Roger Borniche procède à son premier interrogatoire.

Plus tard, lorsque René Girier aura purgé sa peine de prison et alors que l'inspecteur aura quitté la police, ils deviendront de bons amis ...

 

Le lotissement-jardin

L'arrêté d'approbation du lotissement-jardin, attendu depuis 1936, fut enfin signé par le préfet à la fin de décembre 1955. Physiopolis devenait officiellement un camp de vacances et de week-end, dont le règlement intérieur fut établi en 1961.

 


Celui-ci faisait encore référence aux principes du naturisme :
- l'exposition du corps humain aux éléments naturels,
- la culture physique, une alimentation saine sans alcool,
-  la désintoxication mentale par le spectacle de la nature et les loisirs de plein air.


Un dépliant publicitaire, qui fut réalisé, utilisait toujours le qualificatif cité de nature.

La Société naturiste, qui n'avait pas retrouvé l'importance qu'elle avait avant la guerre, n'eut plus d'activité à partir de 1958.

Le Syndicat d'Administration de Physiopolis se chargea alors de la gestion des terrains de sport, tandis que les sportifs devenaient de moins en moins nombreux.

 

L'évolution des activités sportives

 

Un article du quotidien Le Parisien montrait encore quelques adeptes de la gymnastique en 1973.

Le développement du tennis avait nécessitera la construction d'un deuxième court.


Les sports étaient devenus collectifs avec le basket-ball et le volley-ball.

Bientôt, le jeu de boules, la pétanque, deviendra le sport le plus pratiqué à Physiopolis ...

 


 

Les fêtes

De même que sur le "continent" à Villennes, la tradition du feu de la Saint Jean a été longtemps maintenue à Physioplis. Le 14 juillet était l'occasion d'une grande fête républicaine.

D'autres festivités étaient animées par des résidents déguisés de manière originale.

Les jeux du stade étaient plus ludiques qu'autrefois.

Le régime végétarien avait été remplacé par des dégustations de brochettes et de méchoui.

Vérifiez-le, en cliquant ici puis sur la photo.

 

L'eau rare et l'eau envahissante

 

L'eau courante n'était encore parvenue dans les bungalows et les chalets.


Souvent, elle y arrivait en trop grande quantité.

De nombreuses images de crues de la Seine montrent que celles-ci étaient fréquentes.

Cliquez ici puis sur la photo.

 

Une brève publication

 

Le Journal, réalisé par le Comité de gestion et publié en juin 1995, ne fut pas suivi d'un deuxième numéro.

 

Il annonçait les compétitions de tennis de table et de volley-ball et relatait celle de foot-ball. Cette publication informait les propriétaires que les premiers branchements au réseau électrique pourraient être réalisés à l'automne si au moins 50 d'entre eux adressaient un chèque à EDF.

De 2002 à nos jours : l'évasion de la ville

Un deuxième dépliant publicitaire mettait l'accent sur l'évasion, que recherchent aujourd'hui la plupart des Physiopolitains.

Il ne faisaIt plus référence au naturisme. En effet, le système de "parrainage", qui garantissait que tout nouveau propriétaire adhérait aux "valeurs" du naturisme, avait été abandonné.

 

 

L'île y est restée propice à l'évasion, malgré quelques nuisances sonores créées, de temps en temps en été, par de rapides embarcations à moteur.

Toutefois, l'ambiance n'est plus ce qu'elle était. Depuis longtemps, les résidents ne sont plus membres d'une communauté, partageant un même idéal de retour à la nature. Depuis 2002, l'électricité qui est arrivée dans l'île après l'eau courante, a modifié les comportements. On ne fait plus, chaque soir, une balade tout autour de l'île, la télévision enfermant chacun dans son bungalow ou son chalet comme dans sa maison ou son appartement.

Il y a toujours des fêtes nocturnes, mais le plus souvent en famille avec des amis. L'isolement et le repli constatés n'empêchent, cependant, pas le maintien de liens de convivialité et d'amitié entre voisins.

 

Certains propriétaires ont bâti de petites maisons plus confortables que les anciens bungalows.

Tous n'ont pas tous conservé le mode de vie de leur jeunesse ou celui de leurs parents et de leurs prédécesseurs.

 

Ils se retrouvent toujours avec plaisir, dans ce coin de nature préservée, chaque week-end de la belle saison.